La lettre juridique n°895 du 24 février 2022 :

[Jurisprudence] Précisions inédites sur l’obligation de couverture de la sous-caution

Réf. : Cass. com., 9 février 2022, n° 19-21.942, F-B N° Lexbase : A68137MB

Lecture: 13 min

N0518BZ9

Citer l'article

Créer un lien vers ce contenu

[Jurisprudence] Précisions inédites sur l’obligation de couverture de la sous-caution. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/article-juridique/79935728-jurisprudenceprecisionsineditessurlobligationdecouverturedelasouscaution
Copier

par Dimitri Nemtchenko, Maître de conférences, Université de Rouen Normandie

le 23 Février 2022

Mots-clés : sous-cautionnement • obligation de couverture • obligation de règlement •  exigibilité • étendue • vente en l’état futur d’achèvement • garantie d’achèvement

De manière inédite, la Chambre commerciale de la Cour de cassation applique au sous-cautionnement la distinction entre obligation de couverture et obligation de règlement. Après avoir rappelé la distinction entre les engagements de caution et de sous-caution, elle retient que la dette de la seconde « prend naissance à la même date et couvre l'intégralité de ces sommes, peu important la date de leur exigibilité et le fait que les paiements ont été effectués par la caution après l'expiration de la période de couverture de l'engagement de la sous-caution ».


 

Les décisions de la Cour de cassation relatives au sous-cautionnement ne sont pas pléthoriques. L’une d’entre elles, rendue par la Chambre commerciale de la Cour de cassation le 9 février 2022, apporte un éclairage intéressant sur la nature de cet engagement singulier.

En l’espèce, différentes sociétés civiles de construction vente s’engagent à édifier plusieurs immeubles. Le Groupement français de caution souscrit à cette occasion une garantie d’achèvement et, dans le même temps, deux dirigeants du groupe de promotion immobilière, composé des sociétés débitrices, s’engagent en qualité de sous-cautions. Alors que la construction des immeubles est inachevée, les sociétés débitrices sont placées en liquidation judiciaire. La caution règle la garantie d’achèvement et se retourne contre les sous-cautions, qui refusent d’honorer leurs engagements. Les juges du fond [1] donnent gain de cause à la caution de premier rang ce que les sous-cautions contestent au motif, notamment, que le paiement de la caution est intervenu à une date postérieure à celle qui constitue le terme de leurs propres engagements.

La Haute juridiction rejette le pourvoi ainsi formé. Pour ce faire, elle applique la distinction à l’œuvre dans le cautionnement qui oppose l’obligation de règlement à l’obligation de couverture et retient que la dette de la sous-caution prend naissance à la même date que celle de la caution, soit le jour où la créance garantie est consentie au débiteur principal. Elle précise, de plus, que la sous-caution couvre l’intégralité des sommes réglées par la caution, et que l’exigibilité des dettes garanties, comme le paiement par la caution au-delà du terme de l’engagement de la sous-caution, ne lui permettent pas d’échapper à son engagement. Toutes les dettes nées dans la « période de couverture » s’imposent à la sous-caution qui sera alors tenue d’exécuter son obligation de règlement.

Cette décision est d’autant plus intéressante à observer qu’elle suit de près la réforme du droit des sûretés par l’ordonnance n° 2021-1192 du 15 septembre 2021 N° Lexbase : L8997L7D [2], entrée en vigueur le 1er janvier 2022. À cette occasion, le sous-cautionnement et la distinction entre obligation de couverture et obligation de règlement ont été légalement consacrés. La présente solution s’inscrit idéalement dans le sillage de ces nouveaux textes.

La tournure didactique de l’arrêt invite à en suivre le cheminement en revenant au préalable sur l’engagement de la caution dans la garantie d’achèvement (I) et la définition de l’obligation de couverture que la Haute juridiction retient (II). Ces éléments exposés permettront de mieux saisir l’étendue de l’obligation de couverture de la sous-caution (III).

I. L’engagement de la caution dans la garantie d’achèvement

Financer l’achèvement de l’immeuble, objet de l’engagement de la caution. Afin de déterminer la mesure de l’engagement de la sous-caution dans la présente espèce, il convient en premier lieu de préciser à quoi s’engage la caution dans le cadre particulier de la vente en l’état futur d’achèvement et les garanties qui l’assortissent.

Les risques d’une telle modalité de la vente, liés à son inscription dans le temps, imposent aux parties de fournir une garantie. L’article R. 261-1 du Code de la construction et de l’habitation N° Lexbase : L9422LRE leur laisse le choix entre une ouverture de crédit et un cautionnement. Dans ce dernier cas, qui correspond à l’espèce, la caution s’engage non pas à achever l’immeuble par ses propres moyens, mais « à payer les sommes nécessaires à l’achèvement de l’immeuble ». Il s’agit donc plus précisément d’une garantie de financement de l’achèvement de l’immeuble. Comme tout cautionnement, la nature subsidiaire de son engagement justifie que la caution soit tenue de payer dans la seule hypothèse de la défaillance du vendeur [3].

L’achèvement des travaux, terme extinctif de l’engagement de la caution. Afin que le cautionnement produise utilement ses effets, la caution est engagée jusqu’à ce que la construction aboutisse, ce qui correspond légalement à l’achèvement des travaux. L’achèvement est défini comme la situation où « sont exécutés les ouvrages et sont installés les éléments d’équipement qui sont indispensables à l’utilisation, conformément à sa destination, de l’immeuble faisant l’objet du contrat » [4]. L’achèvement correspond ainsi au moment où l’immeuble est habitable : les finitions ultérieures relèvent du parachèvement. Encore faut-il toutefois pouvoir déterminer avec certitude cet achèvement et sa date précise, afin de circonscrire le périmètre de l’engagement de la caution.

En effet, malgré sa définition légale, l’achèvement peut engendrer une contestation entre les parties, selon ce qu’elles estiment relever de la destination de l’immeuble. La loi prévoit alors deux modalités afin de constater cet achèvement : soit les parties le font elles-mêmes ; soit elles recourent à une personne qualifiée, qui peut être contractuellement ou judiciairement désignée [5]. Une fois l’achèvement constaté, l’engagement de la caution s’éteint [6]. Plus exactement, son obligation de couverture s’éteint : son obligation de règlement subsiste.

II. La référence à l’obligation de couverture de la caution

Retour sur la notion de couverture. Dans sa thèse consacrée aux causes d’extinction du cautionnement, Christian Mouly proposait une distinction féconde entre obligation de couverture et obligation de règlement [7]. Cette distinction s’avère particulièrement utile pour déterminer l’étendue de l’engagement d’une caution dans le temps, lorsque ce temps ne coïncide pas exactement avec celui de la dette garantie. Elle s’applique ainsi au cautionnement à durée déterminée, à la résiliation d’un cautionnement à durée indéterminée ou encore à la transmission de la dette d’une caution à ses héritiers.

Le terme de l’engagement de la caution (prévu dès la formation, décidé en cours d’exécution ou correspondant à son décès) permet de déterminer les dettes qu’elle doit payer à la place du débiteur défaillant. Toute dette née avant ce terme intègre l’assiette de la garantie ; toute dette née postérieurement en est exclue. En ce sens, l’expression employée par la Haute juridiction, à savoir la « période de couverture » est plus éclairante et plus adaptée. Il ne s’agit pas, en effet, d’une obligation à proprement parler, mais d’une durée, d’une période de temps grâce à laquelle le montant de la dette de la caution peut être déterminé. La présente décision l’exprime clairement : « l'obligation de garantie de la caution […] a pour objet de couvrir les dettes que le débiteur a contractées pendant la période de couverture de cet engagement. Elle prend donc naissance à la date à laquelle le débiteur principal contracte ces dettes ». L’affirmation ne peut qu’être approuvée : la caution paye la dette même du débiteur. La naissance de leurs engagements est nécessairement concomitante.

Conséquences de la distinction. Dès lors que l’obligation de couverture arrive à son terme, la caution n’est pas déchargée. Elle doit honorer son obligation de règlement, laquelle n’est enfermée dans aucun autre délai sinon celui de la prescription extinctive. La caution ne peut donc se prévaloir du fait que le créancier ait introduit contre elle une action en paiement postérieure à ce terme. Cette action ne vise en effet qu’à mettre en œuvre l’obligation de règlement de la caution et ne peut être confondue avec la question de savoir à quelle date est née sa dette. À l’inverse, il suffirait par exemple à une caution engagée pour une durée indéterminée de résilier son engagement dès le premier incident de paiement du débiteur principal et avant toute poursuite du créancier pour échapper au paiement et ainsi neutraliser la sûreté. La jurisprudence est constante à ce sujet [8] et la présente décision applique ce raisonnement, de manière inédite, aux rapports entre la caution de premier rang et la sous-caution.

III. La détermination de l’obligation de couverture de la sous-caution

Rappel de l’objet de l’engagement de la sous-caution. Le sous-cautionnement ne vise pas à la protection du créancier, contrairement à la certification de caution. La sous-caution protège les intérêts de la caution de premier rang, lorsque celle-ci paye la dette du débiteur principal. La caution solvens s’expose ce faisant à un risque : ne pas obtenir de remboursement de la part de ce débiteur. Or si le débiteur n’est pas en mesure de payer le créancier, il n’y a guère plus de chances qu’il puisse rembourser la caution. Celle-ci pourra alors se retourner contre la sous-caution et exiger d’elle ce qu’elle n’a pu obtenir du débiteur. Le risque est ainsi reporté sur la tête de la sous-caution, qui pourra alors se retourner, après paiement, contre le débiteur principal. La Cour de cassation expose clairement cette mécanique : « l’obligation de la sous-caution […] a pour objet de garantir la caution […] contre [le risque] de ne pas pouvoir obtenir du débiteur principal le remboursement des sommes qu'elle a payées pour son compte en exécution de son propre engagement ». Bien que le recours à la définition du sous-cautionnement ne soit pas inédit, la définition ici employée est plus explicite encore, à la comparer à certains arrêts antérieurs [9]. Cette partie de la décision doit être approuvée sans réserve en ce qu’elle distingue nettement ces garanties complexes que sont le sous-cautionnement et la certification de caution.

Naissance et étendue de la dette de la sous-caution. À partir de cette définition, la Cour de cassation précise un élément du régime du sous-cautionnement qui était au cœur du contentieux. Rappelant que l’obligation de la caution nait à la date à laquelle le débiteur principal s’engage, elle en déduit que l’obligation de la sous-caution « prend naissance à la même date et couvre l'intégralité de ces sommes ». Le raisonnement est implacable dans la mesure où l’engagement de la sous-caution ne se distingue pas, au fond, de celui de la caution de premier rang, sauf dans l’identité de leur bénéficiaire – respectivement, la caution et le créancier. Or cette identité est indifférente à la détermination de l’étendue de l’engagement de la sous-caution : le montant d’une dette n’est pas tributaire de celui à qui elle est due. Seules les stipulations du sous-cautionnement qui prévoiraient un engagement d’une durée moindre que celle de la caution ou pour un montant plus réduit introduiraient une différence dans la mesure de leurs engagements.

En l’espèce, les sous-cautions avaient souscrit divers engagements, dont les termes étaient fixés au 31 décembre 2011 et au 30 septembre 2012. Ces dates correspondent au terme de leur obligation de couverture et leur imposent de régler toutes les dettes du débiteur principal nées avant ces mêmes dates que la caution a payées. Or la construction des différents immeubles, objet de la garantie de premier rang, n’était pas achevée à ces deux dates. Dès lors, la caution de premier rang était tenue d’en financer l’achèvement et, dans le même temps, les sous-cautions étaient tenues de régler à la caution ce qu’elle avait déboursé pour ce faire. Désireuses d’échapper au paiement d’une dette à laquelle elles allaient devoir contribuer, du fait du placement en liquidation judiciaire des débiteurs principaux, les sous-cautions avancent que le paiement réalisé par la caution est intervenu postérieurement au terme de leur propre engagement. L’argument, qui confond la formation d’une dette avec son exécution, ne convainc pas la Haute juridiction. Les sous-cautions sont tenues de payer leurs dettes « peu important la date de leur exigibilité et le fait que les paiements ont été effectués par la caution après l'expiration de la période de couverture de l'engagement de la sous-caution ». Outre qu’il est parfaitement conforme à la distinction entre obligation de couverture et de règlement, le raisonnement préserve l’efficacité du sous-cautionnement, qui plus est dans ce contexte délicat de la liquidation judiciaire du débiteur principal. In fine, c’est l’efficacité du cautionnement lui-même qui est soutenu, car une caution sera toujours plus à même de s’engager en sachant que le sous-cautionnement qu’elle exige sera pleinement efficace.

Quelle portée au regard de la réforme ? Cette décision a le dernier mérite de s’inscrire idéalement dans le mouvement de réforme qui modernise le droit des sûretés en 2022. L’obligation de couverture et le sous-cautionnement sont en effet légalement consacrés, dans des termes qui ne remettent pas en cause la présente solution. D’après le nouvel article 2316 du Code civil N° Lexbase : L0176L8Z : « lorsqu'un cautionnement de dettes futures prend fin, la caution reste tenue des dettes nées antérieurement, sauf clause contraire ». Certes, la disposition ne consacre pas nommément l’obligation de couverture, mais sa formule n’en reste pas moins explicite sur le fond. Aussi, le sous-cautionnement n’est-il, techniquement, rien d’autre qu’un cautionnement au profit de la caution de premier rang : toutes les règles du cautionnement auront donc vocation à s’appliquer à lui. Enfin, le sous-cautionnement est désormais défini par l’article 2291-1 du Code civil N° Lexbase : L0133L8G comme « le contrat par lequel une personne s'oblige envers la caution à lui payer ce que peut lui devoir le débiteur à raison du cautionnement ». La définition reprend le mécanisme que la pratique avait conçu et le distingue clairement de la certification de caution disposée à l’article précédent. À ce sujet encore, la décision du 9 février 2022 se conforme parfaitement au droit positif, ce qui invite à l’approuver une nouvelle fois.

 

[1] CA Amiens, 21 mai 2019, n° 17/04861 N° Lexbase : A9225ZBB.

[2] Sur cette réforme, v. not. Dossier spécial « La réforme du droit des sûretés par l'ordonnance du 15 septembre 2021 » (ss. dir. de G. Piette), Lexbase Affaires, octobre 2021, n° 691 N° Lexbase : N8992BYP.

[3] Par exemple lorsque le vendeur n’a plus les fonds suffisants pour achever la construction : Cass. civ. 3, 18 février 2016, n° 14-29.841, F-D N° Lexbase : A4551PZL.

[4] CCH, art. R. 261-1, al. 1er, dans sa version applicable à la cause N° Lexbase : L8549IAU.

[5] CCH , art. R. 261-2 N° Lexbase : L4938LT3.

[6] CCH, art. R. 261-24 N° Lexbase : L9440LR3.

[7] Ch. Mouly, Les causes d’extinction du cautionnement, Litec, 1979. V. également V. Mazeaud, L'obligation de couverture, thèse, IRJS, 2010.

[8] V., pour deux décisions récentes, Cass. civ. 1, 25 janvier 2017, n° 15-28.058, F-D N° Lexbase : A5419TAX et Cass. com., 28 février 2018, n° 16-25.069, F-D N° Lexbase : A0583XGP.

[9] V. not. Cass. com., 17 mai 2017, n° 15-18.460, F-P+B N° Lexbase : A4930WDX : « la sous-caution ne garantit pas la dette du débiteur principal envers le créancier, mais la dette de remboursement du débiteur principal envers la caution qui a payé à sa place le créancier ».

newsid:480518

Cookies juridiques

Considérant en premier lieu que le site requiert le consentement de l'utilisateur pour l'usage des cookies; Considérant en second lieu qu'une navigation sans cookies, c'est comme naviguer sans boussole; Considérant enfin que lesdits cookies n'ont d'autre utilité que l'optimisation de votre expérience en ligne; Par ces motifs, la Cour vous invite à les autoriser pour votre propre confort en ligne.

En savoir plus