Le Quotidien du 13 juin 2022 : Justice

[A la une] Maintien du juge d’instruction, suppression de la Cour de justice de la République, renforts pour la justice civile… Les principales conclusions des États généraux de la justice

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[A la une] Maintien du juge d’instruction, suppression de la Cour de justice de la République, renforts pour la justice civile… Les principales conclusions des États généraux de la justice. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/article-juridique/85542445-a-la-une-maintien-du-juge-dinstruction-suppression-de-la-cour-de-justice-de-la-republique-renforts-p
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par Vincent Vantighem

le 22 Juin 2022

Cela vire au comique de répétition, à force... Depuis des semaines, il ne se passe pas un jour sans qu’un journaliste judiciaire sollicite le ministère de la Justice avec deux questions : quand le rapport du comité des États généraux de la justice sera-t-il rendu public ? Que va en faire exactement Éric Dupond-Moretti ? Sans doute amatrice d’oxymores, la Chancellerie n’offre en guise de réponse qu’un silence assourdissant. Sans doute parce qu’il a été convenu, en haut lieu, d’attendre les résultats des élections législatives pour connaître la marge de manœuvre de l’ancien ténor des barreaux devenu ministre de la Justice, en juillet 2020, et renouvelé à son poste il y a quelques semaines à peine.

Sans doute aussi parce qu’il sait que ce rapport de 217 pages et ses 33 annexes va constituer sa feuille de route pour les prochaines semaines voire les prochains mois. Nommée à Matignon le 21 mai dernier, Élisabeth Borne, la Première ministre, ne l’avait d’ailleurs pas caché dans une interview au Journal du dimanche. Si Éric Dupond-Moretti a été maintenu à son poste, en dépit de relations orageuses avec la magistrature et d’une double mise en examen pour « prise illégale d’intérêts » devant la Cour de justice de la République, c’est pour « qu’il puisse recevoir les conclusions des États généraux de la justice et engager rapidement leur mise en œuvre », avait-elle déclaré.

Enfin pas trop rapidement donc… Livrées le 16 mai, les conclusions des États généraux de la Justice, commandés en leur temps par Emmanuel Macron lui-même, devront donc patienter encore quelques semaines avant de servir de base à la réflexion sur le devenir de la justice. En attendant de connaître la fiche de lecture du principal concerné place Vendôme, Lexbase a pu consulter en avant-première ces conclusions comme quelques médias (Le Monde, Le Figaro, Dalloz Actualités, BFM TV). Tour d’horizon des principales réflexions avancées à l’issue de cette consultation citoyenne par les sept groupes de travail thématiques (justice civile, justice pénale, justice économique et sociale, justice de protection, prison et réinsertion, missions et statuts, pilotage des organisations)...

Une justice au bord de la rupture

Pas besoin de lire l’intégralité du rapport pour s’en rendre compte. Mais juste les trois premières lignes du sommaire : 1. « Une crise profonde, résultat de décennies de politiques publiques défaillantes », 1.1 « Une justice au bord de la rupture », 1.1.1 « La justice peine de plus en plus à remplir son rôle ». Perturbés par la sortie de la fameuse tribune de 3 000 magistrats publiée par Le Monde, fin novembre, les travaux des États généraux de la justice (EGJ) n’ont pu passer sous silence la question des moyens. Et leur réponse est tranchée.

Le comité des EGJ estime indispensable de « créer un volant d’au moins 1 500 postes de magistrats du siège et du parquet dans les cinq années à venir ». Un objectif qualifié de « minimal » au regard des 9 000 magistrats en poste, à l’heure actuelle, en France. Et surtout un objectif qui pourra être « révisé à la hausse » en fonction des réflexions en cours sur la charge de travail. Pour mémoire, Emmanuel Macron ne promettait « que » 1 000 postes de magistrats supplémentaires dans son programme présidentiel de 2022.

Mais les EGJ ne s’arrêtent pas aux postes de magistrats. Le comité recommande également l’embauche de 2 000 juristes assistants supplémentaires, de 2 500 à 3 000 greffiers et de 2 000 agents dont le travail serait axé sur l’appui administratif et technique. En outre, une revalorisation salariale est jugée nécessaire pour les magistrats et greffiers.

Maintenir le juge d’instruction, penser à l’indépendance du parquet

Certaines questions ont été si épineuses au sein des « Sages » pilotés par Jean-Marc Sauvé qu’il a fallu les soumettre au vote. Il en est ainsi de la suppression du juge d’instruction. Voulue par Nicolas Sarkozy en son temps, envisagée par Emmanuel Macron, la suppression de ce poste est un peu l’arlésienne de la justice de ces dix dernières années. « La question de l’opportunité de son maintien […] a longuement été débattue par le comité, qui reste partagé », attaque à son propos le rapport de 250 pages.

Mais « la majorité des interlocuteurs des États généraux de la justice a manifesté leur attachement à l’office du juge d’instruction, dont ils soulignent l’expertise, la réactivité et l’efficacité. » Aujourd’hui, seuls 3 % des enquêtes sont confiées à des juges d’instruction, le reste étant à la charge des parquets, via notamment les enquêtes préliminaires. Mais le comité des EGJ estime que « la plus-value du juge est réelle » sur les affaires de grande complexité, « tant pour ce qui est de l’instruction que pour l’image d’indépendance de la justice ».

Corollaire de cette réflexion sur le juge d’instruction, le rapport évoque aussi brièvement la question de l’indépendance du parquet sur laquelle la France est régulièrement critiquée, et même condamnée par la Cour européenne des droits de l’Homme, mais qui nécessite pour être mise en place une réforme constitutionnelle. De fait, une réforme sur la division du corps des magistrats entre ceux qui jugent (le siège) et ceux qui dirigent les enquêtes est jugée « inéluctable à moyen terme » par plusieurs membres du comité, mais doit être écartée « en l’état actuel » des choses. De quoi laisser une grande marge de manœuvre au gouvernement.

Pour la suppression de la Cour de justice de la République

Ce n’est sans doute pas Éric Dupond-Moretti qui s’en plaindra… Lui qui est doublement mis en examen par trois magistrats de la Cour de justice de la République (CJR) pour s’être servi de ses habits de ministre dans le but de régler leurs comptes à des magistrats avec qui il avait eu maille à partir lorsqu’il était avocat, le ministre a dû lire avec gourmandise le passage sur la CJR, seule formation habilitée à juger les ministres pour des délits commis dans l’exercice de leurs fonctions.

Aucun groupe de travail au sein des EGJ n’était censé se pencher sur cette question. Mais le rapport évoque une forme d’unanimité pour la suppression de la Cour de justice de la République qui, en près de 30 ans d’existence, n’a jamais prononcé une peine de prison ferme. Dans leur idée, les membres des EGJ proposent ainsi de remplacer cette Cour par un double degré de juridiction classique nanti d’un gros pouvoir de filtrage des procédures à l’entrée. Afin d’éviter, par exemple, que certains ministres chargés de la gestion de la crise du Covid-19 soient ainsi mis en examen pour leur gestion de cette crise, comme l’est actuellement l’ancienne ministre de la Santé Agnès Buzyn. Le comité voit en effet d’un mauvais œil le mélange des genres entre responsabilité politique et responsabilité pénale.

Raison pour laquelle le comité plaide pour un recours plus fréquent au statut de témoin assisté qu’à celui de mis en examen dans les affaires impliquant des ministres. Afin de limiter « le préjudice d’image qui peut résulter de la mise en examen », dit-il.

La question des comparutions immédiates et celle des Cours criminelles départementales

« Nécessaire » et « urgente ». Le comité propose une « refonte » du Code de procédure pénale. Avec pour mission, notamment, de revoir la question de la tenue des audiences de comparution immédiate. « Compte tenu des dysfonctionnements observés, ces audiences ne permettent pas d’apporter une réponse pénale de qualité », notent les membres des EGJ.

Très régulièrement, des juridictions (à Paris, Créteil ou Bobigny notamment) se plaignent de ces audiences engluées où les magistrats doivent parfois enchaîner dix, quinze ou vingt dossiers quitte à la trancher à des heures indues, souvent au milieu de la nuit, au détriment des justiciables qui découvrent, là, ce qu’on a coutume d’appeler « la justice du quotidien ».

Au sujet du Code de procédure pénale, le rapport se permet aussi un petit coup de canif pour les Cours criminelles départementales. Celles-là mêmes qu’Éric Dupond-Moretti abhorrait lorsqu’il portait la robe noire, mais qu’il a fini par développer une fois revêtu de ses habits de ministre. Mis en place avec la loi du 23 mars 2019, les Cours criminelles départementales sont chargées de juger les crimes punis de moins de 20 ans. Essentiellement les affaires de viols. Et tout cela sans l’aide de jurés populaires, mais avec de seuls magistrats professionnels. Le but ? Désengorger les cours d’assises dont les rôles ressemblent de plus à plus à des parchemins égyptiens sans fin.

Pour le comité, il est pourtant « nécessaire » d’entamer une réflexion sur ces Cours criminelles départementales. Afin d’une part de préserver le cadre de l’oralité des débats et surtout de revoir la question des jurys populaires. « Le comité estime en effet que la participation de citoyens à l’œuvre de justice est primordiale et doit être préservée ».

Arrêter de construire des places de prison

Combien de fois la réforme miracle permettant de désengorger les prisons françaises a-t-elle été promise ? Depuis 20 ans, la justice échoue à favoriser les alternatives à la détention. De fait, seule l’épidémie de Covid-19 a permis de donner un peu d’air aux établissements pénitentiaires avant qu’ils ne repartent dans une spirale infernale. Mais pour le comité des EGJ, cela ne sert pourtant à rien de construire de nouvelles places de prison. Ce n’est qu’une fuite en avant, un puits sans fond. « L’enchaînement de programmes de construction d’établissements pénitentiaires ne peut constituer une réponse adéquate », estiment les membres des EGJ. Le dernier programme en cours prévoit la construction de 15 000 places d’ici 2027.

Mais pour le rapport, il faut arrêter et favoriser la prévention de la récidive et la réinsertion. Pour cela, l’implantation des services pénitentiaires d’insertion et de probation dans les tribunaux, au plus près des juges, est préconisée. Ce n’est pas comme si cela faisait déjà 20 ans que cette proposition avait été soufflée par les experts du sujet…

Sauver la justice civile

Pour les États généraux de la justice, la justice civile est le secteur le plus en danger. Le rapport note ainsi que les effectifs de magistrats dédiés diminuent alors que la part des jugements faisant l’objet d’un appel augmente. Et il n’est pas rare de voir fleurir sur Twitter des messages colériques et circonspects d’avocats venant de découvrir qu’ils sont convoqués ici pour une audience en 2025, là pour une autre en 2024, donnant aux fabricants d’agendas des gages pour l’avenir…

Pour les EGJ, il faudrait justement limiter les procédures d’appels. De ne considérer les appels au civil que comme des voies de « réformation » des jugements rendus en première instance. Cela passe par un renforcement conséquent des moyens alloués en première instance. Mais aussi d’une rupture entre le grade des magistrats et leur emploi au sein de l’institution, afin d’envoyer plus de magistrats expérimentés en première instance…

Par ailleurs, les membres des EDJ proposent un barème pour certains litiges tels que les loyers impayés, les délais de paiement ou la fixation des pensions alimentaires. Et préconisent de renforcer la prise en charge des frais d’avocat par la partie perdante. Afin que chacun y réfléchisse à deux fois avant de saisir une justice déjà bien trop encombrée...

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