Le Quotidien du 25 août 2022 : Fiscalité internationale

[Jurisprudence] L'ancien précompte immobilier n'est pas compatible avec la Directive mère-fille

Réf. : CJUE, 12 mai 2022, aff. C-556/20, Schneider Electric SE N° Lexbase : A16627XT

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N2253BZH

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par Fleur Chidaine, Responsable du service juridique de la société Exa, La Réunion

le 24 Août 2022

Mots-clés : dividendes • régime mère-filiale • précompte immobilier • CJUE • Directive 

La Cour de Justice de l’Union européenne (« CJUE ») s’est prononcée en mai dernier sur la compatibilité du régime du précompte mobilier de l’ancien article 223 sexies du Code général des impôts N° Lexbase : L9339LHD (« CGI ») avec la Directive (UE) n° 90/435/CE, du 23 juillet 1990 (Directive mère-filiale) (Directive (CE) 90/435 du Conseil, du 23 juillet 1990, concernant le régime fiscal commun applicable aux sociétés mères et filiales d'États membres différents N° Lexbase : L7669AUL).


 

Pour rappel, jusqu’en 2004, les dividendes distribués par des sociétés françaises à des bénéficiaires ayant leur domicile ou leur siège social en France étaient assortis d’un « avoir fiscal » à valoir sous forme de crédit d’impôt sur l’impôt personnel du bénéficiaire (ancien article 158 bis du CGI). En contrepartie de cet avoir fiscal, la société distributrice était tenue d’acquitter un « précompte mobilier » lorsque la distribution était prélevée sur des bénéfices n’ayant pas supporté l’impôt sur les sociétés aux taux normal ou remontant à plus de cinq ans (ancien article 223 sexies du CGI). Ce précompte était égal, en principe, à la moitié des sommes distribuées.

Les dispositions relatives au précompte mobilier, telles qu’interprétées par des commentaires administratifs, ont été appliquées à différentes sociétés dont Schneider Electric et L’Air Liquide au titre, selon les cas, des exercices 2000 à 2004, à raison de la distribution de sommes prélevées sur des bénéfices qui leur avaient été distribués par des filiales établies en France, dans d’autres États membres ou dans des États tiers.

Ces sociétés, ayant contesté ces impositions pour l’intégralité de leur montant, ont introduit devant le Conseil d’État un recours tendant à l’annulation des commentaires administratifs relatifs à l’ancien article 223 sexies, aux motifs que les commentaires attaqués réitèrent les dispositions instituant le précompte mobilier de l’article précité, lesquelles sont elles-mêmes incompatibles avec les dispositions de l’article 4 de la Directive 90/435 (concernant le régime fiscal commun applicable aux sociétés mères et filiales d’États membres différents), dès lors que le précompte mobilier a le caractère d’une mesure fiscale prévue par l’État membre d’une société mère prévoyant la perception de l’impôt à l’occasion de la distribution des dividendes par la société mère et dont l’assiette est constituée par le montant des dividendes distribués, y compris ceux provenant des filiales non résidentes de cette société.

Par une décision du 23 octobre 2020, le Conseil d’État a décidé de surseoir à statuer et de poser à la CJUE la question préjudicielle suivante : l’article 4 §1, de la Directive 90/435 doit-il être interprété en ce sens qu’il s’oppose à une réglementation nationale qui prévoit qu’une société mère est redevable d’un précompte en cas de redistribution à ses actionnaires de bénéfices versés par ses filiales, donnant lieu à l’attribution d’un avoir fiscal, lorsque ces bénéfices n’ont pas supporté l’impôt sur les sociétés au taux de droit commun et, le cas échéant, cette réglementation relève-t-elle de l’article 7 §2, de cette Directive ?  

Notons avant d’entrer dans les détails de cette décision qu’en substance, selon la Cour de Justice, dès lors que les sommes dues au titre du précompte dépassent le plafond de 5 % prévu à l’article 4 §2 de la Directive, la réglementation nationale instituant un tel précompte est contraire au paragraphe 2 dudit article, et une telle réglementation ne relève pas de l’article 7 §2 de la même Directive.

Ce faisant, elle s’aligne sur sa jurisprudence déjà bien établie concernant la non-conformité du précompte immobilier tel qu’il ressort des dispositions de l’article 223 sexies du CGI à l’article 4 §2 de la Directive 90/435, et apporte un éclaircissement supplémentaire concernant l’exclusion d’un tel précompte du champ d’application de l’article 7 §2 de la Directive précitée.

I. Sur l’interprétation de l’article 4 §1, de la Directive 90/435

À titre liminaire, il convient de rappeler que l’article 4 §1 de la Directive relative au régime fiscal commun applicable aux sociétés mères et filiales d’États membres différents prévoit que :

« 1. Lorsqu’une société mère reçoit, à titre d’associée de sa société filiale, des bénéfices distribués autrement qu’à l’occasion de la liquidation de celle-ci, l’État de la société mère :

  • soit s’abstient d’imposer ces bénéfices ;
  • soit les impose, tout en autorisant cette société à déduire du montant de son impôt la fraction de l’impôt de la filiale afférente à ces bénéfices et, le cas échéant, le montant de la retenue à la source perçue par l’État membre de résidence de la filiale en application des dispositions dérogatoires de l’article 5, dans la limite du montant de l’impôt national correspondant.

2. Toutefois, tout État membre garde la faculté de prévoir que des charges se rapportant à la participation et des moins-values résultant de la distribution des bénéfices de la société filiale ne sont pas déductibles du bénéfice imposable de la société mère. Si, dans ce cas, les frais de gestion se rapportant à la participation sont fixés forfaitairement, le montant forfaitaire ne peut excéder 5% des bénéfices distribués par la société filiale ».

Le législateur français a opté, par l’institution des articles 145 N° Lexbase : L6168LUY et 216 N° Lexbase : L7529LX7 du CGI, pour le système d’exonération.

La Cour de Justice avait déjà eu l’occasion de se prononcer sur la question de la conformité avec l’article 4 de la Directive 90/435 du dispositif de précompte mobilier dans deux arrêts C-68/15 (CJUE, 17 mai 2017, aff. C-68/15, X N° Lexbase : A9847WCP) et C-365/16 (CJUE, 17 mai 2017, aff. C-365/16, Association française des entreprises privées (AFEP) N° Lexbase : A9846WCN) du 17 mai 2017, jugeant notamment qu’ « une imposition des bénéfices distribués par une filiale à sa société mère par l’État membre de la société mère dans le chef de cette société lors de la redistribution de ces derniers, qui aurait pour effet de soumettre lesdits bénéfices à une imposition dépassant le plafond de 5 % prévu à l’article 4, paragraphe 2, de la Directive 90/435, entraînerait une double imposition au niveau de ladite société contraire à cette Directive ».

Une imposition par un État membre de la société mère des bénéfices distribués par la filiale, lors de leur redistribution, qui aurait pour effet de soumettre lesdits bénéfices à une imposition dépassant le plafond de 5 % prévu à l’article 4 §2 de la Directive, entraînerait une double imposition au niveau de cette société, contraire à cette Directive. La Cour de Justice en déduit que les dispositions de l’article 4 §1-a) de la Directive 2011/96 du 30 novembre 2011, qui reprennent la teneur des dispositions de l’article 4 §1 de la Directive 90/435, l’objectif des deux directives étant par ailleurs le même, doivent être interprétées en ce sens qu’elles s’opposent « à une mesure fiscale prévue par l’État membre d’une société mère prévoyant la perception d’un impôt à l’occasion de la distribution des dividendes par la société mère et dont l’assiette est constituée par les montants des dividendes distribués, y compris ceux provenant des filiales non résidentes de cette société ».

La Cour de Justice précise également que le droit à un crédit d’impôt n’est pas de nature à remédier aux effets de la réglementation incompatible avec la Directive 90/435, pour plusieurs raisons :

  • d’une part, la possibilité de bénéficier d’un tel crédit d’impôt est notamment soumise à la condition que les contribuables aient introduit des procédures administratives et juridictionnelles à cet égard et qu’ils soient en mesure d’apporter les preuves qu’ils remplissent les conditions de l’avantage fiscal prévu par la législation (CJUE, 4 octobre 2018, aff. C-416/17, Commission européenne c/ République française N° Lexbase : A5566YEU), tandis que les États membres n’ont pas le droit de soumettre le bénéfice de l’avantage résultant de l’article 4 §1 de la Directive à des conditions autres que celles prévues par la Directive (précisé par CJUE, 19 décembre 2019, aff. C-389/18, Brussels Securities SA N° Lexbase : A4763Z8W) ;
  • d’autre part, la Cour souligne que la prise en compte du crédit d’impôt conduit, en substance, à appliquer aux dividendes perçus des filiales résidentes dans un État membre autre que celui concerné une méthode d’imputation ;
  • enfin, la Cour rappelle que le crédit d’impôt ne permettait pas toujours d’effacer totalement le précompte payé (notamment lorsque le taux d’impôt perçu dans un État membre autre que la France était inférieur à l’impôt français).

► À la lumière de ces éléments, la CJUE rappelle que l’article 4 paragraphe 1 de la Directive 90/435 doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à une réglementation nationale qui prévoit qu’une société est redevable d’un précompte en cas de redistribution à ses actionnaires de bénéfices versés par ses filiales, donnant lieu à l’attribution d’un avoir fiscal, lorsque ces bénéfices n’ont pas supporté l’impôt sur les sociétés au taux de droit commun, dès lors que les sommes dues au titre de ce précompte dépassent le plafond de 5 % prévu à l’article 4 paragraphe 2 de cette Directive.

II. Sur l’interprétation de l’article 7, paragraphe 2 de la Directive 90/435

L’article 7 §2 de la Directive prévoit que « La présente Directive n’affecte pas l’application de dispositions nationales ou conventionnelles visant à supprimer ou à atténuer la double imposition économique des dividendes, en particulier les dispositions relatives au paiement de crédits d’impôt aux bénéficiaires de dividendes ».

La Cour de Justice rappelle que le précompte, tel qu’il est visé dans l’affaire au principal, n’entraîne pas une imposition en faveur de l’État membre où est située la filiale, mais consiste en un paiement en faveur de l’État membre où est située la société mère, à la charge de cette dernière société.

Se fondant sur sa propre jurisprudence, la Cour de Justice rappelle que les dispositions de l’article 7 §2 de la Directive permettent seulement de préserver l’application de régimes nationaux ou conventionnels spécifique, dès lors que ceux-ci sont conformes à la finalité de cette Directive (CJCE, 25 septembre 2003, aff. C-58/01, Océ van der Grinten NV c/ Commissioners of Inland Revenue N° Lexbase : A6740C9I) et visent à supprimer ou à atténuer la double imposition économique des dividendes (CJCE, 3 avril 2008, aff. C-27/07, Banque Fédérative du Crédit Mutuel c/ Ministre de l'Économie, des Finances et de l'Industrie [A7376D7C]). Compte tenu de cet objectif, la Cour précise qu’un prélèvement fiscal ne pourrait être considéré comme relevant du champ d’application de cet article que si l’application de ce prélèvement n’annulait pas les effets des dispositions nationales ou conventionnelles visant à supprimer ou à atténuer la double imposition économique des dividendes (CJUE, 24 juin 2010, aff. C-338/08, P. Ferrero e C. SpA c/ Agenzia delle Entrate - Ufficio di Alba N° Lexbase : A2733E3M).

À la lumière de ces positions jurisprudentielles, la CJUE vient préciser qu’au cas présent, le précompte mobilier tel qu’il résultait de l’article 223 sexies du CGI était l’un des éléments constitutifs d’un mécanisme d’élimination de la double imposition économique des revenus distribués, qui visait à faire obstacle à ce que, en cas de distribution de bénéfices donnant lieu à l’attribution d’un avoir fiscal, lorsque ces bénéfices n’ont pas supporté l’impôt sur les sociétés au taux de droit commun , le crédit d’impôt dont sont assortis ces revenus se trouve dépourvu de justification au regard de la charge fiscale supportée par la société distributrice à raison des bénéfices sur lesquels ils sont prélevés et, ainsi, à éviter que l’attribution de ce crédit d’impôt constitue un « effet d’aubaine » pour le bénéficiaire des distributions, lorsque les distributions de bénéfices ont donné lieu à l’attribution d’un avoir fiscal sans avoir supporté l’impôt sur les sociétés au taux de droit commun. En effet, en ce qui concerne les dividendes perçus par une société mère des filiales résidentes, lorsqu’ils étaient distribués, l’avoir fiscal s’imputait sur le précompte dû, sans que ledit précompte diminue la masse distribuable des dividendes. En revanche, concernant les dividendes perçus des filiales non-résidentes, dans la mesure où la société mère ne bénéficiait pas d’un avoir fiscal sur ces dividendes, l’application du précompte avait pour effet de diminuer la masse des dividendes distribuables (CJUE, 15 septembre 2011, aff. C-310/09, Ministre du Budget, des Comptes publics et de la Fonction publique c/ Accor SA N° Lexbase : A7302HXQ).

Partant, si les dispositions de l’article 223 sexies du CGI visaient bien à prévenir la double imposition économique des dividendes au niveau national, l’application du précompte était susceptible d’avoir pour effet de soumettre les bénéfices perçus par une société mère de ses filiales établies dans un État membre autre que celui concerné à une double imposition économique lors de leur redistribution.

Dès lors, un tel prélèvement dont l’application mettrait en œuvre une double imposition est naturellement exclu de l’article 7 §2 de la Directive.

Rappelant en outre que la Directive vise à éliminer toute double imposition des bénéfices distribués par  une filiale à sa société mère au niveau de la société mère en termes économiques (c’est-à-dire à chaque niveau), la Cour en tire la conséquence qu’un mécanisme ayant pour effet de soumettre les bénéfices perçus par une société mère de ses filiales établies dans un État membre autre que celui concerné à une double imposition économique lors de leur redistribution ne soit en aucun cas conforme à la finalité de ladite Directive, laquelle vise à préserver l’application de régimes nationaux ou conventionnels dès lors que ceux-ci sont conformes à sa finalité.

Enfin, la Cour précise que l’application de la réglementation en cause, ayant pour effet de soumettre les bénéfices perçus par une société mère de ses filiales établies dans un autre État membre à une double imposition économique lors de leur redistribution ne saurait être considérée comme compatible avec l’objectif de la Directive, et ce, même lorsque les effets de la double imposition peuvent éventuellement être atténués par une demande ultérieure de restitution des montants indûment versés, fondée sur l’incompatibilité du versement de ces montants avec les articles 49 N° Lexbase : L2697IPL et 63 N° Lexbase : L2713IP8 du TFUE.

Tirant les conséquences de ce qui précède, la Cour vient ainsi (i) rappeler que l’article 4 paragraphe 1 de la Directive 90/435/CEE du Conseil du 23 juillet 1990 concernant le régime fiscal applicable aux sociétés mères filles d’États membres différents, doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à une réglementation nationale qui prévoit qu’une société mère est redevable d’un précompte en cas de redistribution à ses actionnaires de bénéfices versés par ses filiales, donnant lieu à l’attribution d’un avoir fiscal, lorsque ces bénéfices n’ont pas supporté l’impôt sur les sociétés au taux de droit commun, dès lors que les sommes dues au titre de ce précompte dépassent le plafond de 5 %, et (ii) précise que cette réglementation ne relève pas de l’article 7 paragraphe 2 de ladite Directive qui prévoit que cette dernière n’affecte pas l’application de dispositions nationales ou conventionnelles visant à supprimer ou atténuer la double imposition économique des dividendes.

Dans la pratique, cette décision vient donc s’ajouter au contentieux d’ores et déjà fourni, existant en la matière pour confirmer la non-conformité de l’ancien précompte mobilier à l’article 4 paragraphe 1 de la Directive 90/435/CEE et préciser que dans la mesure où ce dispositif conduit à une double imposition économique de la société mère en cas de redistribution, l’article 7 paragraphe 2 de la même Directive ne peut s’appliquer.

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