La lettre juridique n°520 du 21 mars 2013 : Rel. collectives de travail

[Jurisprudence] Assouplissements en matière de sanction pénale du droit conventionnel

Réf. : Cass. crim., 5 mars 2013, n° 11-83.984, FS-P+B+R (N° Lexbase : A3105I9U)

Lecture: 11 min

N6259BTY

Citer l'article

Créer un lien vers ce contenu

[Jurisprudence] Assouplissements en matière de sanction pénale du droit conventionnel. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/article-juridique/8038024-jurisprudence-assouplissements-en-matiere-de-sanction-penale-du-droit-conventionnel
Copier

par Gilles Auzero, Professeur à l'Université Montesquieu - Bordeaux IV

le 21 Mars 2013

En cas de méconnaissance des stipulations d'une convention ou d'un accord collectif de travail, un employeur encourt, à l'évidence, des sanctions civiles. Ce que l'on sait moins, c'est qu'il est également passible, dans cette hypothèse, de poursuites pénales. Il est vrai que les arrêts de la Chambre criminelle de la Cour de cassation rendus en la matière sont extrêmement rares. Ne serait-ce que pour cette raison, la décision rendue le 5 mars 2013 par la Chambre criminelle mérite de retenir l'attention. Mais son intérêt va bien au-delà de cela, ainsi qu'en atteste le fait qu'elle fera l'objet d'une mention dans le rapport annuel de la Cour de cassation. Cet intérêt réside dans l'application que fait la Chambre criminelle de l'article L. 2263-1 du Code du travail qui fixe, à lui seul et de manière très restrictive, les conditions d'application d'une sanction pénale en cas de violation d'une stipulation conventionnelle. Or, précisément, ces conditions se trouvent assouplies par l'arrêt rapporté.
Résumé

Le non-respect par l'employeur de l'obligation de mettre en place un "conseil d'établissement" dans les entreprises de moins de cinquante salariés, en application d'une convention collective étendue, est passible de sanctions pénales au titre du délit d'entrave.

Observations

I - La sanction pénale de la violation de stipulations conventionnelles

Les règles de principe. En application du principe de la légalité des délits et des peines, les parties signataires d'une convention ou d'un accord collectif de travail ne sauraient décider d'incriminer la violation d'une stipulation conventionnelle et l'assortir d'une sanction pénale. En revanche, et ainsi que cela a été démontré, le principe précité "n'interdit pas à l'autorité compétente d'ériger en infraction le manquement à des obligations qui ne sont pas définies par la loi en matière correctionnelle ou le règlement en ce qui concerne les contraventions" (1).

Ces exigences de principe trouvent leur traduction juridique dans l'article L. 2263-1 du Code du travail (N° Lexbase : L5750IA9) qui dispose que, "lorsqu'en application d'une disposition législative expresse dans une matière déterminée, une convention ou un accord collectif de travail étendu déroge à des dispositions légales, les infractions aux stipulations dérogatoires sont punies des sanctions qu'entraîne la violation des dispositions légales en cause".

La simple lecture de ce texte témoigne clairement de la volonté du législateur de ne permettre la sanction pénale de stipulations conventionnelles que de façon extrêmement restrictive. Ne sont, en premier lieu, visés que les conventions et accords collectifs de travail étendus. On comprend ainsi que la méconnaissance par un employeur des stipulations contenues dans un accord de branche n'ayant pas fait l'objet d'un arrêté d'extension, ou encore celles figurant dans une norme conventionnelle d'entreprise n'est, en aucune façon, passible de poursuites pénales (2).

En deuxième lieu, il faut que la loi ait expressément prévu, dans une matière déterminée, la faculté pour les partenaires sociaux de déroger aux dispositions légales (3). Cette délégation précise ne peut donc être confondue avec le principe général édicté par l'article L. 2251-1 du Code du travail (N° Lexbase : L2406H9Y) qui autorise l'amélioration conventionnelle des dispositions légales (4). En troisième lieu, et cela relève à dire vrai de l'évidence, la disposition à laquelle il est dérogé doit être assortie d'une sanction pénale.

Enfin, en quatrième et dernier lieu, ne sont concernées, en application de l'article L. 2263-1 du Code du travail, que les "stipulations dérogatoires". Cette référence est des plus problématiques. En effet, et bien que l'on ait pu un temps hésiter sur ce point, la notion de dérogation semble aujourd'hui renvoyer aux stipulations des conventions et accords collectifs qui écartent la loi dans un sens défavorable pour les salariés. Par suite, toute stipulation conventionnelle, figurerait-elle dans un accord collectif étendu en application d'une disposition légale expresse, qui se bornerait à améliorer ce que prévoit la loi ne pourrait donner lieu à sanction pénale en cas de violation par l'employeur. En conséquence, et en admettant que cette interprétation soit juste, l'employeur ne pourrait, par exemple, être poursuivi pour délit d'entrave, pour avoir méconnu des stipulations conventionnelles améliorant la mise en place ou le fonctionnement des institutions représentatives du personnel. Pour être plus exact, de telles poursuites ne pourraient être fondées sur l'article L. 2263-1 du Code du travail. Or, c'est précisément à cet égard, que l'arrêt rapporté semble apporter des assouplissements.

L'affaire. En l'espèce, M. A., président d'une association, gérant un centre social d'insertion et de réinsertion, et M. X, directeur de cette association, avaient été poursuivis par le ministère public devant le tribunal correctionnel, sur le fondement des articles L. 2328-1 (N° Lexbase : L9920H8W) et L. 2316-1 (N° Lexbase : L2697H9R) du Code du travail, pour entraves au fonctionnement du comité d'entreprise, à raison de faits commis en 2004, 2005 et 2006, alors que l'association comportait moins de cinquante salariés. Le tribunal, constatant que les faits qualifiés d'entrave au fonctionnement du comité d'entreprise concernaient en réalité la constitution d'un comité d'établissement, n'avait pas retenu cette infraction. Ayant déclaré la prévention établie pour le surplus, MM. A. et X, de même que le ministère public et les parties civiles, ont relevé appel de la décision.

MM. A. et X reprochaient à l'arrêt attaqué de les avoir déclarés coupables d'entrave à la constitution d'un comité d'entreprise. A l'appui de leur pourvoi, ils soutenaient, notamment, que la loi pénale étant d'interprétation stricte, l'article L. 2263-1 ne permet pas de réprimer pénalement l'absence de constitution d'un conseil d'établissement -quand bien même la constitution d'un tel conseil serait prescrite par la convention collective applicable- dès lors que la loi dispose que les conventions ou accords collectifs de travail peuvent uniquement prévoir la constitution de comités d'entreprise dans les entreprises de moins de cinquante salariés.

Ce moyen est écarté par la Chambre criminelle. Ainsi qu'elle le rappelle, "pour retenir à la charge de MM. A. et X le délit visé à l'article L. 2328-1 du Code du travail, les juges du second degré retiennent que si, en raison de l'effectif du centre social, la mise en place d'un comité d'entreprise n'était pas obligatoire au sens de ce texte, les dispositions de l'article L. 2322-3 du même code (N° Lexbase : L2707H97), qui permettent de créer un comité d'entreprise, par convention ou accord collectif de travail, dans les entreprises de moins de cinquante salariés, et la convention collective nationale étendue des centres sociaux (N° Lexbase : X0727AEN), à laquelle l'association était soumise, imposaient à celle-ci, pour satisfaire aux prescriptions des articles 4-1 et 4-2 du chapitre deux de ladite convention collective, de créer un conseil d'établissement, cet organisme étant doté des mêmes attributions et exerçant le même rôle que le comité d'entreprise ; que les juges ajoutent que la convention en cause étant essentielle au fonctionnement de l'association, les prévenus ne peuvent sérieusement soutenir avoir ignoré l'obligation de constituer un conseil d'établissement".

La Chambre criminelle conclut en suivant "qu'en se déterminant ainsi, et en étendant les dispositions de l'article L. 2328-1 du Code du travail à un comité d'établissement institué conventionnellement, la cour d'appel, qui n'a pas excédé sa saisine, a légalement justifié sa décision ; qu'en effet, aux termes de l'article L. 2263-1 dudit code, lorsqu'en application d'une disposition législative expresse dans une matière déterminée, une convention ou un accord collectif de travail étendu déroge à des dispositions légales, les infractions aux stipulations dérogatoires sont punies des sanctions qu'entraîne la violation des dispositions légales en cause. Que tel étant le cas en l'espèce, le moyen n'est pas".

Cette solution, qui conduit la Chambre criminelle à introduire un peu de souplesse dans l'application de l'article L. 2263-1 du Code du travail, doit certainement être approuvée. Elle tend d'abord à signifier que l'interprétation stricte de la loi pénale ne saurait être exagérée. Mais, à y regarder de plus près, elle semble aussi donner une signification large de la notion de "stipulations dérogatoires".

II - La position compréhensive de la Cour de cassation

L'interprétation stricte de la loi pénale. Conformément aux prescriptions de l'article L. 2322-1 du Code du travail, la mise en place d'un comité d'entreprise n'est obligatoire que dans les entreprises employant cinquante salariés et plus. Cela étant, il résulte de l'article L. 2322-3 que dans les entreprises qui n'atteignent pas ce seuil d'effectif, "des comités d'entreprise peuvent être créés par convention ou accord collectif de travail".

En l'espèce, il n'était pas contesté que le centre social, en cause, employait moins de cinquante salariés. Toutefois, ce centre social était soumis à la Convention collective nationale des centres sociaux, en sa rédaction du 26 novembre 1999. Or, et ainsi que l'avaient relevé les juges d'appel, l'article 4-1 de cette Convention stipulait que "dans les entreprises de moins de 50 salariés et gérant un seul établissement, un conseil d'établissement composé de l'employeur (ou de son représentant) et des délégués du personnel titulaires et suppléants remplit le rôle du comité d'entreprise", tandis que l'article 4-2 du même texte précisait que "les attributions professionnelles, économiques, sociales et culturelles du conseil d'établissement sont les mêmes que celles du comité d'entreprise".

Visiblement, le président et le directeur de l'association n'avaient pas constitué ce "conseil d'établissement", méconnaissant ainsi les stipulations de la convention collective applicable. C'est ce qui avait déclenché les poursuites du ministère public et abouti à la condamnation pour délit d'entrave, sur le fondement de l'article L. 2263-1. La question était par suite de savoir si les conditions d'application de ce texte étaient remplies.

Outre que la stipulation litigieuse figurait dans une convention collective étendue (5), elle avait bien été adoptée sur le fondement d'une disposition législative expresse, en l'occurrence l'article L. 2322-3 du Code du travail. Il faut encore ajouter que la disposition légale à laquelle la stipulation se rapportait, à savoir l'article L. 2322-1, est bien assortie d'une sanction pénale. En effet, l'article L. 2328-1 dispose que "le fait d'apporter une entrave soit à la constitution d'un comité d'entreprise, d'un comité d'établissement ou d'un comité central d'entreprise, soit à la libre désignation de leurs membres, [...], notamment par la méconnaissance des dispositions des articles L. 2324-3 (N° Lexbase : L2967H9R) à L. 2324-5 (N° Lexbase : L2973H9Y) et L. 2324-8 (N° Lexbase : L9744H8E) est puni d'un emprisonnement d'un an et d'une amende de 3 750 euros" (6).

Mais cela n'était pas discuté par les prévenus qui soutenaient, principalement, que la cour d'appel avait méconnu le principe d'interprétation stricte de la loi pénale. Plus précisément, ils arguaient du fait qu'ils ne pouvaient être pénalement condamnés pour avoir refusé de mettre en place un "conseil d'établissement", alors que la loi autorise uniquement les normes conventionnelles à instituer des "comités d'entreprise", dans les entreprises occupant moins de cinquante salariés.

Il est heureux que cet argument, qui revenait en quelque sorte "à jouer sur les mots" n'ait pas été retenu par la Cour de cassation. Tout d'abord, l'article L. 2322-3 ne saurait être pris au pied de la lettre. S'il vise effectivement les " entreprises " de moins de cinquante salariés et les "comités d'entreprise", le législateur a nécessairement eu en vue les entreprises à structure complexe, composées d'établissements distincts. Or, si de tels comités ne sont obligatoires qu'à la condition que le seuil de cinquante salariés soit franchi au niveau des établissements, une convention d'entreprise peut prévoir leur mise en place alors même qu'il n'est pas atteint.

Surtout, pour en revenir au cas d'espèce, et ainsi qu'il a été vu précédemment, la convention collective applicable assimilait expressément le "conseil d'établissement" à un comité d'entreprise. En d'autres termes, les partenaires sociaux n'avaient pas entendu créer une institution représentative du personnel sui generis, ne présentant pas une identité de nature avec une institution légale. L'argument des prévenus ne pouvait qu'être écarté. On peut en revanche s'étonner que ces derniers n'aient pas fondé leur action sur la notion de "stipulations dérogatoires" visée par l'article L. 2263-1 du Code du travail ; même si l'arrêt commenté peut laisser à penser qu'il n'aurait pas plus prospéré.

La notion de "stipulations dérogatoires". A n'en point douter, la stipulation conventionnelle en cause dans l'arrêt sous examen améliorait les dispositions légales. Or, si l'on entend par "stipulations dérogatoires", les stipulations assouplissant la règlementation du travail dans le sens de la flexibilité, il y a tout lieu de constater que la clause en question ne relevait pas de cette catégorie juridique. Pourtant, cela n'a pas empêché la cour d'appel saisie du litige et, après elle, la Cour de cassation de condamner les chefs d'entreprise pour délit d'entrave sur le fondement de l'article L. 2263-1.

Dans la mesure où la question n'était pas en débat devant ces juridictions, on ne saurait trop tirer parti de l'arrêt. Pour autant, il reste troublant qu'après avoir rappelé les termes mêmes de l'article L. 2263-1 du Code du travail, la Chambre criminelle affirme expressément que "tel était le cas en l'espèce". On est par suite tenté de comprendre que l'on était bien en présence d'une "stipulation dérogatoire".

Si cette solution devait être clairement confirmée par la suite, elle atténuerait grandement le caractère restrictif de la sanction pénale de la violation de stipulations conventionnelles. Mais, par là-même, elle obligerait à relativiser la conception souvent admise en doctrine de la dérogation, selon laquelle elle est nécessairement in pejus. Mais, cela serait un moindre mal, étant d'ailleurs observé que la loi ne définit nullement ce qu'est une "dérogation".

Sans enlever toute sa rigidité à l'article L. 2263-1 qui, notamment, resterait nécessairement inapplicable aux conventions et accords collectifs d'entreprise (7), cette évolution serait la bienvenue. Elle assurerait notamment une application raisonnable du délit d'entrave, nous ramenant curieusement, dans une mesure certes relative, à la jurisprudence "Plessis" (8).


(1) M.-C. Amauger-Lattes, L'évolution paradoxale de la sanction pénale du droit conventionnel du travail, Dr. soc., 2009, p. 568, spéc., p. 569.
(2) Ne parlons pas des usages et autres engagements unilatéraux de l'employeur.
(3) Remarquons qu'à l'occasion de la recodification du Code du travail, la référence aux dispositions réglementaires a, malencontreusement, disparu de l'article L. 2263-1, nouveau.
(4) V., en ce sens, M.-C. Amauger-Lattes, art. préc., p. 570.
(5) Le protocole d'accord du 26 novembre 1999 avait été étendu par un arrêté en date du 11 mai 2000.
(6) Nous soulignons.
(7) C'est aussi la sanction pénale assortissant les dispositions légales qui pose problème. Ainsi, en matière de droit syndical, l'article L. 2146-1 (N° Lexbase : L2229H9G) renvoie à certains textes seulement, dans lesquels ne figure pas l'article L. 2141-10 (N° Lexbase : L2155H9P) qui autorise, en la matière, les améliorations conventionnelles. Cet argument peut toutefois être dépassé (v. en ce sens, M.-C. Amauger-Lattes, art. préc. p. 573).
(8) Du nom d'un arrêt rendu le 14 février 1978 par la Chambre criminelle, dans lequel elle avait décidé que la violation d'un usage ou d'une stipulation conventionnelle plus favorable que les dispositions légales afférentes à la représentation du personnel et des syndicats constitue un délit d'entrave : Cass. crim., 14 février 1978, n° 76-93.406, publié (N° Lexbase : A5912AA9), Bull. crim., n° 58 ; D., 1978, IR, 384, note J. Pélissier. Sur l'évolution postérieure à cet arrêt, v. l'art. préc. de M.-C. Amauger-Lattes.

Décision

Cass. crim., 5 mars 2013, n° 11-83.984, FS-P+B+R (N° Lexbase : A3105I9U)

Rejet, CA Nîmes, chambre correctionnelle, 22 avril 2011

Textes concernés : C. trav., art. L. 2263-1 (N° Lexbase : L5750IA9), L. 2322-1 (N° Lexbase : L6220IS8), L. 2322-3 (N° Lexbase : L2707H97) et L. 2328-1 (N° Lexbase : L9920H8W)

Mots-clés : sanction pénale, violation de stipulations conventionnelles, délit d'entrave, mise en place d'un "conseil d'établissement"

Liens base : (N° Lexbase : E1720ETU)

newsid:436259