Réf. : Cass. crim., 23 mai 2013, 2 arrêts, FS-P+B, n° 12-83.721 (N° Lexbase : A9193KDT) et n° 12-83.780, FS-P+B (N° Lexbase : A9114KDW)
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par Guillaume Beaussonie, Maître de conférences à l'Université François-Rabelais de Tours
le 13 Juin 2013
En réponse, la cour d'appel de Nîmes refusait toutes les demandes de renvoi des affaires, relevant notamment, qu'outre le fait qu'un renvoi avait déjà été ordonné afin de permettre l'exercice des droits de la défense, "la nécessité d'assurer la continuité du cours de la justice et celle de permettre le jugement des prévenus dans un délai raisonnable [faisaient] obstacle à ce que l'absence du défenseur choisi et le refus de désignation d'un avocat d'office par l'Ordre des avocats entraînent nécessairement" un tel renvoi. Au surplus, précisait-elle, "la décision prise collectivement par un barreau, de suspendre toute participation des avocats aux audiences de cette chambre [...] pour une durée non précisée, [constituait] une circonstance insurmontable qui [justifiait] que la cour statue sur [les présentes affaires] en l'absence d'un conseil, dès lors que la présence effective de ce dernier [n'était] rendue obligatoire par aucun texte interne ou conventionnel et que toutes les formalités de l'article 417 du Code de procédure pénale [avaient] été accomplies en vue de faire respecter les droits de la défense".
Dans la seconde affaire, la cour d'appel de Nîmes ajoutait à cela que l'exigence de délai raisonnable s'avérait d'autant plus forte que les faits étaient anciens, de même que la date de l'audience qui avait fait l'objet du premier renvoi. De plus, la partie civile était, quant à elle, en état de plaider, et la procédure pénale engagée bloquait une instance prud'homale suspendue depuis plusieurs années dans l'attente de son issue.
A la suite des refus de renvoi opposés par la cour d'appel, certains prévenus avaient finalement sollicité par écrit la désignation d'un avocat commis d'office. Toutefois, le Bâtonnier avait, pour les raisons qui précèdent, refusé de procéder à cette désignation, les audiences s'étant donc poursuivies et les prévenus ayant, en définitive, tous été entendus sur le fond.
Saisie à son tour, la Chambre criminelle de la Cour de cassation rejette -sur ce point du moins- les différents pourvois formés contre les arrêts de la cour d'appel de Nîmes. Fidèle à son habitude, la Cour de cassation s'avère cependant plus laconique dans sa motivation : selon elle, il ressort simplement des arrêts attaqués que "la décision d'un barreau de suspendre sa participation aux audiences constitue une circonstance insurmontable justifiant que l'affaire soit retenue sans la présence d'un avocat". Sauf à préciser un peu malheureusement, dans la seconde affaire, qu'"en refusant la désignation d'un avocat d'office et en quittant la salle d'audience, les prévenus n'ont pas entendu faire valoir leurs moyens de défense". La première affaire, où le contraire s'est produit, montre pourtant que cela n'aurait pas changé grand chose...
Que retenir de tout cela ? Une certaine conception de la circonstance insurmontable, sans aucun doute, qui, d'une part, est de nature à justifier que soit mis à l'écart le droit d'un prévenu d'être assisté par son avocat durant une audience correctionnelle, et qui, d'autre part, s'apprécie davantage au regard de l'intérêt général, incarné par un procès qui doit s'achever, qu'au regard des intérêts particuliers des prévenus.
Cette prévalence sans grande nuance de l'efficacité sur la sécurité -toutes deux entendues au sens procédural- aboutit, bien logiquement, à une tautologie : la circonstance insurmontable en cause dans ces arrêts justifie l'absence de l'avocat des prévenus durant l'audience correctionnelle (I), et elle se justifie par l'absence d'un avocat immédiatement disponible pour la justice pénale (II).
I - Une circonstance insurmontable justifiant l'absence d'avocat durant l'audience
Si la "circonstance insurmontable" n'est pas une inconnue en procédure pénale, celle-ci justifiant par exemple certains retards pris par les enquêteurs dans les diligences qui leur incombent en matière de garde à vue (2), son utilisation durant une audience correctionnelle apparaît inédite. La circonstance insurmontable semble alors devenir une cause générale de justification de certaines atténuations portées aux droits de la défense (A), le droit atténué en l'espèce étant celui d'être assisté par un défenseur (B).
A - L'atténuation des droits de la défense
Il n'existe pas de règle générale en vertu de laquelle toute circonstance insurmontable, en procédure pénale, autorise une atténuation des droits de la défense. Force est cependant de constater que nombre de dispositions et de décisions s'y réfèrent pour justifier de telles limitations.
Parfois, la circonstance insurmontable est une cause légale d'inapplication d'une règle elle-même légale : absence de remise en liberté d'une personne retenue à la suite d'un mandat d'amener malgré le non-respect des délais imposés (3) ; absence de mainlevée d'un placement sous contrôle judiciaire ou sous assignation à résidence avec surveillance électronique malgré le non-respect du délai dont dispose la chambre de l'instruction pour statuer sur de telles demandes ; idem en matière de détention provisoire (4) ; absence de remise en liberté d'une personne arrêtée mais non transférée à la maison d'arrêt du ressort de la cour d'appel de Paris dans les délais requis, en matière de crimes internationaux (5) ; etc..
Parfois, comme c'est le cas en l'espèce, c'est la jurisprudence qui se réfère à l'existence d'une circonstance insurmontable, sans que le texte concerné ait préalablement prévu le recours à cette forme d'atténuation de ses exigences. Par exemple, la Chambre criminelle de la Cour de cassation a pu considérer que la circonstance imprévisible et insurmontable que constitue une grève des personnels pénitentiaires peut opérer validation du non-respect de l'article 114, alinéa 2, du Code de procédure pénale (N° Lexbase : L8632HWM), dès lors qu'il n'a pas été porté atteinte aux intérêts de la partie concernée (6). On retrouve d'ailleurs déjà, dans ces hypothèses jurisprudentielles, le cas du mouvement collectif d'un barreau (7).
Que faut-il, en définitive, entendre par "circonstance insurmontable" ? Sans faire l'objet d'une définition précise par le Code de procédure pénale et la jurisprudence, la circonstance insurmontable paraît être à la procédure pénale ce que la force majeure est au droit civil : un évènement qui se caractérise par son irrésistibilité. Sa réalisation justifie que l'application d'une règle -la plupart du temps protectrice- soit écartée, parce que l'autorité qui était en charge de la mettre en oeuvre se trouvait alors dans l'impossibilité de le faire.
La mesure de cette impossibilité réside certainement dans l'appréciation du caractère insurmontable de la circonstance. Avant d'approfondir ce point, ce à quoi incitent également les arrêts rendus par la Chambre criminelle, il faut voir quelle règle a, en l'occurrence, été atténuée par l'existence d'une circonstance impossible à surmonter.
B - L'atténuation du droit à l'assistance d'un défenseur
C'est, sans véritable surprise, l'article 417 du Code de procédure pénale qui est en cause dans ces deux arrêts rendus le 23 mai 2013. Ce texte suscite un contentieux relativement important, puisqu'il a pour objet de déterminer la mesure de l'intervention de l'avocat du prévenu durant l'audience correctionnelle. Dès lors qu'il ne s'agit pas d'imposer sa présence, il est effectivement nécessaire de trouver un équilibre entre l'existence et l'absence d'un défenseur. Or, à l'examen, il appert que cet équilibre n'est pas si facile à atteindre.
Certaines décisions encouragent à la présence de l'avocat, par exemple en considérant que le droit à l'assistance d'un défenseur lors de l'audience correctionnelle implique, non seulement, que le prévenu ait pu en bénéficier lorsqu'il en a manifesté le souhait, mais encore qu'il ait été préalablement informé de cette prérogative (8).
D'autres décisions, comme les arrêts du 23 mai 2013, entretiennent en revanche une conception restrictive du droit à l'assistance d'un défenseur au stade de l'audience correctionnelle. Par exemple, a pu être jugé par la Cour de cassation que "les conditions météorologiques qui n'ont pas empêché le prévenu de se rendre à l'audience ne constituent pas un cas de force majeure justifiant l'absence de l'avocat choisi par le prévenu" (9). En conséquence, le renvoi demandé par le prévenu a été rejeté.
Qu'en conclure relativement à ce droit parfois limité à l'assistance d'un défenseur durant l'audience correctionnelle ? La Chambre criminelle de la Cour de cassation a, à plusieurs reprises, considéré que l'article 417 du Code de procédure pénale n'était pas contraire à l'article 6 § 3 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme (N° Lexbase : L7558AIR), du moins en ce que ce texte n'impose pas la présence de l'avocat durant une audience pénale. Cela est sans doute vrai, à une condition cependant : que le droit de bénéficier de cette présence soit effectif lorsqu'il prétend être exercé.
Or, après d'autres, les arrêts du 23 mai 2013 démontrent qu'en raison du choix qui a été fait de consacrer un droit plutôt qu'une obligation, la volonté du prévenu ne sera pas toujours entendue. Cela reste cependant acceptable, aux seules conditions, soit que d'autres impératifs que la protection des droits du mis en cause s'imposent pour justifier l'affaiblissement de sa défense, soit que l'on ne puisse faire autrement.
A la lecture des arrêts du 23 mai 2013, où la cour d'appel de Nîmes motivait ses décisions sur les deux terrains à la fois, la Chambre criminelle de la Cour de cassation ne retient que le dernier chemin : celui qui, selon elle, la place dans l'obligation de contourner la protection en raison de l'existence d'une "circonstance insurmontable".
II - Une circonstance insurmontable justifiée par l'absence d'avocat à la disposition de la justice
Dans ces deux arrêts rendus le 23 mai 2013, la Chambre criminelle de la Cour de cassation perçoit comme insurmontable l'indisponibilité immédiate, pour la justice, de l'ensemble des avocats compétents.
De cet état de fait constaté en début d'audience (A), elle tire comme conséquence nécessaire que l'audience doit se poursuivre sans avocat (B).
A - La cause : une audience débutée sans avocats
La cause des décisions de la Cour de cassation réside donc dans l'existence d'une circonstance perçue comme insurmontable : l'indisponibilité immédiate de l'ensemble des avocats compétents en raison d'un mouvement collectif.
Indisponibilité immédiate, car rien ne dit que ces avocats n'auraient pas été disponibles lors d'une prochaine audience, à la condition bien sûr que la juridiction ait accordé le renvoi.
Ensemble des avocats compétents, car c'est tout le barreau qui était concerné par le mouvement, or la commission d'office d'un avocat par le président du tribunal correctionnel s'opère nécessairement au sein dudit barreau. Au surplus, le Bâtonnier lui-même participait au mouvement.
Pour autant, l'appréciation du caractère insurmontable de cette absence provisoire d'avocat à la disposition de la juridiction correctionnelle ne s'arrêtait pas à ce simple constat, en soi insuffisant à expliquer en quoi on ne pouvait y remédier.
Il est, en effet, une donnée temporelle qui semble entrer en ligne de compte, même si seule la cour d'appel de Nîmes s'y réfère expressément : l'exigence de respect d'un délai raisonnable, d'autant plus prégnante que, dans les deux affaires, un premier renvoi avait été concédé, explique sans aucun doute que plus de temps ne puisse être accordé à l'attente d'un dénouement du mouvement collectif amorcé par les avocats. Si le temps n'était pas une donnée fondamentale dans l'appréciation de la circonstance, on ne comprend pas bien ce que celle-ci aurait de véritablement insurmontable. Le temps, cependant, renvoie lui-même à d'autres impératifs encore, principalement celui d'assurer la continuité du cours de la justice -comme le souligne de nouveau la cour d'appel de Nîmes-, ainsi que sa réalisation -il faut bien trancher le litige-.
Dans un arrêt précédent, très comparable à ceux du 23 mai 2013, la Chambre criminelle de la Cour de cassation a d'ailleurs précisément retenu ces motifs pour justifier sa décision : "si l'article 417 du Code de procédure pénale, comme l'article 6 § 3 c de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales, reconnaissent au prévenu le droit de se faire assister par un défenseur de son choix, la nécessité d'assurer la continuité du cours de la justice et celle de permettre le jugement des prévenus dans un délai raisonnable font obstacle à ce que l'absence du défenseur choisi entraîne nécessairement le renvoi de l'affaire" (10).
C'est donc une "insurmontabilité" très relative qui se trouve finalement consacrée dans les arrêts du 23 mai 2013 : c'est une "insurmontabilité" à partir d'un certain seuil temporel, celui d'un éventuel second renvoi, en l'occurrence refusé.
B - La conséquence : une audience poursuivie sans avocats
Parce qu'il existait une circonstance insurmontable au regard de la Cour de cassation, les audiences correctionnelles ont donc légitimement suivi leurs cours sans les avocats des prévenus. Il ne reste alors qu'à se demander si une telle décision peut se justifier en considération des droits de la défense dont ces derniers doivent bénéficier.
Dans un certain nombre de cas, en effet, la Chambre criminelle de la Cour de cassation, lorsqu'elle justifie l'écart pris par une autorité des règles protectrices du Code de procédure pénale, vérifie s'il n'a pas été porté une atteinte aux intérêts de la personne concernée. Pour reprendre un exemple déjà donné, elle a ainsi pu considérer que le non-respect des exigences de l'article 114, alinéa 2, du Code de procédure pénale ne nécessitait pas de sanction, en cas de circonstance insurmontable, dès lors qu'il n'a pas été porté atteinte aux intérêts de la partie concernée (11).
Dans le second arrêt rendu le 23 mai 2013, cette idée n'est pas absente, qui transparaît à travers la volonté de la Cour de cassation de mettre en avant, au sein de ses motifs, le fait qu'"en refusant la désignation d'un avocat d'office et en quittant la salle d'audience, les prévenus n'ont pas entendu faire valoir leurs moyens de défense".
Pour autant, outre que cette autre raison de la solution rendue par la Chambre criminelle n'apparaît que dans ce second arrêt, celle-ci ne pouvant donc prétendre participer d'une explication générale des deux décisions, la logique qui préside à l'établissement d'une telle solution reste, très clairement, de faire privilégier l'intérêt général -entendu comme celui de la justice- sur les intérêts particuliers.
En creux, et plus largement, cela renseigne assurément sur ce que demeure le procès pénal qui, bien que devant toujours s'accomplir dans le respect d'un équilibre subtil entre les intérêts publics et les intérêts privés, n'en doit pas moins s'accomplir, lorsque cet équilibre n'a pas pu être trouvé. Autrement dit, c'est l'intérêt général qui finit toujours par primer !
(1) C. proc. pén., art. 274 (N° Lexbase : L3663AZP).
(2) C. proc. pén., art. 63-2 (N° Lexbase : L9744IPL) et 63-3 (N° Lexbase : L9745IPM).
(3) C. proc. pén., art. 130-1 (N° Lexbase : L3478AZT).
(4) C. proc. pén., art. 194 (N° Lexbase : L3906IR4).
(5) C. proc. pén., art. 627-6 (N° Lexbase : L3845IRT).
(6) Cass. crim., 5 mars 2002, n° 01-88.625 (N° Lexbase : A9054CMB), Procédures, 2002, comm. 146, obs. J. Buisson.
(7) Cass. crim., 9 mai 1994, n° 94-80.802 (N° Lexbase : A8711ABA) ; Cass. crim., 15 février 1995, n° 94-85.251 (N° Lexbase : A5177CTW).
(8) Cass. crim., 24 novembre 2010, deux arrêts, n° 10-80.551, F-P+B (N° Lexbase : A2769GNU) et n° 10-82.772, FS-P+B (N° Lexbase : A2788GNL). Voir les observations de M. Sanchez in Chronique de procédure pénale - Janvier 2011, Lexbase Hebdo n° 424 du 20 janvier 2011 - édition privée (N° Lexbase : N1565BRE).
(9) Cass. crim., 17 janvier 1996, n° 95-82.114 (N° Lexbase : A9152ABL), Procédures, 1996, comm. 192, obs. J. Buisson.
(10) Cass. crim., 17 janvier 1996, n° 95-82.114, préc..
(11) Cass. crim., 5 mars 2002, préc. note 6.
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