Le Quotidien du 26 septembre 2022 : Droit pénal international et européen

[Brèves] Condamnation de la France par la CEDH : le contrôle strict opéré par la Cour sur l’équité de la procédure en cas de manquement au procès équitable

Réf. : CEDH, 20 septembre 2022, Req. n° 38288/15, Merahi et Delahaye c/ France N° Lexbase : A54738IK

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[Brèves] Condamnation de la France par la CEDH : le contrôle strict opéré par la Cour sur l’équité de la procédure en cas de manquement au procès équitable. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/article-juridique/88347372-0
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par Helena Viana

le 28 Septembre 2022

► Lorsque la Cour constate le défaut de notification aux requérants, dans le cadre de l’audition libre, du droit de garder le silence et que les requérants se sont auto-incriminés, elle doit rechercher si les restrictions litigieuses aux droits garantis ont été compensées de telle manière que les procédures peuvent être considérées comme ayant été équitables dans leur ensemble. En l’espèce, tel n’est pas le cas, la cour d’appel ayant notamment placé les aveux recueillis au cœur de son raisonnement.  

Faits. Les faits à l’origine de l’affaire déférée devant la Cour européenne des droits de l’Homme (CEDH) concernent la destruction du bien d’autrui par un moyen dangereux pour les personnes, en raison de l’incendie d’un bus en stationnement, survenu le 31 juillet 2010. Un suspect est identifié après que ses empreintes ont été prélevées sur une bouteille de whisky brisée, retrouvée à près de 30 mètres de l’incendie. Répondant à la convocation, le suspect se présente le 14 mai 2011 dans les locaux de la gendarmerie et est entendu sous la forme de l’audition libre. Il est informé des faits qui lui sont reprochés, mais ne lui sont notifiées, ni la possibilité de mettre fin à l’audition à tout moment, ni celle de garder le silence, et il ne bénéficie pas de l’assistance d’un avocat. Il nie dans un premier temps les faits qui lui sont reprochés, tout en reconnaissant avoir été présent sur les lieux en compagnie de son ami, autre requérant dans l’affaire. Au milieu de l’audition, il passe aux aveux et reconnaît l’ensemble des faits qui lui sont reprochés, qu’il indique avoir commis avec l’aide de son ami, et en reporte la cause sur un usage excessif d’alcool. Il est placé en garde à vue et bénéficiera de l’assistance d’un avocat. Il gardera le silence durant ses deux auditions suivantes. Son ami, placé en garde à vue peu de temps après, en fera de même.

Procédure devant les juges nationaux.

Première instance. À l’issue de l’enquête, les deux mis en cause sont renvoyés devant le tribunal correctionnel du chef susvisé. Ils seront relaxés au motif que, si le premier a reconnu dans un premier temps les faits de la prévention, à l’audience, tous deux sont revenus sur ces aveux et la seule présence de l’empreinte génétique est insuffisante à fonder la condamnation. En cause d’appel, à l’initiative du ministère public, les intéressés ont allégué que les aveux avaient été obtenus par une pression exercée par l’officier de police judiciaire, et ce, alors qu’ils étaient dans une situation de vulnérabilité et qu’ils ne bénéficiaient pas des mêmes garanties qu’une personne gardée à vue.

En cause d’appel. La cour d’appel de Lyon infirme la décision des juges du fond. Pour ce faire, les juges d’appel reviennent sur les points relevés par les conseils des prévenus en gage de leur innocence, mais en particulier sur la question des pressions subies par le mis en cause lors de son audition libre. Dans un premier temps ils énoncent que l’audition libre prévue à l’ancien article 73 du Code de procédure pénale N° Lexbase : L9752IPU ne prévoyant pas l’assistance d’un avocat obligatoire, elle est légale et régulière. Dans un second temps, les juges écartent le caractère plausible des pressions qui auraient été subies.

Pourvoi. Le principal mis en cause forme un pourvoi en cassation, invoquant une atteinte à l’article 6 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme (CESDH) au motif que l’arrêt s’est fondé sur les déclarations qu’il a faites au cours de son audition libre, et ce alors qu’il n’avait pas bénéficié de l’assistance d’un avocat et sans qu’il ait été informé de son droit de garder le silence. Le second mis en cause s’est associé aux moyens soulevés par son codemandeur et a réclamé l’extension des effets d’une cassation potentielle à son bénéfice sur le fondement de l’article 612-1 du Code de procédure pénale N° Lexbase : L0850DY7.

La Chambre criminelle rejette son pourvoi par arrêt du 18 février 2015 énonçant qu’en dépit de l’absence d’avertissement de la personne de son droit de quitter à tout moment les locaux de la gendarmerie, aucun grief n’est encouru dans la mesure où la cour d’appel s’est fondée sur d’autres éléments que les déclarations recueillies lors de l’audition libre.

Violation alléguée par les requérants. Les requérants allèguent une violation de leur droit à un procès équitable tel qu’il résulte de l’article 6, § 1 et 3 C) de la CESDH en ce que la condamnation pénale s’est fondée sur les déclarations recueillies au cours de l’audition libre du suspect, à l’occasion de laquelle il ne s’est pas vu notifier le droit de garder le silence et n’a pas bénéficié de l’assistance d’un avocat.

Décision de la Cour. La CEDH constate d’abord l’irrecevabilité de la requête du second mis en cause pour défaut d’épuisement des voies internes. En effet, elle rappelle que ce dernier s’est borné à demander à la Cour de cassation d’user du pouvoir qu’elle tient de l’article 612-1 du Code de procédure pénale (à savoir, la possibilité pour la Cour de cassation de décider que l’annulation qu’elle prononce aura effet à l’égard des autres parties). Ainsi, il n’a pas contesté l’arrêt de la cour d’appel et ne saurait se prévaloir du fait qu’il ait épuisé les voies de recours interne.

Ensuite, la Cour européenne condamne la France pour la violation de l’article 6, § 1 et 3 C) de la CESDH s’agissant du principal demandeur.

Il faut rappeler qu’à l’époque à laquelle le requérant est entendu sous la forme de l’audition libre, n’étaient encore entrés en vigueur, ni la loi du loi du 14 avril 2011 relative à la garde à vue N° Lexbase : L9584IPN, ni la loi n° 2014-535, du 27 mai 2014, portant transposition de la Directive 2012/13/UE du Parlement européen et du Conseil, du 22 mai 2012, relative au droit à l'information dans le cadre des procédures pénales N° Lexbase : L2680I3N créant notamment un nouvel article 61-1 du Code de procédure pénale N° Lexbase : L7280LZN énumérant un certain nombre de droits pour la personne entendue.

Les juges de Strasbourg le rappellent volontiers et estiment, à bon droit, que les réformes législatives sont sans effet sur la procédure qui lui est soumise.

Pour autant, la Cour rappelle que, seul dans des cas exceptionnels, des raisons impérieuses peuvent justifier des restrictions à l’accès à un avocat durant la phase préalable au procès. En l’absence de telles raisons, il appartient à la Cour d’« évaluer l’équité globale de la procédure », sans pour autant s’ériger en juge de quatrième instance. Pour ce faire, elle relève divers éléments de la procédure et constate que le requérant s’est auto-incriminé alors qu’il se trouvait dans une situation de vulnérabilité et qu’il n’a pas réitéré ses aveux.

Or, après un examen minutieux de la position des juridictions internes vis-à-vis de l’incidence de l’absence d’avocat, elle conclut que la cour d’appel a fait reposer la condamnation de façon déterminante sur les déclarations recueillies au cours de l’audition libre. Elle affirme notamment à cet égard que l’article visé par la cour d’appel (C. proc. pén., art. 73 N° Lexbase : L3153I38), n’était pas applicable à la date de l’audition et critique la prise en compte prépondérante des aveux recueillis, sur la base desquels elle a fondé le surplus de son raisonnement, de sorte que ces éléments ne venaient que conforter lesdits aveux.

Par conséquent, la CEDH conclut que la procédure pénale ainsi menée, considérée dans son ensemble, n’a pas permis de remédier aux graves lacunes procédurales survenues pendant l’audition libre.

Paraissant quelque peu désuet au regard de l’évolution législative survenue depuis la situation dénoncée, la décision n’en reste pas moins intéressante en ce que la Cour rappelle la nécessité du caractère exceptionnel des raisons impérieuses permettant de restreindre l’accès à un avocat et qu’elle détaille de façon pédagogique le contrôle strict qu’elle doit effectuer afin d’évaluer l’équité de la procédure lorsqu’une telle garantie procédurale a été mise à mal.

L’arrêt du 20 septembre 2022 est à lire dans le prolongement de deux arrêts de condamnation de la France pour le défaut de garanties procédurales en matière d’auditions libres en date du 28 avril de cette même année (CEDH, 28 avril 2022, Req. n° 83700/17, Wang c/ France N° Lexbase : A65957US et CEDH, 28 avril 2022, Req. n° 52833/19, Dubois c/ France N° Lexbase : A65977UU), dans lesquels la CEDH avait suivi le même raisonnement que celui développé dans l’arrêt d’espèce.

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