Réf. : Cass. civ. 3, 19 décembre 2012, n° 11-26.076, FS-P+B (N° Lexbase : A1556IZN)
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par Fabien Kendérian, Maître de conférences HDR à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV, IRDAP (EA 4191), Chargé d'enseignement à l'Université Panthéon-Sorbonne - Paris I
le 07 Février 2013
L'affaire. En l'espèce, des locaux donnés à bail commercial avaient également été endommagés par un incendie. Cependant, ces derniers n'avaient, ici, pas été entièrement détruits, puisque la partie du commerce abritée sous une verrière était restée intacte. Malgré tout, la société bailleresse avait assigné la société locataire en constatation de la résiliation de plein droit du bail, sur le fondement de l'article 1722 du Code civil.
La cour d'appel (CA Rennes, 7ème ch., 25 mai 2011, n° 10/05691 N° Lexbase : A6934HSM), après avoir rappelé les termes de l'article 1722 du Code civil, a souligné que le bail n'est résilié de plein droit qu'en cas de destruction totale de l'immeuble, ce qui suppose, selon elle, qu'il y ait "impossibilité absolue et définitive d'user de la chose louée conformément à sa destination ou nécessité d'effectuer des travaux dont le coût excède la valeur de cette chose". Or, en l'espèce, les experts d'assurance et l'architecte avaient estimé la reconstruction possible, celle-ci ayant, au demeurant, été exécutée, de sorte qu'il n'existait pas d'impossibilité absolue et définitive d'user de la chose louée conformément à sa destination ; et le coût des travaux n'excédant pas, par ailleurs, le prix de cette chose, la cour d'appel a finalement débouté la bailleresse de sa demande de résiliation du bail.
La société bailleresse s'est alors pourvue en cassation en soutenant, d'une part, qu'il y a perte du bien loué, au sens de l'article 1722 du Code civil, lorsque celui-ci est devenu impropre à sa destination, et, d'autre part, que c'est à la date du sinistre que doit être examinée la possibilité d'user du bien conformément à sa destination.
Peu sensible à cette argumentation, la troisième chambre civile de la Cour de cassation, dans son arrêt du 19 décembre 2012, rejette le pourvoi en ces termes : "Mais attendu qu'ayant constaté que les locaux n'avaient pas été entièrement détruits par l'incendie, relevé que les experts d'assurance et un architecte avaient estimé leur reconstruction possible et retenu que les travaux de reconstruction avaient été réalisés pour un coût n'excédant pas le prix de la chose louée, la cour d'appel, qui pouvait prendre en compte des éléments postérieurs au sinistre, en a déduit à bon droit qu'il n'existait pas, à la suite du sinistre, d'impossibilité absolue et définitive d'user de la chose louée conformément à sa destination de nature à entraîner la résiliation de plein droit du bail".
Analyse. En jugeant de la sorte, la Haute juridiction apporte à la fois une confirmation (I) et une précision (II) quant aux conditions de la résiliation de plein droit d'un bail, en l'occurrence commercial, en cas de perte de la chose louée par cas fortuit.
I - La Cour de cassation confirme, tout d'abord, que la résiliation de plein droit du bail, par application de l'article 1722 du Code civil, ne peut être obtenue que dans le cas où la chose louée a été entièrement détruite, ou bien encore dans celui où elle est devenue impropre à sa destination (jurisprudence constante : Cass. civ. 1, 5 juillet 1965, n° 63-12-772 N° Lexbase : A3239I74, Bull. civ. I, n° 446 ; Cass. civ. 3, 1er juin 1967, n° 65-13.388 N° Lexbase : A3240I77, Bull. civ. III, n° 223 ; Cass. civ. 3, 17 octobre 1968, n° 66-13.032 N° Lexbase : A0931AUZ, Bull. civ. III, n° 383 ; Cass. civ. 3, 20 janvier 1981, n° 79-14.576 N° Lexbase : A7411AGL, Bull. civ. III, n° 15 ; Cass. civ. 3, 19 mars 1997, n° 95-16.719 N° Lexbase : A0566ACX, Bull. civ. III, n° 62 ; RJDA, 1997, n° 615, avec les obs. ; Gaz. Pal., 1997, 2, pan. p. 291 ; adde, CA Grenoble, ch. urg., 27 févr. 2008, n° 07/00383, Loyers et copr. 2008, comm. 216, obs. B. Vial-Pedroletti ; CA Toulouse, 2ème ch., 1ère sect. 6 avril 2011, n° 08/04763 N° Lexbase : A3391HB9, Loyers et copr., 2011, comm. 320, note E. Chavance). Mais, encore faut-il, dans le deuxième cas, que le preneur se trouve dans l'impossibilité absolue et définitive d'user de la chose louée conformément à sa destination (V. déjà, utilisant une formule très proche dans le cas d'immeubles, certes partiellement détruits, mais devenus impropres à l'industrie prévue au bail, Cass. civ. 1, 5 juillet 1965, n° 63-10.325, préc. et Cass. civ. 3, 17 octobre 1968, n° 66-13.032, préc ; v. aussi, à propos d'appartements totalement détruits par un incendie, CA Paris, 6ème ch., sect. C, 10 janvier 2006, n° 2004/05603 N° Lexbase : A0370DNZ, AJDI 2006, p. 276 ; et CA Bourges, 1ère ch., 9 novembre 1999, n° 9900963, Gaz. Pal., 2001, 2, somm. p. 1253). Tel n'était pas le cas en l'espèce, à l'évidence, puisque les locaux n'avaient pas été entièrement détruits par l'incendie, tandis que ceux endommagés avaient fait l'objet de travaux de reconstruction dont le coût n'excédaient pas leur valeur (v. supra). A cet égard, la Cour de cassation confirme également que la chose louée ne saurait être considérée comme détruite lorsque le coût des travaux de remise en état n'atteint pas sa valeur vénale. Il ne peut, en effet, y avoir perte économique que si le coût des travaux de reconstruction excède cette valeur (v. Cass. civ. 3, 9 décembre 2009, n° 08-17.483, FS-P+B N° Lexbase : A4396EPI, Bull. civ. III, n° 269 ; D., 2010, p. 92 ; ibid., p. 1169, obs. N. Damas ; Loyers et copr., 2010, comm. 45, note E. Chavance ; Administrer, janvier 2010, p. 43, obs. D. Lipman-W. Boccara ; Rev. loyers, 2010, p. 65, obs. Ch. Quément ; LPA, 14 juin 2010, p. 33, note R. Raffi ; adde les arrêts cités in Code des baux, commenté par J. Monéger, 23ème éd., Dalloz, 2012, ss. C. civ., art. 1722, spéc. p. 98, n° 8). L'arrêt rapporté est d'un grand classicisme sur tous ces points.
II - La Cour de cassation apporte ensuite la précision -à notre connaissance inédite- selon laquelle les juges du fond peuvent prendre en compte des éléments postérieurs au sinistre pour apprécier l'impossibilité absolue et définitive d'user de la chose louée conformément à sa destination. Dans son pourvoi, le bailleur soutenait le contraire (v. supra), en se fondant très certainement sur un arrêt d'appel ayant jugé, à propos d'un bail d'habitation, que l'impossibilité de jouir des lieux loués s'apprécie au moment de la survenance du sinistre (v. CA Bourges, 1ère ch., 9 novembre 1999, n° 9900963, préc., admettant la résiliation du bail alors même que le logement était devenu habitable à la suite d'importants travaux de réfection). La Cour de cassation, dans l'arrêt rapporté, rejette cette dernière analyse et permet ainsi de sauver le bail lorsque, à la suite de la réalisation de travaux de reconstruction n'excédant pas la valeur de la chose louée, il est de nouveau possible d'en faire un usage normal, c'est-à-dire conforme à sa destination. Cette solution doit être pleinement approuvée. En effet, la résiliation du bail, notamment commercial, doit, compte tenu de sa gravité, demeurer la solution ultime. Elle ne doit pouvoir être obtenue par le bailleur que si l'importance de la perte subie par l'immeuble rend absolument et définitivement impossible l'usage de la chose louée. En l'espèce, non seulement la reconstruction de la chose était possible, mais elle avait, de surcroît, été exécutée (v. supra). Dans ces conditions, il n'y avait pas lieu de prononcer la résiliation du bail commercial au titre de l'article 1722 du Code civil.
Au final, il résulte de cet arrêt du 19 décembre 2012 que, contrairement à ce qu'avaient pu croire certains bailleurs après les arrêts précités des 4 janvier et 29 juin 2011 (v. supra), la résiliation de plein droit du bail, par application de l'article 1722 du Code civil, reste enfermée dans des conditions strictes, qui seront assez rarement réalisées en pratique. Cela est parfaitement normal, car ni la lettre, ni l'esprit du texte, ne sont de nature à permettre au bailleur d'obtenir trop facilement la résiliation du contrat, surtout sans dédommagement du locataire. Cela était vrai en 1804 et l'est encore plus aujourd'hui où le bail, notamment commercial, est considéré comme un bien de l'entreprise, protégé en tant que tel par un statut d'ordre public limitant les résiliations en cours de bail, et garantissant au preneur, outre une durée minimale de la location de neuf ans, un droit au renouvellement pour la même durée, ou, à défaut, à une indemnité d'éviction. De tels avantages ne sauraient être perdus pour des raisons futiles. C'est la raison pour laquelle la Cour de cassation s'en tient à une interprétation stricte de l'article 1722 du Code civil, et il faut l'en approuver.
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