Réf. : Cass. com., 15 juin 2022, n° 20-16.070, FS-B N° Lexbase : A4831773
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N2013BZL
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par Jérôme Lasserre-Capdeville
le 29 Juin 2022
► Les intérêts et frais dus au titre de la période de préfinancement sont liés à l'octroi du prêt et entrent dans le calcul du taux effectif global, sous réserve qu'ils soient déterminables lors de la conclusion du contrat ;
Tel n’est pas le cas des intérêts dus au titre du capital libéré de manière progressive au cours de cette période, dès lors que leur montant dépend du rythme de cette libération, inconnu des parties lors de la souscription du prêt.
Le taux effectif global (TEG) reflète le « coût réel » du crédit. Il comprend nécessairement les intérêts conventionnels, auxquels s’ajoute l’ensemble des frais dont la dépense est rendue nécessaire pour l’obtention du crédit, du moment que ceux-ci sont déterminables au jour de l’offre. Plus précisément, pour l’article L. 314-1 du Code de la consommation N° Lexbase : L3335K7N, il prend en considération les intérêts conventionnels auxquels s’ajoutent « les frais, les taxes, les commissions ou rémunérations de toute nature, directs ou indirects, supportés par l'emprunteur et connus du prêteur à la date d'émission de l'offre de crédit ou de l'avenant au contrat de crédit, ou dont le montant peut être déterminé à ces mêmes dates, et qui constituent une condition pour obtenir le crédit ou pour l'obtenir aux conditions annoncées ». On rappellera que, concernant le TEG applicable au crédit à la consommation et au crédit immobilier, appelé taux annuel effectif global (TAEG), les articles R. 314-4 N° Lexbase : L1404K9U et R. 314-5 N° Lexbase : L1405K9W du Code donnent des indications supplémentaires quant à son contenu.
Or, à plusieurs reprises, la jurisprudence a eu l’occasion d’indiquer que les frais intercalaires dus au titre de la période de franchise, dits aussi de « période de préfinancement », doivent être comptabilisés dans le calcul du TEG/TAEG (v. par ex., Cass. civ. 1, 17 juin 2015, n° 14-14.326, F-P+B N° Lexbase : A5272NLT, LEDB, septembre 2015, p. 6, obs. R. Routier ; Gaz. Pal., 10 septembre 2015, n° 253, p. 11, note J. Lasserre-Capdeville ; Cass. civ. 1, 14 décembre 2016, n° 15-26.306, P+B N° Lexbase : A2297SXD, D., 2017, p. 443, note J. Lasserre-Capdeville ; LEDB, février 2017, p. 1, n° 110g4, obs. S. Piédelièvre ; Banque et droit, mars-avril 2017, n° 172, obs. Th. Bonneau ; Cass. civ. 1, 10 octobre 2019, n° 17-27.440, F-D N° Lexbase : A0028ZRH ; Cass. civ. 1, 8 janvier 2020, n° 18-23.671, F-D N° Lexbase : A46553AN ; Cass. civ. 1, 20 octobre 2021, n° 20-13.742, F-D N° Lexbase : A00527A8, LEDB, décembre 2021, p. 4, n° 200k8, obs. N. Mathey). On notera que, pour plusieurs juridictions du fond, il importe peu que la durée de période soit dépendante de la volonté de l’emprunteur (CA Douai, 7 septembre 2017, n° 16/03057 N° Lexbase : A1251ZLW, LEDB décembre 2017, p. 4, obs. J. Lasserre-Capdeville ; CA Colmar, 23 mai 2018, n° 16/04231 N° Lexbase : A5210XPN, JCP E, 2018, n° 31-35, 1433, p. 46, note J. Lasserre-Capdeville ; CA Grenoble, 15 juillet 2020, n° 18/02044 N° Lexbase : A35503RW ; CA Douai, 10 septembre 2020, n° 17/06656 N° Lexbase : A46263TI).
La Haute juridiction est désormais plus stricte en la matière. Une décision en date du 15 juin 2022 en témoigne.
Faits et procédure. En l’espèce, le 23 juillet 2012, une banque avait consenti à M. et Mme O. un prêt à l’accession sociale destiné à financer l'acquisition d'un terrain et la construction de leur résidence principale, ce prêt comprenant une période d'anticipation de trente-six mois maximum, suivie d'une période d'amortissement progressif de trois cent vingt-quatre mois.
Les emprunteurs avaient assigné la banque aux fins de voir prononcer la déchéance du droit aux intérêts pour inexactitude du taux effectif global mentionné dans l’offre.
Or, la cour d’appel de Paris ayant rejeté leurs demandes, les époux O. avaient formé un pourvoi en cassation. Plusieurs moyens y étaient invoqués. Les différentes solutions dégagées par la Haute juridiction attirent alors l’attention.
Décision. En premier lieu, la Cour de cassation déclare que les intérêts et frais dus au titre de la période de préfinancement sont liés à l'octroi du prêt et entrent dans le calcul du taux effectif global, sous réserve qu'ils soient déterminables lors de la conclusion du contrat. Tel n'est pas le cas des intérêts dus au titre du capital libéré de manière progressive au cours de cette période, dès lors que leur montant dépend du rythme de cette libération, inconnu des parties lors de la souscription du prêt.
Voilà une solution notable. Si la durée de la période de préfinancement n’est pas fixe, mais résulte de la volonté de l’emprunteur, les intérêts et frais qui y sont liés n’ont pas à être pris en considération dans le calcul du TEG/TAEG.
En second lieu, en ayant relevé que l’offre de prêt prévoyait un déblocage progressif des fonds au cours de la période de préfinancement, au fur et à mesure de l’avancement des travaux, la cour d’appel en avait déduit à bon droit que les intérêts dus au titre de la phase de préfinancement n’étaient pas déterminables au moment de l’émission de l’offre de prêt, de sorte qu'ils n'avaient pas à être pris en compte dans le calcul du taux effectif global.
Cette décision se démarque alors des solutions rendues en la matière jusqu’ici, notamment par les juges du fond (v. supra). Il s’agit, objectivement, d’un revirement de jurisprudence. Cette solution est favorable au prêteur.
En dernier lieu, le droit des clauses abusives est ici abordé. Ainsi, pour rejeter la demande des emprunteurs tendant à voir déclarer abusive la clause du contrat prévoyant que le montant des échéances sera porté à leur connaissance à l'issue de la période d'anticipation, l'arrêt de la cour d’appel avait retenu qu’une telle stipulation ne pouvait caractériser une clause abusive, aucun déséquilibre n’existant au détriment des emprunteurs puisqu'un tel appareil dans son ensemble permet de prendre en considération les éléments de la situation particulière d'emprunteurs candidats à un prêt à l'accession sociale et qu'il résultait de la volonté commune des parties, alors qu'aucune disposition légale n'interdit de procéder autrement que par détermination d'une obligation constante, que la progressivité de l’amortissement est une des caractéristiques du prêt à l’accession sociale.
Or, en se déterminant de la sorte, par des motifs impropres à exclure l’existence d’un déséquilibre significatif que la clause litigieuse aurait pour objet ou pour effet de créer au détriment des emprunteurs, la cour d'appel avait privé sa décision de base légale au regard du droit applicable.
Dès lors, la Haute juridiction casse et annule la décision des juges du fond en ce qu’elle avait exclu le caractère abusif de la clause prévoyant que le montant des échéances sera porté à la connaissance des emprunteurs à l'issue de la période d'anticipation.
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