La lettre juridique n°534 du 4 juillet 2013 : Social général

[Textes] Commentaire de l'article 1er de la loi n° 2013-504 du 14 juin 2013 relative à la sécurisation de l'emploi sur la généralisation de la couverture santé, la fin des clauses de désignation et la réforme de la portabilité

Réf. : Loi n° 2013-504 du 14 juin 2013, relative à la sécurisation de l'emploi (N° Lexbase : L0394IXU)

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N7808BTD

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[Textes] Commentaire de l'article 1er de la loi n° 2013-504 du 14 juin 2013 relative à la sécurisation de l'emploi sur la généralisation de la couverture santé, la fin des clauses de désignation et la réforme de la portabilité. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/article-juridique/8890658-textes-commentaire-de-larticle-1er-de-la-loi-n-2013504-du-14-juin-2013-relative-a-la-securisation-de
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par Marion Del Sol, Professeur à l'Université de Rennes 1 (IODE - UMR CNRS 6262)

le 09 Juillet 2013

La loi n° 2013-504 du 14 juin 2013, relative à la sécurisation de l'emploi (N° Lexbase : L0394IXU), publiée au Journal officiel du 16 juin 2013, contient de nombreuses dispositions intéressant tant la protection sociale que la formation professionnelle, les relations collectives, la mobilité du salarié, le licenciement économique ou encore le temps de travail ou la conciliation prud'homale. Lexbase Hebdo - édition sociale vous propose de revenir, avec Marion Del Sol, sur l'article 1er énonçant de nouvelles règles en matière de généralisation de la couverture "frais de santé", la nouvelle impossibilité d'introduire des clauses de désignation et, enfin, la réforme de la portabilité. Les accords de maintien dans l'emploi vont, peut-être, faire entrer le droit du travail dans une nouvelle ère. Et, pourtant, ce ne sont pas les dispositions que la loi de sécurisation de l'emploi, consacre à ces accords qui ont été déférées au Conseil constitutionnel. Le contrôle des Sages a, en effet, porté pour l'essentiel sur l'article 1er de la loi, c'est-à-dire sur les dispositions organisant le processus de généralisation de la couverture santé au bénéfice des salariés et, plus précisément, sur la question de la constitutionnalité des clauses conventionnelles de désignation des organismes assureurs. L'attente de la décision du Conseil constitutionnel (Cons. const., décision n° 2013-672 DC, du 13 juin 2013, loi relative à la sécurisation de l'emploi N° Lexbase : A4712KGM) a tenu en haleine les acteurs de la protection sociale complémentaire, tout particulièrement les institutions paritaires de prévoyance très présentes sur le marché de la couverture collective. L'annonce de la décision a, quant à elle, fait l'effet d'une onde de choc dans ce "Landerneau" car la déclaration d'inconstitutionnalité des clauses de désignation de branche "rebat les cartes" entre les organismes assureurs à l'heure où les parts de marché vont, substantiellement, augmenter sous l'effet de la généralisation de la couverture santé, puis de la prévoyance.

Cet article se propose d'analyser les principales dispositions contenues dans l'article 1er de la loi du 14 juin 2013. Dans un premier temps, il s'intéressera au processus, aux modalités et à l'encadrement de la généralisation de la couverture santé des salariés qui constituent le coeur de cet article dont l'objet, ne l'oublions pas, est d'instituer de nouveaux droits pour les salariés. Dans un second temps, il portera le regard sur les évolutions du dispositif de la portabilité qui ont l'ambition de rendre pleinement effectif cet outil de sécurisation des parcours dont l'origine conventionnelle remonte à 2008.

I - Processus, modalités et encadrement de la généralisation de la couverture santé des salariés

Afin de créer de nouveaux droits pour les salariés, l'article 1er de la loi du 14 juin 2013 prévoit des dispositions devant permettre aux salariés qui ne bénéficient pas d'une couverture collective à adhésion obligatoire en matière de "frais de santé" d'accéder à une telle couverture à l'horizon de 2016. Pour y parvenir, le législateur donne une sorte de priorité à la négociation collective. Mais il fait, en même temps, le choix d'encadrer la généralisation tant dans son contenu que dans sa mise en oeuvre... sans oublier que le Conseil constitutionnel s'est quant à lui chargé d'ouvrir la concurrence.

A - Une généralisation encadrée dans son contenu

Bien que les modalités d'instauration de la couverture santé puissent varier d'une branche à l'autre, voire d'une entreprise à l'autre, les pouvoirs publics ont, manifestement, souhaité éviter que la généralisation se fasse au rabais. A cet effet, le nouvel article L. 911-7 du Code de la Sécurité sociale (N° Lexbase : L0435IXE), créé par l'article 1er-II de la loi, fixe les exigences qui s'imposent a minima aux négociateurs de branche, d'entreprise et aux employeurs. Ces exigences sont au nombre de trois.

Les contrats conclus avec l'organisme assureur doivent satisfaire aux conditions des contrats "solidaires et responsables". Ce qui n'était jusqu'à présent qu'une condition pour le bénéfice d'un traitement fiscal et social de faveur devient, désormais, une exigence légale. Pour rappel, cela signifie, d'une part, que les contrats doivent être conformes aux conditions posées à l'article 1001 2° bis du Code général des impôts (N° Lexbase : L1296IRG) et donc ne pas fixer des cotisations en fonction de l'état de santé des assurés. Cela emporte, d'autre part, que les conditions de prise en charge prévues à l'article L. 871-1 du Code de la Sécurité sociale ([LXB=L. 871-1]) soient respectées, ce qui rend le contrat "responsable" au sens de la loi n° 2004-810 du 13 août 2004, relative à l'assurance maladie (N° Lexbase : L0836GT7).

Les contrats doivent garantir une couverture minimale. Le nouvel article L. 911-7 du Code de la Sécurité sociale fait référence à une sorte de "panier" minimal de garanties dont tous les salariés couverts devront bénéficier, que ce soit dans un cadre négocié ou par décision unilatérale. La couverture minimale devra comprendre une prise en charge totale ou partielle du ticket modérateur au titre des prestations en nature de l'assurance maladie, du forfait journalier hospitalier et des frais exposés au-delà des tarifs de responsabilité pour des soins dentaires prothétiques ou d'orthopédie dentofaciale et pour certains dispositifs médicaux à usage individuel admis au remboursement.

La loi détermine en quelque sorte le paramétrage de la couverture minimale : en premier lieu, elle fixe une liste de garanties ou de prestations ; en second lieu, elle impose un niveau plancher pour ces garanties. Toutefois, il n'est pas possible à l'heure actuelle de mesurer la qualité de cette couverture minimale. En effet, la loi renvoie à un décret à paraître le soin de fixer la liste des dispositifs médicaux compris dans le "panier" ainsi que le niveau de la prise en charge des garanties (1). Il va sans dire que ce texte réglementaire donnera le "la" des ambitions des pouvoirs publics et, par voie de conséquence, du coût de la généralisation pour les entreprises et les salariés.

Les dispositions réglementaires à venir constitueront le curseur des négociations de branche et d'entreprise. Il conviendra de les mettre en perspective avec les couvertures professionnelles déjà existantes -souvent de bonne qualité (2)- mais aussi avec le dispositif de la CMU complémentaire dans le cadre individuel. Il importera surtout de regarder attentivement les effets induits de ce "panier" minimal afin de savoir s'il va contribuer à tirer vers le haut la généralisation ou, au contraire, à rendre globalement moins généreuses les prises en charge d'origine professionnelle, y compris pour les salariés déjà couverts aujourd'hui.

Le financement de la couverture doit être assuré au moins à 50 % par l'employeur (3). Ce seuil de 50 % ne surprend guère puisqu'il est assez proche des pratiques observées. Les termes de l'article L. 911-7 du Code de la Sécurité sociale laissent cependant planer une incertitude. En effet, l'alinéa 4 du point II précise que "l'employeur assure au minimum la moitié de cette couverture". Cela renvoie à la couverture minimale précédemment décrite aux alinéas 1 à 3.

En conséquence, lorsque la couverture instituée est plus avantageuse que la couverture minimale, la clé de répartition du financement pourrait être différente et ne pas faire peser sur l'employeur au moins la moitié du coût. Plus exactement, il y aurait lieu de distinguer la part de financement représentative de la couverture minimale, pour laquelle la contrainte légale devra être respectée, et le financement correspondant à la part de la couverture qui excède les minima pour lequel la clé de répartition pourrait être librement déterminée... ce qui peut être un enjeu de négociation.

B - Un processus de généralisation partiellement orienté par le législateur

Si la généralisation d'une couverture "prévoyance" est d'ores et déjà envisagée (4), l'objectif est, dans un premier temps, de généraliser la couverture complémentaire des frais de santé des salariés à échéance du 1er janvier 2016. À cet effet, la loi reprend le dispositif à tiroirs prévu par l'ANI.

Négociations de branche. Le premier "tiroir" oblige les négociateurs de branche à se saisir de cet objet de négociation dès à présent. Bien évidemment, sont concernées les branches dans lesquelles ne préexiste pas un accord instituant un régime "frais de santé" (5) ; s'y ajoutent les branches dans lesquelles le régime institué n'est pas, en termes de garanties et de financement, au moins aussi favorable que le cadre minimal applicable par défaut (v. supra).

La négociation doit, nécessairement, conduire les partenaires sociaux à discuter du niveau de générosité de la couverture puisqu'il leur est enjoint de faire porter les discussions sur la définition du contenu et du niveau des garanties ainsi que sur la répartition de la charge des cotisations entre employeur et salariés (6). Mais il peut, également, s'agir pour eux de s'interroger sur leurs ambitions : négocier des garanties ou instaurer un véritable régime "frais de santé". En effet, l'article 1er précise que, le cas échéant, la négociation peut porter sur "les modalités selon lesquelles des contributions peuvent être affectées au financement de l'objectif de solidarité, notamment pour l'action sociale et la constitution de droits non contributifs".

Mais l'impossibilité d'accorder, désormais, un monopole de gestion à un assureur (v. infra) peut faire fortement douter que des éléments de solidarité seront négociés car on voit mal comment des assureurs n'ayant qu'une part de marché pourront individuellement assumer le coût induit de la solidarité. L'inconstitutionnalité des clauses de désignation conduit, également, à douter que les branches s'engagent résolument dans la détermination d'un contrat de référence dont la tarification serait renvoyée à la discussion contractuelle de gré à gré entre chaque entreprise de la branche et l'assureur choisi par celle-ci (7).

Négociations d'entreprise. Le deuxième "tiroir" a vocation à être ouvert par les entreprises relevant de branches n'ayant pas réussi, avant le 1er juillet 2014, à conclure un accord ou encore dans lesquelles le régime préexistant n'est pas, en termes de garanties et de financement, au moins aussi favorable que le cadre minimal qui sera applicable par défaut. Cette obligation de négocier ne concerne, toutefois, que les entreprises où a été désigné un délégué syndical.

La situation ainsi créée se trouve en contradiction avec la liberté de choix du mode opératoire prévu par l'article L. 911-1 du Code de la Sécurité sociale (N° Lexbase : L2615HIP) pour instituer un dispositif de protection sociale complémentaire au niveau "entreprise". Ce texte laisse, en effet, à l'employeur toute latitude pour décider de recourir à un accord collectif, un processus référendaire ou une décision unilatérale. Or, avec l'article 1er II-B de la loi, les entreprises où existe un délégué syndical sont tenues d'une obligation de négociation ; priorité est donc donnée à une mise en place par voie négociée... même s'il ne s'agit que d'une obligation de moyens.

Recours par défaut à la décision unilatérale. Le troisième "tiroir" s'imposera aux entreprises n'étant pas parvenues, au 1er janvier 2016, à instituer par la voie négociée une couverture des frais de santé pour leurs salariés. Dans cette hypothèse, par décision unilatérale, l'employeur devra faire bénéficier les salariés de son entreprise d'une couverture au moins aussi favorable que la couverture minimale dont les caractéristiques seront définies, prochainement, par voie réglementaire (CSS, art. L. 911-7 I).

De nouveau, on est surpris qu'aucune articulation n'ait été pensée avec les dispositions de l'article L. 911-1 du Code de la Sécurité sociale. Ainsi, aucune place n'est faite à la ratification, à la majorité des intéressés, d'un projet d'accord proposé par le chef d'entreprise (ou accord référendaire). Ce silence de la loi du 14 juin 2013 ne condamne pas, à notre sens, le recours au référendum. Sa dimension consensuelle et collective présente, d'ailleurs, des atouts que ne possède pas la décision unilatérale. Cependant, dans le nouveau cadre légal, en cas d'échec du référendum, le processus de généralisation suivra son cours avec l'adoption par l'employeur d'une décision unilatérale.

On pourrait, dès lors, objecter que, au final, référendum ou pas, cela ne change rien au résultat. Ce serait oublier le jeu de l'article 11 de la loi "Evin" (loi n° 89-1009 du 31 décembre 1989, renforçant les garanties offertes aux personnes assurées contre certains risques N° Lexbase : L5011E4D) dont l'article L. 911-7 prend soin de préciser qu'il doit être respecté lorsque le bénéfice de la couverture résulte d'une décision unilatérale. En application de ce texte, tout salarié présent dans l'entreprise au moment où cette décision intervient "ne peut être contraint à cotiser contre son gré à ce système". Lui est, ainsi, reconnu le droit de refuser la couverture d'entreprise lorsqu'une quote-part de financement est mise à sa charge. Autrement dit, le mode opératoire utilisé ne sera pas neutre sur l'effectivité de la généralisation ; si l'effet obligatoire et général tant de l'accord collectif que de l'accord référendaire n'ouvre pas de "droit individuel de sortie", il n'en va pas de même de la décision unilatérale. On peut se demander si, notamment dans les petites entreprises, un risque d'instrumentalisation de l'article 11 n'est pas à craindre, l'employeur pouvant être tenté de "conseiller" aux salariés couverts en individuel de renoncer au bénéfice de la couverture professionnelle et ce afin d'alléger le coût que celle-ci représente pour lui.

Quoiqu'il en soit, en cas de décision unilatérale, l'article L. 911-7 prescrit à l'employeur d'informer les salariés concernés de cette décision (8). Eu égard à l'article 11 de la loi "Evin", il est nécessaire d'aller plus loin et d'organiser une procédure permettant de recueillir par écrit le choix de chaque salarié de cotiser ou non. Le formalisme s'en trouve alourdi mais est gage de sécurité juridique pour l'entreprise (9).

C - Une généralisation ouverte à la concurrence

Au niveau de la branche, la loi prescrit aux partenaires sociaux de négocier sur "les modalités de choix de l'assureur". Cependant, sur cette question, dire que la décision du Conseil constitutionnel du 13 juin 2013 a rebattu les cartes constitue un doux euphémisme, certains commentateurs n'hésitant pas à recourir à des métaphores guerrières pour évoquer l'onde de choc représentée par l'invalidation du dispositif de la désignation (10).

Quelques éléments de contexte. La loi du 8 août 1994 (11) avait reconnu aux partenaires sociaux la possibilité d'insérer des clauses de désignation en application desquelles les entreprises de la branche étaient tenues de souscrire le contrat de groupe auprès de l'organisme assureur désigné. Parfois même, en présence d'une clause de migration "impérative", elles pouvaient être obligées de changer d'assureur.

La validité de ces clauses au regard du droit de la concurrence a été très largement discutée avec en point d'orgue très récent l'affaire "AG2R". Sans revenir sur l'ensemble de ce contentieux (européen et national) trouvant sa source dans la désignation d'AG2R dans la branche de la boulangerie artisanale, il convient juste de rappeler que la Cour de cassation a considéré, d'une part, que l'obligation d'adhérer à l'organisme assureur désigné par les partenaires sociaux de la branche "revêt un caractère d'ordre public" et, d'autre part, que "l'adaptation en matière de garantie de niveau équivalent consiste nécessairement dans la mise en conformité de l'accord d'entreprise avec l'accord professionnel ou interprofessionnel de mutualisation des risques imposant l'adhésion de l'entreprise au régime géré par l'institution désigné par celui-ci" (validation des clauses de migration "impérative") (12).

Pour autant, l'article L. 912-1 du Code de la Sécurité sociale (N° Lexbase : L2620HIU) qui ouvre, à certains conditions (notamment réexamen périodique), la voie aux clauses de désignation a été mis sur la sellette à l'occasion des négociations de l'ANI du 11 janvier 2013. En effet, l'article 1er de l'ANI a précisé que, dans le cadre des futurs accords de branche, "les partenaires sociaux [...] laisseront aux entreprises la liberté de retenir le ou les organismes assureurs de leur choix", éventuellement en guidant ce choix par une simple recommandation.

En arrière-plan, était pointée du doigt l'opacité de certaines pratiques de désignation bénéficiant massivement aux institutions paritaires de prévoyance. Ce quasi monopole de fait des institutions paritaires donnait lieu à de nombreuses critiques, spécialement de la part des autres organismes assureurs présents sur le marché de la protection sociale complémentaire (sociétés d'assurance et mutuelle) et des intermédiaires d'assurance. A l'occasion du processus de généralisation de la couverture santé des salariés, certaines de ces critiques avaient conduit une association de courtiers d'assurance (13), à saisir l'Autorité de la concurrence. Alors que le projet de loi de "transcription" législative de l'ANI était en cours de discussion au Parlement, celle-ci a rendu un avis le 29 mars 2013, relatif aux effets sur la concurrence de la généralisation de la couverture complémentaire collective des salariés (14).

Dans cet avis, l'Autorité de la concurrence formule des préconisations "destinées à restreindre l'atteinte à la concurrence que pourrait causer la généralisation de ces désignations dans un tel contexte". En particulier, elle invite à faire primer la liberté de choix de l'employeur, ce que permettrait une recommandation de branche encadrée (15). S'agissant de la désignation, l'Autorité affirme qu'elle constitue "la modalité la moins favorable au dynamisme de la concurrence" et qu'il ne devrait y être recouru que de façon très exceptionnelle et sous réserve qu'il y ait co-désignation d'organismes relevant de familles différentes.

Pourtant, le Parlement a fait fi des termes de l'ANI et de l'avis de l'Autorité de la concurrence en maintenant, dans la loi définitivement adoptée le 14 mai, le dispositif des clauses de désignation et en se contentant d'ajouter un alinéa à l'article L. 912-1 afin d'instituer une procédure transparente de mise en concurrence en cas de recours par les négociateurs de branche aux clauses de désignation (16). Ces dispositions ont, alors, fait l'objet d'un recours constitutionnel contestant la conformité à la Constitution de certaines dispositions de l'article 1er de la loi ainsi que celles de l'article L. 912-1 du Code de la Sécurité sociale (y compris l'alinéa ajouté), recours dont l'issue était fébrilement attendue par tous les opérateurs d'assurance, tout spécialement les institutions paritaires.

La décision d'inconstitutionnalité des clauses de désignation et de migration. Le Conseil constitutionnel s'est prononcé le 13 juin (17). Il conclut à l'inconstitutionnalité de l'article L. 912-1 du Code de la Sécurité sociale par un raisonnement en trois temps.

En premier lieu, les Sages soulignent que le mécanisme des clauses de désignation et de migration peut conduire à imposer à des entreprises le prix, les modalités de la protection sociale complémentaire et le choix de l'assureur, ce qui porte a priori atteinte à la liberté d'entreprendre et à la liberté contractuelle qui ont valeur constitutionnelle (18). Puis, ils précisent que de telles atteintes peuvent être prévues par le législateur dans un but d'intérêt général dont relève la recherche d'une mutualisation des risques, à condition cependant que l'atteinte soit proportionnée au regard de l'objectif poursuivi de mutualisation des risques. Confrontant les clauses de désignation à cette "grille de lecture", ils en concluent que ce n'est pas le cas si l'entreprise est liée avec un cocontractant déjà désigné par un contrat négocié au niveau de la branche et au contenu totalement prédéfini. En conséquence, ils affirment que les dispositions du premier alinéa (clause de désignation) et du second alinéa (clause de migration) de l'article L. 912-1 du Code de la Sécurité sociale méconnaissent la liberté contractuelle et la liberté d'entreprendre.

La décision déclare l'ensemble de l'article L. 912-1 du Code de la Sécurité sociale inconstitutionnel. Le dispositif des clauses de désignation et de migration est donc supprimé avec une prise d'effet immédiate. Le recours aux clauses de désignation est, désormais, impossible pour toutes les opérations de protection sociale complémentaire : couverture santé, prévoyance, retraite. La généralisation de la couverture santé, puis ultérieurement de la prévoyance, va donc se réaliser dans un cadre concurrentiel réaménagé puisque les accords de branche ne peuvent plus contraindre les entreprises à contracter avec un organisme désigné par eux ni à migrer vers celui-ci. Le tonnerre est donc tombé sur les institutions paritaires !

Les questions en suspens. La décision du Conseil constitutionnel laisse, cependant, deux questions en suspens. La première, classique mais aux implications pratiques redoutables pour les organismes désignés, concerne l'application dans le temps de cette décision. En effet, le considérant 14 précise que la déclaration d'inconstitutionnalité n'est pas applicable aux contrats en cours pris sur le fondement de l'article L. 912-1 et liant les entreprises à un organisme d'assurance désigné. Quant au propre commentaire du Conseil constitutionnel sur sa décision, il mentionne que "les conventions déjà conclues continueront de produire leurs effets jusqu'à leur terme normal". On ne sait donc pas de façon certaine si la décision du 13 juin permet aux entreprises d'exercer dès à présent leur faculté de résiliation annuelle du contrat souscrit auprès de l'assureur désigné, ou si ces entreprises restent engagées avec cet organisme jusqu'au terme de la clause de désignation (19), ce qui suppose alors d'admettre que ces clauses peuvent perdurer temporairement malgré la déclaration d'inconstitutionnalité. Or, l'enjeu est considérable puisque, de la réponse apportée dépend le "respect des équilibres techniques des organismes désignés, que l'exode [massif et quasi immédiat d'entreprises adhérentes vers le marché concurrentiel] risquerait de mettre à mal" (20).

La seconde incertitude induite par la décision du Conseil constitutionnel concerne les marges de manoeuvre restantes pour les partenaires sociaux de branche. En effet, dans le considérant 11, les Sages admettent que le législateur puisse porter atteinte à la liberté d'entreprendre et à la liberté contractuelle dans le but de mutualisation des risques, "notamment en prévoyant que soit recommandé au niveau de la branche un seul organisme de prévoyance proposant un contrat de référence y compris à un tarif d'assurance donné ou en offrant la possibilité que soient désignés au niveau de la branche plusieurs organismes de prévoyance proposant au moins de tels contrats de référence". Si le recours à une simple recommandation peut s'envisager, dès à présent, sans modification législative, car elle préserve la liberté contractuelle des entreprises de la branche, il n'en va sans doute pas de même de la co-désignation. A notre sens, un encadrement législatif est nécessaire qui pourrait s'inspirer utilement des préconisations émises par l'Autorité de la concurrence dans son avis du 29 mars dernier.

II - Légalisation et réforme du dispositif de la portabilité

La généralisation de la couverture santé et la disparition des clauses de désignation ont été sous les feux de la rampe et ont laissé quelque peu dans l'ombre la légalisation du dispositif de la portabilité qui se matérialise par l'insertion dans le Code de la Sécurité sociale d'un nouvel article L. 911-8 (N° Lexbase : L0437IXH). Mais, par comparaison avec le cadre conventionnel antérieur, il importe de souligner que cette légalisation ne se réalise pas à droit constant. En effet, la loi du 14 juin 2013 modifie, opportunément nous semble-t-il, le régime conventionnel.

A - Les effets de la légalisation du dispositif de la portabilité

Jusqu'à présent, la portabilité des couvertures complémentaires santé et prévoyance était organisée dans un cadre conventionnel issu de l'ANI du 11 janvier 2008 sur la modernisation du marché du travail (21). La création, par l'article 1er II de la loi du 14 juin 2013, de l'article L. 911-8 du Code de la sécurité légale, lui confère, désormais, une assise légale. Par voie de conséquence, ce dispositif est généralisé alors que son champ antérieur d'application, quoique large, n'en était pas moins limité. En effet, étaient exclus du bénéfice de la portabilité les salariés des entreprises relevant de secteurs d'activité non couverts par les organisations patronales signataires de l'ANI de janvier 2008 (Medef, UPA, CGPME). Il en allait ainsi, par exemple, des salariés des secteurs agricole et de l'économie sociale.

La légalisation emporte droit à la portabilité pour tous les salariés, à compter du 1er juin 2014 au titre des garanties "frais de santé" et du 1er juin 2015 au titre de la prévoyance. Mise en perspective avec la généralisation à venir tant de la couverture santé que prévoyance, cette légalisation doit être saluée car elle permettra de rendre effective la continuité de la protection sociale complémentaire d'origine professionnelle pour les salariés ayant perdu leur emploi et en situation d'indemnisation chômage. Ces périodes de transition professionnelle seront, donc, en principe neutres en matière de couverture sociale tant de l'ex-salarié que, le cas échéant, de ses ayants droit.

B - Le nouveau régime juridique de la portabilité

Le législateur a, manifestement, tiré les enseignements des difficultés d'application et des lacunes du cadre conventionnel. Le nouvel article L. 911-8 réforme à propos le régime juridique afin de donner une effectivité maximale à la portabilité.

D'une possibilité de portabilité à un véritable droit. L'avenant n° 3 de l'ANI de 2008 ouvrait un droit à la portabilité au salarié, auquel celui-ci pouvait renoncer. Le financement de la portabilité étant, rarement, mutualisé, le salarié renonçait souvent au bénéfice du maintien de la couverture en raison du coût que cela pouvait emporter pour lui à un moment où il basculait dans l'indemnisation chômage ; en effet, il devait continuer de supporter la quote-part qui était à sa charge en tant qu'actif et il n'était pas rare que l'employeur retienne sur le solde de tout compte le montant dû pour l'intégralité de la période de portabilité (22), à charge, bien évidemment, pour l'employeur de restituer ultérieurement l'éventuel trop-perçu.

L'alinéa 1er de l'article L. 911-8 du Code de la Sécurité sociale change résolument de logique. Il dispose en effet que "les salariés garantis collectivement [...] bénéficient du maintien à titre gratuit de cette couverture en cas de cessation du contrat de travail [...] ouvrant droit à prise en charge par le régime d'assurance chômage ". C'est donc un véritable droit à la portabilité qui se trouve ainsi affirmé dont l'effectivité réside dans l'abandon du financement "à la sortie" par l'ancien employeur et l'ancien salarié (23).

Certes, la question du financement n'est pas directement évoquée, mais le droit au maintien de la couverture à titre gratuit signifie que le financement de la portabilité sera, dorénavant, supporté par l'employeur et les actifs de l'entreprise. En d'autres termes, une part des cotisations finançant la couverture collective sera consacrée au financement de la portabilité.

Aménagements "techniques". En sus de ce changement conceptuel de la portabilité, l'article L. 911-8 modifie certaines modalités plus techniques du dispositif. Le maintien des garanties reste conditionné, d'une part, à une cessation du contrat de travail ouvrant droit à prise en charge par le régime d'assurance chômage (à l'exception d'un licenciement pour faute lourde) et, d'autre part, à l'ouverture préalable des droits à remboursements complémentaires chez le dernier employeur.

En revanche, les règles relatives à la durée de la portabilité sont modifiées. Cette durée est, certes, toujours égale à la durée de la période d'indemnisation chômage dans la limite de la durée du dernier contrat de travail (24), mais c'est dans une limite maximale portée à douze mois par la loi du 14 juin 2013 (contre neuf en application du cadre conventionnel).

Sur un plan pratique, l'article L. 911-8 impose à l'employeur de signaler le maintien des garanties dans le certificat de travail remis au salarié à son départ de l'entreprise. Elle lui impose, également, d'informer l'organisme assureur de la cessation du contrat de travail. Ainsi, cela permettra que la portabilité soit complètement externalisée à compter de la rupture de la relation d'emploi et ce d'autant qu'il appartient à l'ancien salarié de justifier auprès de l'assureur des conditions du bénéfice de la portabilité (notamment de son indemnisation chômage) (25).

Articulation de la portabilité avec l'article 4 de la loi "Evin". Dès l'adoption du mécanisme de la portabilité, il avait été souligné l'absence d'articulation avec l'article 4 de la loi "Evin" (26). En effet, pour les régimes à adhésion obligatoire "frais de santé", ce texte oblige l'organisme assureur à maintenir le même niveau de couverture au salarié dont le contrat de travail vient à cesser (27) et ce à la demande de ce dernier formulée dans les six mois (28). L'article 4 vise les hypothèses où, consécutivement à la cessation de son contrat, l'ancien salarié perçoit une pension de retraite, une rente d'invalidité ou d'incapacité ou des allocations chômage.

Cette dernière hypothèse recoupe, donc, les situations visées par la portabilité, ce dont tient compte le nouveau cadre légal institué. En effet, la loi du 14 juin 2013 complète l'article 4 de la loi "Evin" afin de rendre les dispositifs complémentaires. Ainsi, la demande de maintien à titre individuel fondée sur l'article 4 pourra, désormais, être sollicitée au terme de la période de portabilité, plus exactement dans les six mois qui suivent l'expiration de cette période.


(1) Le décret aura, également, pour objet de fixer les catégories de salariés dispensés, à leur initiative, de l'obligation d'affiliation eu égard à la nature ou aux caractéristiques de leur contrat de travail ou au fait qu'ils disposent, par ailleurs, d'une couverture complémentaire. Il devra, enfin, préciser les conditions dont fait l'objet la couverture des salariés relevant du régime local d'assurance maladie complémentaire des départements du Haut-Rhin, du Bas-Rhin et de la Moselle et ce en raison de la couverture garantie par ce régime.
(2) Il ne sera pas inintéressant de comparer les dispositions du décret avec le "panier" minimaliste qui figurait dans l'ANI du 11 janvier 2013 : 100 % de la base de remboursements des consultations, actes techniques et pharmacie en ville et à l'hôpital (c'est-à-dire prise en charge du ticket modérateur) -prise en charge totale du forfait journalier hospitalier- 125 % de la base de remboursement des prothèses dentaires et un forfait optique de 100 euros par an.
(3) Un décret déterminera les modalités spécifiques du financement de la couverture en cas d'employeurs multiples et pour les salariés à temps partiel.
(4) Avant le 1er janvier 2016, les organisations liées par une convention de branche ou, à défaut, par des accords professionnels devront engager une négociation en vue de permettre aux salariés qui ne bénéficient pas d'une couverture collective à adhésion obligatoire en matière de prévoyance au niveau de leur branche ou de leur entreprise d'accéder à une telle couverture.
(5) Branches dont le nombre est estimé à 260. V. le rapport d'activité de la COMAREP (Commission des accords de retraite et de prévoyance), rendu public le 25 avril 2012, qui montre qu'en 2011, seules 48 branches disposent d'une couverture des frais de santé.
(6) La négociation doit, également, s'intéresser aux cas dans lesquels la situation particulière de certains salariés ou ayants droit, lorsque ceux-ci bénéficient de la couverture, peut justifier des dispenses d'adhésion à l'initiative du salarié.
(7) Cependant, si la négociation de branche aboutit à un accord, un délai d'au moins à dix-huit mois et expirant au plus tard le 1er janvier 2016, doit être laissé aux entreprises pour se mettre en conformité avec le nouveau cadre conventionnel.
(8) L'employeur étant débiteur de cette obligation d'information, il lui appartient de se ménager la preuve de la remise d'un document informatif précis aux salariés.
(9) Sera, ainsi, évité un risque de redressement par les URSSAF, puisque l'absence de justificatif de refus peut faire perdre au dispositif institué son caractère obligatoire et, par voie de conséquence, son traitement social de faveur (v. dans sa version actuelle, la circulaire DSS n° 2009/32 du 30 janvier 2009 [LXB=2009/32], spéc. fiche n° 6, p. 17).
(10) F. Wismer, Impact après déflagration, SSL, n° 1590-1591, 2013, p. 12 ; J. de Baudus, La bombe du 13 juin n'a pas fini d'exploser..., Blog de Jacques de Baudus, 14 juin 2013.
(11) Loi n° 94-678 du 8 août 1994, relative à la protection sociale complémentaire des salariés et portant transposition des directives n° 92-49 et n° 92-96 des 18 juin et 10 novembre 1992 du Conseil des communautés européennes (N° Lexbase : L5156A4Q).
(10) Cass. soc., 5 décembre 2012, n° 11-18.716, F-D (N° Lexbase : A5766IY9) et 11-24.233, F-D (N° Lexbase : A5763IY4) ; 27 novembre 2012, n° 11-18.556 à 11-18.560, F-D (N° Lexbase : A8626IXR), 11-18.554, F-D (N° Lexbase : A8716IX4) et 11-19.781, F-D (N° Lexbase : A8735IXS) ; 21 novembre n° 10-21.254 à 10-21.257, F-D (N° Lexbase : A5052IXE).
(13) L'APAC : Association pour la promotion de l'assurance collective.
(14) Autorité de la concurrence, avis n° 13-A-11 du 29 mars 2013, relatif aux effets sur la concurrence de la généralisation de la couverture complémentaire collective des salariés en matière de prévoyance (N° Lexbase : X2504AMP).
(15) Au regard de l'avantage concurrentiel dont disposeraient les organismes recommandés, l'Autorité de la concurrence préconise qu'ils soient tenus de proposer un contrat de référence identique pour l'ensemble de la branche et qu'ils ne puissent refuser d'assurer certaines entreprises de la branche ni mettre fin aux prestations pendant la durée de la recommandation.
(16) L'alinéa en question précise que la mise en concurrence doit être réalisée "dans des conditions de transparence, d'impartialité et d'égalité de traitement entre les candidats et selon des modalités prévues par décret". À cette fin, un décret devra, notamment, fixer règles destinées à garantir une publicité préalable suffisante, à prévenir les conflits d'intérêts et à déterminer les modalités de suivi du contrat.
(17) Cons. const., décision n° 2013-672 DC, du 13 juin 2013, loi relative à la sécurisation de l'emploi, préc.
(18) Contrairement à l'avis de l'Autorité de la concurrence, l'analyse des clauses de désignation n'est pas abordée sous l'angle de l'éventuelle atteinte à la libre concurrence. Cela s'explique par le fait que la libre concurrence ne présente pas de valeur constitutionnelle.
(19) C'est-à-dire jusqu'à la date prévue par les partenaires sociaux pour son réexamen.
(20) F. Wismer, Impact après déflagration, SSL, n° 1590-1591, 2013, p. 13.
(21) En réalité, c'est l'avenant n° 3 à l'ANI, conclu le 18 mai 2009 (N° Lexbase : L8800IEN), qui est le texte conventionnel opérationnel du dispositif de la portabilité.
(22) En fait, c'était un moyen de dissuader le salarié de demander le jeu du dispositif de la portabilité. Par conséquent, l'entreprise était dispensée alors de financer sa propre quote-part.
(23) Il est, également, à noter que la portabilité est étendue aux ayants droit du salarié qui bénéficient effectivement des garanties collectives à la date de la cessation du contrat de travail.
(24) Le cas échéant, pour les salariés enchaînant des CDD, sera retenue la durée cumulée des derniers contrats de travail "lorsqu'ils sont consécutifs chez le même employeur".
(25) Comme dans le cadre conventionnel, les garanties maintenues au bénéfice de l'ancien salarié sont celles en vigueur dans l'entreprise. La loi prend, toutefois, soin de préciser que "le maintien des garanties ne peut conduire l'ancien salarié à percevoir des indemnités d'un montant supérieur à celui des allocations chômage qu'il aurait perçues au titre de la même période".
(26) J. Barthélémy, La portabilité des garanties collectives de prévoyance, Dr. soc., 2008, p. 325-328.
(27) L'article 4 peut également être mobilisé par les ayants droit du salarié dans les six mois qui suivent le décès de celui-ci.
(28) L'article 4 peut, également, être mobilisé par les ayants droit du salarié dans les six mois qui suivent le décès de celui-ci.

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