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par Sophie Cazaillet, Rédactrice en chef
le 31 Mai 2013
Lexbase : Pouvez-vous nous retracer le parcours de votre carrière ?
Philippe Coen : C'est au cours de mon cursus universitaire que s'est développé mon goût pour l'international. En licence (troisième année), j'ai étudié le droit des affaires "option internationale", mais sans sortir juridiquement et physiquement des frontières françaises. A l'occasion d'un concours organisé ("moot court") aux Pays-Bas (Académie de droit international de La Haye), portant sur un procès sur le thème de conflits interétatiques, je me suis aperçu de deux choses : d'une part, les étudiants français manquent cruellement d'apprentissage et de pratique de l'anglais par rapport à leurs homologues européens, qui sont le plus souvent parfaitement bilingues ; les Français étaient à la traîne ! D'autre part, le droit international s'apprend dans un contexte international. Ni les nouvelles technologies, ni les cours de droit comparé, ne suffisent à former le juriste en droit international.
J'ai donc décidé de m'inscrire aux cours d'été du Certificat de droit international public de l'Académie de La Haye, qui se déroulent depuis 1923 dans l'enceinte du Palais de la Paix, même si ma formation était "privatiste". Les conférences données dans ce cadre, par des professeurs venus de nombreux pays étrangers, sont en anglais ou en français, ce qui permet de développer son vocabulaire juridique. Les cours sont résolument tournés vers le droit international.
De retour en France, j'ai ensuite pu poursuivre mon cursus universitaire avec un double diplôme à Paris 1 : une maîtrise (Master 1) en droit des affaires internationales et un diplôme universitaire en droit des communautés européennes (à cette époque, l'Université de la Sorbonne était la seule à proposer ce type de diplôme, intitulé le CUECE). En parallèle, j'ai suivi un master en cinéma à Paris 7, passion qui m'anime depuis toujours. J'ai passé mon DESS (Master 2) en droit du commerce international à l'Université de Nanterre et suivi un autre en droit public à l'Université Paris 13, puis j'ai effectué un stage chez Gide, Loyrette et Nouel. A la suite de ce stage, j'ai décidé d'étudier à Harvard, avec l'aide d'une bourse octroyée par le ministère des Affaires étrangères. A la fin de cette année d'études, je suis entré dans le cabinet Linklaters comme collaborateur, à New York, puis au bureau de Paris. J'ai d'abord exercé en tant que conseil juridique, puis j'ai suis devenu avocat, en bénéficiant de la passerelle réservée aux conseils juridiques. J'ai prêté serment et ai exercé au sein du cabinet Berlioz & Co.
En 1997, The Walt Disney Company Europe recherchait un juriste, et m'a convaincu d'exercer la profession de juriste d'entreprise en son sein. Ne m'étant, tout d'abord, pas destiné à une autre profession que celle d'avocat, je tente aujourd'hui de conserver les réflexes de cette profession en termes de compréhension et de logique (rédaction de conclusions, procédure, etc.). Depuis 16 ans, je pratique le droit en entreprise, selon les besoins, soit dans tous ses domaines ou presque, à l'international, Disney investissant beaucoup dans des pays étrangers.
Lexbase : Comment êtes-vous parvenu à la tête de l'European company lawyers association ?
Philippe Coen : Après mon entrée chez Disney, je me suis rapidement intéressé à l'organisation de la profession des juristes d'entreprise. Venant de la profession d'avocat, réglementée et très organisée, j'ai cherché à savoir s'il en était de même pour les juristes d'entreprise.
Les juristes d'entreprise sont représentés, notamment, en France, par l'Association française des juristes d'entreprise (AFJE), qui regroupe plus de 4 600 juristes, sur les 16 500 existants. Aujourd'hui, cette association est assez affirmée pour défendre et organiser la profession. Une fois entré dans l'association, je m'y suis beaucoup investi en tant qu'administrateur, jusqu'à devenir, en 2008, son Vice-président.
L'AFJE propose de nombreuses formations aux juristes d'entreprise qui en sont membres, par le biais de commissions, d'ateliers, et d'un Campus AFJE annuel. Pour ma part, j'anime la commission "Propriété intellectuelle et audiovisuelle", qui se réunit très régulièrement, et je m'occupe, avec d'autres, des affaires internationales et de la communication de l'association. Par ailleurs, j'ai créé, en juillet dernier, le comité "Déontologie et pratique professionnelle" qui s'attelle à réglementer la profession de l'intérieur.
ECLA réunit les organisations représentatives des juristes d'entreprise. Tout naturellement, je me suis intéressé à cette institution européenne, m'y suis investi, et, en mars 2012, je suis devenu son Vice-président. Le 16 novembre 2012, ECLA m'a nommé Président de l'association. Depuis six mois, j'applique le programme pour lequel j'ai été élu.
Lexbase : Quel est le mode de fonctionnement d'ECLA ? Quel est son objet ?
Philippe Coen : ECLA fonctionne sur la base d'une gouvernance bien installée. Tous les trimestres, une assemblée générale est organisée, ainsi qu'une assemblée générale annuelle. La prochaine se déroule le 26 septembre 2013, au Palais d'Egmont, à Bruxelles, sous forme d'événement public et tous les juristes d'entreprises sont les bienvenus à s'inscrire à cette grande réflexion et célébration de notre profession au sein de l'Europe (voir ici). La suivante aura lieu à Riga, en Estonie, fin mai 2014. Il est aussi prévu d'organiser, à l'automne, à Bruxelles, un évènement annuel.
En outre, chaque mois, une réunion téléphonique est effectuée entre les membres de l'executive board, auxquels j'ai choisi d'ajouter tous les représentants de pays qui souhaitent être actifs, dans la recherche d'une transparence et d'une collaboration accrues. Enfin, l'executive board se rencontre chaque trimestre pour traiter des dossiers.
Tous les deux mois, ECLA diffuse une nouvelle newsletter (ECLANEWS) accessible à tous via notre site, qui retrace l'actualité de la profession et les réalisations de l'association et des pays membres. ECLA est aussi active sur twitter, et prépare son entrée sur linkedin, des interviews vidéos intitulées "ECLAVISIONS", etc., et est clairement ancrée dans les réseaux sociaux, l'expansion et la modernité. C'est ainsi que l'association s'est donnée pour chantier cette année de renouveler son site internet (www.ecla.eu), ainsi que son logo.
Lexbase : Quelles sont vos ambitions pour ECLA et quels sont les moyens de les réaliser ?
Philippe Coen : Mes ambitions pour ECLA portent sur son développement et le resserrement des liens entre les pays membres, pour collaborer autrement.
ECLA a deux "chantiers" importants à venir et qui concernent tous les juristes. Tout d'abord, l'association souhaite participer activement à la rédaction d'un code de déontologie pour l'Europe, qui s'adresserait à tous les juristes d'entreprise. En effet, le juriste d'entreprise est une des "consciences de l'entreprise". Les thèmes comme la responsabilité sociale des entreprises, la responsabilité citoyenne, etc., sont sur le devant de la scène juridique aujourd'hui, et il est important d'intensifier ces discussions afin de donner au juriste le cadre européen qui permettra une application harmonieuse de ces idées.
Ensuite, ECLA s'implique fortement dans les suites à donner à l'arrêt rendu par la CJUE le 14 septembre 2010, "Akzo Nobel" (CJUE, aff. C-550/07 P N° Lexbase : A1978E97). Par cette décision, les juges de l'Union ont refusé aux juristes d'entreprise et avocats internes la confidentialité de leurs avis. Il s'en est suivi, en France, un débat passionné et toujours actuel, portant sur le "legal privilege" et le rapprochement des professions de juriste et d'avocat.
La Cour avait fondé sa décision sur le constat de la dépendance du juriste d'entreprise, attaché à l'entreprise qui l'emploie par un contrat de travail. Or, le juriste d'entreprise est indépendant par nature. ECLA travaille à la rédaction d'un livre blanc argumentant en ce sens, "Company Lawyer : independent by design". L'entreprise qui emploie un juriste attend de lui qu'il délivre des avis en toute indépendance, car c'est là que se trouve sa vraie valeur ajoutée.
En déniant la confidentialité des avis aux juristes d'entreprise, le juge européen porte atteinte à la compétitivité des entreprises. Ainsi, en Europe, les juristes d'entreprise bénéficient ou non de la confidentialité de leurs avis. En Belgique, le legal privilege appartient aux juristes d'entreprise (lire à ce sujet, L'Institut des juristes d'entreprise en Belgique, une autre façon d'organiser une profession réglementée - Questions à Anne De Wolf, Directeur général de l'Institut des juristes d'entreprise en Belgique, Lexbase Hebdo n° 144 du 20 février 2013 - édition Professions N° Lexbase : N5872BTN), alors que ce n'est pas le cas en France. Cet élément peut influencer l'implantation des entreprises sur le territoire européen, en l'absence d'harmonisation européenne. Nous cherchons donc à remédier à cette difficulté qui handicape la profession et, au-delà, les entreprises que nous conseillons.
La dichotomie qui existe entre les juristes d'entreprise et les avocats ne se conçoit pas partout. Et même, la France fait figure d'exception, avec l'Italie et de rares nations européennes ! Au Royaume-Uni, en Belgique, aux Pays-Bas, au Portugal, en Croatie, en République tchèque, en Pologne, ce sont les barreaux ou l'Institut Belge dédié dans ce cas précis qui adhèrent à ECLA, association qui représente les juristes. Et ces pays ne comprennent pas pourquoi en France et en Italie les barreaux n'englobent pas les juristes d'entreprise.
Ce sujet fera partie des deux thèmes qui seront abordés le 26 septembre 2013, au Palais d'Egmont à Bruxelles, au cours de la soirée de célébration des 30 ans d'ECLA. Cet évènement est le premier célébrant la profession de juriste d'entreprise, avec des invités "VIP". Deux sujets seront à l'ordre du jour : l'indépendance des juristes d'entreprise et les problèmes liés à la mise en cause des juristes dans les procédures pénales.
Pour réaliser les ambitions que nous nous sommes fixées, et pour fonctionner au quotidien, l'association a besoin de fonds. Le financement d'ECLA, comme toute association, fonctionne d'abord sur la base des cotisations de ses membres : dix-neuf pays représentés versent chaque année la somme modique de 1 000 euros de cotisation. De plus, l'association est soutenue par des sponsors, toujours plus nombreux.
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