Le Quotidien du 9 septembre 2022 : Droit pénal international et européen

[Brèves] Condamnation de la Roumanie par la CEDH : rappel que l’usage de la force policière doit être « absolument nécessaire » et de la nécessité d’une enquête effective sur les circonstances de sa mise en œuvre

Réf. : CEDH, 30 août 2022, Req. 13326/18, Pârvu c/ Roumanie [en anglais]

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N2516BZ9

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[Brèves] Condamnation de la Roumanie par la CEDH : rappel que l’usage de la force policière doit être « absolument nécessaire » et de la nécessité d’une enquête effective sur les circonstances de sa mise en œuvre. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/article-juridique/88085856-breves-condamnation-de-la-roumanie-par-la-cedh-rappel-que-lusage-de-la-force-policiere-doit-etre-abs
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par Helena Viana

le 21 Septembre 2022

►La Roumanie a, une nouvelle fois, été condamnée par la Cour européenne des droits de l’Homme, laquelle a conclu à une double violation de l’article 2 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme (CESDH). D’une part, en raison d’un usage excessif de la force par les agents de police et d’autre part en raison de l’ineffectivité de l’enquête nationale sur les circonstances de la mort de la victime. Elle rappelle l’existence d’affaires similaires contre la Roumanie ayant été transmises pour exécution au Conseil des ministres du Conseil de l’Europe en vertu de l’article 46, § 2 de la CESDH et considère que des mesures générales s’imposent.

Faits. Le 26 septembre 2009, le véhicule d’un homme accompagné d’un de ses amis, fut bloqué à un feu rouge par deux véhicules, sans insigne extérieur. Quatre individus armés appartenant à l’Inspection générale de la police roumaine, et habillés en civils, sont sortis desdits véhicules. Les policiers ont donné pour ordre à l’individu, qu’ils pensaient être recherché au titre d’un mandat d’arrêt européen, de sortir du véhicule et ont ouvert le feu sans sommation. L’individu, pensant être la cible d’un braquage, a tenté de prendre la fuite en marche arrière et a percuté le second véhicule. Trois autres hommes, également en civils, sont sortis du second véhicule et l’un d’entre eux est monté du côté de la banquette arrière du véhicule du fugitif présumé et a tiré une balle dans la tête  de ce dernier. Par la suite, les policiers ont constaté qu’il ne s’agissait pas de l’individu qu’ils recherchaient. L’homme a été amené en urgence à l’hôpital et est décédé le lendemain matin.

Procédure. Cinq enquêtes pénales successives ont été clôturées par le parquet, au motif que le policier à l’origine du tir aurait agi en légitime défense et que le tir serait d’origine accidentelle. Les recours contre les décisions de classement ont été initiés par l’épouse du défunt. Le 8 avril 2021, statuant sur son ultime recours contre la cinquième décision de classement et près de douze ans après les faits, le tribunal départemental de Braila a rejeté le recours de la requérante « car les conclusions concernant la légitime défense et le tir accidentel “ont été tirées au regard de différents moments dans le temps et selon différentes hypothèses” ». N’ayant pas obtenu gain de cause devant les juridictions nationales, la requérante a saisi la Cour européenne des droits de l’Homme (CEDH) par requête en date du 7 mars 2018.

Griefs invoqués par la requérante. En substance, la requérante alléguait une violation de l’article 2 de la Convention européenne de sauvegarde des droits fondamentaux (CESDH) N° Lexbase : L4753AQ4, consacrant le droit à la vie, et ce à deux titres. D’une part, elle soutenait que la police avait fait usage excessif de la force meurtrière, dans des circonstances où cela n’était pas absolument nécessaire. D’autre part, elle se plaignait de la durée excessive de l’enquête ainsi que de l’absence d’enquête effective sur la mort de son époux. Elle déplorait également l’absence de cadre légal pour réglementer ce type d’intervention policière.

Décision de la Cour. La Cour déclare la requête recevable, et constate la double violation de l’article 2 de la CESDH. En outre, elle relève qu’elle a déjà formulé des constats similaires dans trois autres affaires contre la Roumanie (CEDH, 25 juin 2013, Req. 6978/08, Gheorghe Cobzaru c/ Roumanie N° Lexbase : A3868KHQ ; CEDH, 11 février 2014, Req. 14974/09, Gramada c/ Roumanie N° Lexbase : A9663MDA et CEDH, 17 janvier 2017, Req. 40374/11 Boaca et autres c/ Roumanie) et impose des mesures générales au niveau national afin d’assurer l’exécution du présent arrêt en application de l’article 46 de la CESDH N° Lexbase : L4782AQ8.

En premier lieu, la violation de l’article 2 de la CESDH résulte du défaut de proportionnalité du recours à la force policière.

En effet, la Cour n’est pas convaincue par les allégations selon lesquelles les policiers étaient exposés à un danger clair et immédiat, ni de la nature accidentelle du coup de feu. Elle considère en outre que le policier, auteur du coup de feu, avait pour seule mission d’identifier le suspect et était, de fait, intervenu hors de sa mission. Enfin, elle souligne de sérieux problèmes dans la préparation et le contrôle de l’opération de police et l’absence de cadre législatif et administratif adéquat pour offrir aux citoyens des garanties contre l’arbitraire et l’abus de force.

Partant, les juges européens considèrent que l’action policière n’était pas absolument nécessaire pour empêcher la fuite de la victime ou écarter la menace que celle-ci représentait, l’opération n’ayant pas été planifiée de telle sorte à réduire au minimum tout recours à la force meurtrière.

En deuxième lieu, la Cour retient une violation de l’article 2 de la CESDH au motif que l’enquête interne menée sur les événements ayant conduit à la mort du défunt n’a pas été effective. Elle dénonce en outre la durée de cette enquête, à savoir de septembre 2009 à avril 2021.

Dans une affaire précédente, la Cour avait déjà eu à s’exprimer sur le recours à la force meurtrière des forces de police à la suite d’une erreur d’identification (Armani Da Silva c. Royaume-Uni, Req. 5878/08, 30 mars 2016 N° Lexbase : A9810RAL). Dans cette espèce, un ressortissant brésilien avait été abattu par erreur par des policiers l’ayant pris pour un kamikaze. Néanmoins, la Cour concluait à l’absence de violation de l’article 2 de la CESDH dans la mesure où une enquête approfondie avait été menée tant sur la responsabilité individuelle des policiers que sur la responsabilité institutionnelle de la police par différentes institutions.

Ce sont donc bien les défaillances des autorités à avoir mené une enquête effective sur la mort du défunt qui sont en cause dans l’espèce de l’arrêt du 30 août 2022.

En troisième lieu, elle rappelle qu’au titre de l’article 46 de la CESDH il existe une obligation pour les États contractants de se conformer aux arrêts de la Cour. Si l’État partie à une affaire est en principe libre de choisir les moyens dont il usera pour se conformer à un arrêt constatant une violation, elle acte ici de la nécessité d’ordonner des mesures générales afin d’assurer l’exécution de l’arrêt, et se réfère pour ce faire à une demande formulée par le Comité des ministres dans un autre groupe d’affaires roumaines et à une recommandation formulée par le Comité européen pour la prévention de la torture du Conseil de l’Europe (CPT) dans son rapport de 2022 sur la Roumanie.

La multiplication des violations concernées pose, de fait, une véritable question quant à l’efficacité des arrêts de condamnation de la CEDH, lesquels font face à des difficultés d’exécution dans certains États.

Il n’en reste pas moins que la solution de la Cour, bien que préexistante, œuvre comme une piqure de rappel sur l’usage de la force de police, qui doit être strictement proportionné et sur la nécessaire mobilisation des institutions étatiques en charge de mener des investigations approfondies sur cette proportionnalité.

Les faits à l’origine de la décision de la Cour ne sont pas sans rappeler ceux ayant suscité un vif émoi en juin dernier dans le 18e arrondissement de Paris, lorsqu’une passagère de vingt ans a été tuée d’une balle par l’un des fonctionnaires de police, à l’occasion d’un refus d’obtempérer commis par le conducteur sans être titulaire du permis de conduire et sous l’empire d’un état alcoolique.

En France, le principe de l’usage des armes par les forces de l’ordre est encadré par l’article L. 435-1 du Code de la sécurité intérieure N° Lexbase : L1138LDI, fait justificatif spécial conduisant à l’irresponsabilité pénale et anciennement régie par l’article 122-4-1 du Code pénal N° Lexbase : L4817K8W. Selon ces dispositions, les policiers et gendarmes amenés à user de leur arme doivent agir « dans l’exercice de leurs fonctions » et être « revêtus de leur uniforme ou des insignes extérieurs et apparents de leur qualité », dans les cas limitativement énumérés dans l’article et « en cas d’absolue nécessité et de manière strictement proportionnée ».

Dans l’arrêt d’espèce, il ressort en effet que les policiers n’étaient revêtus d’aucun uniforme ou insigne extérieur et apparent de leur qualité, ce que n’a pas manqué de relever la Cour en ajoutant que « l’enquête n’a pas entièrement clarifié si les agents avaient clairement averti oralement qu’ils étaient de la police avant d’ouvrir le feu sur la voiture ».

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