La lettre juridique n°895 du 24 février 2022 : Fiscalité du patrimoine

[Jurisprudence] ISF. Communauté d’intérêts versus concubinage notoire

Réf. : CA Paris, 24 janvier 2002, n° 20/11605 N° Lexbase : A24217KU

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par Franck Laffaille, Professeur de droit public (IDPS) - Université de Paris XIII

le 23 Février 2022

Mots-clés : ISF • concubinage • patrimoine 

À défaut de démontrer que l’existence d’une communauté d’intérêts se traduit par un concubinage notoire, l’administration n’est pas fondée à soutenir que les contribuables constituaient un foyer fiscal unique. C’est à mauvais droit que l’administration a exigé qu’ils déposent une déclaration commune d’ISF et a procédé à une taxation d’office pour les années visées (de 2009 à 2014). Telle est la teneur de la décision de la cour d’appel de Paris en date du 24 janvier 2022.


 

Les contribuables déposent initialement des déclarations d’ISF en leur nom propre. Sur le fondement de l’article 885 E du CGI N° Lexbase : L8780HLR, l’administration les met en demeure de souscrire une déclaration commune. Il est ensuite procédé à la taxation d’office de cette imposition ; selon l’administration, les contribuables partagent une vie commune et une communauté d’intérêts à raison d’une cohabitation continue depuis nombre d’années. Ce constat serait étayé de surcroît par l’acquisition de plusieurs biens en indivision et une convergence d’intérêts financiers qui dépasse le cadre de simples intérêts économiques communs. L’administration retient notamment l’existence d’assurances vie (bénéfice réciproque) et l’octroi (là encore réciproque) du pouvoir d’encaisser des fonds. Les contribuables constitueraient ainsi un foyer fiscal unique. Les droits afférents mis en recouvrement s’élèvent à 93 798 euros. Contentieux. Le tribunal judiciaire de Paris se prononce le 9 juillet 2020 (n° 18/08233) et fait droit à la demande des contribuables. La décision de rejet de la Direction régionale des finances publiques d’Ile-de-France et du département de Paris est infirmée ; le tribunal judiciaire ordonne la décharge intégrale des droits rappelés et accessoires.

Ce jugement et cet arrêt d’appel méritent intérêt dans la mesure où les arguments de l’administration ne semblent pas de peu à première lecture. Selon le Directeur général des finances publiques d’Ile-de-France et du département de Paris, la vie commune et la communauté d’intérêts sont d’évidence au regard des faits énoncés. Outre les éléments mentionnés en amont, il est souligné que M. Z. ne prouve pas qu’il résidait chez sa compagne, locataire dans le 5ème arrondissement de Paris. De surcroît, la réunion de deux lots (2042 et 2043) aux fins de former une seule et unique unité d’habitation viendrait renforcer la thèse soutenue par l’administration. L’usage des appartements est en effet commun aux deux copropriétaires qui en ont la jouissance indivise.

Quant aux contribuables, ils estiment que de communauté de vie susceptible d’assoir des impositions communes il ne saurait y avoir. S’il est une condition impérative pour qualifier la notion de concubinage, il s’agit de la condition de notoriété ; or, elle fait manifestement défaut selon eux. Les arguments ne manqueraient pas en défense de cette thèse : M. Y. réside seul de 1990 à 2012 à une adresse qui n’a jamais été celle de M. Z., l’intégralité des factures (eau, électricité, téléphone…) ainsi que les appels de charges de copropriété et les différents impôts (fonciers, sur le revenu) sont adressés séparément à leurs adresses respectives distinctes. Quant à l’indivision, elle cesse en 1998 à raison du rachat par M. Y. de la quote-part indivise ; chacun est réputé propriétaire d’un lot de copropriété distinct. Certes, ils ont vécu en colocation dans un appartement situé rue Murat à Paris ; mais ils ont ensuite, dès 2015, payé leur taxe d’habitation et la contribution à l’audiovisuel public à des adresses différentes. Il appert que l’administration a tiré des conclusions infondées des faits mentionnés.

Retour au droit, plus précisément à l’article 885 E du CGI (dans sa rédaction applicable au litige, désormais abrogé), relatif à l’assiette de l’ISF : celle-ci est constituée par la valeur nette – au 1er janvier de l’année – de l’ensemble des biens, droits, et valeurs imposables qui appartiennent aux personnes mentionnées à l’article 885 A N° Lexbase : L0138IWZ (cf. éventuellement aussi ceux de leurs enfants mineurs dans l’hypothèse où elles administrent légalement leurs biens). Quant à l’assiette de l’impôten cas de concubinage notoire – elle est constituée par la valeur nette, au 1er janvier de l’année, de l’ensemble des biens, droits et valeurs imposables qui appartiennent à l’un et à l’autre des concubins (cf. éventuellement aussi ceux de leurs enfants mineurs dans l’hypothèse où elles administrent légalement leurs biens). Reste la définition de la notion de concubinage notoire sur le fondement de l’article 515-8 du Code civil N° Lexbase : L8525HWN : par concubinage notoire, il faut entendre une union de fait qui se caractérise par une vie commune synonyme de stabilité ainsi que de continuité entre deux personnes vivant en couple, que ces personnes soient de sexe différent ou de même sexe.

Une fois que les textes ont parlé advient le temps du fardeau probatoire. Celui-ci repose naturellement sur les épaules de l’administration, comme le rappelle fort à propos la CA de Paris. C’est à l’administration de démontrer que les contribuables vivaient « en état de « concubinage notoire » » durant les années fiscales au centre du contentieux. Or, s’il apparaît évident (dixit la CA de Paris) que les intéressés vivaient dans un logement commun à partir de 2011, il n’en est rien pour la période antérieure : le fait, pour deux personnes, de vivre dans des appartements distincts - quand bien même ils sont situés au même étage - « ne caractérise aucunement une situation de concubinage « notoire ». Certes a été réalisé un regroupement de deux appartements afin de permettre la vente d’un ensemble immobilier ayant le mérite de posséder une surface supérieure ; cependant, une telle configuration n’engendre pas un concubinage notoire. Tout au plus est-il loisible de parler d’une « communauté d’intérêts ». Telle est la – seule – conséquence qu’il est possible de tirer du regroupement des lots 2042 (appartement 1) et 2042 (appartement 2) ainsi que du lot 2750 (accès commun).

La CA de Paris confirme la décision des juges de première instance. Elle refuse de faire siens les arguments que l’administration présente comme décisifs pour prouver l’existence d’un concubinage notoire : acquisition de biens immobiliers en commun, mandat d’encaissement des sommes issues de la vente de ces biens immobiliers, assurances vie aux bénéfices réciproques. Si ces éléments sont bien de nature à caractériser l’existence d’une communauté d’intérêts, ils ne sont pas de nature à démontrer la survenance d’un concubinage notoire. Le concubinage notoire – qui renvoie à des « caractéristiques de vie privée commune connue de tierce personne » - ne peut être déduit du faisceau d’indices que l’administration regarde comme pertinent(s). Au regard de ces éléments, l’administration est réputée incapable de prouver l’existence d’une résidence commune et d’un concubinage notoire. Un ultime argument est avancé par la Direction régionale des finances publiques d’Ile-de-France et du département de Paris : la location commune d’un appartement situé à Paris, dans le 8ème arrondissement. Dans la mesure où cette location prend effet le 13 janvier 2012, elle n’a pas vocation à être prise en compte pour appréhender la situation des contribuables au 1er janvier de la même année.

La notion de concubinage notoire est au centre du présent contentieux. La jurisprudence originelle de la Cour de cassation remonte aux années 20 (décision du 10 novembre 1924 ; décision du 12 mai 1925) dans lesquelles elle avance les critères de stabilité, de continuité et de notoriété des relations entretenues entre deux personnes. Le concubinage notoire s’entend alors (avant la loi du 15 novembre 1999 relative au Pacs) comme le fait de vivre publiquement comme mari et femme. Selon une jurisprudence classique (cf. par ex.

Cass. com., 22 octobre 1991, n° 89-18099, publié au bulletin N° Lexbase : A3970ABN), ne sont pas tenus de faire une déclaration commune de leur fortune les époux dont l’un n’habite pas de manière permanente sous le même toit que l’autre. Ils ne constituent pas un foyer fiscal, quel que soit le régime matrimonial. Reste que si les contribuables ne contestent pas leur situation de concubinage (cf. par ex. CA Bourges, 12 novembre 2009, n° 09/00474 N° Lexbase : A93467LQ), ils doivent réaliser une seule déclaration afin que soit mis en recouvrement un seul impôt ; ils sont assimilés à des couples mariés. N’est pas recevable l’argumentation avançant que le CGI ne prévoit pas expressément que deux personnes vivant en concubinage notoire doivent établir une déclaration commune au titre de l’ISF.

Retour, ultime, à notre décision de 2022 ; pour parler de… harcèlement présumé. Les contribuables opèrent demande reconventionnelle sur un point qui mérite quelque intérêt. Ils estiment que l’administration a fait montre à leur égard d’un « acharnement procédural » dans la mesure où ils ont été contraints de dévoiler leur vie privée pour défendre leurs intérêts. Il s’ensuivrait une violation du droit au respect de la vie privée visé à l’article 9 du Code civil N° Lexbase : L3304ABY (cf. encore l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme, non mentionné en l’espèce). Par sa persistance à soutenir l’existence d’un concubinage notoire, au sens du 2ème alinéa de l’article 885 E du CGI, l’administration aurait manifesté un « acharnement procédural » dans le seul but de les contraindre à souscrire des déclarations communes d’ISF. Selon la CA de Paris, il ne saurait y avoir violation du droit au respect de la vie privée. L’administration s’est contentée d’examiner et de qualifier - dans le cadre des attributions qui lui sont octroyées par l’article L. 10 du LPF N° Lexbase : L3156KWS - une situation au regard d’une disposition légale ; l’application de cette dernière repose sur la notion de concubinage notoire. Aucun « préjudice certain » n’apparaît au regard du comportement de l’administration en son application des dispositions normatives en vigueur. La CA de Paris rejette les prétentions des contribuables et adoube la position de l’administration. Dès lors que cette dernière invoque la disposition légale relative au concubinage notoire, elle peut exiger que lui soient transmises des informations relatives à la vie privée des contribuables. Il est alors logique que s’ensuive « une discussion » ayant pour objet des éléments inhérents à cette vie privée. Par ses écritures, l’administration ne porte pas atteinte à l’intimité des contribuables. Cela est a fortiori vrai, souligne la CA de Paris, lorsque l’administration ne fait qu’exercer des voies de recours par définition régulières. S’il était besoin d’une précision supplémentaire pour clore le débat sur cette question, la CA de Paris ajoute même ce truisme juridictionnel : « l’exercice d’une voie de recours en l’occurrence l’appel ne caractérise à lui seul aucun acharnement susceptible de porter atteinte au respect de la vie privée au sens de l’article 9 du Code civil ». Il s’ensuit que la demande de dommages et intérêts présentée par les contribuables est rejetée. 

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