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N0519BZA
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par Grégoire Duchange, Professeur de droit privé à l’Université Polytechnique Hauts-de-France
le 23 Février 2022
Mots-clés : licenciement • nullité • conséquences juridiques • réintégration • dommages et intérêts • réparation • indemnisation
Les conséquences de la nullité du licenciement donnent lieu de longue date à une jurisprudence et une législation foisonnantes dont la clarté et la cohérence ne sont pas toujours de mise. La confrontation au droit commun peut-elle aider à une certaine remise en ordre ? Peut-être, à condition d’admettre que ce sont les règles applicables à la résolution du contrat davantage qu’à la nullité qui semblent ici en cause. Et en ayant à l’esprit que le contrat de travail, qui allie durée indéterminée et encadrement de la rupture, entraîne des difficultés spécifiques lorsqu’est en cause l’appréhension du coût de son inexécution.
Pour qui s’interroge sur les conséquences juridiques d’un licenciement nul, dans quel code, dans quel droit, faut-il chercher des réponses ? Le droit civil, comme toujours, fournit assurément un « modèle-type » à partir duquel réfléchir, fusse pour apprécier en quoi le droit du travail s’en distingue. Or, le modèle en question paraît très rapidement se heurter à l’idée même de « licenciement nul ». En droit civil, en effet, la nullité sanctionne l’inobservation d’une condition de formation du contrat en provoquant l’anéantissement rétroactif de celui-ci. Et les auteurs prennent soin de distinguer la nullité de notions voisines, en particulier la résolution. Cette dernière vient mettre fin au contrat en raison de certains faits survenus au cours de l’exécution du contrat, ce qui correspond en droit du travail au licenciement. De la sorte, l’expression « licenciement nul » risque de conduire vers la fausse piste de la nullité là où il convient, semble-t-il, d’aller voir du côté de la résolution [1].
On sait à cet égard, en droit commun, que la résolution unilatérale s’opère aux « risques et périls » de son auteur. Si le législateur ne précise pas la teneur de ces risques, les auteurs paraissent s’accorder pour affirmer que la résolution abusive (pour les travaillistes : le licenciement), en ce qu’elle méconnait la force obligatoire du contrat, peut être appréhendée sous les traits d’une inexécution fautive de celui-ci [2]. Cela permet en particulier d’offrir au contractant floué l’alternative de l’exécution forcée du contrat « en nature » ou « en équivalent ». Cette alternative peut cependant se heurter à certaines limites. L’article 1221 du Code civil N° Lexbase : L1985LKQ réserve en particulier le cas de l’exécution « impossible ». Cette dernière peut faire l’objet d’appréciations relativement subjectives. Les droits spéciaux peuvent alors contribuer à en cerner plus précisément les contours en considération des circonstances.
Ainsi, de la distinction, en droit du travail, du licenciement « sans cause réelle et sérieuse » (qui favorise la réparation par équivalent) et du licenciement « nul » (qui permet au salarié de réclamer l’exécution forcée en nature), peut-être le législateur adopte-t-il, sur ce point, une version réaliste du pouvoir de l’employeur et de la vie de l’entreprise. Le contrat de travail met en jeu des relations personnelles, dans un monde économique où les conflits et erreurs peuvent être fréquents, et dans lequel la restauration après coup du lien contractuel n’est pas toujours envisageable. C’est en quelque sorte d’une vision sociologique de l’exécution « impossible » dont il s’agit ici [3]. Mais il est des situations où l’exercice illégal du droit de rompre de l’employeur heurte des valeurs d’ordre supérieur, de sorte qu’une certaine moralité, contre le réalisme sociologique, impose d’en revenir au droit à l’exécution forcée en nature : c’est là le champ de la nullité du licenciement. L’impossibilité d’exécution en nature disparaît alors, mais pour l’avenir seulement ; pour le passé, une activité économique - ouvrant droit à un salaire - aurait dû être mise en œuvre et l’on ne peut désormais plus y revenir qu’en octroyant au salarié une compensation par équivalent. On a là l’essentiel des conséquences usuelles de la nullité du licenciement telles que reconnues par jurisprudence sociale, à savoir le droit du salarié d’être réintégré pour l’avenir et d’obtenir un rappel de salaire pour le passé, ou de réclamer une exécution entièrement par équivalent [4].
Le droit commun peut cependant sembler impuissant à régler deux questions qui, encore que cela n’apparaisse pas nécessairement au premier abord, sont en partie liées : celle du délai imparti au salarié pour demander sa réintégration et celle du montant des dommages et intérêts dus lorsqu’il préfère opter pour une réparation par équivalent. Le contrat de travail s’écarte en effet trop, en matière de durée, de certains schémas civilistes traditionnels : il est (en principe) à durée indéterminée, mais sans que sa rupture soit libre. Il est de la sorte délicat de déterminer combien de « temps » (et donc combien d’argent) un contrat de travail renferme potentiellement. Or, sauf à offrir au salarié un droit à réintégration ou à indemnisation « à vie », il est nécessaire de prévoir certaines bornes. C’est ce qui, selon nous, peut contribuer à expliquer la jurisprudence selon laquelle les salariés protégés ne peuvent plus demander leur réintégration postérieurement à l’expiration de leur période de protection. Cela justifie également que le législateur prenne le soin de « chiffrer » le coût de la rupture du contrat de travail. Le licenciement nul coûte à ce titre plus cher à l’employeur (au moins six mois de salaires) que le licenciement sans cause réelle et sérieuse (« barème Macron »), ce qui n’est pas sans faire écho à l’esprit du droit commun puisque celui-ci, on le sait, étend le champ des dommages et intérêts dû lorsque le contractant commet une faute lourde.
Le régime juridique de la réparation par équivalent, que soit en cause le rappel de salaire dû pour la période d’éviction ou bien l’indemnité de licenciement nul, n’est pas évident à déterminer. Si l’on fait abstraction des obscurités jurisprudentielles en la matière, puisqu’est en cause un « équivalent » du salaire d’activité du salarié, le régime de ce dernier devrait s’appliquer, par exemple pour l’acquisition de congés payés et à propos du régime fiscal et social. De même, lorsque cet « équivalent » a déjà été obtenu par ailleurs (du fait d’un nouveau contrat ou d’une indemnisation par Pôle emploi), il semble que la condition d’existence d’un préjudice, qui justifie en droit commun l’octroi de dommages et intérêts pour inexécution du contrat [5], ne soit plus remplie en tout ou partie, ce qui devrait conduire le juge à opérer une soustraction. À appliquer cette logique à l’extrême, celle-ci devrait être valable non seulement pour le rappel de salaires, mais aussi pour l’indemnité de licenciement nul. Mais cette dernière ne donne pas droit à des congés payés, est soumise à un régime fiscal et social spécifique et présente un caractère (en partie) forfaitaire difficilement compatible avec la prise en compte au cas par cas d’éventuels revenus de remplacement. On en revient alors ici à ce qui constitue sans doute la principale source, déjà évoquée, de décalage avec le droit commun, à savoir le fait que le contrat de travail est à durée indéterminée, mais à rupture encadrée, ce qui rend délicat l’appréhension du coût de son inexécution, du moins lorsque le salarié ne demande pas sa réintégration.
Pour autant, si cette particularité peut justifier l’existence de solutions spéciales qui s’écartent du droit commun, celui-ci devrait revenir en grâce toutes les fois que celle-là n’est pas en cause. Or, tel ne paraît pas toujours être le cas, en particulier à propos de la question très controversée de la jurisprudence relative à la non prise en cause des salaires de remplacement lorsqu’est en cause la violation d’une liberté fondamentale (à valeur constitutionnelle). Cette question rejoint en effet un autre point de débat quant à l’articulation du droit du travail et du droit commun puisqu’on peut se demander s’il n’y aurait pas là une forme particulière de « préjudice nécessaire ». La Chambre sociale de la Cour de cassation semblait pourtant avoir mis fin à ces constructions, sous réserve de préjudices certes présentés comme « nécessaires », mais qui n’en sont en réalité pas, en particulier lorsque la commission d’une faute et la réalisation d’un préjudice ne sont que les deux faces d’une même médaille. Une telle situation se produit lorsque la règle de droit violée se résume à la proclamation d’un droit subjectif et non d’une norme plus générale [6] ; ainsi, de l’exemple topique de l’atteinte au droit au respect de la vie privée… qui cause nécessairement une atteinte à la vie privée (alors que la violation de l’obligation de porter un casque ne va pas nécessairement causer une atteinte à la sécurité). Le licenciement nul pour violation d’une liberté fondamentale peut-il entrer dans le cadre de ces exceptions ? Au premier abord oui, car la règle qui proclame une liberté ressemble à celle qui proclame un droit subjectif : la violer, c’est atteindre un droit individuel, donc causer un préjudice. Seulement, l’acte qui constitue en l’occurrence l’atteinte à la liberté est une privation d’emploi, et celle-ci fait déjà l’objet en tant que telle d’une indemnisation, de sorte que l’octroi d’avantages supplémentaires ressemble, assez fortement, à une peine privée.
[1] On pourrait certes avancer que « résolution nulle » ne se confond pas avec « contrat nul », mais quelle différence alors avec la résolution simplement inefficace ? La nullité exerce une certaine attraction sur les travaillistes parce qu’elle est associée à une remise en état. Mais il en va de même en principe de la résolution inefficace. Sans doute cette considération vient-elle plus aisément à l’esprit depuis que le droit civil reconnaît - comme le droit du travail - la technique de la résolution unilatérale.
[2] V. par ex. F. Terré et alii, Droit civil - Les obligations, Dalloz, 2019, 12e éd., p. 868, n° 807.
[3] V. sur ce point le raisonnement de P. Durand, Traité de droit du travail - Tome III, Dalloz, 1956, p. 234, qui évoque (à propos du syndicat - mais le raisonnement est transposable à l’entreprise), un risque d’« animosité nuisible au bon fonctionnement du groupement ».
[4] Pour une vue exhaustive du droit positif, V. spéc. A. Fabre, Contrat de travail à durée indéterminée : rupture – licenciement - droit commun - Nullité du licenciement, Rép. trav., Dalloz, 2020, n° 353 s.
[5] L’article 1231-2 du Code civil N° Lexbase : L0614KZR évoque le « gain » dont le créancier a été privé, dans une section consacrée à la « réparation du préjudice résultant de l'inexécution du contrat ».
[6] Pour plus d’explications, lire nos obs., Le préjudice (social) nécessaire, Bull. Joly Travail, février 2021, 114u2.
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