La lettre juridique n°515 du 7 février 2013 : Fiscalité des entreprises

[Chronique] Chronique de fiscalité des entreprises - Février 2013 (spéciale loi de finances pour 2013 et loi de finances rectificative pour 2012)

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par Thibaut Massart, Professeur, Directeur du Master 2 fiscalité de l'entreprise de l'Université Paris-Dauphine

le 07 Février 2013

Lexbase Hebdo - édition fiscale vous propose, cette semaine, de retrouver la chronique d'actualité en droit fiscal des entreprises réalisée par Thibaut Massart, Professeur, Directeur du Master 2 fiscalité de l'entreprise de l'Université Paris-Dauphine. Cette dernière chronique consacrée aux récentes lois de finances (loi n° 2012-1509 du 29 décembre 2012, de finances pour 2013 N° Lexbase : L7971IUR et loi n° 2012-1510 du 29 décembre 2012, de finances rectificative pour 2012 N° Lexbase : L7970IUQ) porte sur trois mesures touchant les entreprises. Deux dispositifs portent sur la fiscalité des grandes entreprises, qui tend, de plus en plus vers une autonomie juridique par rapport à la fiscalité des entreprises classique, tant les mesures les concernant en propre sont nombreuses. Ainsi, les règles concernant les acomptes de l'IS, payés par les grandes entreprises, sont modifiées (loi de finances pour 2013, art. 26). Par ailleurs, le crédit d'impôt recherche est élargi, de façon à comprendre certaines dépenses d'innovation. Cette mesure est, notamment, favorable aux PME (loi de finances pour 2013, art. 71). Enfin, l'exit tax applicable aux entreprises qui transfèrent leur siège ou leur établissement stable à l'étranger est précisée (loi de finances rectificative pour 2012, art. 30), de façon à prendre en compte les dernières évolutions communautaires en la matière.
  • Le nouveau régime des acomptes d'IS pour les grandes entreprises

Présentation du dispositif

L'article 26 de la loi de finances pour 2013 modifie le régime des acomptes d'impôt sur les sociétés applicable aux grandes entreprises (CGI, art. 1668 N° Lexbase : L0163IWX et 1731 A N° Lexbase : L0162IWW). Les aménagements apportés portent à la fois sur le seuil de chiffre d'affaires à partir duquel les grandes entreprises sont tenues de s'acquitter de ce dernier acompte, ainsi que sur ses modalités de calcul. Le nouveau texte étend ainsi l'obligation d'acquitter le quatrième acompte d'IS par référence au bénéfice estimé de l'exercice en cours aux entreprises réalisant un chiffre d'affaires de 250 millions d'euros, et non plus seulement 500 millions d'euros, au cours du dernier exercice clos ou de la période d'imposition. Le texte augmente également la fraction de l'IS estimé à prendre en compte pour le calcul du dernier acompte :
- 75 % (au lieu de 66,66 %), du montant d'IS estimé au titre de l'exercice, pour les entreprises dont le CA est compris entre 250 millions d'euros et 1 milliard d'euros ;
- 85 % (au lieu de 80 %) du montant d'IS estimé au titre de l'exercice, pour les entreprises dont le CA est compris entre 1 milliard d'euros et 5 milliards d'euros ;
- 95 % (au lieu de 90 %) du montant d'IS estimé au titre de l'exercice, pour les entreprises ayant un CA supérieur à 5 milliards d'euros.

Les sanctions prévues à l'article 1731 A, à savoir l'application des intérêts de retard et de la majoration de 5 % en cas d'insuffisance de versement de ce dernier acompte par référence au bénéfice estimé, s'étendent aux entreprises dont le CA excède 250 millions d'euros.

Finalité de la réforme

Par cette réforme, qui s'applique aux exercices ouverts à compter du 1er janvier 2013, et qui concernera, concrètement, l'acompte versé le 15 décembre 2013, le législateur souhaitait accroître le rendement budgétaire de l'IS de 2013 en renforçant le lien temporel entre bénéfice imposable et paiement effectif de l'impôt. En augmentant la fraction d'IS estimé à prendre en compte pour le calcul du dernier acompte, la loi nouvelle rend, a priori, la somme des acomptes plus proche de l'IS définitivement dû. Sur cette base, le législateur espère que la mesure rapportera 1 milliard d'euros en 2013. En revanche, début 2014, le solde d'IS déclaré par les grandes entreprises au titre de l'exercice 2013 sera amputé de ce milliard d'euros d'acomptes supplémentaires versés en 2013. Un gain budgétaire sera attendu sur le montant du dernier acompte qui sera versé fin 2014 au titre de 2014. Autrement dit, il est demandé aux grandes entreprises de faire un effort de trésorerie, en payant plus tôt l'IS qu'elles doivent acquitter.

Mise en oeuvre de la réforme

Cependant, compte tenu du contexte économique actuel, l'objectif poursuivi par cette réforme ne sera pas facile à atteindre.

Rappelons en effet qu'en application du 1 de l'article 1668 du CGI, les entreprises redevables de l'IS sont tenues de procéder au versement de quatre acomptes trimestriels provisionnels. Ces acomptes sont déterminés à partir des résultats du dernier exercice clos à la date de leur échéance et dont le délai de déclaration est expiré. Par conséquent, le premier acompte est calculé à partir du résultat de l'avant-dernier exercice clos et fait l'objet d'une régularisation lors du versement de l'acompte suivant. Chacun des acomptes trimestriels est égal, en principe, au quart de l'impôt liquidé. Les dates limites de paiement de ces acomptes d'IS, fixées en fonction des dates de clôture des exercices, sont arrêtées aux 15 mars, 15 juin, 15 septembre et 15 décembre de chaque année. A l'issue de ces paiements, les entreprises procèdent à la liquidation du solde de l'IS sous déduction des acomptes déjà payés, au plus tard le 15 du quatrième mois qui suit la clôture de l'exercice (soit le 15 avril pour les sociétés dont l'exercice comptable coïncide avec l'année civile). Si le montant de ces derniers est supérieur à celui de l'impôt dû, l'administration fiscale restitue l'excédent à l'entreprise.

Les grandes entreprises, dont le chiffre d'affaires est aujourd'hui au moins égal à 250 millions d'euros (au lieu de 500 millions d'euros avant la réforme) doivent déterminer le montant de leur dernier acompte en fonction du résultat prévisionnel de l'exercice en cours et non du dernier exercice clos. C'est précisément ce dernier acompte, appelé parfois "cinquième acompte", qui fait l'objet de la présente réforme. La quotité du montant de l'IS estimé servant de base au calcul du dernier acompte des grandes entreprises était fixée à 2/3, 80 % ou 90 % en fonction du chiffre d'affaires de l'entreprise. Le montant du "cinquième acompte" n'était en conséquence plus important que le quatrième acompte "ordinaire" que si l'impôt sur les sociétés estimé au titre de l'exercice était supérieur d'au moins 50 % par rapport à celui du dernier exercice pour les entreprises dont le chiffre d'affaires était compris entre 500 millions et un milliard d'euros ou d'au moins 25 % pour les entreprises dont le chiffre d'affaires était supérieur à un milliard d'euros et était au plus de 5 milliards, ou d'au moins 11,1 % pour les entreprises dont le chiffre d'affaires était supérieur à 5 milliards d'euros. Avec les nouveaux seuils, il faudra que l'évolution du résultat soit d'au moins 33,33 % par rapport à celui du dernier exercice pour les entreprises dont le chiffre d'affaires est compris entre 250 millions et 1 milliard d'euros, ou d'au moins 17,65 % pour les entreprises dont le chiffre d'affaires est supérieur à 1 milliard d'euros et au plus de 5 milliards, ou d'au moins 5,26 % pour les entreprises dont le chiffre d'affaires est supérieur à 5 milliards d'euros.

Autant dire que la réforme n'aura aucun impact sur les comptes publics de 2013 si les résultats prévisionnels des grandes entreprises à la fin 2013 restent aussi médiocres que les résultats réalisés en 2012. D'autant que la règle de modulation des acomptes d'IS à la baisse ou leur suspension n'a pas été modifiée. Ainsi, une entreprise pourra toujours suspendre ou moduler à la baisse le versement de ses acomptes lorsqu'elle estime que le montant total des acomptes déjà versés au titre de l'exercice en cours est égal ou supérieur à la cotisation totale d'IS dont elle sera redevable au titre de cet exercice avant imputation des crédits d'impôt.

  • Les nouvelles règles du crédit impôt recherche

Présentation des nouvelles règles

L'article 71 de la loi de finances pour 2013 modifie les règles du crédit impôt recherche (CIR). En premier lieu, le nouveau texte crée une sorte de crédit d'impôt "innovation" au sein du crédit impôt "recherche". Les dépenses éligibles à ce crédit d'impôt portent principalement sur "des activités de conception de prototype de nouveaux produits ou installations pilotes de même nature". Ces dépenses d'innovation éligibles donnent lieu à un crédit d'impôt plafonné à 400 000 euros par an et à l'application d'un taux réduit CIR de 20 % (au lieu de 30 %).

En deuxième lieu, et pour financer l'extension du champ d'application du CIR, sont supprimés les taux majorés de CIR de 40 % et 35 % accordés au titre des deux premières années d'application de ce dispositif.

En troisième lieu, afin de sécuriser la gestion fiscale du CIR par les entreprises, le délai pour déposer une demande de rescrit CIR est allongé jusqu'à six mois avant la date limite de dépôt de la déclaration spéciale de CIR.

L'introduction du CIR "innovation"

Ces nouvelles règles nous amènent à approfondir le crédit d'impôt "innovation". Le législateur a, en effet, élargi le champ des dépenses éligibles au CIR à certaines opérations d'innovation, en aval de la phase de recherche et développement (R&D), et portant sur "des activités de conception de prototype de nouveaux produits ou installations pilotes de même nature". Comme le crédit impôt "innovation" est moins généreux que le CIR "général", il faudra désormais clairement distinguer entre ce qui relève de l'innovation proprement dite et la recherche.

Le CIR "général"

Rappelons qu'en application de l'article 244 quater B du CGI (N° Lexbase : L0202IWE), les entreprises qui exposent des dépenses de recherche peuvent bénéficier d'un crédit d'impôt, dit "crédit d'impôt recherche". Les catégories de dépenses éligibles sont limitativement énumérées par la loi, comme les dotations aux amortissements des immobilisations créées ou acquises à l'état neuf et directement affectées à des opérations de recherche. En application de l'article 49 septies F de l'Annexe 3 au CGI (N° Lexbase : L1286HML), les dépenses de recherche sont entendues comme :
- les dépenses de recherche fondamentale, dont l'objet est d'"apporter une contribution théorique ou expérimentale à la résolution des problèmes techniques" ;
- les dépenses de recherche appliquée, "qui visent à discerner les applications possibles des résultats d'une recherche fondamentale ou à trouver des solutions nouvelles permettant à l'entreprise d'atteindre un objectif déterminé choisi à l'avance" ;
- les dépenses de développement expérimental (y compris la réalisation de prototypes ou d'installations pilotes), "dans le but de réunir toutes les informations nécessaires pour fournir les éléments techniques des décisions, en vue de la production de nouveaux matériaux, dispositifs, produits, procédés, systèmes, services ou en vue de leur amélioration substantielle".

Comme le soulignait déjà la doctrine administrative (instruction fiscale du 21 février 2012, BOI 4 A-3-12 N° Lexbase : X1581AKR ; repris dans le BoFip - Impôts, BOI-BIC-RICI-10-10-10-20 N° Lexbase : X7463ALY), "les activités de R&D ne sont donc qu'un sous-ensemble des activités d'innovation et le critère fondamental permettant de distinguer la R&D des activités connexes est l'existence, au titre de la R&D, d'un élément de nouveauté non négligeable et la dissipation d'une incertitude scientifique et/ou technique".

Les dépenses rentrant dans le CIR "innovation"

Sont désormais éligibles d'autres dépenses d'innovation, intervenant plus en aval de la recherche proprement dite, dont le socle est constitué des "dotations aux amortissements des immobilisations créées ou acquises à l'état neuf et affectées directement à la réalisation d'opérations de conception de prototypes ou installations pilotes de nouveaux produits autres que les prototypes et installations pilotes mentionnés au a" (CGI, art. 244 quater B, II, k). Cette rédaction est, en apparence, proche de celle retenue par le a du II de l'article 244 quater B, pour la définition générale des dépenses éligibles au crédit impôt recherche "général", à savoir "les dotations aux amortissements des immobilisations, créées ou acquises à l'état neuf et affectées directement à la réalisation d'opérations de recherche scientifique et technique, y compris la réalisation d'opérations de conception de prototypes ou d'installations pilotes".

En réalité, il faudra distinguer entre les prototypes et installations pilotes relevant de la phase de recherche des prototypes ou installations pilotes de nouveaux produits. La chose ne sera pas facile, car le prototype et l'installation pilote réalisés dans la phase d'innovation n'ont pas davantage vocation à être mis sur le marché que ceux réalisés dans la phase de recherche. La loi nouvelle dispose expressément que "le prototype ou l'installation pilote d'un nouveau produit est un bien qui n'est pas destiné à être mis sur le marché, mais à être utilisé comme modèle pour la réalisation d'un nouveau produit". Par ailleurs, la notion de nouveau produit est entendue restrictivement comme un bien corporel ou incorporel qui n'est pas encore mis à disposition sur le marché et qui se distingue des produits existants ou précédents par des performances supérieures sur le plan technique, de l'éco-conception, de l'ergonomie ou de ses fonctionnalités.

Pour seule illustration de ces concepts, le Gouvernement a indiqué au rapporteur général qu'"une PME du secteur de l'ameublement qui réaliserait, en collaboration avec des designers, des prototypes pour une nouvelle gamme de tables fabriquées dans des matériaux composites nouveaux, pas encore utilisés dans le secteur et plus respectueux de l'environnement que d'autres matériaux, pourrait bénéficier du CIR (partie innovation-prototype), son projet correspondant à des performances supérieures en matière d'éco-conception et d'ergonomie. A l'inverse, une modification qui se limiterait à changer de quelques centimètres le diamètre de la table ou la couleur du vernis du bois ne serait pas reconnue comme relevant de l'innovation". Cet exemple ne suffit pas à lever toutes les interrogations.

Le constat de performances supérieures sur le plan de l'éco-conception implique préalablement une définition juridique de ce dernier concept, que le présent article ne fournit pas. L'administration fiscale pourrait éventuellement s'inspirer de la définition de l'éco-conception proposée par l'Association française de normalisation (AFNOR) : la prise en compte des aspects environnementaux d'un produit, dès sa conception. Une PME dont les procédés de production cesseraient de négliger l'avenir de la planète pourrait alors bénéficier d'un soutien fiscal, sous réserve de réaliser un prototype de son nouveau produit "co-conçu".

Les performances supérieures sur le plan de l'ergonomie s'entendent du point de vue du nouveau produit, et non du point de vue des conditions de réalisation de ce produit par les personnels concernés. L'identification de performances supérieures des fonctionnalités d'un produit nouveau devrait être moins malaisée, même si une instruction fiscale devra nécessairement préciser chacune de ces notions, caractérisées pour l'heure par un certain flou.

Pourquoi un CIR "innovation" au sein du CIR "général" ?

On notera que, lors des débats parlementaires, certains députés de l'opposition avaient souhaité ne pas créer un CIR "innovation", mais seulement étendre le champ d'application du CIR, afin que les entreprises n'aient pas à opérer une distinction subtile entre l'innovation et la recherche. Ils redoutaient, en cas de contrôle, une propension du contrôleur fiscal à la requalification de dépenses de recherche et développement en dépenses d'innovation, dans la mesure où le CIR "innovation" est moins généreux que le CIR "général". Jérôme Cahuzac, ministre du Budget, a cependant conforté la position du Gouvernement en affirmant que la différence de taux entre les dépenses éligibles s'explique par le fait que "les dépenses d'innovation sont rentables à beaucoup plus court terme que les dépenses de recherche. En outre, les dépenses d'innovation sont peu génératrices d'externalités positives pour la collectivité, contrairement aux dépenses de recherche et développement".

Il en résulte que le CIR "innovation" est effectivement moins généreux que le CIR "général". D'abord, le CIR est exclusivement réservé aux petites et moyennes entreprises (PME), au sens de l'Annexe I au Règlement (CE) n° 800/2008 de la Commission, du 6 août 2008, déclarant certaines catégories d'aide compatibles avec le marché commun en application des articles 87 et 88 du Traité (Règlement général d'exemption par catégorie) (N° Lexbase : L3848IGM). Ensuite, les dépenses éligibles entrent dans la base du CIR dans la limite de 400 000 euros par an et bénéficient d'un taux d'aide de 20 %, alors que le taux du CIR est, en principe, de 30 % pour la fraction des dépenses éligibles inférieure ou égale à 100 millions d'euros (et de 5 % pour la fraction excédant ce montant). En revanche, à l'instar de ce que prévoit le droit existant pour le CIR "général", le nouveau k de l'article 244 quater B fait entrer dans l'assiette du crédit d'impôt innovation un certain nombre de dépenses afférentes ou accessoires aux opérations de conception de prototypes ou installations pilotes de nouveaux produits. Il en est ainsi des dépenses au titre du personnel directement et exclusivement affecté à la réalisation de ces opérations, des dépenses de fonctionnement, retenues à hauteur d'un forfait similaire à celui applicable pour le CIR "général" (75 % des dotations aux amortissements + 50 % des dépenses de personnel), des différentes dépenses relatives à la propriété intellectuelle des opérations, ou encore les dépenses d'innovation sous-traitées, dès lors qu'elles sont confiées à des organismes agréés, qu'il s'agisse d'entreprises ou de bureaux d'études et d'ingénierie.

  • Les nouvelles règles de l'exit tax pour les sociétés

Présentation de la réforme

L'article 30 de la loi de finances rectificative pour 2012, afin d'être en conformité avec la jurisprudence communautaire, apporte des précisions sur les modalités d'imposition en cas de transfert de siège ou d'établissement hors de France. Les sociétés résidentes qui procèdent à une telle opération sont désormais autorisées à payer de manière fractionnée la taxation immédiate des plus-values latentes afférentes aux actifs transférés en dehors du territoire national (CGI, art. 221 N° Lexbase : L0316IWM et 1763 N° Lexbase : L0315IWL).

L'évolution du droit communautaire

La Commission européenne porte une attention très vigilante aux "taxes de sortie" (exit tax), qu'elles frappent les ménages ou les entreprises. En effet, elles ne doivent pas empêcher la libre circulation des personnes, des biens, des services ou des capitaux, ni entraver la liberté d'établissement dans l'Union européenne.

La jurisprudence communautaire reconnaît néanmoins aux Etats membres la faculté d'imposer les plus-values latentes afférentes aux actifs de sociétés résidentes qui transfèrent leurs actifs dans un autre Etat membre de l'Union européenne, dès lors du moins que cette restriction à la liberté d'établissement reste proportionnée à l'objectif légitime de juste répartition de la matière imposable entre Etats membres.

Or, dans la droite ligne de l'arrêt "Marks & Spencer" (CJUE, 13 décembre 2005, aff. C-446/03 N° Lexbase : A9386DL9), qui avait rappelé que "la réduction des recettes fiscales ne saurait être considérée comme une raison impérieuse d'intérêt général pouvant être invoquée pour justifier une mesure en principe contraire à une liberté fondamentale", la Cour de justice de l'Union européenne a jugé par trois arrêts des 29 novembre 2011 (CJUE, 29 novembre 2011, aff. C-371/10 N° Lexbase : A0292H39, Dr. fisc., n° 5, février 2012, p. 42, note G. Blanluet), 6 septembre 2012 (CJUE, 6 septembre 2012, aff. C-38/10 N° Lexbase : A3087IS7) et 31 janvier 2013 (CJUE, 31 janvier 2013, aff. C-301/11 N° Lexbase : A4602I49), que les législations portugaise et hollandaise qui prévoient la taxation immédiate des plus-values latentes afférentes aux actifs de sociétés résidentes qui transfèrent leurs actifs en dehors du territoire national en même temps que leur siège social ne constituent pas une restriction proportionnée. En revanche, un paiement fractionné de l'imposition sur plusieurs années, à l'instar de ce que prévoient les législations suédoise et allemande, permet de concilier, selon la CJUE, la liberté d'établissement et l'objectif de juste répartition de la matière imposable entre Etats membres.

La Commission européenne a demandé à la France de s'expliquer sur son régime de taxation immédiate prévu à l'article 221 du CGI, le Gouvernement a préféré modifier la réglementation existante plutôt que d'attendre une probable condamnation.

Présentation du droit antérieur

Il faut avouer que la loi française était, à la fois, peu claire et non conforme au droit de l'Union européenne.

En application de l'article 221 du CGI, le transfert à l'étranger du siège ou d'un établissement stable d'une entreprise redevable de l'impôt sur les sociétés entraînait -à l'instar de la dissolution de la société ou de la création d'une personne morale nouvelle- les conséquences fiscales de la cessation d'entreprise. Il en résultait l'imposition immédiate des bénéfices non encore imposés.

Cependant, afin de mettre la législation française en conformité avec le droit de l'Union européenne, le dernier alinéa du 2 de l'article 221 prévoyait une exception au principe de taxation immédiate des bénéfices en cas de transfert à l'étranger.

Mais il existait une exception à cette exception. En effet, cette exception au principe de la cessation d'entreprise ne s'appliquait que dans la mesure où le transfert de siège d'une société française dans un autre Etat membre ne s'accompagnait pas du transfert total des actifs. A contrario, le transfert total des actifs entraînait, par conséquent, l'imposition immédiate des bénéfices d'exploitation dégagés depuis la date d'ouverture de l'exercice en cours, des bénéfices en sursis d'imposition et des plus-values latentes afférentes aux éléments d'actif immobilisé. Même en cas de transfert partiel, la taxation immédiate des actifs transférés semblait possible. Les actifs maintenus au bilan d'un établissement stable français, ainsi que les bénéfices d'exploitation et les bénéfices en sursis d'imposition restaient cependant taxables en France du fait du maintien d'un établissement stable.

Cette exception à l'exception ne ressortait nullement de la loi, mais de l'interprétation qu'en donnait l'administration dans un projet d'instruction jamais publié.

Dans ces conditions, il semblait nécessaire que la France précise expressément le régime de l'exit tax pour les entreprises, tout en se conformant à la nouvelle orientation jurisprudentielle de la CJUE.

Le nouveau régime de l'exit tax

En premier lieu, le nouveau régime opère une distinction plus claire du régime de taxation applicable selon la destination du transfert de siège ou d'établissement.

Le régime d'imposition immédiate est maintenu en cas de transfert dans un Etat étranger autre qu'un Etat membre de l'Union européenne, ou qu'un Etat partie à l'Espace économique européen (EEE), pour autant que ce dernier ait signé avec la France une convention d'assistance administrative en vue de lutter contre la fraude et l'évasion fiscales, ainsi qu'une convention d'assistance mutuelle en matière de recouvrement.

En second lieu, il est établi un régime spécifique pour les transferts de siège ou d'établissement dans un pays de l'Union européenne ou de l'EEE et qui s'accompagne du transfert d'éléments d'actifs. Il est prévu une option de paiement fractionné de l'exit tax. Cette solution semble effectivement conforme aux dernières décisions de la CJUE. Le paiement fractionné constitue incontestablement un avantage de trésorerie pour l'entreprise. Mais elle se traduit également par une charge administrative pour cette dernière, sous forme d'une déclaration annuelle à l'administration fiscale de l'Etat membre d'origine, car cet Etat doit être en mesure de suivre, en dehors de ses frontières, l'évolution de l'actif de la société, pour le cas où cet actif serait éventuellement cédé. La CJUE en a ainsi conclu que "dans ces conditions, une réglementation nationale offrant le choix à la société [...] entre, d'une part, le paiement immédiat du montant de l'imposition, qui crée un désavantage en matière de trésorerie pour cette société, mais la dispense de charges administratives ultérieures, et, d'autre part, le paiement différé du montant de ladite imposition, assorti, le cas échéant, d'intérêts selon la réglementation nationale applicable, qui est nécessairement accompagné d'une charge administrative pour la société concernée, liée au suivi des actifs transférés, constituerait une mesure qui, tout en étant propre à garantir la répartition équilibrée du pouvoir d'imposition entre les Etats membres, serait moins attentatoire à la liberté d'établissement".

La nouvelle rédaction du 2 de l'article 221 reprend cette idée. L'impôt sur les sociétés calculé à raison des plus-values latentes constatées sur les éléments de l'actif immobilisé transférés et des plus-values en report ou en sursis d'imposition est acquitté dans les deux mois suivant le transfert des actifs, soit pour la totalité de son montant, soit, sur demande expresse, pour le cinquième de son montant. Le solde est acquitté par fractions égales au plus tard à la date anniversaire du premier paiement au cours des quatre années suivantes. Au cours de cette période, la société peut choisir de solder sa dette à tout moment.

Le solde devient immédiatement exigible si la société cède les éléments d'actifs (elle réalise la plus-value) ou qu'elle les transfère dans un Etat non membre de l'Union européenne ou de l'EEE. Il en va de même en cas de dissolution de la société ou de non-respect d'une des échéances de paiement.

Lorsque la société opte pour le fractionnement de son paiement, elle est tenue d'adresser "chaque année au service des impôts des non résidents, un état conforme au modèle fourni par l'administration faisant apparaître les renseignements nécessaires au suivi des plus-values latentes sur les éléments de l'actif immobilisé transférés". A cette fin, le I de l'article 1763 du CGI applique une amende fiscale de 5 % des sommes omises en cas de défaut de production ou de caractère inexact ou incomplet des documents devant être transmis à l'administration fiscale.

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