La lettre juridique n°520 du 21 mars 2013 : Éditorial

Economie culturelle sur internet : entre la neige et le feu

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par Fabien Girard de Barros, Directeur de la publication

le 27 Mars 2014


Il y a 13 ans, un célèbre avocat spécialiste en propriété intellectuelle, Gérard Haas, comparaît internet à une "poudrière juridique"... Le moins que l'on puisse dire, c'est que l'avenir ne l'a pas démenti et, s'il est un terrain sur lequel le droit a toujours un train de retard sur la pratique sociale et commerciale, c'est bien celui du web et, plus singulièrement, celui de la conciliation entre le développement numérique et la protection des données et des droits d'auteur.

Sans parcourir la "galerie des batailles" sur le champ de la propriété intellectuelle de ces dix dernières années, les récents épisodes de cette "épopée" montrent, une nouvelle fois, les contradictions inhérentes au super média de masse et les difficultés qu'il y a à insuffler du juridique dans une zone internationale de non-droit.

Les magistrats tentent bien de ramener les exploitants de la toile à la raison juridique et au droit, mais l'on sent bien que le développement commercial sur internet est perçu, par beaucoup, dont la majorité des gouvernants, comme la planche de salut économique des économies occidentales moribondes ; et le moindre frein juridique à la créativité sur le web est au mieux considéré comme une entrave à la croissance quand il n'est pas taxé de censure et d'atteinte à la liberté d'expression.

Le 7 mars 2013, la Cour de justice de l'Union européenne a rappelé le droit de suite dont dispose les radiodiffuseurs de télévision sur leurs programmes et leur faculté d'interdire la retransmission de leurs émissions par une autre société via internet. C'est sur le terrain de la "communication au public" et de la Directive 2001/29 que la décision a été prise, alors que le public internet de ces émissions couvrait le public télévisuel susceptible de regarder les mêmes programmes. Seuls le média et le rediffuseur variait.

On peut évidemment comprendre, juridiquement, que, détenant la propriété des oeuvres télévisuelles qu'elles diffusent, les chaînes hertziennes ou câblées trouvent à redire à ce que leurs contenus produits, ou le plus souvent, achetés par elles soient en accès sur un autre média sans contrôle, ni égard au regard de leurs investissements et, ce faisant, de leurs droits exclusifs. Et, d'un point de vue économique, on imagine qu'une solution contraire aurait bouleversé le système de financement télévisuel en validant le "parasitage" et l'éclatement du panel de "cerveaux disponibles" pour les messages publicitaires.

Parallèlement, la loi française du 1er mars 2012 qui tend à favoriser l'exploitation numérique des livres indisponibles du XXème siècle a tenté, par exemple, de trouver des solutions juridiques et économiques innovantes au problème des oeuvres indisponibles, qui réconcilient les objectifs de la société de l'information et le droit d'auteur. Mais, son décret d'application, en date du 27 février 2013, fixe, désormais, les procédures permettant aux titulaires de droits de s'opposer à l'inscription de leurs livres indisponibles dans la base de données et à la mise en gestion collective de leurs droits d'exploitation numérique. Là encore, l'auteur conserve ses droits sur son oeuvre et, notamment, celui qu'elle ne soit pas exploitée.

Et, tout cela s'apparente toujours à des ripostes graduées... A aucun moment, le législateur et a fortiori les magistrats ne prennent le problème à bras le corps pour imposer le droit sur internet. De conciliabules en commissions ad hoc, la formule semble toujours naviguer entre deux eaux : libéralisation et restriction. Le problème, bien évidemment, c'est que cette formule qui peine déjà à s'appliquer dans le monde physique est parfaitement illusoire dans celui de l'immatériel.

Aujourd'hui, un "web commerçant" se retrouve devant les tribunaux américains pour avoir organisé, de manière transparente et apparemment en toute légalité, un système de vente de fichiers musicaux "d'occasion"... à l'image du marché de l'occasion du disque. Fini le piratage, le partage illégal de fichiers, le site propose une plateforme de vente de biens d'occasion tout ce qu'il y a de plus évidente et normale, sauf qu'il s'agit spécifiquement de fichiers musicaux.

Et, ce qui vaut aujourd'hui pour l'industrie du disque, vaudra demain pour celle du livre... Deux puissantes plateformes de commercialisation de produits culturels en ligne viennent, ainsi, de déposer, chacune, un brevet de commercialisation de livres numériques d'occasion...

Alors, que la France peine déjà à organiser son marché de l'édition numérique, contrairement au Japon, à l'Allemagne ou aux Etats-Unis qui connaissent une forte croissance du secteur, elle sera, d'ici peu, confrontée à des problématiques bien pire que la "cannibalisation" du marché "papier". Et, il n'est pas certain qu'en retardant la migration numérique, par une politique tarifaire décourageante, une interopérabilité restrictive et un régime des droits d'auteurs obsolète, les éditeurs et les auteurs y trouvent leur compte ; refusant ainsi de prendre la vague internet qui, sans dévaluer le bien culturel que représente le livre, permettrait de dynamiser une économie en perte de vitesse.

Il y a des leçons de droit à apprendre du désastre de l'économie musicale pour que celle du livre ne connaisse pas les mêmes affres. "Internet sera à l'économie du XXIème siècle ce que l'essence fut au XXème siècle" prédisait Craig Barrett... Sauf qu'il ne faut pas s'attendre à une raréfaction pour "dépolluer l'environnement commercial", il faut anticiper juridiquement l'exploitation culturelle par internet.

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