Réf. : Cass. com., 15 décembre 2021, n° 21-11.882, FS-B (N° Lexbase : A17557G4)
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par Philippe Duprat, Avocat à la cour, ancien Bâtonnier du barreau de Bordeaux, chargé d’enseignement à l’Université de Bordeaux
le 05 Janvier 2022
Mots-clés : devoir de vigilance • plan de vigilance • compétence • cassation • acte mixte (oui)
L’établissement et la mise en œuvre d’un plan de vigilance ne constituent pas un acte de commerce au sens de l’article L. 721-3, 3° du Code de commerce. Si le lien direct avec la gestion de la société est établi au regard de l’article L. 721-3, 2°, le demandeur non-commerçant dispose du choix de saisir le tribunal civil ou le tribunal de commerce.
Par un précédent arrêt commenté dans ces colonnes, la cour d’appel de Versailles avait, par décision du 10 décembre 2020 [1], considéré que seul le tribunal de commerce était compétent pour connaître de l’action en injonction de faire de l’article L. 225-102-4 du Code de commerce (N° Lexbase : L2119LGL).
La cour de Versailles avait provisoirement mis fin à une controverse qui opposait ceux qui considéraient que seul le juge judiciaire pouvait connaître du contentieux relatif à l’établissement du plan de vigilance et ceux qui soutenaient, au contraire, que le juge consulaire était seul compétent à raison du lien qui existait avec la gestion de la société.
La solution retenue par la cour d’appel est censurée par la Cour de cassation qui, dans son arrêt sous examen, rendu au visa des dispositions de l’article L. 721-3 du Code de commerce (N° Lexbase : L0127L89), décide que les demandeurs non-commerçants, pouvaient choisir d’agir soit devant le tribunal civil soit devant le tribunal de commerce.
La Cour de cassation par l’arrêt rendu le 15 décembre 2021 clôt ainsi la controverse initialement ouverte et met fin à « l’équivoque sur la compétence juridictionnelle en matière de plan de vigilance » [2]. Elle le fait en précisant ce que n’est pas le plan de vigilance (I) pour immédiatement dire ce qu’il est (II).
I. Ce que n’est pas le plan de vigilance
L’article L. 721-3, 3° du Code de commerce attribue à la compétence du tribunal de commerce les contestations « relatives aux actes de commerce entre toutes personnes ». On ne rappellera pas par le menu, ni les vicissitudes, ni les fausses conséquences que certains en avaient tirées, et qui ont affecté dans un passé récent l’écriture des dispositions relatives à la compétence des tribunaux de commerce. Pour faire aussi simple que possible, on s’en tiendra à l’ordonnance du 18 septembre 2000 (ordonnance n° 2000-912 relative à la partie Législative du code de commerce N° Lexbase : L2955AIB) qui, à la faveur d’une recodification à droit constant, n’avait pas repris le texte de l’ancien article 631 du Code de commerce abrogé le 17 décembre 1991. Il faudra attendre la loi dite « NRE » du 15 mai 2001 (loi n° 2001-420 N° Lexbase : L8295ASZ), pour assister à la résurrection de l’article 631 au travers de l’article L. 411-4-1° du Code de l’organisation judiciaire (N° Lexbase : L1140ATE), ultérieurement transposé sans aucune modification par l’article 2 de l’ordonnance n° 2006-673 du 8 juin 2006 (N° Lexbase : L9328HIC), à l’article L. 721-3 du Code de commerce [3].
Il est depuis lors clairement confirmé que les tribunaux de commerce reçoivent compétence pour connaître des contestations relatives aux actes de commerce par nature, c’est-à-dire ceux réalisés indépendamment des personnes qui les accomplissent.
On sait que le législateur fournit sous l’article L. 110-1 du Code de commerce (N° Lexbase : L1282IWE) une liste importante d’actes qu’il répute actes de commerce. La jurisprudence y a ajouté les actes de commerce par accessoire. L’intérêt de qualifier telle ou telle opération d’acte de commerce n’a pas d’autre objet que de définir le régime juridique qui lui sera applicable, qu’il s’agisse des conditions de formation, de preuve, de prescription ou encore des règles de compétences.
À ce titre, aux termes de l’article L. 721-3, 3°, relèvent de la compétence du tribunal de commerce les « actes de commerce entre toutes personnes ». Or selon la Cour de cassation, l’établissement du plan de vigilance n’est pas de nature à fonder la compétence du tribunal de commerce car selon la Haute juridiction, il n’appartient pas à la catégorie des actes de commerce entre toutes personnes. Il est vrai que les deux critères de l’acte de commerce par nature dégagés par la jurisprudence et que sont, d’une part, celui de la réitération et, d’autre part, celui de la spéculation, ne se retrouvent pas à propos de l’établissement du plan de vigilance. L’établissement d’un plan de vigilance ne constitue pas à proprement parler une opération entre « toutes personnes » ; il s’agit d’un acte unilatéral de la société qui doit se soumettre obligatoirement à l’établissement d’un plan de vigilance si elle répond par ailleurs aux critères de la loi (C. om., art L. 225-102-4).
N’étant pas un acte de commerce par nature, la compétence du tribunal de commerce est donc exclue, du moins en ce qu’elle serait une conséquence automatiquement attachée au seul établissement du plan. Le tribunal de commerce n’est, pour la Cour de cassation, compétent qu’au visa de l’article L 721-3, 2°, sous réserve toutefois du droit d’option dont dispose le demandeur non-commerçant.
II. Ce qu’est le plan de vigilance
La Cour de cassation affirme très nettement, et sans aucune ambiguïté, que l’établissement et la mise en œuvre du plan de vigilance présentent un lien direct avec la gestion de la société. Ce faisant elle condamne la thèse de celles des parties qui soutenaient qu’un tel lien n’était soit pas suffisamment établi, soit inopérant car ne trouvant à s’appliquer que dans les litiges mettant en cause la responsabilité des dirigeants.
Elle s’approprie ainsi l’analyse de la cour d’appel de Versailles qui, dans son arrêt du 10 décembre 2020, avait recensé de manière vraisemblablement exhaustive tous les arguments qui permettaient de conclure à l’existence d’un lien direct « entre l’établissement et la mise en œuvre du plan de vigilance d’une part, et le fonctionnement de la société commerciale d’autre part ».
En revanche, les Hauts magistrats ne tirent pas les mêmes conclusions que les conseillers de la cour d’appel. Ces derniers avaient considéré que le droit d’option dont le demandeur non-commerçant dispose était évincé par la qualification du plan de vigilance d’acte de gestion de la société. À l’inverse la Cour de cassation préserve ce droit d’option et, ce faisant, en fait le critère définitif de détermination de la juridiction compétente. Si le demandeur est dépourvu de la qualité de commerçant, le tribunal judiciaire, ou son président statuant en référé, devient « la juridiction compétente » visée à l’article L. 225-102-4, II.
La solution retenue par la Cour de cassation a pour effet d’englober le plan de vigilance dans la catégorie des actes de commerce mixtes. Élaboré par la société, le plan de vigilance produit nécessairement des effets dont les tiers profiteront ou souffriront. Le contentieux engagé par un tiers à la société à propos de l’établissement ou de la mise en œuvre du plan de vigilance pourra être soumis à la compétence du tribunal judiciaire. Le droit d’option dont le tiers dispose ne constitue pas pour lui une contrainte. Il est au contraire synonyme de choix. La contrainte est celle à laquelle la société est soumise et qui consistera pour elle à devoir se plier au choix du tiers. Procéduralement la solution de la Cour de cassation préserve une dualité de compétence – apanage des actes de commerce mixtes – dont la mise en œuvre appartiendra au seul plaignant. Le choix du tiers devrait naturellement s’orienter vers la juridiction judiciaire qu’il aura tendance à considérer comme plus performante – les juges consulaires ne sont pas des professionnels – et plus impartiale – les juges consulaires sont des commerçants qui jugent d’autres commerçants. Pour autant de telles considérations sont heureusement, abstraitement et institutionnellement, sans aucun fondement réel.
La solution consacrée par la Cour de cassation était porteuse de deux perspectives. L’une déjà envisagée, plutôt progressiste, selon laquelle l’appréciation du plan de vigilance convoque d’autres principes que ceux strictement et habituellement limités à la simple gestion d’une société commerciale. La prévention des atteintes graves envers les droits humains et les libertés fondamentales, notamment visées à l’alinéa 3 de l’article L. 225-102-4, pourrait participer de la constitution, à terme, d’un bloc de compétence spécifique à la juridiction judiciaire et donnant son entière plénitude à la responsabilité sociale de l’entreprise. L’autre, plus régressive, également déjà évoquée, qui redoute que la consécration d’une compétence duale, ne débouche sur un éclatement des contentieux, des divergences de jurisprudence et à terme sur une forme de « forum shopping judiciaire » ou les tiers se détermineront avant tout par un effet d’aubaine.
L’avenir ne départira pas ces deux visions. Si en cette période festive la Cour de cassation a eu le bon goût de faire aux juristes le cadeau d’un arrêt mettant fin à toute divergence antérieure, le législateur a eu l’intelligence de mettre fin à toute future incertitude. En effet, la loi n° 2021-1729, du 22 décembre 2021, pour la confiance dans l’institution judiciaire (N° Lexbase : Z459921T), a, en son article 56, créé l’article L. 211-21 du Code de l’organisation judiciaire (N° Lexbase : L1651MAE) selon lequel « Le tribunal judiciaire de Paris connaît des actions relatives au devoir de vigilance fondées sur les articles L. 225-102-4 et L. 225-102-5 (N° Lexbase : L3956LDU) du Code de commerce ». Le contentieux est désormais dévolu à un pôle spécialisé. Plus personne n’a le choix.
[1] CA Versailles, 10 décembre 2020, n° 20/01692 (N° Lexbase : A458439N), Ph. Duprat, Lexbase Affaires, janvier 2021, n° 662 (N° Lexbase : N6118BYA) ; v. également A. Lecourt, RTDCom., 2021 p. 135.
[2] Cf. G. Leray, Rev Sociétés, 2021, p. 297, note sous CA Versailles, 10 décembre 2020, n° 20/01692, préc..
[3] Voir sur ce qu’un auteur a qualifié de « déménagements d’un code à un autre » : B. Saintourens, Rev. Sociétés, 2006, p. 787, note sous Cass. com., 14 février 2006, n° 03-19.823, F-D (N° Lexbase : A9794DMP).
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