Réf. : CEDH, 8 septembre 2022, Req. 1434/14, Jansons c/ Lettonie, en anglais
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N2520BZD
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par Laure Florent
le 08 Septembre 2022
►L’expulsion arbitraire de l’occupant d’un appartement, alors même qu’un litige concernant l’appartement en cause était pendant, est contraire à l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’Homme relatif au droit au respect du domicile, et à l’article 13, relatif au droit à un recours effectif, combiné avec l’article 8.
C’est ce qu’a jugé la Cour européenne des droits de l’Homme, dans un arrêt rendu le 8 septembre 2022, par lequel elle condamne la Lettonie à verser au requérant 8 000 euros de dommages-intérêts pour dommage moral (v. communiqué).
Faits et procédure. En l’espèce, le requérant, un ressortissant letton, avait signé un contrat d’« usage de locaux », lequel fut reconduit à plusieurs reprises, concernant un appartement situé à Riga. Le dernier contrat précisait qu’il expirerait le 1er juillet 2011.
En février 2011, l’immeuble fut vendu, et le nouveau propriétaire adressa une lettre au requérant, lui demandant de libérer les lieux le 25 juin 2012, ce que le requérant refusa.
En novembre 2012, l’entreprise propriétaire plaça des agents de sécurité armés devant l’appartement, en empêchant l’accès au requérant. La police, appelée par lui, refusa d’intervenir. Les serrures de l’appartement furent changées.
Par la suite, un huissier, exécutant le transfert de possession ordonné par un juge en faveur du nouveau propriétaire, força l’entrée, changea les serrures, et enleva les biens du requérant, ce malgré les contestations de ce dernier.
Les différentes actions, civiles comme pénales, intentées par le requérant, ne permirent pas au requérant de contester son expulsion.
Décision de la Cour. La Cour considère qu’il y a eu violation de l’article 8 de la Convention N° Lexbase : L4798AQR, relatif entre autres au droit au respect du domicile, et de l’article 13 N° Lexbase : L4746AQT, concernant le droit à un recours effectif, combiné avec l’article 8.
La Cour constate que le requérant vivait habituellement dans les locaux depuis plus de trois ans, et qu’au moment de son expulsion, une action en justice concernant son droit d’y résider était pendante. L’article 8 de la Convention s’applique donc au litige lié à son expulsion.
Elle poursuit en énonçant que les autorités ont manqué à leur obligation de prendre des mesures appropriées pour s’assurer que le droit du requérant au respect de son domicile était garanti, en dépit des demandes répétées de celui-ci.
Ainsi, les policiers appelés sur les lieux lors de l’expulsion ne pouvaient ignorer que le requérant résidait dans l’appartement, mais sont restés passifs. Ils auraient dû savoir que l’existence d’un différend juridique ne pouvait suffire à justifier l’expulsion d’une personne de son domicile. Ils ne sont d’ailleurs pas plus intervenus par la suite, malgré l’ouverture d’une procédure pénale, et le fait que le requérant n’avait plus accès à son domicile.
Aucune protection n’avait non plus été accordée au requérant dans le cadre de l’enquête pénale : les décisions de non-lieu rendues ne traitaient effectivement pas la question de savoir si le requérant résidait effectivement dans l’appartement, ou celle de savoir si l’appartement était le « domicile » du requérant. Les juges ne s’étaient donc pas livrés à un examen de la légalité des actes du nouveau propriétaire.
L’huissier également ne pouvait ignorer que le requérant, qui s’était présenté à l’appartement lors du transfert de possession, y résidait, ou qu’un litige relatif à ses droits locatifs était pendant. Il n’a pas pour autant interrompu la procédure, et s’est même directement impliqué dans le litige en retirant de l’appartement les biens du requérant ; il a ainsi agi dans l’intérêt du propriétaire, sans que les arguments des parties ne soient examinés par un juge.
La Cour conclut que le transfert de possession ayant conduit à l’expulsion du requérant était dépourvu de base légale. Elle énonce en outre que, même si le droit interne offrait des garanties procédurales – ce dernier prévoyait qu’une expulsion ne pouvait être exécutée que sur le fondement d’une ordonnance judiciaire et que la police devait être présente au cours du transfert de possession –, ces garanties n’ont pas été utiles, étant donné qu’elles n’ont pas été appliquées, et n’ont pas permis d’empêcher une ingérence arbitraire dans l’exercice par le requérant de ses droits.
Il y a donc eu violation de l’article 8.
La Cour énonce que le requérant ne disposait d’aucun recours en droit civil, la procédure civile introduite par l’intéressé ne portant que sur son droit à résider dans l’appartement et non sur son expulsion illégale, cette dernière étant considérée comme relevant des juridictions pénales.
En matière pénale, le recours était cette fois possible. Toutefois, l’enquête menée dans ce cadre était de portée limitée, et n’offrait pas une protection effective en cas de litige portant sur les droits locatifs.
Ainsi, la Cour considère que le requérant n’a pas disposé d’un recours effectif pour se plaindre de l’ingérence dans l’exercice par lui de son droit au respect de son domicile, et qu’il y a donc eu violation de l’article 13 combiné avec l’article 8.
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