Le Quotidien du 5 octobre 2022 : Bancaire

[Brèves] Précision sur la responsabilité de la banque en cas de virements opérés par le client s’étant révélés comme étant le résultat d’une escroquerie

Réf. : Cass. com., 21 septembre 2022, n° 21-12.335, F-B N° Lexbase : A25258KQ

Lecture: 9 min

N2691BZP

Citer l'article

Créer un lien vers ce contenu

[Brèves] Précision sur la responsabilité de la banque en cas de virements opérés par le client s’étant révélés comme étant le résultat d’une escroquerie. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/article-juridique/88441752-0
Copier

par Jérôme Lasserre-Capdeville

le 05 Octobre 2022

► Un établissement de crédit ayant fait preuve, à un moment donné, d’une vigilance dépassant le cadre légal de ses obligations en effectuant des recherches sur l’identité des organismes bénéficiant des virements ordonnés par son client, ne saurait se voir reprocher ces vérifications supplémentaires ;  au contraire, cela démontrait que, même informé de certaines anomalies découvertes par la banque aux termes de recherches auxquelles elle n’était pas tenue, le client avait persisté dans sa volonté de poursuivre ce type d’opérations en signant une décharge de responsabilité circonstanciée au bénéfice de la banque ;

Par ailleurs, les obligations de vigilance et de déclaration imposées aux organismes financiers en application des articles L. 561-5 à L. 561-22 du Code monétaire et financier ont pour seule finalité la lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme ; il s’en déduit que la victime d’agissements frauduleux ne peut se prévaloir de l'inobservation de ces obligations pour réclamer des dommages-intérêts à l’organisme financier.

Le devoir de non-ingérence, dit aussi devoir de non-immixtion, impose aux établissements de crédit de ne pas intervenir dans les affaires de leurs clients, soit en s’informant sur ces mêmes affaires, soit en réalisant de leur propre chef des opérations pour le compte des clients. Le banquier n’a donc pas à effectuer de recherches pour s’assurer que les opérations qu’un client souhaite effectuer sont régulières, non dangereuses pour lui et insusceptibles de nuire injustement à un tiers. Le devoir place ainsi l’établissement bancaire dans une position de neutralité, quelle que soit l'opération passée : encaissement de chèques, retraits de fonds, opération de crédit, etc. Cette règle, dégagée par un arrêt de principe de 1930 (Cass. civ., 28 janvier 1930, RTD civ., 1930, p. 369, obs. Demogue), est régulièrement rappelée par les juges.

Si le principe de non-ingérence a vocation à s’appliquer à l’ensemble des activités du banquier, ce dernier se voit également imposer, dans un certain nombre de cas, un devoir contraire à la non-ingérence. En effet, l’exercice de l'activité bancaire présente des risques importants, dans la mesure où les opérations de banque peuvent permettre la réalisation de fraudes au détriment d'un client, de l’établissement de crédit lui-même ou encore de tiers. Il en va ainsi avec le devoir de vigilance, également appelé devoir de surveillance ou devoir général de prudence, qui désigne l'obligation pour le banquier de s’immiscer, dans certaines circonstances bien précises, dans les affaires de ses clients pour opérer diverses vérifications. Ce devoir de vigilance est, selon les cas, imposé par la loi, le contrat, ou la jurisprudence.

Ce dernier cas retiendra ici notre attention. Il est ainsi établi depuis longtemps que le principe de non-ingérence laisse subsister la responsabilité du banquier qui accepte d'enregistrer une opération dont l'illicéité ressort d'une « anomalie apparente » (v., par ex., Cass. com., 25 avril 1967, n° 63-13.318, publié au bulletin N° Lexbase : A3155ATZ, JCP, 1967, II, 15306, obs. Ch. Gavalda ; Cass. com., 3 janvier 1977, n° 75-11.853, publié au bulletin N° Lexbase : A7157AG8 ; Cass. com., 15 novembre 2016, n° 15-14.133, F-D N° Lexbase : A2397SIM). Le devoir de « neutralité » tombe ainsi devant l’apparence d’une opération illicite.

Ces rappels utiles étant faits, on peut observer la décision sélectionnée.

Faits et procédure. En l’espèce, M. K. avait investi, en 2015, auprès de plusieurs sociétés financières européennes des fonds transférés par quinze virements effectués à partir du compte joint qu’il détenait avec son épouse, ouvert dans les livres d’une banque.

Faisant valoir qu’ils avaient été victimes d’une escroquerie et n’avaient pu obtenir la restitution de leurs avoirs, le couple avait assigné la banque en indemnisation, lui reprochant d’avoir contribué à la réalisation de leur dommage du fait de manquements à ses obligations d'information et de vigilance. M. K. étant décédé en cours d'instance, son action avait été reprise par ses trois ayants droit.

Or, la cour d’appel de Nancy ne leur ayant pas donné raison, Mme K. et les ayants droit de M. K. ont formé un pourvoi en cassation.

Décision. Deux moyens étaient à observer.

En premier lieu, Mme K. et les héritiers faisaient grief à l’arrêt d’avoir rejeté leurs demandes de dommages-intérêts, considérant qu’il y avait ici des faits constituant des manquements de la banque à son obligation de vigilance.

La Cour de cassation ne partage pas les différentes allégations figurant dans ce moyen.

Il est ainsi noté qu’après avoir constaté qu’aucune des opérations de virement n’était affectée d'une anomalie matérielle, l’arrêt de la cour d’appel avait retenu que les montants des virements effectués n’étaient pas en eux-mêmes constitutifs d’anomalies, dès lors que le compte de M. K. et de son épouse était toujours resté créditeur et que ces montants devaient être mis en rapport avec l'importance du patrimoine des époux K. Il retenait également que le libellé des virements litigieux ne faisait nullement apparaître qu'ils étaient destinés au financement d'opérations spéculatives sur le Forex (marché des changes) et que, selon les documents dont la banque avait connaissance, M. K. et son épouse vendaient des titres boursiers pour procéder à l’achat de valeurs mobilières via des sociétés financières européennes ayant leurs comptes domiciliés en Bulgarie, à Malte, en Roumanie, en Pologne, en République tchèque ou en Géorgie. Il retenait encore qu’il n’était pas établi que la TBI Bank, où l’un des comptes à créditer était domicilié, aurait déjà été mise en cause dans des escroqueries aux investissements sur le Forex.

L’arrêt ajoutait surtout que le fait que la banque ait fait preuve, à compter de septembre 2015, d’une vigilance dépassant le cadre légal de ses obligations en effectuant des recherches sur l’identité des organismes bénéficiant des derniers virements ordonnés par M. K. ne saurait être retenu contre elle et relevait que, même informé de certaines anomalies découvertes par la banque aux termes de recherches auxquelles elle n’était pas tenue, M. K. avait persisté dans sa volonté de poursuivre ce type d’opérations en signant une décharge de responsabilité circonstanciée au bénéfice de la banque.

Dès lors, en l’état de ces constatations et appréciations, la cour d’appel avait pu retenir que la banque n'avait commis aucun manquement à son obligation de vigilance.

Cette solution est convaincante. On ne saurait reprocher à une banque à l’origine d’un « excès de zèle » de ne pas l’avoir mis en œuvre plus tôt, et ce d’autant plus lorsque le client averti des soupçons de l’établissement persiste à opérer des virements au bénéfice de la structure étrangère.

En second lieu, Mme K. et les héritiers K. faisaient grief à l’arrêt de la cour d’appel d’avoir rejeté leurs demandes en paiement de dommages-intérêts, et qu’en retenant que la sanction de la méconnaissance de l’obligation de l'examen particulier des opérations est exclusivement sanctionnée disciplinairement ou administrativement par l'autorité ayant pouvoir disciplinaire, elle aurait méconnu l'article 1382 du Code civil, dans sa rédaction applicable en la cause (aujourd’hui : C. civ., art. 1240 N° Lexbase : L0950KZ9).

Ce moyen est également jugé non fondé.

L’arrêt commence par rappeler que les obligations de vigilance et de déclaration imposées aux organismes financiers en application des articles L. 561-5 à L. 561-22 du Code monétaire et financier N° Lexbase : L5147LBA ont pour seule finalité la lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme.

Il résulte alors, pour les magistrats nancéens, de l’article L. 561-19 N° Lexbase : L0675LWW du Code monétaire et financier que la déclaration de soupçon mentionnée à l’article L. 561-15 N° Lexbase : L5153LBH est confidentielle et qu’il est interdit de divulguer l’existence et le contenu d’une déclaration faite auprès de Tracfin ainsi que les suites qui lui ont été réservées, au propriétaire des sommes ou à l'auteur de l'une des opérations mentionnées à l'article L. 561-15 ou à des tiers, autres que les autorités de contrôle, ordres professionnels et instances représentatives nationales visés à l'article L. 561-36 N° Lexbase : L7301LBZ. De plus, aux termes de ce dernier article, ces autorités sont seules chargées d’assurer le contrôle des obligations de vigilance et de déclaration et de sanctionner leur méconnaissance sur le fondement des règlements professionnels ou administratifs. Enfin, selon l’article L. 561-29, I, du même Code N° Lexbase : L0682LW8, sous réserve de l’application de l’article 40 du Code de procédure pénale N° Lexbase : L5531DYI, les informations détenues par Tracfin ne peuvent être utilisées à d’autres fins que la lutte contre le blanchiment des capitaux et le financement des activités terroristes.

Il s’en déduit alors que la victime d'agissements frauduleux ne peut se prévaloir de l'inobservation des obligations de vigilance et de déclaration précitées pour réclamer des dommages-intérêts à l'organisme financier.

Cette solution ne surprendra pas le lecteur. Par un arrêt du 28 avril 2004, la Chambre commerciale a déjà eu l’occasion de dire que la victime d’agissements frauduleux, prenant la forme de chèques falsifiés, ne peut se prévaloir de l’inobservation des textes relatifs à la lutte contre le blanchiment et le financement du terrorisme pour réclamer des dommages-intérêts à l’établissement financier (Cass. com., 28 avril 2004, n° 02-15.054, FS-P+B+I N° Lexbase : A9943DBU).

newsid:482691

Utilisation des cookies sur Lexbase

Notre site utilise des cookies à des fins statistiques, communicatives et commerciales. Vous pouvez paramétrer chaque cookie de façon individuelle, accepter l'ensemble des cookies ou n'accepter que les cookies fonctionnels.

En savoir plus

Parcours utilisateur

Lexbase, via la solution Salesforce, utilisée uniquement pour des besoins internes, peut être amené à suivre une partie du parcours utilisateur afin d’améliorer l’expérience utilisateur et l’éventuelle relation commerciale. Il s’agit d’information uniquement dédiée à l’usage de Lexbase et elles ne sont communiquées à aucun tiers, autre que Salesforce qui s’est engagée à ne pas utiliser lesdites données.

Réseaux sociaux

Nous intégrons à Lexbase.fr du contenu créé par Lexbase et diffusé via la plateforme de streaming Youtube. Ces intégrations impliquent des cookies de navigation lorsque l’utilisateur souhaite accéder à la vidéo. En les acceptant, les vidéos éditoriales de Lexbase vous seront accessibles.

Données analytiques

Nous attachons la plus grande importance au confort d'utilisation de notre site. Des informations essentielles fournies par Google Tag Manager comme le temps de lecture d'une revue, la facilité d'accès aux textes de loi ou encore la robustesse de nos readers nous permettent d'améliorer quotidiennement votre expérience utilisateur. Ces données sont exclusivement à usage interne.