Réf. : Cass. com., 30 mars 2022, n° 20-16.168, F-B N° Lexbase : A64727R7
Lecture: 5 min
N1044BZP
Citer l'article
Créer un lien vers ce contenu
par Vincent Téchené
le 12 Avril 2022
► N’exécute pas de bonne foi une convention de mandat social prévoyant le versement d’une prime au président du directoire en fonction d’objectifs devant être fixés par le conseil de surveillance, la société qui n’a pas fixé lesdits objectifs, sans qu’il puisse être reproché au dirigeant de s’être abstenu de demander à la société de procéder à cette fixation.
Par ailleurs, la mise en place d’une nouvelle gouvernance ne constitue pas un juste motif de révocation d’un membre du directoire faute pour cette dernière d’être justifiée par la nécessaire préservation de l'intérêt social.
Faits et procédure. Le président du directoire d’une SA a conclu avec cette dernière une convention de mandat social prévoyant diverses obligations de paiement à la charge de cette dernière. Moins de six mois après sa nomination, le conseil de surveillance a décidé de révoquer l’intéressé de ses mandats de membre et président du directoire. La société ayant refusé de faire droit à ses demandes en paiement de diverses sommes en exécution de la convention de mandat social, le dirigeant révoqué l'a assignée en paiement.
La cour d’appel (CA Versailles, 28 mai 2020, n° 18/07697 N° Lexbase : A41003MS) ayant rejeté la demande du dirigeant en paiement de sa prime sur objectifs prévue par la convention de mandat social, ce dernier a formé un pourvoi en cassation. Il reprochait également à la cour d’appel de rejeter sa demande en paiement de dommages et intérêts pour révocation brutale et sans juste motif.
Décision. Concernant le versement de la prime, la Cour de cassation opère une double censure.
D’abord, au visa de l’article 1103 du Code civil N° Lexbase : L0822KZH, la Haute juridiction rappelle que selon ce texte, les contrats légalement formés tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faits et lorsque les stipulations d'un contrat sont ambiguës, il appartient au juge de déterminer quelle a été la commune intention des parties.
Or pour rejeter la demande du dirigeant, l'arrêt d’appel retient que les termes clairs de la convention litigieuse prévoient que la cession devait être menée sous la présidence de l’intéressé et qu’il ressort d’une lettre du 9 novembre 2016 que l'objectif de la mission qui lui était confiée était la cession rapide du groupe ; elle en déduit que n'ayant pas mené les opérations de cession, il ne peut prétendre au versement d'une prime à ce titre.
La Cour de cassation censure sur ce point l’arrêt d’appel : en statuant ainsi, alors que la convention du 28 novembre 2016, applicable entre les parties, était ambiguë en ce qui concerne tant la question de savoir si la cession de la société entrait dans la mission confiée au président du directoire que les conditions de versement de la prime en cas de cession, la cour d'appel, qui s'est abstenue de rechercher quelle avait été la commune intention des parties, n'a pas donné de base légale à sa décision.
Ensuite, au visa de l’article 1104, alinéa 1er, du Code civil N° Lexbase : L0821KZG, la Cour de cassation rappelle que selon ce texte, les contrats doivent être exécutés de bonne foi.
Or pour rejeter la demande en paiement de la prime sur objectifs formée par le dirigeant, l'arrêt d’appel, après avoir relevé que la convention litigieuse prévoyait son versement et que les objectifs devaient être fixés par le conseil de surveillance, retient que le dirigeant avait la possibilité de demander à la société de procéder à la fixation de ses propres objectifs et que s'en étant abstenu, il ne peut reprocher à cette dernière un manquement dans ses obligations pour ne pas y avoir procédé.
La Cour de cassation censure également l’arrêt d’appel pour avoir statué ainsi : il résultait de ses constatations qu'il incombait à la seule société de fixer les objectifs à réaliser par le dirigeant et qu'elle ne l'avait pas fait, de sorte que la cour d'appel a violé l’article 1104, alinéa 1er.
Enfin, sur la révocation du dirigeant, la Haute juridiction rappelle qu’aux termes de l'article L. 225-61, alinéa 1er, du Code de commerce N° Lexbase : L5932AIK, les membres du directoire peuvent être révoqués par l'assemblée générale, ainsi que, si les statuts le prévoient, par le conseil de surveillance. Si la révocation est décidée sans juste motif, elle peut donner lieu à dommages et intérêts.
Or la Cour relève que pour juger que le dirigeant ne rapportait pas la preuve de l'absence de juste motif à sa révocation et rejeter sa demande en paiement de dommages et intérêts, l'arrêt d'appel relève que la société ayant acquis la SA qu’il dirigeait l'a informé par lettre de sa volonté de mettre en place une nouvelle gouvernance.
Dès lors, pour la Haute juridiction, en se déterminant ainsi, sans rechercher, comme elle y était invitée, si la décision de révoquer le président du directoire était justifiée par la nécessaire préservation de l'intérêt social, la cour d'appel a privé sa décision de base légale.
Observations. Deux enseignements semblent pouvoir être retenus de cet arrêt. D'une part, la société qui s'engage conventionnellement à verser une prime sur objectifs au dirigeant et qui ne fixerait pas ces objectifs n'exécute pas de bonne foi la convention et s'expose dès lors à indemniser le dirigeant sur le fondement de la responsabilité contractuelle. D'autre part, à la suite de la prise de contrôle d'une SA à conseil de surveillance, le nouvel actionnaire ne peut révoquer les membres du directoire au seul motif de mettre en place une nouvelle gouvernance sans justifier de la préservation de l'intérêt social.
© Reproduction interdite, sauf autorisation écrite préalable
newsid:481044