Lexbase Affaires n°341 du 6 juin 2013 : Bancaire

[Questions à...] Le crowdfunding : les règles actuelles sont-elles adaptées ? - Questions à Maître Hubert de Vauplane, avocat associé, Kramer Levin Naftalis & Frankel LLP

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par Vincent Téchené, Rédacteur en chef de Lexbase Hebdo - édition affaires

le 06 Juin 2013

Le crowdfunding, ou financement participatif, est un nouveau mode de financement de projets par le public. Ce mécanisme permet de récolter des fonds, généralement des petits montants, auprès d'un large public en vue de financer un projet créatif (musique, édition, film, etc.) ou entrepreneurial. Il fonctionne le plus souvent via internet. Selon le rapport publié par Massolution en 2013, le marché du financement participatif est passé de 1,5 milliard de dollars en 2011 (dont plus de la moitié en Amérique du Nord) à 2,7 milliards de dollars au niveau mondial en 2012, et devrait atteindre 5,1 milliards de dollars cette année. En France, avec 60 000 projets financés et 40 millions d'euros levés (1) depuis 2007, ce mode de financement est émergent. L'essor récent du crowdfunding a ainsi conduit les autorités publiques à s'en saisir. L'AMF et l'ACP ont publié, le 14 mai 2013, deux guides sur la question : le premier est un guide du financement participatif à destination du grand public ; le second est un guide du financement participatif à destination des plates-formes et des porteurs de projets. Parallèlement, dans le cadre de la clôture des Assises de l'entrepreneuriat, le 29 avril 2013, le Gouvernement a annoncé la mise en place d'un cadre juridique permettant d'assurer le développement de la finance participative en France. Afin de nous exposer les enjeux, le cadre juridique auquel est soumis le crowdfunding et les évolutions nécessaires de la réglementation, Lexbase Hebdo a rencontré un éminent spécialiste de droit bancaire, Maître Hubert de Vauplane, avocat associé, Kramer Levin Naftalis & Frankel LLP, qui accepté de répondre à nos questions.

Lexbase : Quels sont les principaux intérêts que présente le crowdfunding ?

Hubert de Vauplane : Le crowdfunding répond avant tout à une logique de financement de proximité. Pour se faire, il s'agit de mobiliser l'épargne pour financer des projets de croissance. Les français ont toujours été, parmi les occidentaux, ceux disposant d'un taux d'épargne important. Avec la crise, ils puisent dans cette épargne pour ajuster leur budget courant mais, dans le même temps, ils continuent d'augmenter cette épargne. Une bonne partie de cet argent ne circule donc pas dans le circuit économique car il reste dans les "bas de laine", même si une partie finance indirectement l'économie, celle investie en assurance vie ou livret A.

Ces sommes aujourd'hui gelées ou bloquées peuvent ainsi servir à financer des projets sur lesquels les internautes se sentent proches, soit géographiquement, soit culturellement, soit sociologiquement. En effet, le principe du crowdfunding repose sur les cercles de confiance. C'est parce que, d'abord et avant tout, ma famille et mes amis les plus proches vont financer mon projet que les amis de ce premier cercle vont eux aussi se mobiliser à leur tour. Et dès lors que ces deux premiers cercles ont apporté une part déjà significative du financement, le troisième cercle, celui de la communauté d'internautes va naturellement se mobiliser. Le plus dur dans une campagne de levée de fonds de la finance participative est de mobiliser ses deux premiers cercles. Sans ceux-ci, l'échec du projet est presque inévitable.

Lexbase : Son essor est-il une bonne chose et son développement est-il selon vous inéluctable ?

Hubert de Vauplane : Son essor répond à un besoin des citoyens de proximité avec leur environnement économique. Les internautes participant à des projets de finance participative sont plus prêts à le faire qu'à mobiliser leur épargne sur des produits sur lesquels ils ne se sentent pas proches.

La finance participative n'a pas vocation à remplacer le financement bancaire mais à le compléter.

La finance participative présentent des caractéristiques différentes par rapport à la finance traditionnelle : tout d'abord, un libre accès des internautes aux projets ; ensuite un choix direct du projet par le contributeur (personne ne le conseille) ; enfin une transparence et une traçabilité de l'affectation des sommes tout au long de la vie du projet.

Il est aujourd'hui difficile pour un porteur de projet, souvent personne physique avec peu d'expérience, de convaincre son banquier de lui prêter de l'argent pour le lancement de son projet. En mobilisant ses cercles proches, le porteur de projet peut convaincre le banquier de la solidité de son business plan. L'idée est simple : si pour une somme de 100 euros le porteur de projet en a déjà financé 30, 50 ou 60 euros via une plateforme de crowdfunding, il lui sera plus facile de convaincre son banquier de financer le reste.

Mais attention ! La finance participative n'est pas la réponse miracle à la faible croissance économique. Elle ne vise que des projets de taille réduite, voire modeste. Aujourd'hui en France, les financements de projets via des dons dépassent rarement la somme totale de 20 000 euros ; ceux via le prêt 100 000 euros, et enfin ceux via l'investissement en capital tournent autour de 200 000 à 300 000 euros, ce qui est déjà une somme importante. De leur côté, les internautes n'investissent pas les mêmes sommes selon la typologie des opérations : environ 50 euros par opération de don ; 200 euros par opération de prêt et plutôt 1 000 euros ou plus pour les investissements. On voit ainsi que derrière ces chiffres, le profil de risque et donc d'investissement n'est pas le même. Si je suis prêt à donner 50 euros, c'est que je n'attends aucun retour financier. Si je prête 200 euros, j'attends au moins d'être remboursé du capital ; si j'investi 1 000 euros, j'espère pouvoir retirer un profit.

Comme on le voit, la logique de la rétribution n'est pas la même. Dans le don, l'attente est essentiellement émotive, sentimentale mais pas financière : je donne une somme et comme dans tout don, je n'attends pas de retour de cette somme. En revanche, tout retour émotionnel (place de concert du groupe financé, dédicace du livre financé, pot de miel du producteur porteur du projet...) favorise la réussite du projet. Quand je prête 200 euros, tout dépend si je prête avec ou sans intérêts. Dans le premier cas, je reste dans une logique de retour émotionnel mais j'attends un remboursement en capital. Dans le second cas, ma démarche se rapproche plus de celle d'un investisseur désireux de placer une somme d'argent à un taux de rendement attractif. Enfin, quand j'investi 1 000 euros, je suis prêt à les perdre mais dans la mesure où j'agis comme un investisseur avisé et que j'ai diversifié mes placements, j'escompte sur mes différents placements qu'au moins certains d'entre eux me rapporteront 3, 5, 10 fois la mise.

Lexbase : De lege lata, quelles sont les principales règles applicables à chaque typologie de crowdfunding (don, prêt, prise de participation) ? Pourquoi ce cadre légal apparaît-il inadapté ?

Hubert de Vauplane : Le crowdfuding s'est développé en France comme à l'étranger en dehors de toute réglementation spécifique, même si très tôt, et selon le type d'activité, les plateformes ont dû tenir compte de certaines contraintes réglementaires. La force de la finance participative est dans l'engagement qu'il génère par rapport au projet, au lien direct qu'il crée entre la communauté des contributeurs et les porteurs de projets. En ce sens il s'insère mal dans le cadre réglementaire existant qui est organisé par typologie de financement.

La réglementation distingue les catégories suivantes :
- don, contreparties symboliques et contreparties (pré-achat) ;
- prêt non rémunéré ;
- prêt rémunéré ;
- instruments financiers.

C'est ce cadre qui n'est pas adapté ou mal adapté au développement de la finance participative.

Lexbase : Quelles évolutions de ce cadre juridique vous semblent, alors, nécessaires ?

Hubert de Vauplane : La réglementation bancaire et financière repose sur la présence d'intermédiaires agrées et spécialisés par type d'activité : assureurs, banques, gestionnaires d'actifs, entreprises d'investissement, IOB. Chacun de ces statuts correspond à une activité, laquelle fait l'objet d'une réglementation précise et détaillée, le plus souvent organisant un monopole quant à son exercice. L'idée est que des intermédiaires régulés protègent l'épargne et les consommateurs. Ce type d'approche réglementaire limite dans son essence même la possibilité pour de nouveaux acteurs d'apparaître et de proposer des services proches mais différents dans leur fondement. Tel est le cas pour le financement en direct par des personnes physiques de projets. Dit autrement, l'intermédiation (bancaire ou financière) est un verrou qu'il est difficile de faire bouger. Or, dans le contexte économique qui est celui de beaucoup de pays comme la France, toute liberté nouvelle dans le financement de l'économie ne peut que favoriser la croissance. C'est donc bien vers une désintermédiation qu'il convient d'aller.

Toute évolution du cadre réglementaire devra tenir compte de la spécificité de la finance participative si l'on veut favoriser son développement. Cette réglementation devra intégrer les trois fonctions suivantes de toute plateforme de finance participative :
- la diffusion d'informations sur les projets aux internautes ;
 - la collecte/conservation/affectation et gestion des flux financiers de retours ;
- la délégation d'instruction des contributeurs aux plateformes.

A cet égard, il convient d'adapter la réglementation bancaire en matière de services de paiement, de monnaie électronique, d'exception au monopole bancaire pour les opérations de prêts, mais aussi en matière d'offre au public d'instruments financiers. Plus globalement, la dimension "démarchage financier" devra être modifiée pour faciliter le développement de cette nouvelle activité.

On le voit, les chantiers sont lourds. Certains sont complexes du fait de la contrainte européenne qui oblige à modifier les textes au niveau des 27 Etats membres (bientôt 28, la Croatie devenant un Etat membre le 1er juillet 2013). D'autres sont plus légers dès lors qu'il s'agit de mesures nationales, voire d'interprétation de la règle de droit par les autorités de régulation françaises.

La question qui se pose est de savoir s'il faut "encadrer" toutes les activités de finance participative dans un "statut" ou seulement certaines d'entre-elles, celles qui se rapprochent le plus d'activités bancaires ou financières. Concrètement, doit-on laisser à part les activités de dons ?

L'une des idées qui commence à se faire jour réside dans la création d'un nouveau statut, celui d'Etablissement de finance participative qui, un peu à l'image du couteau suisse, permettrait aux plateformes de demander un agrément à l'AMF ou l'ACP selon le type d'activités exercées.

Lexbase : La mise en place d'un code de déontologie propre au crowdfunding vous apparaît-elle indispensable ?

Hubert de Vauplane : Non, cela ne me paraît pas être la bonne approche.


(1) Source : E. Lederer, Les Echos, article du 16 mai 2013 ; Ph. Brochen, Libération, article du 24 février 2013.

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