Le Quotidien du 6 octobre 2022 : Arbitrage

[Brèves] Convention d’arbitrage : précisions sur le droit applicable à la clause d’arbitrage international et sur l’efficacité en cas d’impécuniosité

Réf. : Cass. civ. 1, 28 septembre 2022, deux arrêts, n° 21-21.738, FS-D N° Lexbase : A34438L4 et n° 20-20.260, FS-B N° Lexbase : A34428L3

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[Brèves] Convention d’arbitrage : précisions sur le droit applicable à la clause d’arbitrage international et sur l’efficacité en cas d’impécuniosité. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/article-juridique/88650444-0
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par Lalaina Chuk Hen Shun, Docteur en droit

le 05 Octobre 2022

La clause compromissoire est indépendante juridiquement du contrat principal qui la contient, son existence et son efficacité s'apprécient d'après la commune volonté des parties, sans qu'il soit nécessaire de se référer à une loi étatique ; par ailleurs, à défaut de tentative préalable d'engagement d'une procédure arbitrale, l'impécuniosité n'est pas de nature à caractériser l'inapplicabilité manifeste de la clause.

Le débat relatif à la compétence arbitrale consiste essentiellement à déterminer, d’abord, s’il existe une convention d’arbitrage, puis si celle-ci est valide et applicable. Par deux arrêts du 28 septembre 2022, la première chambre civile affine les contours de l’appréciation de la compétence arbitrale en réaffirmant les règles relatives au droit applicable à la clause compromissoire, et en précisant l’application de l’effet négatif du principe compétence-compétence en cas d’impécuniosité.

I. Le droit applicable à la convention d’arbitrage international

La détermination du droit applicable constitue un enjeu essentiel pour apprécier la portée de la convention d’arbitrage international. La position du droit français est singulière sur ce point en détachant, d’une part, du contrat principal la clause compromissoire et, d’autre part, de toute loi étatique l’appréciation de l’existence et de la validité de la clause.

Faits et procédures. Le premier arrêt (Cass. civ. 1, 28 septembre 2022, n° 20-20.260, FS-B N° Lexbase : A34428L3), relatif au droit applicable à la convention d’arbitrage international, intervient dans le cadre d’un litige découlant de contrats de franchise. Les contrats, désignant le droit anglais comme étant applicable, mettent en place l’exploitation au Koweït, par une société locale, de plusieurs marques de restauration appartenant à une société libanaise.

En octobre 2004, le groupe auquel appartient la société koweïtie opère une restructuration de sorte qu’une holding est mise en place et intervient dans l’exécution des contrats jusqu’à leur expiration en 2011.

Par la suite, en 2015, sur le fondement de clauses compromissoires insérées dans les contrats, le franchiseur initie une procédure arbitrale sous l’égide de la Chambre de commerce internationale (CCI) donnant lieu, en 2017, à la condamnation de la holding koweïtie par une sentence arbitrale rendue à Paris pour, notamment, les redevances de licence impayées. Dans la foulée de la reddition de la sentence, d’une part, la succombante introduit un recours en annulation devant la cour d’appel de Paris et, d’autre part, la partie libanaise, ayant eu gain de cause, engage une procédure devant le tribunal de commerce de Londres aux fins d’exécution de la sentence.

Concernant la procédure devant les juridictions anglaises, après une première décision du juge londonien accordant l’exequatur, la cour d’appel l’infirme et refuse l’exécution en considérant que, en application du droit anglais, la holding, non-signataire des contrats en jeu, n’était pas tenue par les clauses de ceux-ci, y compris la clause compromissoire (CA England and Wales, EWCA Civ 6 Comm, 23 juin 2020, n° CL-2017-000792). Quant au recours en annulation, en application des règles matérielles telles qu’elles sont définies par le droit français, le juge parisien considère que l’application de la clause s’étend à la holding et, partant, rejette le moyen selon lequel le tribunal arbitral se serait déclaré à tort compétent (CA Paris, 1-1, 23 juin 2020, n° 17/22943 N° Lexbase : A20213PK).

Pourvoi. C’est à l’encontre de cet arrêt que le pourvoi est formé par la holding koweïtie. Elle fait grief à la cour d’analyser la validité de la clause compromissoire au regard des règles matérielles et non en application du droit anglais, loi applicable aux contrats. La demanderesse au pourvoi soutient que la désignation de la loi applicable dans les contrats vaut, sauf stipulation contraire, pour toutes les clauses des contrats, y compris les clauses compromissoires.

La question posée à la Cour consiste ainsi à déterminer dans quelle mesure la désignation d’une loi applicable au contrat principal affecte l’appréciation de la validité de la clause compromissoire.

Réponse de la Cour. La première chambre civile répond en réaffirmant le principe, établi de longue date, d’autonomie de la clause compromissoire par rapport au contrat auquel il se réfère (Cass. civ. 1, 7 mai 1963, n° 58-12.874, JurisData n° 1963-700246). Plus précisément, dans la lignée de la jurisprudence posée par l’arrêt « Dalico » (Cass. civ. 1, 20 décembre 1993, n° 91-16.828, publié au bulletin N° Lexbase : A5298ABT), la Cour énonce que « la clause compromissoire est indépendante juridiquement du contrat principal qui la contient directement ou par référence et son existence et son efficacité s’apprécient d’après la commune volonté des parties, sans qu’il soit nécessaire de se référer à une loi étatique, à moins que les parties aient expressément soumis la validité et les effets de la convention d’arbitrage elle-même à une telle loi ». Ainsi, à défaut de stipulation spécifique relative au droit applicable à la clause compromissoire, la Haute juridiction juge que cette dernière s’apprécie quant à sa validité et sa portée, au regard des règles matérielles de l’arbitrage international.

Solution. La Cour rejette le pourvoi

Apport. Le principal apport de l’arrêt de la première chambre civile réside dans la réaffirmation d’un double marqueur du droit français de l’arbitrage. D’abord, le choix d’un droit applicable au contrat principal ne suffit pas à l’étendre à la convention d’arbitrage qui lui est autonome. Ensuite, à défaut de désignation expresse d’une loi applicable à la clause compromissoire, son efficacité s’apprécie sous l’angle des règles matérielles de l’arbitrage international, c’est-à-dire en faisant abstraction de toute loi étatique mais se reposant sur la seule volonté des parties.

Pour aller plus loin : v. L. Chuk Hen Shun, ÉTUDE : L’arbitrage, La convention d’arbitrage, in Procédure civile, (dir. E. Vergès), Lexbase N° Lexbase : E30084Y3.

II. Effet négatif du principe compétence-compétence et impécuniosité

Dans le second arrêt (Cass. civ. 1, 28 septembre 2022, n° 21-21.738, FS-D N° Lexbase : A34438L4), c’est la mise en jeu du principe compétence-compétence qui se trouve au cœur du débat tranché par la première chambre civile, particulièrement, l’efficacité négative du principe compétence-compétence en cas d’impécuniosité. Selon l’article 1448 du Code de procédure civile N° Lexbase : L2275IPX, lorsqu'un litige relevant d'une convention d'arbitrage est porté devant une juridiction de l'État, celle-ci se déclare incompétente sauf si le tribunal arbitral n'est pas encore saisi et si la convention d'arbitrage est manifestement nulle ou manifestement inapplicable. Dans ce litige, le demandeur au pourvoi soutient que de son impécuniosité, ne lui permettant pas de faire face aux coûts de l’arbitrage, découle une inapplicabilité manifeste de la clause compromissoire.

Faits et procédures. La question a été soulevée à l’occasion d’un litige opposant plusieurs sociétés françaises liées par des contrats de franchise et d’approvisionnement contenant une clause compromissoire. L’une des sociétés parties aux contrats avait saisi le tribunal de commerce de Rennes aux fins de sanctionner ce qu’elle considère être des pratiques anticoncurrentielles réalisées par ses cocontractantes. Invoquant une clause compromissoire, ces dernières soulèvent une exception d’incompétence que le juge écarte. Par la suite, les mises en cause interjettent appel et obtiennent l’infirmation de la décision rennaise (CA Paris, 5-4, 30 juin 2021, n° 21/02568 N° Lexbase : A70944XZ).

Pourvoi. Devant la Cour de cassation, la partie ayant saisi le tribunal de commerce de Rennes soutient que son impécuniosité ne lui permettait pas d’accéder à la justice arbitrale. Elle fait grief à la cour d’appel de faire application, en dépit de ce qu’elle considère être une inapplicabilité manifeste, du principe compétence-compétence selon lequel il appartient à l’arbitre de statuer en priorité sur sa propre compétence.

Réponse de la Cour. La Cour répond que, sans tentative préalable d’engagement d’une procédure arbitrale, l’impécuniosité n’est pas, en soi, de nature à caractériser l’inapplicabilité manifeste des clauses compromissoires. Ainsi, dans une telle situation, l’effet négatif du principe compétence-compétence joue et la juridiction étatique doit se déclarer incompétente.

Solution. La Cour rejette le pourvoi

Apport. L’arrêt de la Cour de cassation consacre la position adoptée par la cour d’appel de Paris énonçant, en premier, que « le caractère manifestement inapplicable de la clause compromissoire ne saurait […] se déduire de l’incapacité alléguée à faire face au coût d’une telle procédure en raison de sa situation financière et au déni de justice qui en résulterait » (CA Paris, 1-1, 26 février 2013, n° 12/12953 N° Lexbase : A6044I8D ; voir également CA Paris, 17 novembre 2011, n° 09/24158 N° Lexbase : A5261H3A). Si, l’arrêt « Tagli’Apau » écarte les effets pervers du principe compétence-compétence en déclarant irrecevable l’exception d’incompétence du défendeur de mauvaise foi qui s’abstient de verser sa part de provision pour mettre en difficulté le demandeur impécunieux (Cass. civ. 1, 9 février 2022, n° 21-11.253, FS-B N° Lexbase : A78557MU), par cette décision du 28 septembre, la haute juridiction continue son œuvre de précision en établissant que pour invoquer l’inapplicabilité pour cause d’impécuniosité, il est nécessaire de tenter préalablement d’engager une procédure arbitrale.

Pour aller plus loin : v. L. Chuk Hen Shun, ÉTUDE : L’arbitrage, Le principe compétence-compétence, in Procédure civile, (dir. E. Vergès), Lexbase N° Lexbase : E30174YE.

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