Le Quotidien du 25 août 2022 : Droit pénal de la presse

[Brèves] Article 39 quinquies de la loi du 29 juillet 1881 : refus de transmission de QPC et absence de précision sur la notion de victime

Réf. : Cass. crim., 10 août 2022, n° 22-81.057, FS-B N° Lexbase : A10998EG

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N2462BZ9

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[Brèves] Article 39 quinquies de la loi du 29 juillet 1881 : refus de transmission de QPC et absence de précision sur la notion de victime. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/article-juridique/87671500-breves-article-39-i-quinquies-i-de-la-loi-du-29-juillet-1881-refus-de-transmission-de-qpc-et-absence
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par Helena Viana

le 21 Septembre 2022

► Par un arrêt en date du 10 août 2022, la Chambre criminelle a refusé de transmettre deux questions prioritaires de constitutionnalité portant sur l’article 39 quinquies de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse pour défaut de caractère sérieux.

Motifs des QPC. Les deux QPC étaient formulées dans le cadre d’un pourvoi formé contre l’arrêt de la cour d’appel de Paris chambre 2-7 en date du 3 février 2022. Dans son mémoire spécial en date du 16 mai 2022, le demandeur au pourvoi posait la question de la conformité de l’article 39 quinquies de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse N° Lexbase : C97894Y9 à la Constitution. Plus précisément, il reprochait à l’article de méconnaître le principe de légalité des délits et des peines tel que garanti par l’article 8 de la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen (DDHC) N° Lexbase : L1372A9P, ainsi que la liberté d’expression consacrée par l’article 11 de ce même texte N° Lexbase : L1358A98.

D’une part, le requérant invoque que l’article 39 quinquies précité méconnaîtrait le principe de légalité des délits et des peines en ce qu’il ne désigne pas précisément quelles sont les personnes pouvant être qualifiées de victimes.

D’autre part, le requérant invoque que ce même article méconnaîtrait la liberté d’expression en ce qu’il omet de distinguer le cas où la victime aurait elle-même diffusé les renseignements en cause ou l’image litigieuse permettant son identification au préalable.

Décision. La Chambre criminelle relève dans un premier temps que les deux questions sont applicables au litige et confirme l’absence préalable de déclaration de conformité. Dans un second temps, la Haute juridiction juge  qu’il n’y a pas lieu au renvoi des questions au Conseil constitutionnel en raison de l’absence de caractère nouveau ou sérieux.

La Cour énonce d’abord que la première question posée ne présente pas un caractère sérieux, en expliquant que la notion de victime est suffisamment précise et claire et que son interprétation relève de l’office du juge pénal. De ce fait, aucun risque d’arbitraire n’est encouru.

Ensuite, la Cour élude la question du caractère sérieux de la seconde question en énonçant que la disposition législative poursuit un objectif d’intérêt général (à savoir la protection de la dignité et de la vie privée de la victime) et ne prescrit pas une interdiction générale et absolue de diffusion d’informations sur des faits d’agression ou d’atteinte sexuelle. L’interdiction porte seulement sur certains éléments, et plus précisément les éléments permettant l’identification de la victime, et peut de surcroît être contournée en cas d’accord écrit de la victime. Elle en déduit que la disposition en cause assure une conciliation, qui n’est pas manifestement disproportionnée, entre la protection des victimes et la liberté d’expression des auteurs de diffusion d’informations la concernant.

Le contenu de l’information dévoilée est donc central : la Cour avait déjà eu l’occasion de rendre une décision à ce propos le 9 septembre 2020, dans laquelle elle cantonnait l’application de l’article 39 quinquies à la diffusion d’informations concernant l’identité de la victime. En cas d’atteinte à sa vie privée due à la divulgation sur les circonstances précises de l’infraction, la victime devra agir sur le fondement de l’article 9 du Code civil N° Lexbase : L3304ABY, dont le champ est plus large que celui de l’article 39 quinquies de la loi sur la liberté de la presse (Cass. civ. 1, 9 septembre 2020, n° 19-16.415, FS-P+B N° Lexbase : A55143TE).

En refusant de renvoyer la question prioritaire de constitutionnalité aux Sages de la rue de Montpensier, la Cour de cassation consacre une place importante à la protection de la victime d'infractions sexuelles. On peut effectivement entendre qu'elle s'y attache dans un contexte où la diffusion d’informations à caractère privé est favorisée par les médias et canaux numériques toujours croissants.

Toutefois la question de savoir ce qu’on doit entendre par la qualification de « victime » au sens de l’article 39 quinquies n’est pas infondée et a déjà suscité des interrogations dans le passé. Dans une affaire notoire concernant un célèbre islamologue accusé de viols aggravés, ayant dévoilé l’identité de la plaignante dans un livre qu’il a publié, et ce alors que l’instruction était en cours, se posait la question de savoir si l’identité révélée était-elle bien celle de la « victime » au sens de l’article 39 quinquies. La cour d’appel de Paris a récemment tranché par l’affirmative, confirmant la déclaration de culpabilité des juges du fond à l’encontre de l’auteur et de l’éditeur, appliquant le terme « victime » à toute personne se revendiquant comme telle (CA Paris, 2-7, 3 février 2022, n° 20-07154 : Légipresse 2022, 79).

On peut regretter que la question relative à la qualité de victime ait été balayée dans l’arrêt du 10 août 2022 sans plus de précisions pour encadrer l'appréciation de ce terme. Contrairement à l’exigence de précision qu’impose le principe de légalité des délits et des peines, on peut considérer qu’un certain aléa judiciaire semble subsister en cas d’application de l’article 39 quinquies.

Pour aller plus loin : E. Raschel, Panorama de droit pénal de la presse (septembre 2020 à mars 2021), Lexbase Pénal, mars 2021 N° Lexbase : N6862BYS.

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