Réf. : Cass. com., 9 mars 2022, n° 19-25.795, F-B N° Lexbase : A94347P4
Lecture: 11 min
N0830BZR
Citer l'article
Créer un lien vers ce contenu
par Bernard Saintourens, Professeur émérite de l’Université de Bordeaux
le 23 Mars 2022
Mots-clés : société par actions simplifiée (SAS) • dirigeant • révocation • juste motif • stipulation statutaire.
Les conditions dans lesquelles les dirigeants d’une société par actions simplifiée peuvent être révoqués de leurs fonctions sont, dans le silence de la loi, librement fixées par les statuts, qu’il s’agisse des causes de la révocation ou de ses modalités. La révocation du directeur général d’une SAS peut donc intervenir sans qu’il soit nécessaire de justifier d’un juste motif, au regard des stipulations statutaires relatives à la société concernée.
La singularité du régime juridique de la société par actions simplifiée, au regard de celui de la société anonyme, constitue un facteur d’attractivité incontestable, en ce qu’il laisse une bien plus large marge de liberté pour l’organisation du fonctionnement de la société et, notamment, à propos du statut de ses dirigeants. La question, légitiment sensible, des conditions de révocation des dirigeants se pose dans chaque forme de société et constitue, d’ailleurs, un des principaux paramètres de choix entre elles. Sur ce terrain, la SAS bénéficie incontestablement d’un avantage comparatif dès lors que l’article L. 227-1 du Code de commerce N° Lexbase : L2397LR9 écarte, à son alinéa 3, l’application à cette société des règles qui gouvernent la révocation des dirigeants de la société anonyme et que l’article L. 227-5 N° Lexbase : L6160AIY dispose tout simplement que « Les statuts fixent les conditions dans lesquelles la société est dirigée ».
Par son arrêt, en date du 9 mars 2022, retenu pour figurer au Bulletin, la Chambre commerciale de la Cour de cassation prend une position qui est de nature à donner son plein effet à la singularité du régime juridique qui gouverne la révocation des dirigeants de SAS. La Haute juridiction, reprenant la position des juges d’appel, retient que « les conditions dans lesquelles les dirigeants d’une société par actions simplifiée peuvent être révoqués de leurs fonctions sont, dans le silence de la loi, librement fixées par les statuts, qu’il s’agisse des causes de la révocation ou de ses modalités ». Dès lors qu’en l’espèce, le libellé des statuts ne conditionnait aucunement la révocation du dirigeant à l’existence de justes motifs, elle ne peut que rejeter le pourvoi qui avait été formé par le directeur général de la SAS concernée à l’encontre de l’arrêt de la cour d’appel [1] qui avait jugé que cette révocation pouvait intervenir sans qu’il soit nécessaire de justifier d’un juste motif.
L’arrêt rapporté, qui constitue certainement un encouragement à une plus grande attention lors de la rédaction des statuts de la SAS, doit d’abord être retenu en ce qu’il affirme, au regard de la prééminence des statuts, qu’un dirigeant de SAS peut être révocable sans juste motif (I), mais il ne saurait faire oublier que sa révocation ne doit pas être abusive, le juge exerçant sur ce point son contrôle (II).
I. Le principe d’une révocation sans juste motif : la prééminence des statuts
La position adoptée par la Cour de cassation suscite plusieurs remarques, tant de nature théorique que pratique.
En observation liminaire, il convient de noter que si l’arrêt sous examen concernait le directeur général de la SAS, la position adoptée par la Cour de cassation est susceptible de s’appliquer à tous les dirigeants d’une telle société. La rédaction de l’article L. 227-5 du Code de commerce précité ne fait aucune différence selon la nature des fonctions exercées et englobe sous la même règle tous ceux par l’intermédiaire desquels « la société est dirigée ». La remarque est importante car on pourrait estimer que la fonction de président de la société, seule identifiée comme requise impérativement par les textes puisqu’il a pour fonction première de représenter la société à l’égard des tiers (C. com., art. L. 227-6 N° Lexbase : L6161AIZ), pourrait justifier un traitement plus protecteur, qui pourrait être aligné sur celui dont bénéficie le directeur général de la société anonyme, lequel détient aussi le pouvoir de représentation de la société. Lorsque le directeur général de la SA n’assume pas, en même temps, les fonctions de président du conseil d’administration, sa révocation peut avoir lieu « à tout moment » (C. com., art. L. 225-55 N° Lexbase : L5926AIC), mais si elle est décidée « sans juste motif », elle peut donner lieu à des dommages et intérêts (même texte).
La position exprimée par la Cour de cassation est donc de nature à s’appliquer à tout dirigeant de la SAS, qu’il s’agisse du président, du directeur général ou du directeur général délégué, seules fonctions envisagées par l’article L. 227-6, alinéa 3, du Code de commerce, ou de tout autre organe de direction qui serait mis en place dans une société par actions simplifiée, quelle que soit sa dénomination, son caractère individuel ou collectif. La liberté d’organisation, caractéristique traditionnellement attachée à la SAS, trouve sur le terrain de la révocation des dirigeants une notable manifestation.
La prééminence accordée aux statuts pour fixer les conditions de la révocation d’un dirigeant de SAS, retenue par l’arrêt sous examen, se situe dans le sillage logique de précédents et, notamment, de l’arrêt prononcé par la Chambre commerciale, en date du 25 janvier 2017 [2]. Dans cet arrêt, auquel la Haute juridiction attachait de l’importance pour l’avoir retenu pour son Rapport annuel, l’exclusivité de la référence aux statuts était renforcée par l’adjonction du mot « seuls » au début du libellé de l’article L. 227-5 du Code de commerce. L’arrêt du 9 mars 2022 de la même chambre doit donc être retenu comme confirmant cette conception stricte du régime juridique des dirigeants de SAS : les statuts, rien que les statuts ! Comme ne manquent pas de le relever les hauts magistrats, c’est parce que l’on se trouve « dans le silence de la loi », que l’on est tenu se tourner vers les statuts de la société concernée pour y déceler les causes d’une révocation et, singulièrement, l’éventuelle exigence d’un juste motif. Dès lors que, comme en l’espèce, les statuts ne faisaient aucune mention d’une telle exigence, la révocation du directeur général « pouvait intervenir sans qu’il soit nécessaire de justifier d’un juste motif », pour reprendre les termes de l’arrêt.
En pratique, il conviendra de bien retirer toutes les conséquences attachées à la position, claire et ferme, de la Cour de cassation. Une attention particulière devra être apportée sur ce point lors de la rédaction des statuts. Une opposition d’intérêts pourrait alors surgir entre les associés de la SAS, qui pourraient souhaiter réaliser la révocation des dirigeants sans devoir établir un juste motif, et les personnes susceptibles d’accéder à ces fonctions et qui pourraient, légitimement, estimer qu’un minimum de considération à leur égard serait d’imposer, justement, que leur révocation s’effectue pour de justes motifs. L’observation complémentaire peut être faite que la difficulté rencontrée pour trouver des volontaires pour s’engager dans l’exercice de fonctions qui peuvent entraîner de lourdes responsabilités pourrait bien conduire à rechercher, lors de la rédaction des statuts, un cadre juridique équilibré qui soit de nature à rassurer les futurs dirigeants, sans pour autant priver les associés de leur possibilité de mettre un terme aux fonctions d’un dirigeant, s’ils l’estiment opportun.
L’arrêt conduit également à revenir sur la pratique, encore souvent rencontrée, qui consiste à renvoyer vers les dispositions du Code de commerce concernant le statut des dirigeants de la SA. Cette solution de facilité, parfaitement compréhensible dès lors qu’il est assez difficile de prévoir dans les statuts de la SAS toutes les conditions et modalités d’accès aux fonctions, d’exercice et de révocation, est, notamment, de nature à réintroduire, pour le directeur général, comme évoqué ci-dessus, le droit de se voir octroyer des dommages et intérêts en cas de révocation sans juste motif. La Cour de cassation a déjà eu l’occasion de juger [3] que le renvoi vers les règles relatives à la SA devait produire son plein effet, imposant, dans une telle hypothèse, la soumission de la SAS en cause à l’ensemble des règles relatives à la SA pour le régime juridique des dirigeants.
En définitive, l’arrêt rapporté, s’il valorise la liberté d’organisation des SAS en ce qui concerne la révocation des dirigeants, constitue aussi un rappel impérieux à la plus grande attention des associés et de leurs conseils, lors de la rédaction des statuts.
II. La réserve d’une révocation non abusive : le contrôle du juge
Même si la présente décision, dans sa motivation comme dans son dispositif, ne se positionne pas au regard du contrôle par le juge de l’éventuel caractère abusif de la révocation (la Cour jugeant qu’elle n’a pas à statuer sur les moyens du pourvoi qui, justement, contestaient l’arrêt d’appel sur ce point), il apparaît inévitable d’envisager cet aspect, dans la perspective d’identifier au plus juste sa portée.
On sait que toute une construction jurisprudentielle a été bâtie, au fil du temps, pour reconnaître au dirigeant révoqué un droit à indemnisation en raison du caractère abusif ou déloyal de la révocation, tenant, principalement, aux circonstances, brutales, ou vexatoires dans lesquelles la révocation a eu lieu ou lorsque l’intéressé n’a pas été mis en situation de débattre de cette décision avant qu’elle ne soit prise [4].
L’attention est attirée sur la précision figurant dans l’arrêt commenté selon laquelle les statuts fixent librement les « modalités » de la révocation du dirigeant. Cette mention suscite une interrogation quant à sa portée au regard du contrôle que pourrait exercer le juge sur le terrain de l’abus dans le droit de révocation du dirigeant. On pourrait considérer qu’en ajoutant le fait que la Chambre commerciale n’examine pas les moyens formés sur ces points et l’existence de cette mention relative à la liberté des statuts de fixer les modalités de la révocation, la Haute juridiction écarterait pour les SAS le contrôle jurisprudentiel établi pour les autres sociétés.
Il ne nous paraît pas qu’il faille interpréter ainsi l’arrêt sous examen. Déjà, la jurisprudence publiée témoigne d’hypothèses où ce contrôle judiciaire a bien été effectué à propos de dirigeants de SAS, tant au niveau des juges du fond [5] que de la Cour de cassation [6]. Dès lors que, justement, il est admis, comme le confirme le présent arrêt, qu’un dirigeant de SAS peut être régulièrement révoqué sans qu’aucun juste motif ne soit requis ni aucune indemnisation conventionnelle prévue, il apparaît pour le moins plus impérieux encore que cette révocation ne soit pas réalisée de manière abusive et que le juge puisse être saisi afin de statuer sur ce point et ce, quelles que soient les modalités figurant aux statuts de la société à propos de cette révocation.
Certes, pour les dirigeants de SAS comme pour les autres, le contrôle du juge peut paraître parfois assez peu prévisible, la jurisprudence publiée témoignant de variations dans l’intensité de l’appréciation [7], pour autant, le caractère très affirmatif de l’arrêt commenté quant à la référence exclusive aux statuts pour fixer les causes et modalités de la révocation d’un dirigeant de SAS ne saurait aboutir à une totale liberté en la matière. La limite de l’abus de droit doit jouer ici son rôle protecteur pour le dirigeant concerné.
[1] CA Angers, 17 septembre 2019, n° 18/01525 N° Lexbase : A1992ZYG.
[2] Cass. com., 25 janvier 2017, n° 14-28.792, FS-P+B+R+I N° Lexbase : A8400S9Y, B. Saintourens, Lexbase Affaires, février 2017, n° 499 N° Lexbase : N6714BWL.
[3] Cass. crim., 25 septembre 2019, n° 18-83.113, F-P+B+I N° Lexbase : A5406ZPW, B. Saintourens, Lexbase Affaires, octobre 2019, n° 610 N° Lexbase : N0777BYG.
[4] V. not. M. Cozian, A. Viandier et Fl. Deboissy, Droit des sociétés, 34ème éd., LexisNexis, n° 940 et s..
[5] V. not. CA Versailles, 5 juin 2003, n° 01/01923 N° Lexbase : A0258DAS, Bull. Joly Sociétés, 2003, p. 1131, note P. Le Cannu ; Rev. Sociétés, 2004, p. 108, note L. Godon – CA Paris, 29 septembre 2016, n° 15/07864 N° Lexbase : A3778R4P, Bull. Joly Sociétés, 2017, p. 120, note A. Reygrobellet ; Rev. Sociétés, 2017, p. 92, note J.- F. Barbiéri.
[6] V. not. Cass. com., 14 avril 2015, n° 14-15.869, F-D N° Lexbase : A9298NGH, Rev. Sociétés, 2015, p. 674, note B. Saintourens.
[7] V. not. Cass. com., 14 avril 2015, préc. ; adde Cass. com., 10 juillet 2012, n° 11-19.563, F-D N° Lexbase : A8335IQR, Bull. Joly Sociétés, 2012, p. 712, note M. Germain et P.-L. Perrin.
© Reproduction interdite, sauf autorisation écrite préalable
newsid:480830