Le Quotidien du 20 mai 2022 : Droit pénal spécial

[Brèves] Pratique du « caming » : en l’absence de contact physique, pas de prostitution

Réf. : Cass. crim., 18 mai 2022, n° 21-82.283, FS-B N° Lexbase : A33797XG

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par Adélaïde Léon

le 20 Mai 2022

► Afin de déterminer si un comportement peut être poursuivi au titre du proxénétisme, il convient au préalable de définir ce qui relève de la prostitution ;

La prostitution implique le contact physique onéreux avec un client pour la satisfaction des désirs sexuels de celui-ci. En l’absence de contact physique avec le client lui-même, la qualification de prostitution ne peut être retenue ;

La pratique du « caming » excluant tout contact physique, cette activité ne peut être assimilée à de la prostitution et la qualification de proxénétisme ne peut être envisagée pour ces faits à l’égard du responsable légal de la structure exploitant un site de caming.

Rappel des faits. Une plainte avec constitution de partie civile a été déposée contre une personne non dénommée en raison de faits constatés sur quatre sites français à caractère pornographique, notamment des comportements consistants, pour de jeunes femmes, à se livrer devant une caméra, à des agissements à caractère sexuel, retransmis en direct par un moyen de communication audiovisuelle à des clients qui les sollicitaient et les rémunéraient par un moyen de paiement à distance, activité appelée « caming » (ci-après caming).

Une instruction a été ouverte des chefs de proxénétisme aggravé, défaut d’avertissement relatif à un contenu pornographique, enregistrement et diffusion de représentations pornographiques de mineurs, fabrication et diffusion de message violent et pornographique perceptible par un mineur.

Une ordonnance de non-lieu a été rendue par le juge d’instruction. La partie civile a relevé appel de cette décision.

En cause d’appel. La chambre de l’instruction a confirmé partiellement l’ordonnance de non-lieu en ce qu’il était dit n’y avoir lieu à suivre des chefs de proxénétisme aggravé et défaut de mise en garde quant au contenu pornographique. Selon la chambre de l’instruction, il lui appartenait de respecter le principe d’interprétation stricte de la loi pénale et de ne pas s’écarter de la définition jurisprudentielle de la prostitution, laquelle implique, selon les juges, un contact physique onéreux avec le client pour la satisfaction des besoins sexuels de celui-ci.

La partie civile a formé un pourvoi contre l’arrêt de la chambre de l’instruction.

Moyens du pourvoi. Il était fait grief à la chambre de l’instruction d’avoir retenu qu’il n’y avait pas lieu à suivre des chefs de proxénétisme aggravé et défaut de mise en garde quant au contenu pornographique.

Plus spécifiquement, le pourvoi contestait la définition de la prostitution retenue par la juridiction d’appel et soutenait que la prostitution, qui « ne fait l’objet d’aucune définition législative » « consiste dans le fait d’employer son corps moyennant rémunération, à la satisfaction des plaisirs du public, quelle que soit la nature des actes accomplis quand bien même il n’y a pas de contact physique entre la personne prostituée et son client ».

Après avoir rappelé que le proxénétisme est constitué par le fait de tirer profit de la prostitution d’autrui, le pourvoi souligne que cette infraction peut être notamment aggravée lorsqu’elle est réalisée grâce à l’utilisation, pour la diffusion de messages à destination d’un public non déterminé, d’un réseau de communication électronique.

Selon la partie civile, la qualification de proxénétisme aggravé pouvait être retenue dès lors que les actes auxquels se livraient les « modèles » du site internet à la demande d’un client qui les rémunère pour assouvir ses désirs sexuels doivent être qualifiés de prostitution, ce qui laissait supposer des actes qualifiables de proxénétisme aggravé commis ou permis par le responsable légal de la structure exploitant ce site.

Décision. La Chambre criminelle rejette le pourvoi au visa des articles 225-5 N° Lexbase : L2040AMI et 225-6 N° Lexbase : L2192AM7 du Code pénal, lesquels incriminent le proxénétisme, infraction consistant à aider ou assister, de quelque manière que ce soit, la prostitution d’autrui, protéger cette activité, convaincre une personne de s’y livrer, en tirer profit ou en faciliter l’exercice.

La Haute juridiction rappelle qu’il importe tout d’abord de déterminer ce qui relève de la prostitution, notion non définie par les textes visés.

La prostitution dans la jurisprudence de la Chambre criminelle. Dans un premier temps, la Cour se réfère pour cela à sa propre jurisprudence. En 1996, la Chambre criminelle avait défini la prostitution comme le fait de « se prêter, moyennant une rémunération, à des contactes physiques de quelque nature qu’ils soient, afin de satisfaire les besoins sexuels d’autrui » (Cass. crim., 27 mars 1996, n° 95-82.016 N° Lexbase : A1755CK9).

Une définition non applicable aux faits d’espèces. Or, la Haute juridiction note elle-même que le phénomène jugé en l’espèce n’entre pas dans le cadre de cette définition jurisprudentielle puisque le caming consiste, pour des « camgirls » et « camboys » à proposer, moyennant rémunération, une diffusion d’images ou de vidéos à contenu sexuel, le client pouvant donner à distance des instructions spécifiques. Comme le reconnait la Cour, cette pratique exclut, par nature, tout contact physique entre les « camgirls/camboys » et leurs clients. La Chambre criminelle s’interroge donc sur l’opportunité d’étendre sa définition de 1996.

Le recours à la volonté du législateur. Se référant aux récentes lois pénalisant certains comportements de nature sexuelle, la Haute juridiction déduit qu’elles ne traduisent pas une volonté de la part du législateur d’étendre la définition classique de la prostitution non remise en cause depuis 1996.

La Cour se réfère d’abord à l’article 611-1 du Code pénal N° Lexbase : L6968K79, créé par la loi n° 2016-444 du 13 avril 2016, incriminant le fait de solliciter, accepter ou obtenir en échange d’une rémunération des relations de nature sexuelles de la part d’une personne qui se livre à la prostitution. Pour la Chambre criminelle, en l’absence de relation sexuelle physique, cette incrimination est exclue.

La Haute juridiction étudie ensuite les termes de l’article 227-23-1 du Code pénal N° Lexbase : L2650L4W, créé par la loi n° 2021-478, du 21 avril 2021, réprimant le fait, sans le conditionner à une rémunération, pour un majeur, de solliciter auprès d’un mineur la diffusion ou la transmission d’images, vidéos ou représentations à caractère pornographique de ce mineur. La Chambre criminelle constate que le législateur n’a pas employé le terme de prostitution pour qualifier ce comportement.

La Cour déduit de son appréciation de ces deux textes récents que la notion de prostitution ne va pas au-delà de la définition jurisprudentielle inchangée depuis 1996. Elle affirme par ailleurs qu’il n’appartient pas au juge de modifier son appréciation dans un sens qui aurait pour conséquence d’élargir une définition au-delà de ce que le législateur a expressément prévu. Or, considérer que l’activité de « caming » relève de la prostitution reviendrait à étendre la définition de cette notion.

Dès lors, la chambre de l’instruction qui a garanti le principe d’interprétation stricte de la loi pénale et ne s’est pas écartée de la définition jurisprudentielle de la prostitution, laquelle implique un contacte physique onéreux avec le client pour la satisfaction des besoins sexuels, et a considéré qu’en l’absence de contacte physique l’activité se distingue de la prostitution, a valablement écarté la qualification de proxénétisme.

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