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N5646BTB
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par Guillaume Beaussonie, maître de conférences en droit privé, membre du CRDP de l'Université François-Rabelais de Tours (EA 2116), et Madeleine Sanchez, docteur en droit, auditrice de justice
le 07 Février 2013
Pour la Chambre criminelle de la Cour de cassation, "il se déduit de [l'article 6 du Code de procédure pénale (N° Lexbase : L9881IQZ)], que le principe de l'autorité de chose jugée, fût-ce de manière erronée, fait obstacle à ce qu'une chambre de l'instruction remette en cause le jugement définitif par lequel la juridiction correctionnelle s'est dessaisie sans statuer sur l'action publique et a renvoyé le ministère public à mieux se pourvoir". Autrement -et moins maladroitement- dit, l'immutabilité attachée à toute décision rendue par un juge pénal, en l'occurrence le juge correctionnel, ne souffre pas des erreurs qui ont éventuellement été commises lors de cette décision, lorsqu'il n'est plus possible pour quiconque d'exercer une voie de recours (1).
En l'espèce, une personne avait fait l'objet d'une convocation par procès-verbal devant le tribunal correctionnel. Celui-ci, estimant que les investigations accomplies au cours de l'enquête n'avaient pas été suffisantes, renvoyait le ministère public à mieux se pourvoir, ce que la loi n'autorise pourtant pas dans un tel cadre (2). Le procureur de la République n'interjetait pas appel, mais il ouvrait une information contre personne non dénommée, relativement aux mêmes faits, ce que le juge d'instruction considérait comme irrégulier.
La chambre d'instruction consécutivement saisie donnait raison à ce dernier, constatant que, dans le cadre de la procédure de convocation par procès-verbal, il n'était effectivement pas dans le pouvoir du tribunal correctionnel de renvoyer le ministère public à mieux se pourvoir. Elle précisait, en renfort de sa décision, différents points de droit : le tribunal aurait alors dû vider sa saisine et statuer au fond ; le jugement prononcé aurait pu être attaqué par la voie de l'appel ; et, ayant opté pour la saisine du tribunal correctionnel, le procureur de la République ne pouvait plus, ensuite, ouvrir une information.
Malgré ces précisions, la censure tombait : soulevant d'office le moyen pris de la violation de l'article 6 du Code de procédure pénale, la Cour de cassation, sur le fondement de la règle précédemment énoncée, percevait une violation de la loi dans la décision ainsi prise par la chambre de l'instruction. Selon la Cour de cassation, en effet, en renvoyant le ministère public à mieux se pourvoir, le tribunal correctionnel s'était, "même à tort", dessaisi sans statuer sur l'action publique par un jugement devenu définitif. Ce jugement, bien que n'étant susceptible de recevoir aucune suite, faisait autorité, et ne pouvait donc pas, même indirectement, être remis en cause par une autre juridiction, quelle qu'elle soit.
Au final, comme le démontre l'absence de renvoi de l'affaire à une autre cour d'appel, la décision est de pur principe. C'est une leçon de droit donnée par la Chambre criminelle de la Cour de cassation, dont le véritable intérêt est peut-être de renseigner sur la nature de la vérité qui est en cause dans tout procès, fût-ce un procès pénal : c'est une vérité judiciaire, nécessairement relative, dont il faut se contenter, quand bien même elle ne serait pas la Vérité.
Guillaume Beaussonie, Maître de conférences en droit privé, CRDP Tours (EA 2116)
II - La légitimité des pouvoirs du président d'une cour d'assises
Les pouvoirs du président d'une cour d'assises diffèrent sur bien des points de ceux dont disposent les présidents des autres juridictions. Pour cette raison notamment, un garde-fou spécifique est posé par l'article 328 du Code de procédure pénale (N° Lexbase : L3546DGG), texte en vertu duquel ledit président "a le devoir de ne pas manifester son opinion sur la culpabilité" de l'accusé. C'est, finalement, rappeler que la particularité de ses pouvoirs ne délivre pas le président de la cour d'assises de son obligation d'impartialité et du respect de la présomption d'innocence.
En l'espèce, l'accusé percevait, en la décision du président de la cour d'assises de retranscrire dans le procès-verbal des débats une partie des déclarations qu'il avait tenues lors de son interrogatoire, la manifestation d'une opinion de culpabilité à son encontre. Cela paraissait plutôt opportun, l'article 328 du Code de procédure pénale ayant constitué le fondement de bien des rappels à l'ordre de présidents d'assises parfois un peu trop zélés (3).
Au surplus, propre à la cour d'assises, le procès-verbal des débats est, en principe, dressé au seul "effet de constater l'accomplissement des formalités prescrites" (4) ; ce n'est pas un acte d'information (5). Mais, tout le problème était là, l'article 379 du Code de procédure pénale (N° Lexbase : L3776AZU) autorise exceptionnellement et discrétionnairement le président de la cour à y faire mentionner les réponses des accusés et le contenu des dépositions. C'est ce qui s'était passé en l'espèce, où le président avait fait mentionner certaines déclarations de l'accusé dans le procès-verbal des débats.
Du point de vue de la loi, il n'y a rien à reprocher à cette pratique qui est, comme on vient de le souligner, prévue par le Code de procédure pénale. Plus largement, ce pouvoir s'inscrit dans la tradition française d'un juge fort dans sa quête de la manifestation de la vérité. La Cour de cassation rejetait donc le pourvoi, précisant simplement que "la décision du président de faire consigner au procès-verbal des débats, en application de l'article 379 du Code de procédure pénale, certaines déclarations de l'accusé, ne saurait être interprétée comme une manifestation d'opinion sur la culpabilité de ce dernier".
Du point de vue de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme, en revanche, texte par ailleurs également invoqué au soutien du pourvoi formé par l'accusé, il n'est pas certain que cette affirmation de la Chambre criminelle suffise à convaincre qu'il existe alors une apparence suffisante d'impartialité, apparence dont on sait pourtant le rôle fondamental qu'elle joue, en la matière, pour la Cour de Strasbourg (6).
Guillaume Beaussonie, Maître de conférences en droit privé, CRDP Tours (EA 2116)
III - La portée de la communication du dossier pénal durant la garde à vue
Au premier abord, pas vraiment de surprise, dans cet arrêt rendu par la Chambre criminelle de la Cour de cassation le 18 décembre 2012 : d'une part, le caractère incomplet de l'accès de l'avocat d'une personne faisant l'objet d'une garde à vue aux pièces de la procédure, va encore provoquer de nombreuses saisines de la Cour de cassation, dans le dessein d'obtenir son extension ; d'autre part, ces saisines auront pour seul aboutissement, soit le rappel de la loi au requérant (7), soit, le cas échéant, celui de la jurisprudence du Conseil constitutionnel (8), l'une et l'autre s'accordant sur le caractère suffisant d'un tel accès.
Pour autant, le fait que l'on puisse seulement accéder à un dossier pénal limité suppose-t-il nécessairement qu'il faille rejeter, purement et simplement, toute demande qui porterait sur l'entier dossier ? Autrement dit, la demande du dossier intégral ne porte-elle pas inéluctablement sur celle d'une partie de ce même dossier ?
La réponse de la Cour de cassation, faisant alors sien le raisonnement mené par la chambre de l'instruction, étonne : dans une telle situation, où il a seulement été demandé le dossier dans son intégralité, "il appartient à l'avocat de la personne gardée à vue qui peut consulter le procès-verbal établi en application de l'article 63-1 du Code de procédure pénale (N° Lexbase : L9742IPI), le certificat médical établi en application de l'article 63-3 (N° Lexbase : L9745IPM) ainsi que les procès-verbaux d'audition de son client, d'en faire la demande expresse". Faute de quoi, comme en l'espèce, il n'aura accès à rien !
On s'éloigne assurément du formalisme intelligent qui caractérise généralement la procédure pénale -et qui, au demeurant, est plutôt censé protéger le mis en cause-, et cette solution n'est pas sans rappeler les temps sombres où la Chambre criminelle semblait avoir oublié que la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme s'imposait également à elle. Cela n'apparaît pas de très bon aloi, à l'heure où l'on annonce que, très prochainement, quelques arrêts strasbourgeois seront rendus sur le sujet.
Guillaume Beaussonie, Maître de conférences en droit privé, CRDP Tours (EA 2116)
IV - La motivation des arrêts rendus par les cours d'assises
Le 10 janvier 2013, la cinquième section de la Cour européenne des droits de l'Homme a rendu plusieurs décisions intéressant la motivation des arrêts rendus par les cours d'assises françaises, les recours se fondant sur l'allégation d'une violation de l'article 6-1 de la Convention européenne (N° Lexbase : L7558AIR) (9). La formulation des questions posées aux cours d'assises concernées était au coeur des solutions dégagées par la Cour de Strasbourg.
Dans l'affaire "O. contre France", le requérant était condamné le 7 juin 2006 par la cour d'assises du Morbihan pour meurtre, en récidive, à la peine de trente ans de réclusion criminelle. La cour d'assises de l'Ille-et-Vilaine, désignée pour statuer sur son appel, le condamnait le 17 octobre 2008 à la même peine, et fixait une période de sûreté à hauteur des deux tiers de la peine. La question, unique, à laquelle la cour donnait une réponse affirmative, était la suivante :
"L'accusé A. O. est-il coupable d'avoir à Lorient, département du Morbihan, entre le 27 octobre 2003 et le 7 novembre 2003, donné volontairement la mort à [L. L.] ?".
Dans l'affaire "L. contre France", le requérant, d'abord condamné le 25 avril 2007 par la cour d'assises d'Ille-et-Vilaine à la peine de douze ans de réclusion criminelle, l'était à nouveau par la cour d'assises des Côtes d'Armor le 27 mars 2009 à quinze ans de réclusion criminelle pour viols sur mineure de quinze ans par ascendant légitime, viols sur mineure de quinze ans par personne ayant autorité, et agressions sexuelles sur mineure de quinze ans par ascendant ou personne ayant autorité.
Les questions, qui portaient sur des faits commis sur deux filles et une belle-fille de l'accusé, étaient ainsi formulées:
"Question n° 1 : L'accusé O. L. est-il coupable d'avoir à La Morlaye (Oise), entre le 1er janvier 1982 et le 31 décembre 1983, commis sur la personne de [A.], par violence, contrainte ou surprise des actes de pénétration sexuelle de quelque nature qu'ils soient ?
Question n° 2 : [A.], née le 20 juin 1977, était-elle, à la date des faits ci-dessus spécifiées à la question n° 1, âgée de moins de quinze ans ?
Question n° 3 : L'accusé O. L. est-il le père légitime de [A.] ?
Question n° 4 : L'accusé O. L. est-il coupable, en tant que citoyen français, d'avoir à La Panne (Royaume de Belgique), entre le 1er juillet 1985 et le 15 septembre 1985, commis sur la personne de [S. P.], par violence, contrainte ou surprise, des actes de pénétration sexuelle de quelque nature qu'ils soient ?
Question n° 5 : [S. P.], née le 8 août 1973, était-elle, à la date des faits ci-dessus spécifiés à la question n° 4, âgée de moins de quinze ans ?
Question n° 6 : L'accusé O. L. avait-il, à la date des faits ci-dessus spécifiés à la question n° 4, autorité sur [S. P.], comme étant le mari de la mère de cette mineure, celle-ci résidant chez eux ?
Question n° 7 : L'accusé O. L. est-il coupable d'avoir à Vieux-Viel, département d'Ille-et-Vilaine, entre le 1er mars 1999 et le 31 mars 2000, commis des attentats à la pudeur sur la personne de [M.], mineure de quinze ans comme étant née le 8 mars 1986 ?
Question n° 8 : Les attentats à la pudeur ci-dessus spécifiés à la question n° 7 ont-ils été commis avec violence, contrainte ou surprise ?
Question n° 9 : L'accusé O. L. est-il le père légitime de [M.] ?
Question subsidiaire n° 1 : L'accusé O. L. est-il coupable d'avoir à Vieux-Viel, département d'Ille-et-Vilaine, entre le 1er mars 1999 et le 31 décembre 2000, commis sur la personne de [M.], par violence, contrainte, menace ou surprise, des agressions sexuelles exemptes d'actes de pénétration ?
Question subsidiaire n° 2 : [M.], née le 8 mars 1986, était-elle, à la date des faits ci-dessus spécifiés à la question subsidiaire n° 1, âgée de moins de 15 ans ?
Question subsidiaire n° 3 : L'accusé O. L. est-il le père légitime de [M.] ?"
La cour répondait "oui à la majorité de dix voix au moins" aux six premières questions et aux trois questions subsidiaires, "non" à la septième question, les questions 8 et 9 étant considérées "sans objet".
Enfin, dans l'affaire "A. contre France", le requérant bénéficiait tout d'abord d'un non-lieu après une instruction diligentée pour meurtre. Après la découverte du faux témoignage de son épouse, une instruction était réouverte pour charges nouvelles. Le requérant était acquitté le 20 décembre 2006 par la cour d'assises des Alpes-Maritimes. Sur appel du ministère public, il était finalement condamné le 11 octobre 2007, pour meurtre, par la cour d'assises des Bouches-du-Rhône à la peine de vingt ans de réclusion criminelle. Les questions étaient les suivantes:
"Questions principales :
1 - L'accusé M. A. est-il coupable d'avoir à Nice (département des Alpes Maritimes), entre le 26 octobre et le 2 novembre 1977, en tout cas sur le territoire national et depuis temps non couvert par la prescription de l'action publique, volontairement donné la mort à [A.R.] ?
2 - L'accusé M. A. avait-il, préalablement à sa commission, formé le dessein de commettre le meurtre ci-dessus spécifié ?
Questions subsidiaires :
3 - Est-il constant qu'à Nice (département des Alpes Maritimes), entre le 26 octobre et le 2 novembre 1977, en tout cas sur le territoire national et depuis temps non couvert par la prescription de l'action publique, il a été donné volontairement la mort à [A.R.] ?
4 - Le meurtre spécifié à la question n° 3 a-t-il été commis avec préméditation ?
5 - L'accusé M. A. est-il coupable d'avoir à Nice (département des Alpes Maritimes), entre le 26 octobre et le 2 novembre 2007 [sic], en tout cas sur le territoire national et depuis temps non couvert par la prescription de l'action publique, donné des instructions en vue de commettre le meurtre spécifié à la question n° 3 et qualifié à la question n° 4 ?
- L'accusé M. A. est-il coupable d'avoir à Nice (département des Alpes Maritimes), entre le 26 octobre et le 2 novembre 2007 [sic], en tout cas sur le territoire national et depuis temps non couvert par la prescription de l'action publique, sciemment, par aide ou assistance, facilité la préparation ou la consommation du meurtre spécifié à la question n° 3 et qualifié à la question n° 4 ?".
Il fut répondu "oui à la majorité de dix voix au moins" aux deux questions principales, les questions subsidiaires étant considérées "sans objet".
Dans chacune de ces affaires, un pourvoi en cassation s'appuyant notamment sur la violation de l'article 6-1 de la Convention européenne faute de motivation de l'arrêt de condamnation, était formé. Tous étaient rejetés par la Chambre criminelle de la Cour de cassation, dont la position de l'époque consistait à dire que "sont reprises dans l'arrêt de condamnation les réponses qu'en leur intime conviction, magistrats et jurés composant la cour d'assises [...], statuant dans la continuité des débats, à vote secret et à la majorité qualifiée des deux tiers, ont donné aux questions sur la culpabilité, les unes, principales, posées conformément au dispositif de la décision de renvoi, les autres, subsidiaires, soumises à la discussion des parties ; [...] en cet état, et dès lors qu'ont été assurés l'information préalable sur les charges fondant la mise en accusation, le libre exercice des droits de la défense ainsi que le caractère public et contradictoire des débats, l'arrêt satisfait aux exigences légales et conventionnelles invoquées" (10).
Pourtant, les utilités de la motivation des décisions de justice sont multiples. En plus de l'obliger à se justifier (11), elle permet le contrôle d'un degré minimal de persuasion du juge (12), qui doit non seulement être convaincu puisque, en matière pénale, le doute conduit à la relaxe ou à l'acquittement, mais aussi convaincre (13). Ces fonctions sont, comme l'énonce la Cour européenne, propres à prévenir l'arbitraire de la juridiction de jugement, autre fonction essentielle de la motivation. En effet, l'arbitraire disparaît derrière la preuve, puisque cette dernière implique une démonstration et ne se contente pas d'assertions sans fondement.
Il en résulte que la Cour européenne considère que, même si "la Convention ne requiert pas que les jurés donnent les raisons de leur décision et [si] l'article 6 ne s'oppose pas à ce qu'un accusé soit jugé par un jury populaire même dans le cas où son verdict n'est pas motivé. Il n'en demeure pas moins que, pour que les exigences d'un procès équitable soient respectées, le public et, au premier chef, l'accusé doit être à même de comprendre le verdict qui a été rendu. C'est là une garantie essentielle contre l'arbitraire" (14), formule reprise dans les affaires tranchées le 10 janvier 2013.
Il fallait donc que la France trouve un système combinant adroitement l'exigence de motivation, à laquelle la Cour de Strasbourg n'impose pas de formalisme particulier, et les particularités de la procédure pénale française, au rang desquelles figure le secret des délibérés.
L'article 365-1 du Code de procédure pénale (N° Lexbase : L9537IQB) issu de la loi n° 2011-939 du 10 août 2011 (N° Lexbase : L9731IQH) semble avoir trouvé le bon équilibre. Il prévoit que le président ou l'un des magistrats assesseurs rédige la motivation de l'arrêt, cette dernière consistant, en cas de condamnation, "dans l'énoncé des principaux éléments à charge qui, pour chacun des faits reprochés à l'accusé, ont convaincu la cour d'assises. Ces éléments sont ceux qui ont été exposés au cours des délibérations menées par la cour et le jury [...], préalablement aux votes sur les questions. La motivation figure sur un document annexé à la feuille des questions appelé feuille de motivation, qui est signée conformément à l'article 364" (N° Lexbase : L4373AZY).
Dans les trois espèces soumises à notre lecture, la loi du 10 août 2011 n'avait pas encore été votée et, comme cela a été indiqué plus haut, la Cour de cassation avait maintenu sa position ancienne : est conforme à la Convention européenne la simple réponse par oui ou par non aux questions formulées à l'attention de la cour d'assises.
La censure de la Cour européenne des droits de l'Homme paraissait donc inéluctable. Elle a bien été la solution choisie dans les affaires "A. et O. contre France". A l'occasion de ces deux procédures, après avoir rappelé que de nombreuses garanties étaient offertes à l'accusé par le droit français, elle a constaté que, dans les circonstances très complexes de l'espèce, les questions étaient non circonstanciées et laconiques, alors que les faits étaient très contestés, et elle a conclu à la violation de l'article 6-1 de la Convention.
En revanche, dans l'affaire "L. contre France", la Cour européenne a estimé que le droit au procès équitable du requérant avait été respecté. A la différence des deux autres affaires, elle relève que l'affaire n'était pas complexe. Elle ajoute que, malgré l'absence de distinction entre les éléments de violence, de contrainte, de menace ou de surprise, le requérant "ne saurait prétendre avoir été, pour cette seule raison, empêché de comprendre le verdict qui a été rendu, en particulier compte tenu de la circonstance que les faits ont été commis par un ascendant sur des victimes mineures de son entourage immédiat" (15). La Cour souligne, enfin, que "douze questions, composant un ensemble précis et exempt d'ambiguïté sur ce qui était reproché au requérant, ont été posées".
Si l'on peut comprendre le premier argument, les suivants ne manqueront pas d'étonner. Ainsi, la prétendue précision des questions posées à la cour d'assises ne convainc pas. En effet, dans ces trois affaires jugées le 10 janvier 2013, les questions posées ne portaient que sur les éléments constitutifs des infractions reprochées, avec ou sans circonstance aggravante selon le cas, et avec question sur la complicité le cas échéant. Les formules retenues étaient, toutes, la reprise de ce que l'on nomme la "qualification détaillée" de chaque infraction, utilisée de la mise en examen à l'ordonnance de mise en accusation dans le cadre d'une information judiciaire. Cette formule permet la précision d'éléments de fait, comme, en cas d'agressions sexuelles, la nature même des actes reprochés, ou, en cas d'homicide volontaire, celle du geste mortifère par exemple. Aucune précision de la sorte ne figure dans les questions posées à la cour d'assises des Côtes d'Armor dans l'affaire "L. contre France". La seule différence pertinente de traitement entre l'affaire "L. contre France" et les affaires "O. et A. contre France" réside dans l'absence de complexité de la première, l'argument relatif aux qualificatifs de violence, contrainte, menace ou surprise ne pouvant convaincre, puisqu'il revient à considérer que l'accusé, déclaré coupable, sait forcément ce dont on l'accuse, explication qui lui fait justement défaut et dont il a voulu se plaindre devant la Cour européenne des droits de l'Homme.
La conséquence principale des deux condamnations de la France consiste dans l'ouverture pour les requérants du droit à voir réexaminer la décision pénale rendue en violation de la Convention européenne dont la procédure, introduite par la loi n° 2000-516 du 15 juin 2000 (N° Lexbase : L0618AIQ) aux articles 626-1 et suivants du Code de procédure pénale (N° Lexbase : L4001AZ9). La presse a déjà relayé la décision de la commission de réexamen saisie par M. A., et qui conduit ce dernier à effectuer un troisième passage devant une cour d'assises (16).
Madeleine Sanchez, docteur en droit, auditrice de justice
(1) Sur l'autorité de la chose jugée en droit pénal, voir A. Botton, Contribution à l'étude de l'autorité de la chose jugée au pénal sur le civil, Bibl. sc. crim., t. 49, LGDJ, 2010.
(2) La confusion de la juridiction correctionnelle provient sans doute du fait que cela est possible en matière de comparution immédiate, les règles relatives aux deux procédures étant présentées dans un même paragraphe du Code de procédure pénale (C. pr. pén., art. 393 et s. N° Lexbase : L3799AZQ). Mais l'article 397-2 (N° Lexbase : L3722IGX), qui autorise un renvoi du dossier au procureur de la République, ne concerne que la comparution immédiate. Voir d'ailleurs, à cet égard, nos observations : Chronique de procédure pénale - Décembre 2012, Lexbase Hebdo n° 509 du 13 décembre 2012 - édition privée (N° Lexbase : N4867BTG).
(3) Voir H. Angevin, Jcl. Proc. pén., art. 323 à 346, Fasc. 20 : cour d'assises. - Débats. - Production et discussion des preuves. - Déroulement des débats, nos 40 et s..
(4) C. pr. pén., art. 378 (N° Lexbase : L3775AZT).
(5) Cass. crim., 22 mars 1873, Bull. crim., n° 79.
(6) Voir par exemple CEDH, 14 mai 1989, Req. 10486/83 (N° Lexbase : A2759I7C).
(7) C. pr. pén., art. 63-4-1 (N° Lexbase : L9630IPD).
(8) Cons. const., décision n° 2011-191/194/195/196/197 QPC, du 18 novembre 2011, "Garde à vue II" (N° Lexbase : A9214HZB).
(9) En plus des présentes décisions, voir aussi : CEDH, 10 janvier 2013, Req. 30010/10, F. c/ France (N° Lexbase : A0314I3Z), Req. 60995/09, V. c/ France (N° Lexbase : A0321I3B).
(10) Cass. crim., 14 octobre 2009, n° 08-86.480, FP-P+F (N° Lexbase : A9993ELP), Bull. crim., n° 170. Dans le même sens : Cass. crim., 20 janvier 2010, n° 09-80.772 (N° Lexbase : A0665ESG), n° 09-82.186 (N° Lexbase : A7901ER3), n° 09-80.009 (N° Lexbase : A7888ERL), F-D; Cass. crim., 20 janvier 2010, n° 09-80.652 (N° Lexbase : A7891ERP), Bull. crim., n° 13 ; Cass. crim., 20 janvier 2010, n° 08-88.301 (N° Lexbase : A7784ERQ), Bull. crim., n° 14 ; Cass. crim., 15 juin 2011, n° 10-80.508, FP-P+B+R+I (N° Lexbase : A6187HTC) : voir notre note, Chronique de procédure pénale - Juillet 2011, Lexbase Hebdo n° 450 du 28 juillet 2011 - édition privée (N° Lexbase : N7203BSL).
(11) Un magistrat de la Cour de cassation considère que la justification rationnelle de la décision constitue la fonction primordiale de la motivation : J.-P. Ancel, La rédaction de la décision de justice en France, RIDC, 1998, p. 841, spéc. p. 848.
(12) En ce sens, voir M.-C. Nagouas-Guérin, Mythe et réalité du doute favorable en matière pénale, RSC, 2002, p. 283, spéc. p. 287.
(13) Selon le mot d'un auteur, "est preuve, non ce qui est convaincant, mais ce qui a convaincu, et bien plus, a convaincu le juge" : C. Lombois, La présomption d'innocence, Pouvoirs, n° 55, 1990, p. 89.
(14) CEDH, 2 février 1999, Req. 31913/96, Saric c/ Danemark ; CEDH, 16 novembre 2010, Req. 926/05, Taxquet c/ Belgique (N° Lexbase : A0241GHE) [GC], § 89.
(15) § 65.
(16) Sous réserve de vérification, la décision de la commission de réexamen n'étant pas encore publiée au jour où ces lignes sont écrites.
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