La lettre juridique n°534 du 4 juillet 2013 : Agent immobilier

[Jurisprudence] Agents immobiliers : attention aux conséquences du changement de débiteur de la commission au cours des négociations

Réf. : Cass. civ. 1, 24 avril 2013, n° 11.26.876, F-P+B+I (N° Lexbase : A5204KCQ)

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par Jean-Philippe Confino, Avocat associé, et Antonella Figaro, Avocat, Cabinet Confino

le 04 Juillet 2013

Les agents immobiliers n'ignorent pas le caractère rigoureux des dispositions auxquelles ils sont soumis par application de la loi n° 70-9 du 2 janvier 1970, dite loi "Hoguet" (N° Lexbase : L7536AIX) et de son décret d'application n° 72-678 du 20 juillet 1972 (N° Lexbase : L8042AIP), en ce qui concerne tant les conditions d'exercice de la profession que les conditions d'exigibilité de leur rémunération. Toutefois, même les plus avisés d'entre eux peuvent encore se laisser surprendre par l'interprétation très stricte de ces textes à laquelle se livrent constamment les juridictions de l'ordre judiciaire, notamment la plus haute d'entre elles. C'est ainsi que par un arrêt en date du 24 avril 2013, la première chambre civile de la Cour de cassation n'a pas hésité à prononcer la cassation d'un arrêt rendu par la cour d'appel d'Aix-en-Provence (CA Aix-en-Provence, 20 septembre 2011, n° 10/13311 N° Lexbase : A7636H7X) qui avait reconnu le droit à rémunération de l'agent immobilier, dûment mandaté, par l'entremise duquel avait été réalisée la vente d'un terrain à bâtir, au motif que le débiteur de la commission de l'agent désigné dans l'acte constatant l'engagement des parties n'était pas le même que celui prévu dans le mandat.

Prévisible au regard du droit positif, cette solution n'en est pas moins surprenante compte tenu des circonstances de l'espèce.

Les faits étaient les suivants.

Le 31 août 2004, une société P. a confié à la société T., exerçant l'activité d'agent immobilier sous l'enseigne "E. Immo", un mandat non exclusif portant sur la vente d'un terrain à bâtir situé à Eguilles dans les Bouches-du-Rhône, pour un prix de 275 000 euros.

Le mandat prévoyait, en cas de réalisation de l'opération par l'intermédiaire du mandataire, une rémunération de ce dernier à hauteur de 25 000 euros, à la charge du mandant.

Une promesse synallagmatique de vente sous conditions suspensives a ensuite été conclue le 21 décembre suivant pour un prix de 180 000 euros entre la société venderesse et deux personnes physiques, Mme G. et M. B. avec faculté de substitution. Il était convenu par les parties que la rémunération de l'agent immobilier -dont le montant n'était pas modifié- serait à la charge des acquéreurs.

Certainement conscient de ce que cette modification du débiteur de sa commission pourrait l'exposer à des difficultés de recouvrement, l'agent immobilier a pris le soin de faire signer aux acquéreurs, le même jour que le compromis, un acte par lequel ceux-ci se reconnaissaient débiteurs de la commission pour un montant de 25 000 euros.

L'acte authentique de vente a été conclu, une fois les conditions suspensives levées, le 28 avril 2006 entre une SCI S. (semblant venir aux droits de la société mandante, bien que cela ne soit pas spécifié) et la SCI C., représentée par son gérant, M. B., se substituant aux signataires de la promesse synallagmatique.

L'opération ainsi réalisée, l'agent immobilier a établi une facture du montant de sa commission -étrangement adressée à la société mandante- qui ne s'en est pas acquittée.

Une procédure de liquidation judiciaire ayant été ouverte à l'encontre de la société T., c'est le liquidateur judiciaire qui a introduit l'instance tendant à obtenir paiement de ladite commission, qu'il a dirigée à l'encontre des acquéreurs, Mme G. et M. B., sollicitant en outre la condamnation de SCI C. à garantir les condamnations prononcées.

Le tribunal de grande instance de Marseille a fait droit à la demande en paiement à l'encontre des personnes physiques, qu'il a donc condamnées à s'acquitter de la somme de 25 000 euros en principal (mais non à celle contre la société), par une décision en date du 24 juin 2010, confirmée par la cour d'appel de la cour d'Aix-en-Provence le 20 septembre 2011 (précité).

C'est dans ce contexte qu'est intervenu l'arrêt de cassation du 24 avril 2013 qui énonce que "l'agent immobilier ne peut réclamer une commission ou une rémunération à l'occasion d'une opération visée à l'article 1er de la loi [du 2 janvier 1970] d'une personne autre que celle mentionnée comme en ayant la charge dans le mandat et dans l'engagement des parties ; que si, par une convention ultérieure, les parties peuvent s'engager à rémunérer les services de l'agent immobilier, cette convention n'est valable que si elle est postérieure à la vente régulièrement conclue".

La Cour suprême reproduit ainsi une nouvelle fois (voir notamment déjà : Cass. civ. 1, 3 avril 2002, n° 99-20.206, FS-P+B N° Lexbase : A4528AYD ; Cass. civ. 1, 21 février 2006 n° 04-14.538, F-D N° Lexbase : A1761DNK également cités infra), à l'invitation du pourvoi formé par les acquéreurs, un attendu de principe devenu classique par lequel elle tient à rappeler régulièrement que le débiteur de la commission doit être identique dans le mandat et dans l'acte constatant l'engagement des parties, soulignant néanmoins l'importance de sa décision par une décision de publication au Bulletin civil.

Cette position réitérée résulte de la combinaison de trois textes d'ordre public dont le premier (article 6 de la loi du 2 janvier 1970 précitée) prévoit notamment que le mandat doit préciser "les conditions de détermination de la rémunération, ainsi que l'indication de la partie qui en aura la charge", et les deux autres (article 73 du décret 20 juillet 1972 précité, faisant référence à l'article 72 du même décret) disposent qu'un mandat est un préalable à toute entremise et que "le montant de la rémunération ou de la commission, ainsi que l'indication de la ou des parties qui en ont la charge, sont portés dans l'engagement des parties".

Dans son avant-dernier alinéa, l'article 73 ajoute enfin : "le titulaire de la carte ne peut demander, ni recevoir, directement ou indirectement, des commissions ou des rémunérations à l'occasion de cette opération d'une personne autre que celle mentionnée comme en ayant la charge, dans le mandat et dans l'engagement des parties".

Or en l'espèce, le problème se situait précisément dans le fait qu'il existait une contrariété entre les stipulations du mandat, selon lequel c'était le mandant (vendeur) qui devait s'acquitter de la commission de l'agent immobilier, et celles de la promesse synallagmatique de vente, qui prévoyait au contraire que cette commission serait à la charge des acquéreurs.

Devant la cour d'appel, le liquidateur de l'agent immobilier avait soutenu qu'il convenait de donner effet à cet engagement, parfaitement régulier au regard des règles du droit civil, tandis que les acquéreurs excipaient de sa contrariété non seulement aux dispositions de l'article 1165 du Code civil (N° Lexbase : L1267ABK), mais encore à celles de la loi "Hoguet" prévoyant une identité du débiteur de la commission, ce qui les amenaient à conclure à son inefficacité.

La cour d'appel d'Aix-en-Provence s'est manifestement laissé séduire par l'argumentation du liquidateur, considérant tout d'abord que l'engagement pris par les acquéreurs dans le compromis constituait une stipulation au profit d'un tiers au sens de l'article 1121 du Code civil (N° Lexbase : L1209ABE) et était dès lors invocable par ce tiers, l'article 1165 du Code civil prévoyant expressément que les conventions, qui ne peuvent nuire aux tiers, profitent à ces dernier dans le cas visé à l'article à l'article 1121.

Autrement dit, selon les magistrats aixois, il était loisible aux acquéreurs de prendre, dans le compromis, un engagement au profit d'un tiers (en l'espèce l'agent, tiers à la promesse synallagmatique), et cet engagement valable de verser une commission devait être honoré dès lors que la vente avait été effectivement conclue.

L'arrêt d'appel ajoute ensuite que les dispositions de la loi "Hoguet" ne font pas obstacle à la validité de cet engagement dès lors :

- tout d'abord, que les dispositions de l'article 6 de la loi "Hoguet" concernant les mentions du mandat ne seraient pas invocables par des tiers au mandat ;

- et ensuite, qu'était respectée l'obligation prévue à l'article 73 du décret d'application, de mentionner, dans l'acte unique constituant l'engagement des parties, celle ayant la charge de la commission.

Les juges du fond semblent donc avoir privilégié, pour rendre leur décision, la question du consentement des acquéreurs au paiement de la commission de l'agent, et le respect de l'une des finalités des dispositions impératives de la loi "Hoguet", à savoir la protection des parties à l'acte objet de l'intermédiation. Or, au cas présent, de quoi pouvaient donc se plaindre les acquéreurs dès lors que, par les stipulations du compromis qu'ils ont signé, et de l'engagement qu'ils ont par ailleurs pris par acte séparé au profit de l'agent, ils étaient dûment et formellement informés -conformément aux dispositions de la loi "Hoguet"- de ce que la commission de l'agent était à leur charge (et s'engageaient à s'en acquitter).

C'était faire une interprétation téléologique de l'avant-dernier alinéa de l'article 73 du décret du 20 juillet 1972, qui après tout, ne dit nullement (du moins pas expressément) qu'il doit y avoir une identité, dans le mandat et l'acte unique des parties, de la personne débitrice de la rémunération de l'agent.

Cette interprétation raisonnable, que la Cour de cassation n'aurait, par le passé, pas démentie, était néanmoins, au regard du droit positif actuel, vouée à la cassation.

En effet, à plusieurs reprises la Cour régulatrice s'était précédemment prononcée en faveur d'une application stricte des dispositions issues de la loi du 2 janvier 1970 et de son décret d'application, et plus particulièrement de celles consistant à exiger une identité entre le débiteur désigné dans le mandat et dans l'acte constatant l'engagement des parties.

C'est ainsi qu'elle avait notamment déjà censuré des juges du fond d'avoir fait droit à la demande en paiement de la commission d'un agent immobilier à l'encontre de l'acquéreur alors que, si celui-ci était bien désigné dans le mandat comme ayant la charge de la rémunération de l'agent immobilier, cette mention ne figurait pas à l'acte de vente, peu important que le bon de visite, signé par le candidat acquéreur, fasse mention de cet engagement (Cass. civ. 1, 3 avril 2002, précité).

Encore pouvait-on penser que cette solution sanctionnait, non la contrariété d'identité, mais plutôt l'absence de la mention du débiteur dans l'acte constituant l'engagement des parties, prévue à l'article 73 du décret du 20 juillet 1972, le bon de visite signé sur lequel figurait le montant et le débiteur de la commission ne pouvant être évidemment considéré comme "l'engagement des parties".

Une autre affaire a cependant, quelques années plus tard, précisément fourni à la Cour de cassation l'occasion de lever toute ambiguïté sur ce point (Cass. civ. 1, 21 février 2006, précité).

Les faits étaient très similaires à ceux de la présente espèce. La commission due au mandataire était, dans le mandat, mise à la charge des mandants (vendeurs), mais la promesse synallagmatique de vente indiquait au contraire que "l'acquéreur devra faire son affaire personnelle de la commission de négociation due à l'agence".

L'arrêt d'appel, qui avait fait droit à la demande en paiement du mandataire, s'est trouvé censuré à défaut d'avoir constaté l'identité de débiteur de la commission dans le mandat et dans l'acte constituant l'engagement des parties.

Dans la droite ligne de cette jurisprudence, la Cour de cassation réitère donc le principe posé sept ans plus tôt -en reproduisant même l'attendu de principe- : il faut une identité de débiteur dans le mandat et l'acte unique constatant l'engagement des parties.

La Haute juridiction fait donc une interprétation stricte de l'article 73 du décret du 20 juillet 1972, qui prévoit que la personne à laquelle l'agent demande paiement de sa rémunération doit être "celle mentionnée comme en ayant la charge, dans le mandat et dans l'engagement des parties" dont elle déduit une nécessaire identité de personne.

Un engagement peut donc être parfaitement valable au regard des règles du droit civil, mais paralysé dans ses effets par les dispositions de la loi "Hoguet", dont la Cour suprême rappelle qu'elles sont d'ordre public et dont on peut ajouter qu'elles sont sanctionnées pénalement.

Et c'est peut-être là que réside la raison de la rigueur de cette décision : la loi "Hoguet" n'a pas seulement pour but de protéger les mandants, ou même les parties à l'acte objet de l'intermédiation, elle a pour finalité première la réglementation d'une profession toute entière.

Les dispositions de la loi "Hoguet" et de son décret d'application ont donc vocation à régir les activités des agents immobiliers, peu important que celui qui se prévaut de leur violation soit tiers ou partie au contrat de mandat.

Le tiers au contrat peut donc non seulement invoquer :

- comme un fait juridique lui faisant grief, le manquement, par les parties au mandat, à la loi "Hoguet" qui s'impose à elles ;

- mais également les dispositions de la loi "Hoguet" elle-même, pour s'opposer au paiement réclamé par l'agent.

La portée de la solution dégagée est dénuée ainsi de toute ambiguïté : l'agent immobilier doit s'assurer que, s'agissant du débiteur de sa commission, l'acte constituant l'engagement des parties est l'exact reflet du mandat. A défaut, il ne peut prétendre à un quelconque paiement, peu important les engagements pris antérieurement ou concomitamment.

Tout principe, aussi rigoureux soit-il, connaît des limites.

Aussi la Cour de cassation prend-elle le soin de rappeler le (seul) cas dans lequel, à titre d'exception -qui se rencontrera extrêmement rarement en pratique-, un agent peut prétendre au paiement de sa commission malgré une discordance entre les stipulations du mandat et celles de l'acte de vente concernant le débiteur de l'opération : celui dans lequel l'engagement à rémunérer les services de l'agent a été souscrit postérieurement à la convention des parties.

La Cour régulatrice admet en effet depuis longtemps qu'une partie puisse valablement s'engager à rémunérer les services de l'agent immobilier en cas de non-respect des dispositions de la loi "Hoguet", mais à condition que cet engagement soit postérieur à la conclusion de l'opération, laquelle intervient à la signature de l'acte authentique de vente (ou à la signature du contrat de bail) (voir par exemple : Cass. civ. 1, 15 novembre 2003, n° 01-12.654, FS-D N° Lexbase : A3095DAU ; Cass. civ. 1, 25 janvier 2005, n° 02-10.764, F-D N° Lexbase : A2847DGK ; Cass. civ. 1, 27 juin 2006, n° 04-20.710, F-D N° Lexbase : A1038DQI).

Et cela n'a rien de singulier puisque la Cour de cassation admet de longue date, en d'autres matières, que l'on puisse renoncer à un droit statutaire une fois que la partie protégée est en pleine possession de tous ses droits (par exemple en matière de baux commerciaux, s'agissant du droit au renouvellement découlant du statut : solution constante depuis un arrêt du 10 juin 1960, Cass. com., 10 juin 1960, n° 57-10.578 N° Lexbase : A2574AUU, Bull. civ. IV, n° 222).

En l'occurrence, le droit de refuser le paiement de la commission (pour violation de la loi "Hoguet") ne naît, par définition, que postérieurement à l'acte définitif, puisqu'avant ce dernier il est fait interdiction à l'agent de solliciter le paiement de celle-ci.

En cas de non-respect des dispositions de la loi "Hoguet", on ne pourra donc valablement accepter de payer les services de l'agent, et donc renoncer au droit de refuser un tel paiement, qu'une fois ce droit né, c'est-à-dire postérieurement à l'acte définitif.

L'originalité de cette solution provient du fait qu'ici, on le rappellera, c'est un tiers à la convention soumise à la loi "Hoguet" qui bénéficie et peut invoquer l'ensemble de ses règles protectrices et régulatrices.

Dans cette hypothèse, on aura cependant compris que l'agent immobilier est alors, tant pour le principe que pour le montant de sa rémunération, soumis au bon vouloir, ou, pourrait-on dire, à l'honnêteté morale des parties à son égard.

La question se pose, en outre, de savoir quelle forme cette convention doit prendre, et quelles autres conditions elle doit le cas échéant respecter. A cette question l'arrêt commenté ne répond rien.

Il faut considérer que ce sont cette fois les seules règles du droit civil qui s'appliquent et non plus celles découlant de la loi "Hoguet" qui, par hypothèse, auront été méconnues.

Un écrit est-il nécessaire ? Il est en tout cas hautement recommandé (et probablement indispensable pour se prémunir de tout risque de mise en cause de la responsabilité pénale de l'agent).

Il a en effet été jugé que l'agent immobilier ne pouvait prétendre à obtenir la somme représentant le solde de sa rémunération dans une affaire où l'acquéreur s'était pourtant acquitté d'un paiement partiel -fût-il substantiel- après la signature de l'acte authentique de vente, ce dont il pouvait pourtant s'induire qu'il se reconnaissait débiteur de ladite commission (Cass. civ. 1, 3 avril 2002, précité).

Il faut donc en déduire que cet engagement à rémunérer les services de l'agent immobilier doit non seulement être pris postérieurement à la conclusion de l'opération, mais encore en connaissance du vice affectant le droit à commission (bien que la Cour de cassation ne se soit pas encore prononcée expressément sur ce point).

En l'espèce, l'agent immobilier n'avait aucune chance d'obtenir gain de cause en invoquant cette exception.

S'il disposait effectivement d'un engagement écrit très clair des acquéreurs résultant non seulement des stipulations du compromis acceptées par ces derniers mais encore d'un engagement unilatéral de paiement, cet engagement était concomitant à la promesse et donc antérieur à la réitération de la vente par acte authentique.

Dans cette situation, la pratique des professionnels est donc de conclure -plutôt qu'un engagement unilatéral- un mandat par lequel l'acquéreur s'engage à rémunérer l'agent. Les stipulations du compromis ultérieurement conclu, prévoyant que les honoraires sont à la charge de l'acquéreur, se trouvent ainsi identiques à celles du mandat de recherche de bien.

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