La lettre juridique n°520 du 21 mars 2013 : Procédure civile

[Chronique] Chronique de procédure civile - Mars 2013

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par Etienne Vergès, Professeur à l'Université de Grenoble, Membre de l'Institut universitaire de France

le 26 Mars 2013

Lexbase Hebdo - édition privée vous propose, cette semaine, de retrouver la chronique trimestrielle d'actualité en procédure civile réalisée par Etienne Vergès, agrégé des facultés de droit et Professeur à l'Université de Grenoble II, membre de l'Institut universitaire de France. En matière réglementaire, l'auteur revient en détail sur le décret n° 2012-1451 du 24 décembre 2012, relatif à l'expertise et à l'instruction des affaires devant les juridictions judiciaires qui, tout d'abord, institutionnalise le juge chargé de contrôler l'exécution des mesures d'instruction ; s'agissant de l'instruction devant le tribunal de commerce ce texte institue au sein de ces tribunaux un juge chargé d'instruire l'affaire, dont les fonctions sont proches de celles du juge de la mise en état ; le décret du 24 décembre 2012 procède, enfin, à quelques modifications relatives à la désignation et à la rémunération des experts. Pour ce qui est de l'actualité jurisprudentielle, l'auteur a sélectionné trois arrêts : en premier lieu, un arrêt de la première chambre civile de la Cour de cassation, du 27 février 2013, dans le cadre de la procédure disciplinaire des avocats, qui dégage une obligation d'information, dans la convocation, sur les conséquences de l'absence de comparution (Cass civ. 1, 27 février 2013, n° 12-15.441, F-P+B+I) ; en deuxième lieu, s'agissant des règles relatives à la communication des pièces, il ressort, là encore, d'un arrêt de la première chambre civile, que les pièces sont portables et non quérables (Cass civ. 1, 6 mars 2013, n° 12-14.488, FS-P+B+I) ; en dernier lieu, l'auteur revient sur un arrêt de la deuxième chambre civile de la Cour de cassation, en date du 10 janvier 2013, concernant les conditions de recevabilité des demandes reconventionnelles, et duquel il ressort que l'adage reconvention sur reconvention ne vaut n'a plus lieu de s'appliquer dans la procédure civile contemporaine (Cass. civ. 2, 10 janvier 2013, n° 10-28.735, FS-P+B). I - Actualités des textes
  • Décret n° 2012-1451 du 24 décembre 2012, relatif à l'expertise et à l'instruction des affaires devant les juridictions judiciaires (N° Lexbase : L8193IUY)

Le décret du 24 octobre 2012 est un mélange de genres qui modifie le Code de procédure civile sur plusieurs points. Il modifie l'organisation juridictionnelle en créant la fonction de "juge chargé de contrôler l'exécution des mesures d'instruction" (au sein de toutes les juridictions) et celle de "juge chargé de suivre l'affaire" (devant le tribunal de commerce). Enfin, il modifie légèrement les règles d'inscription, de désignation et de rémunération des experts. L'entrée en vigueur du décret a eu lieu le 1er février 2013.

A - L'institutionnalisation du juge chargé de contrôler l'exécution des mesures d'instruction

Le décret n° 98-1231 du 28 décembre 1998 (N° Lexbase : L2924AI7) avait créé un article 155-1 du Code de procédure civile (N° Lexbase : L1526H4B), qui permettait au président de la juridiction de désigner un juge chargé de contrôler l'exécution des mesures d'instruction confiées à un technicien dans l'intérêt d'une bonne administration de la justice. Le décret du 24 décembre 2012 institutionnalise cette fonction en l'introduisant dans le Code de l'organisation judiciaire et donne à ce juge une compétence générale, sous réserve de dérogations.

Dans le Code de l'organisation judiciaire, la fonction de juge chargé de contrôler les mesures d'instruction est ajoutée aux autres fonctions particulières en matière civile (JME, JAF, JEX, etc.). L'article R. 213-12-1 du Code de l'organisation judiciaire (N° Lexbase : L7726IUP) prévoit ainsi que le président du tribunal de grande instance désigne un ou plusieurs juges chargés de contrôler l'exécution des mesures d'instruction et l'article R. 212-37 du Code de l'organisation judiciaire (N° Lexbase : L7729IUS) soumet à l'avis de l'assemblée des magistrats du siège du tribunal de grande instance, le projet d'ordonnance préparé par le président du tribunal et désignant le magistrat chargé de contrôler l'exécution des mesures d'instruction.

La compétence de ce juge est définie par le Code de procédure civile.

Cette compétence concerne les mesures d'instruction ordonnées par toutes les juridictions. Elle présente un caractère alternatif. L'article 155 du Code de procédure civile prévoit ainsi que le contrôle des mesures d'instruction peut être effectué :

- par le juge qui l'a ordonnée ;
- en cas de collégialité, par le juge chargé de l'instruction ou par le président ;
- par le juge chargé de contrôler l'exécution des mesures d'instruction.

Devant le TGI, ce magistrat spécialisé a une compétence de principe :

- pour le contrôle des mesures d'instruction ordonnées en référé, sauf si l'ordonnance de roulement a réparti différemment la répartition des juges (C. pr. civ., art. 819, alinéa 1er N° Lexbase : L7731IUU) ;
- pour le contrôle des mesures ordonnées par le juge de la mise en état, en application de l'article 771 du Code de procédure civile (N° Lexbase : L8431IRP) sauf si ce dernier se réserve la compétence de ce contrôle.

Devant la cour d'appel, la compétence de ce magistrat est résiduelle. L'article 964-2 du Code de procédure civile (N° Lexbase : L7727IUQ) prévoit que, lorsque la cour d'appel infirme une décision de référé qui a refusé d'ordonner une mesure d'instruction, elle ordonne alors cette mesure et peut en confier le contrôle au juge chargé de contrôler les mesures d'instruction de la juridiction dont émane l'ordonnance.

En définitive, le décret ouvre un large éventail de choix pour désigner le juge chargé du contrôle des mesures d'instruction. Il y a là une souplesse qui doit être saluée, mais également une possibilité de confusion. Ainsi, au cours d'une réunion interprofessionnelle pour la mise en oeuvre du décret au TGI de Lyon, la compagnie des experts a demandé à ce que l'identité du magistrat chargé du contrôle ne soit pas ambiguë. Il a donc été décidé que les décisions qui ordonneront des expertises devront mentionner le nom du juge chargé de son contrôle. Ainsi, la pratique des palais peut utilement compléter le texte pour en faciliter l'application.

B - Dispositions relatives à l'instruction devant le tribunal de commerce

Le décret du 24 décembre 2012 institue au sein du tribunal de commerce un juge chargé d'instruire l'affaire, dont les fonctions sont proches de celles du juge de la mise en état, mais transposées dans une procédure sans représentation obligatoire (1).

Dans son ancienne version, l'article 861 du Code de procédure civile (N° Lexbase : L1158IN9) prévoyait que, lorsque l'affaire appelée à l'audience du tribunal n'était pas en état d'être jugée, la formation de jugement avait le choix entre deux possibilités :

- le renvoi à une audience ultérieure (dans l'attente d'échanges entre les parties) ;
- la nomination d'un juge rapporteur qui possédait les pouvoirs d'instruction ordinaires de tous les juges civils.

Cette seconde procédure est conservée, mais le juge rapporteur devient désormais le juge chargé d'instruire l'affaire. Ce dernier se voit confier les mêmes pouvoirs que ceux que détenait le juge rapporteur. Ces pouvoirs sont décrits aux articles 861-3 (N° Lexbase : L7744IUD) et suivants du Code de procédure civile.

Par ailleurs, son rôle est aménagé aux articles 869 (N° Lexbase : L7747IUH) à 871 du Code de procédure civile (2), mais il ne diffère pas réellement de celui du juge rapporteur. Le juge chargé de suivre l'affaire :

- doit renvoyer l'affaire devant le tribunal dès que l'état de l'instruction le permet (l'affaire et en état d'être jugée) ;
- peut faire un rapport oral à l'audience avant les plaidoiries (hypothèse de l'audience collégiale) ;
- peut tenir seul l'audience si les parties de s'y opposent pas. Il rend compte au tribunal dans son délibéré.

La seule véritable innovation consiste dans le rapport oral que le juge chargé de suivre l'affaire peut présenter devant le tribunal dans sa formation collégiale. De façon très classique, l'article 870 du Code de procédure civile (N° Lexbase : L7746IUG) précise que ce rapport oral "expose l'objet de la demande et les moyens des parties, précise les questions de fait et de droit soulevées par le litige et fait mention des éléments propres à éclairer le débat, sans faire connaître l'avis du juge qui en est l'auteur". Le rapport oral est ainsi conçu comme le récit objectif des résultats de l'instruction.

Le décret du 24 décembre 2012 n'apporte donc pas de réelle innovation dans l'instruction des affaires commerciales. D'abord, il procède à une légère harmonisation en clarifiant la fonction de juge d'instruction commerciale. En effet, le juge rapporteur portait mal son nom. La fonction de rapporteur est exercée durant l'audience de jugement. Les missions d'instruction sont exercées en amont. Ensuite, le juge chargé de suivre l'affaire se voit confier les mêmes prérogatives que les autres juges d'instruction civile : il présente un rapport lors des audiences collégiales ou peut tenir une audience seule. Enfin, on peut considérer que ce changement sémantique accompagne la réforme de la procédure sans représentation obligatoire mise en place par le décret n° 2010-1165 du 1er octobre 2010 (N° Lexbase : L0992IN3). Cette réforme a ouvert l'option entre l'oral et l'écrit dans les procédures sans représentation obligatoire et elle a également consacré la pratique du calendrier de procédure (voir sur cette réforme notre chronique, parue dans Lexbase Hebdo n° 437 du 28 avril 2011 - édition privée N° Lexbase : N0647BSR). Elle a ainsi donné plus de valeur aux échanges d'écritures et à la phase d'instruction. Le décret du 24 décembre 2012 donne une plus grande cohérence à la procédure, en désignant un juge chargé de préparer ce dossier et de faire respecter les délais pour l'échange des écritures.

C - Dispositions relatives à l'expertise

Le décret du 24 décembre 2012 procède à quelques modifications relatives à la désignation et à la rémunération des experts.

Inscription et désignation des experts

Le décret commenté modifie le décret n° 2004-1463 du 23 décembre 2004, relatif aux experts judiciaires (N° Lexbase : L5178GUC). Ce dernier texte est augmenté d'un article 4-1 qui définit les critères d'inscription sur la liste des experts judiciaires :

- il doit être tenu compte des qualifications et de l'expérience professionnelle des candidats (y compris acquises dans l'Union européenne) ;
- l'inscription tient également compte de l'intérêt que le candidat manifeste pour la collaboration au service public de la justice.

Le décret évoque également le recours à des experts qui ne sont pas inscrits sur la liste des experts judiciaire. L'article 265 du Code de procédure civile (N° Lexbase : L7732IUW) est complété, pour contraindre le juge qui désigne un expert qui ne figure pas sur cette liste, à motiver sa décision en exposant les circonstances qui rendent nécessaire le recours à cet expert.

Rémunération des experts

Enfin, le décret modifie la procédure de détermination de la rémunération de l'expert. Il ajoute un alinéa à l'article 282 du Code de procédure civile (N° Lexbase : L7734IUY), selon lequel le dépôt par l'expert de son rapport est accompagné de sa demande de rémunération. La demande de rémunération est également communiquée aux parties qui disposent d'un délai de quinze jours pour formuler des observations écrites sur cette rémunération. A l'issue de ce délai, le juge fixe la rémunération de l'expert (C. pr. civ., art. 284 modifié N° Lexbase : L7735IUZ). Le décret du 24 décembre 2012 ouvre, donc, la voie à une procédure de discussion ou de contestation sur la rémunération de l'expert qui, en définitive, sera tranchée par le juge.

II - Actualités de la jurisprudence

  • Procédure disciplinaire des avocats, absence de comparution et droit au procès équitable (Cass. civ. 1, 27 février 2013, n° 12-15.441, F-P+B+I N° Lexbase : A6805I8K)

La notification d'un acte introductif d'instance ou d'une convocation devant une juridiction doit contenir une information claire sur les conséquences de l'absence de comparution des parties à l'audience.

L'arrêt rendu par la première chambre civile le 27 février 2013 semble rappeler une règle classique de la procédure civile, mais en réalité, il précise la signification de dispositions techniques du Code de procédure civile au regard du droit au procès équitable.

En l'espèce, un avocat avait été sanctionné par un blâme par le conseil de discipline du barreau de Paris. Il avait interjeté appel de cette décision devant la cour d'appel. Le jour de l'audience, l'avocat sanctionné n'était pas présent, mais son propre avocat avait présenté des observations. Pourtant, l'article 193 du décret de 1991 précise que "l'avocat poursuivi comparaît en personne. Il peut se faire assister par un avocat". A contrario, l'avocat poursuivi disciplinairement n'a pas la possibilité de se faire représenter (3). La cour d'appel, constatant que l'avocat sanctionné ne s'était pas présenté en personne, rejeta son recours. Elle ajouta au soutien de sa décision, que la procédure étant orale, l'avocat tenu de comparaître en personne devait oralement présenter ses arguments devant la juridiction d'appel.

Le pourvoi était axé autour de deux arguments. Le premier était fondé sur le fait que la notification d'un acte introductif d'instance doit indiquer les conséquences juridiques d'un défaut de comparution. Le second reposait sur l'idée que l'obligation de comparaître personnellement et sa sanction constituaient une atteinte au droit au juge protégé par l'article 6 de la CESDH (N° Lexbase : L7558AIR).

La Cour de cassation suit partiellement cette argumentation pour casser l'arrêt d'appel.

D'abord, elle vise les articles 56 (N° Lexbase : L8420IRB) et 665-1 (N° Lexbase : L6840H7H) du Code de procédure civile. Le premier de ces textes, concerne les formalités de l'assignation et le second les formalités de la notification au défendeur d'un acte introductif d'instance. Elle en déduit de façon générale que "la notification d'un acte introductif d'instance ou d'une convocation devant une juridiction doit indiquer que faute pour une partie de comparaître, elle s'expose à ce qu'un jugement soit rendu contre elle sur les seuls éléments fournis par son adversaire".

Ensuite, la Cour de cassation vise l'article 6 § 1 de la CESDH et elle déduit de ce texte une formule générale selon laquelle "l'accès effectif au juge suppose une information claire sur les conséquences de l'absence de comparution des parties à l'audience".

Enfin, elle constate que la convocation de l'avocat ne l'informait pas expressément que sa présence à l'audience était requise sous peine de voir ses demandes rejetées.

L'arrêt est intéressant, car il résulte d'une combinaison de plusieurs textes dont aucun n'imposait expressément que l'appelant bénéficie d'une information sur les conséquences de son refus de comparution. Mais la Cour de cassation dégage une règle nouvelle en se livrant à une interprétation extensive des textes du Code de procédure civile à l'aide de l'article 6 § 1 de la CESDH. La Cour parle, ainsi, de "l'accès effectif au juge" qui se dissimule derrière le "droit au juge" dégagé par la CEDH sur le fondement de l'article 6 § 1 de la Convention (4).

Cet arrêt, apparemment technique, énonce une règle importante qui pourrait être intégrée dans les principes directeurs du procès civil. Après l'article 14 (N° Lexbase : L1131H4N) qui dispose que "nulle partie ne peut être jugée sans avoir été entendue ou appelée", le pouvoir réglementaire serait bien inspiré d'y ajouter une formule inspirée de l'arrêt commenté :

"la notification d'un acte introductif d'instance ou d'une convocation devant une juridiction doit contenir une information claire sur les conséquences de l'absence de comparution des parties à l'audience".

  • Communication de pièces : les pièces sont portables et non quérables (Cass. civ. 1, 6 mars 2013, n° 12-14.488, FS-P+B+I N° Lexbase : A0606I9C)

En jugeant que le bordereau avait été communiqué et que les pièces étaient consultables, la cour d'appel a violé les règles relatives à la communication des pièces.

On enseigne traditionnellement en droit des obligations que "les dettes sont quérables et non portables", ce qui signifie que le créancier doit aller chercher son paiement chez le débiteur et ne peut réclamer qu'il lui soit porté (à son domicile). La question posée par l'arrêt du 6 mars 2013 est intéressante, car elle concerne cette fois, non pas une créance substantielle, dans le champ du droit des obligations, mais une créance processuelle, dans le champ de la procédure civile. En effet, le principe du contradictoire, couplé au droit à la preuve, crée une obligation de communication des pièces. En revanche, le code ne dit pas si les pièces doivent être envoyées par le débiteur de cette obligation à son créancier, ou si la partie qui demande la communication des pièces doit aller les consulter sur place, chez son adversaire qui les détient.

Dans l'affaire jugée par la première chambre civile le 6 mars 2013, un litige était né à propos d'un partage successoral. L'une des parties avait communiqué à l'autre un bordereau de 85 pièces puis un second bordereau récapitulatif visant des pièces supplémentaires. Pourtant, une partie des pièces n'avait pas été communiquée matériellement. Malgré cela, la mise en état fut tout de même clôturée et l'affaire renvoyée devant la cour d'appel. La partie sollicita alors la réouverture des débats et la communication sous astreinte des pièces manquantes.

La cour d'appel rejeta cette demande et statua au fond. La juridiction affirma, ainsi, que "les pièces communiquées par bordereau entre avoués sont à la disposition des parties, de sorte qu'il appartenait à Mme Y de les obtenir matériellement si une telle remise n'avait pas été faite spontanément". En d'autres termes, la cour d'appel jugeait qu'en l'absence de communication spontanée, il appartenait à la partie de consulter directement les pièces au domicile de son adversaire ou au cabinet de son avoué.

La Cour de cassation prononce une cassation au visa des articles 16 (N° Lexbase : L1133H4Q), 132 (N° Lexbase : L0429IGY) et 133 (N° Lexbase : L1474H4D) du Code de procédure civile. Elle constate que l'héritière avait demandé en vain, par voie de sommation, la communication des pièces dont se prévalaient ses adversaires et que dans un tel contexte, il incombait au juge d'ordonner la communication forcée.

La solution semble évidente, mais elle ne ressort pas d'une analyse littérale des textes. L'article 132 du Code de procédure civile indique que la communication des pièces doit être spontanée et l'article 133 prévoit qu'à défaut de communication spontanée, il peut être demandé au juge d'enjoindre cette communication. Mais aucun de ces textes ne précise que la communication matérielle doit porter sur les pièces elles-mêmes ou uniquement sur le bordereau qui énonce la liste des pièces soumises à la juridiction.

Lorsqu'une partie reçoit le bordereau, elle est informée des armes dont dispose son adversaire, mais elle n'est pas en mesure de les étudier et de les discuter. Le contradictoire n'est donc pas entièrement respecté. La cour d'appel ne remettait pas en cause cette analyse, mais elle considérait qu'il appartenait à la partie qui demandait la communication, d'aller consulter ces pièces directement chez ses adversaires. Selon cette interprétation, le contradictoire était respecté dès lorsque que chaque partie tenait ses pièces à la disposition de l'autre. Il n'y avait pas de communication au sens strict, mais plutôt un accès au dossier. Il s'agissait là d'une interprétation bien audacieuse du Code de procédure civile. Elle est d'ailleurs censurée par la Cour de cassation, qui affirme clairement que le juge doit ordonner la communication forcée, dès lors qu'il est sollicité en ce sens par l'une des parties.

La jurisprudence sur la communication des pièces est abondante, mais l'arrêt commenté est intéressant, car il vient préciser un point qui ne l'avait pas été auparavant et que l'on peut résumer dans la formule : les pièces sont portables et non quérables. En d'autres termes, c'est à celui qui se prévaut de pièces d'assumer la charge de les transmettre matériellement à son adversaire. La communication des pièces ne se limite pas à celle du bordereau et elle ne se borne pas non plus à l'ouverture de son dossier dans le cabinet de son avocat.

  • Demande reconventionnelle : condition de recevabilité (Cass. civ. 2, 10 janvier 2013, n° 10-28.735, FS-P+B N° Lexbase : A0758I3H)

L'adage reconvention sur reconvention ne vaut n'a pas lieu de s'appliquer dans la procédure civile contemporaine

L'arrêt rendu le 10 janvier 2013 par la deuxième chambre civile est un bel exemple pour montrer la valeur relative des adages qui proviennent de temps trop anciens et ne correspondent plus à la cohérence générale du Code de procédure civile. Il enseigne également que, quel que soit leur héritage, les adages n'ont pas de portée juridique tant qu'ils n'ont pas été intégrés dans un texte normatif ou consacrés par la haute juridiction.

Les vieux ouvrages enseignent, ainsi, que la règle reconvention sur reconvention ne vaut est "universellement admise par les docteurs" (5) et qu'elle interdit au demandeur primitif d'intenter une demande reconventionnelle sur la demande reconventionnelle du défendeur primitif. La demande reconventionnelle serait alors le privilège du défendeur initial. La règle a traversé les âges sans que l'on en trouve une expression claire dans la jurisprudence moderne de la Cour de cassation (6) et elle est encore exprimée dans les manuels de procédure civile (7), même si certains auteurs contemporains admettent que l'adage est critiqué (8).

Le fait est que cet adage a navigué de manuel en manuel, et de professeurs en étudiants sans que l'on se soit posé la question de sa valeur en droit positif.

La Cour de cassation vient précisément de remettre en cause cette valeur dans l'arrêt commenté. En l'espèce, une personne qui s'était portée caution d'une dette auprès d'une banque, a assigné la banque en nullité du cautionnement. La banque a formulé une demande reconventionnelle en paiement de la dette cautionnée. La caution a été déboutée de sa demande principale en première instance et a formé un appel qui contenait une demande reconventionnelle : la condamnation de la banque à lui verser des dommages-intérêts.

La cour d'appel, saisie de cette demande reconventionnelle, l'a déclaré irrecevable, car elle avait été formée par le demandeur principal à la suite de la demande reconventionnelle présentée par la banque. Les juges du second degré ont alors affirmé que la demande en dommages-intérêts se heurtait à l'adage "reconvention sur reconvention ne vaut".

La Cour de cassation casse cette décision au visa des articles 64 (N° Lexbase : L1267H4P qui définit la demande reconventionnelle) et 567 (N° Lexbase : L6720H7Z qui déclare les demandes reconventionnelles recevables en appel) du Code de procédure civile. Dans un chapeau très clair, la Cour de cassation affirme que "les demandes reconventionnelles, en première instance comme en appel, peuvent être formées tant par le défendeur sur la demande initiale que par le demandeur initial en défense aux prétentions reconventionnelles de son adversaire".

L'adage reconvention sur reconvention ne vaut n'est plus, et c'est là une solution bien compréhensible.

En effet, depuis la réforme du Code de procédure civile, le régime des demandes nouvelles est régi par un équilibre entre immutabilité et évolution du litige. Pour décrire cet équilibre de façon synthétique, on peut dire que les demandes nouvelles sont recevables par principe, pourvu qu'elles présentent un lien avec les demandes formulées précédemment. En première instance, cette règle est exprimée par l'article 70 du Code de procédure civile (N° Lexbase : L1285H4D exigence d'un lien suffisant). En appel, l'article 565 du Code de procédure civile (N° Lexbase : L6718H7X) précise que les demandes formulées pour la première fois sont recevables si elles "tendent aux mêmes fins que celles soumises au premier juge" (exigence d'une finalité commune).

Le Code de procédure civile admet donc, de façon assez large, que l'objet du litige évolue au cours du procès, et ce, dans un but d'achèvement du litige à l'issue de la procédure. Fermer la porte aux demandes incidentes conduirait inévitablement à la mise en oeuvre de nouvelles actions pour faire juger ce qui ne l'a pas été. Mais pour ne pas s'éloigner de l'objet initial et soumettre au juge un litige éclaté, les demandes nouvelles doivent se rattacher aux prétentions originaires.

Dans un tel contexte, on comprend la solution rendue par la Cour de cassation dans l'arrêt commenté. La caution a échoué en première instance à faire annuler son engagement. Sa demande en dommage-intérêt contre la banque tend aux mêmes fins que la demande en nullité du cautionnement, car il s'agit, dans les deux cas, d'échapper au paiement de la dette envers la banque, soit en annulant la convention, soit en obtenant la compensation des sommes dues réciproquement.

Ainsi, on a du mal à voir comment l'adage reconvention sur reconvention ne vaut pourrait trouver sa place dans la procédure civile moderne. Il limite artificiellement les demandes reconventionnelles sans suivre la logique du "lien suffisant" ou de la "finalité commune" des demandes nouvelles.

Au-delà de son apport procédural, cet arrêt est assurément un arrêt de principe qui aurait mérité une plus grande publicité. Il enseigne que les règles héritées de l'ancien droit n'ont par toujours la valeur que la tradition leur reconnaît, notamment lorsque l'esprit de la matière a été profondément repensé. Tel est le cas de la procédure civile contemporaine, qui puise son héritage dans la pensée de Motulsky, et non dans les adages, même ceux que les auteurs classiques désignaient comme "universellement admis".


(1) Cf. le commentaire approfondi de C. Bléry et J.P. Teboul, Instruction des affaires devant le tribunal de commerce - A propos du décret du 24 décembre 2012 (chap. IV), JCP éd. G, 2013, 67.
(2) Certains de ces articles avaient été abrogés. Ils sont réactivés par le décret dans une nouvelle rédaction.
(3) Cf. sur ce point, R. Guichard, obs. sous Cass. civ. 1, 27 février 2013, n° 12-15.441, préc., JCP éd. G, 2013, 288. L'auteur affirme que cette règle peut être transposée devant la cour d'appel.
(4) CEDH, 21 février 1975, Req. 4451/70 (N° Lexbase : A1951D7E), série A, n° 18, AFDI, 1975, 330, note R. Pelloux.
(5) Toullier, Le droit civil français, suivant l'ordre du Code, T7, n° 415, 1830.
(6) Cf. pour un exemple de décision d'appel, CA Paris, 15 février 1968, RTDCiv., 1969, p. 373, obs. Hébraud.
(7) Par exemple, L. Cadiet, E. Jeuland, Droit judiciaire privé, Lexisnexis, 7ème éd., n° 465.
(8) S. Guinchard, C. Chainais, F. Ferrand, Procédure civile, 30ème éd. n° 306.

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