Le Quotidien du 4 juillet 2022 : Actualité judiciaire

[A la une] Procès des attentats du 13 novembre : l’humanité a gagné, la Justice aussi

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par Vincent Vantighem, Journaliste judiciaire

le 27 Juillet 2022

La vie réserve parfois de drôles de clins d’œil. Tout avait commencé, un vendredi 13 novembre 2015, sur une terrasse de café. Dans le sang et les larmes. Et tout cela s’est achevé sur une terrasse de café également. Une autre évidemment… Celle des « Deux Palais », le célèbre bistrot qui fait face à la cour d’appel de Paris sur l’île de la Cité. Jusqu’à trois heures du matin… Il y avait là des parties civiles, des avocats de la défense, des journalistes bien sûr. Les trois avocats généraux du Parquet national antiterroriste (PNAT) aussi. Et même trois accusés qui avaient comparu libres lors de l’audience et qui venaient d’obtenir le droit de le rester… Comme si tout ce petit monde, pris dans un bout de l’Histoire avec un grand « H », ne parvenait pas à la quitter après dix mois d’un procès harassant… Comme s’ils avaient besoin de communier une dernière fois avant de tenter de reprendre le cours de leur vie, si tant est que cela soit possible.

La cour d’assises spécialement composée a rendu, mercredi 29 juin, peu après 20 heures, son verdict dans l’affaire des attentats du 13 novembre. « V13 » pour « vendredi 13 » dans le jargon judiciaire. Juger de tels actes d’horreur, sept ans après les faits, dans un contexte aussi particulier n’était pas une chose aisée. Mais l’humanité a gagné. Et avec elle, la Justice… Tour d’horizon des leçons d’un procès hors-norme…

L’œuvre de justice saluée de toutes parts

Il fallait les voir en septembre dernier. Ces avocats. Ces journalistes. Et ces anonymes. Tous experts d’une justice qui n’avait jamais été rendue sous cette forme. Dubitatifs pour ne pas dire critiques envers un procès qui ne faisait alors que débuter. Trop long (dix mois d’audience) pour certains… Trop coûteux (10 millions d’euros rien que pour construire la salle d’audience spéciale qui a accueilli les débats) pour d’autres… Trop tourné vers les victimes et leurs proches avec une barre censée recueillir les témoignages de 450 parties civiles. Trop inutile pour les plus radicaux qui ne voyaient pas l’intérêt de juger quelqu’un comme Salah Abdeslam, sans craindre de se mettre ainsi au même niveau de barbarie que l’État islamique lui-même…

Dix mois plus tard, après 149 journées d’audience, après deux jours et demi de délibéré, rares sont ceux qui osent encore critiquer l’œuvre de justice telle qu’elle a été rendue. Tout simplement parce que ce procès a tenu ses objectifs. Le premier consistait à faire tenir un dossier de 53 tomes de procédure (plus haut que le premier étage du tribunal judiciaire de Paris) en dix mois d’audience et en dépit des menaces du covid. Il a parfois agacé les protagonistes, mais le président Jean-Louis Périès a tenu bon sur le calendrier, permettant aux accusés de pouvoir basculer à la rentrée en Belgique pour comparaître au procès des attentats de Bruxelles.

C’est donc avec un petit mois de retard que le président a livré le verdict tant attendu. Ensuite, il faut saluer le fait que l’audience s’est tenue en plein cœur de Paris pendant quasiment une année scolaire sans être touchée par un acte de malveillance ou terroriste.

Au-delà des contingences matérielles et sécuritaires, le procès aura surtout permis de laisser la parole s’exprimer. Celles des victimes et de leurs familles, se succédant des mois durant à la barre de cette salle lumineuse dans un drôle d’effet à la fois éclairant pour la cour et en même temps cathartique pour elles-mêmes. Celles des accusés aussi au premier rang desquels Salah Abdeslam qui a admis avoir « évolué » grâce à ce procès.

La perpétuité incompressible pour Salah Abdeslam

En un peu moins de trente ans d’existence (depuis 1994 exactement), elle n’avait été prononcée qu’à quatre reprises dont une fois pour sanctionner « L’ogre des Ardennes » Michel Fourniret. La peine de perpétuité incompressible a donc été délivrée par la cour d’assises spéciale à l’encontre de Salah Abdeslam. À la hauteur donc des réquisitions du Parquet national antiterroriste à l’égard du seul membre encore en vie des commandos du 13 novembre. « Il a conduit la Clio qui a mené le commando à la mort », a sobrement indiqué le président de la cour en lisant les motivations du verdict à ce propos. Et l’enquête a aussi démontré que sa ceinture explosive n’était pas « fonctionnelle ». Cela a son importance dans le dossier.

Après s’être présenté comme « un combattant de l’État islamique » le premier jour de l’audience, Salah Abdeslam avait peu à peu adouci son propos lors des audiences. Présentant ici des excuses qu’il disait « sincères » à l’égard des parties civiles. Pleurant même par moments. Surtout, il avait expliqué qu’il devait, dans le plan initial, se faire exploser dans un bar du 18e arrondissement de Paris, mais qu’il avait renoncé « par humanité » une fois à l’intérieur, après avoir vu des jeunes s’amuser, danser et boire des verres. Mais pour la cour, donc, tout cela n’est qu’un mensonge dans la mesure où sa bombe ne pouvait pas faire de dégâts…

Sur un fil de crête tout au long du procès, Salah Abdeslam, brillamment défendu, avait tenté de se faire passer pour « le petit gars de Molenbeek (Belgique) », le « petit vendeur de shit » dépassé par les pires attentats que la France n’a jamais connu. La cour d’assises n’a pas été sensible à cet argument en le condamnant donc à la peine la plus lourde qui existe en droit français. Celle qui prévoit une période de sûreté minimale de trente ans avant laquelle il ne sert à rien d’envisager de déposer une quelconque demande de permission de sortie ou d’aménagement de peine… Quand bien même, il leur ferait au bout de trente ans, il faudrait encore qu’elle passe le filtre de cinq magistrats professionnels. Autant dire qu’il n’est pas près de sortir de prison. « C’est une peine de mort sociale », avaient critiqué ses avocats lors des plaidoiries. C’est celle qu’a choisie la cour.

Sanctions pour les terroristes présumés morts, peines légères pour les « petites mains »

À quoi reconnaît-on qu’un verdict est équilibré quand un procès met aux prises vingt accusés et sept magistrats professionnels chargés de les juger ? Sans doute lorsqu’une cour ne délivre pas un « tarif de groupe ». En ce sens, la décision rendue par la cour d’assises dans le procès des attentats du 13 novembre est à saluer. Parmi les vingt accusés figuraient en effet cinq « gros poissons » tous présumés morts en Syrie. Oussama Attar considéré comme le commanditaire des massacres. Fabien et Jean-Michel Clain, reconnus comme les porte-paroles de l’État islamique et qui avaient revendiqué les attaques, l’un lisant un communiqué tandis que l’autre chantait des anashids (chants islamiques). Ahmad Alkhald présenté comme « l’artificier en chef » … Tous ont été condamnés, à l’instar de Salah Abdeslam, à la réclusion criminelle à perpétuité incompressible. Une peine allant au-delà de celles requises par le Parquet national antiterroriste.

Mais de l’autre côté de l’échiquier, ceux que les médias ont surnommés « les petites mains » ont écopé de peines plus légères que celles requises. C’est le cas d’Hamza Attou par exemple. Jugé pour être allé à Paris récupérer Salah Abdeslam après la soirée tragique, le plus jeune des accusés a écopé d’une peine de quatre ans de prison alors que six ans avaient été requis à son encontre. Idem pour Ali Oulkadi soupçonné d’avoir aidé Salah Abdeslam au début de sa cavale sans l’avoir dénoncé : il finit avec une peine de deux ans de prison ferme contre cinq ans requis. Abdellah Chouaa, lui, finit ce procès avec une peine d’un an de prison ferme déjà purgée pour avoir récupéré le terroriste à l’aéroport à son retour de Syrie, alors qu’une peine de six ans avait été requise.

Ali Oulkadi cinq ans dont trois avec sursis. Hamza Attou quatre ans dont deux avec sursis. Abdellah Chouaa quatre ans dont trois avec sursis.

La perspective d’un procès en appel ?

Avec vingt condamnés dans le box et un Parquet national antiterroriste terriblement impliqués dans ce procès qui l’aura occupé les sept dernières années, la question d’un procès en appel se pose évidemment. À l’énoncé du verdict, ils disposent tous d’un délai de dix jours pour faire appel. À quoi cela pourrait-il ressembler ? Impossible à dire maintenant… Mais le choix de la cour d’assises d’attribuer des « peines légères » aux « petites mains » vise peut-être aussi à éviter d’avoir une seconde audience aussi lourde que la première. On voit mal comment ils pourraient faire appel de ce verdict… Reste à savoir quelle attitude aura le parquet qui a obtenu satisfaction et même plus pour les cas de Salah Abdeslam et des gros bonnets du terrorisme islamique impliqués, mais n’a pas été totalement suivi concernant les seconds couteaux.

Dans une perspective d’un procès en appel, rares sont pourtant ceux qui imaginent une seconde audience aussi longue que la première et avec autant de parties civiles et de témoignages à la barre. De nombreuses victimes ont d’ailleurs indiqué qu’elles étaient épuisées par cette audience et qu’elles souhaitaient désormais tourner la page. « Je suis une victime des attentats à la retraite », a ainsi expliqué Bruno Poncet, rescapé du Bataclan.

La principale interrogation tient également dans l’attitude de Salah Abdeslam qui a souffert lors de ce procès, mais y a vu aussi une occasion « d’évoluer ». Et même d’espérer. Le jour de son interrogatoire sur les faits, il avait ainsi lâché au micro qu’il ne perdait pas espoir, un jour, peut-être, qui sait, de « pouvoir revoir [sa] famille » … Condamné à la peine la plus lourde qui soit, il doit envisager la possibilité de faire appel. À moins qu’il ne décide lui aussi de se murer, contraint et forcé, dans l’isolement de ses 9 m² de la prison de Fleury-Merogis. La salle d’audience, elle, est toujours debout. Dans les plans du ministère de la Justice, elle doit finir par être démontée. Mais pas tout de suite… Dès septembre, elle doit accueillir le procès de l’attentat de Nice du 14 juillet 2016… Un nouveau bout d’Histoire. Une nouvelle occasion de comprendre pourquoi la France a ainsi été endeuillée il n’y a pas si longtemps. Un nouveau moment pour rendre justice.

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