Le Quotidien du 31 mars 2022 : Responsabilité

[Brèves] De l’autonomie des préjudices « d’angoisse de mort imminente » et « d’attente et d’inquiétude »

Réf. : Cass. mixte, 25 mars 2022, deux arrêts, n° 20-17.072 N° Lexbase : A30357RT et n° 20-15.624 N° Lexbase : A30367RU

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[Brèves] De l’autonomie des préjudices « d’angoisse de mort imminente » et « d’attente et d’inquiétude ». Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/article-juridique/82995917-breves-de-lautonomie-des-prejudices-dangoisse-de-mort-imminente-et-dattente-et-dinquietude
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par Anne-Lise Lonné-Clément

le 30 Mars 2022

► Les préjudices subis par une victime doivent être prouvés et identifiés avant d’être indemnisés ;
► en raison de leur particularité, les préjudices « d’angoisse de mort imminente » et « d’attente et d’inquiétude » doivent être indemnisés de manière spécifique.

Tels sont les principes dégagés par la Chambre mixte de la Cour de cassation, dans ses arrêts rendus le 25 mars 2022, et qui viennent unifier les solutions divergentes jusqu’alors retenues par les différentes chambres (cf. le communiqué de la Cour de cassation).

La « nomenclature Dintilhac ». La loi ne prévoit pas de référentiel de réparation des préjudices corporels. Une nomenclature de ces préjudices, issue des travaux de la commission présidée par M. Jean-Pierre Dintilhac en 2005, s’est dès lors imposée comme une référence pour tous les acteurs de la réparation du dommage corporel : elle est utilisée par les juridictions judiciaires, les victimes, les avocats et les assureurs.   Cette nomenclature dite « Dintilhac » prévoit une liste de « postes » correspondant à des définitions précises de divers préjudices.                             

Les procédures.  Au cours des dernières années, à la suite notamment des attentats commis en France, la justice a été saisie de demandes en réparation de catégories de préjudices que la « nomenclature Dintilhac » n’avait pas envisagées. 

Ainsi, deux décisions de cours d’appel statuant sur l’indemnisation de victimes d’une infraction de droit commun ou d’un acte de terrorisme ont fait l’objet de pourvois en cassation :

- la première porte sur le préjudice dit « d’angoisse de mort imminente » (CA Paris, 2, 4, 30 janvier 2020, n° 19/02479 N° Lexbase : A22443DH). Il s’agit du préjudice ressenti par la victime directe qui, entre le moment où elle a subi une atteinte et son décès, a eu la conscience du caractère inéluctable de sa propre fin. Les héritiers de la victime peuvent, en son nom, obtenir réparation de ce préjudice ;

- la seconde porte sur un préjudice dit « d’attente et d’inquiétude » (CA Papeete, 29 août 2019, n° 18/00213 N° Lexbase : A2741ZMH). Il s’agit du préjudice subi par les proches d’une victime directe lorsqu’ils apprennent qu’elle est ou a été exposée à un péril. Leur souffrance naît de l’état d’attente et d’incertitude dans lequel ils se trouvent, entre le moment où ils apprennent que leur proche est en péril et le moment où ils ont connaissance de l’issue de l’événement pour celui-ci.  

Les décisions de la Cour de cassation. Jusqu’à présent, les différentes chambres de la Cour de cassation n’apportaient pas de réponse uniforme sur les modalités de réparation du préjudice de mort imminente :

  • la Chambre criminelle a depuis longtemps admis la possibilité d’évaluer séparément les préjudices distincts constitués par les souffrances endurées du fait des blessures, et par l'angoisse d'une mort imminente (Cass. crim., 23 octobre 2012, n° 11-83.770, FS-P+B N° Lexbase : A0580IWE ; également en ce sens : Cass. crim., 11 juillet 2017, n° 16-86.796, F-D N° Lexbase : A9908WMW ; Cass. crim., 27 septembre 2016, n° 15-84.238, FS-D N° Lexbase : A7274R48) ;
  • la deuxième chambre civile, au contraire, a procédé au rattachement du préjudice d’angoisse de mort imminente au poste « souffrances endurées » de la « nomenclature Dintilhac » (Cass. civ. 2, 18 avril 2013, n° 12-18.199, F-D N° Lexbase : A4002KC9 ; Cass. civ. 2, 20 octobre 2016, n° 14-28.866, FS-P+B N° Lexbase : A6505R9S ; Cass. civ. 2, 2 février 2017, n° 16-11.411, F-P+B N° Lexbase : A4160TBP ; Cass. civ. 2, 29 juin 2017, n° 16-17.228, F-D N° Lexbase : A7157WLN ; Cass. civ. 2, 14 septembre 2017, n° 16-22.013, F-D N° Lexbase : A0847WS8) ;
  • la première chambre civile avait rejoint sur ce point la jurisprudence de la deuxième chambre civile (Cass. civ. 1, 26 septembre 2019, n° 18-20.924, F-D N° Lexbase : A0408ZQ8).

C’est ainsi que la Chambre mixte de la Cour de cassation, unifiant les solutions, décide, s’agissant du préjudice d’angoisse de mort imminente, que l'angoisse d'une mort imminente se distingue du poste des « souffrances endurées », lesquelles sont définies par la « nomenclature Dintilhac » comme « toutes les souffrances physiques et psychiques, ainsi que des troubles associés, que doit endurer la victime durant la maladie traumatique, c’est-à-dire du jour de l’accident à celui de sa consolidation [état définitif des séquelles]. En effet, à compter de la consolidation, les souffrances endurées vont relever du déficit fonctionnel permanent et seront donc indemnisées à ce titre ». 

S’agissant du préjudice d’attente et d’inquiétude que subissent les proches de la victime directe, ce préjudice ne se confond pas avec leur préjudice d’affection ni avec aucun autre poste de préjudice indemnisant les victimes par ricochet, mais constitue un préjudice spécifique qui doit être réparé de façon autonome.

Pour aller plus loin : ces décisions feront l'objet d'un commentaire approfondi par Vincent Rivollier, Maître de conférences à la Faculté de droit de l’Université Savoie Mont Blanc, à paraître dans la revue Lexbase Droit privé n° 903 du 21 avril 2021.

 

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