Le Quotidien du 21 décembre 2021 : Procédure prud'homale

[Focus] La prescription en droit du travail : synthèse sous forme de tableaux

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N9492BY9

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par Benjamin Desaint, Avocat associé au Barreau de Paris et Montréal, Myriam Tourneur et Christophe Leite Da Silva, Avocats of Counsel, cabinet Factorhy Avocats

le 20 Décembre 2021

Qualifiée de fin de non-recevoir par l’article 122 du Code de procédure civile (N° Lexbase : L1414H47), la question de la prescription en droit du travail est complexifiée à l’extrême du fait de ses sources multiples.

Pourtant motivées par des objectifs louables (sécurisation juridique, simplification du droit, etc.), les différentes réformes en la matière n’ont eu de cesse de rendre le sujet de la prescription très technique et donc source de complexité.

Non seulement le droit commun et le droit spécial du travail se côtoient sur la question de la prescription qui trouve donc sa source dans de nombreux articles et Codes (Code du travail, Code civil et Code de la Sécurité sociale), mais au surplus, son régime a été largement modelé par la jurisprudence, de sorte que cet outil procédural apparait régulièrement comme une question centrale en matière de contentieux prud’homal.

Durées et points de départ de la prescription varient ainsi d’une action à une autre. Situation qui n’est pas sans engendrer une situation d’insécurité juridique pour l’employeur qui peut donc, dans certains cas, voir sa responsabilité engagée plusieurs années après la fin de la relation contractuelle.

Conscients que « la complexité ne donne pas de la valeur aux choses, elle les rend seulement moins accessibles » [1], Maîtres Benjamin Desaint, Myriam Tourneur et Christophe Leite Da Silva ont synthétisé, de la façon la plus exhaustive possible, les différentes règles relatives à la prescription en droit social sous forme de tableaux.  

1. Actions portant sur l’exécution du contrat de travail

Objet de l’action

Délai de prescription

Point de départ du délai de prescription

Cas général de l’action portant sur l’exécution du contrat

2 ans [2]

Toute action portant sur l'exécution du contrat de travail se prescrit par 2 ans à compter du jour où celui qui l'exerce a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant d'exercer son droit.

Action en requalification de contrats à durée déterminée en contrat à durée indéterminée

2 ans [3]

Le point de départ varie selon le motif de la demande de requalification :

  • si l’action est fondée sur le motif du recours au contrat à durée déterminée énoncé au contrat, le point de départ du délai de prescription est le terme du contrat ou, en cas de succession de contrats à durée déterminée, le terme du dernier contrat [4].
  • si l’action est fondée sur l'absence d'une mention au contrat susceptible d'entraîner sa requalification, le délai court à compter de la conclusion de ce contrat [5].

En raisonnant par analogie, ce point de départ devrait concerner toute action en requalification ayant pour motif tout manquement aux règles de formalisme de la conclusion du CDD (délai de signature etc.).

Action en requalification du contrat de mission des salariés temporaires en contrat à durée indéterminée

2 ans [6]

Si l’action est fondée sur le motif du recours au contrat à durée déterminée énoncé au contrat, le point de départ du délai de prescription est le terme du contrat ou, en cas de succession de contrats à durée déterminée, le terme du dernier contrat [7].

Antérieurement à l’arrêt du 3 mai 2018, rendu au sujet de l’action en requalification du CDD pour un motif tenant au non-respect du formalisme relatif à sa conclusion, la Cour de cassation semblait considérer, au sujet de l’action en requalification du contrat de mission, que le délai de prescription ne courait qu'à compter du terme du dernier contrat de mission.

Cette position pourrait donc être remise en cause au regard de l’arrêt du 3 mai 2018 suscité.

Action en contestation d’une sanction disciplinaire autre que le licenciement

2 ans [8]

Date de la notification de la sanction

2. Actions en paiement ou en répétition du salaire

Objet de l’action

Délai de prescription

Point de départ du délai de prescription

Cas général d’une demande de rappel de salaire

3 ans [9]

L'action en paiement ou en répétition du salaire se prescrit par trois ans à compter du jour où celui qui l'exerce a connu, ou aurait dû connaître, les faits lui permettant de l'exercer. La demande peut porter sur les sommes dues au titre des trois dernières années à compter de ce jour ou, lorsque le contrat de travail est rompu, sur les sommes dues au titre des trois années précédant la rupture du contrat [10].

La jurisprudence a précisé que le délai de prescription des salaires court à compter de la date à laquelle la créance salariale est devenue exigible [11], à condition que le salarié ait connaissance des éléments ouvrant droit à une rémunération [12].

Rappel de salaire en raison de l'inopposabilité de la convention de forfait jours

3 ans [13]

Dans son arrêt du 30 juin 2021, la Cour de cassation ne se prononce pas sur le point de départ du délai de 3 ans.

Dans la mesure où la Cour de cassation qualifie la demande de rappel de salaire, bien que découlant d’une demande d’inopposabilité de la convention de forfait jour, il convient selon nous de raisonner simplement en retenant comme point de départ de la prescription, la date d’exigibilité du paiement des heures supplémentaires si le salarié est toujours en poste, et la date de la rupture du contrat s’il a été rompu.

Action en rappel de salaire fondée sur une discrimination

5 ans [14]

L'action en réparation du préjudice résultant d'une discrimination se prescrit par cinq ans à compter de la révélation de la discrimination [15].

Action en rappel de salaire pour requalification d’un contrat à temps partiel

3 ans [16]

Comme précédemment, dans la mesure où la Cour de cassation qualifie la demande de rappel de salaire, il convient selon nous de raisonner simplement en retenant comme point de départ de la prescription la date d’exigibilité du paiement des salaires au titre du temps plein si le salarié est toujours en poste, et la date de la rupture du contrat si celui-ci a été rompu.

Action en rappel de salaire pour inégalité de traitement

3 ans [17]

L'action en paiement ou en répétition du salaire se prescrit par trois ans à compter du jour où celui qui l'exerce a connu, ou aurait dû connaître, les faits lui permettant de l'exercer.

La demande peut porter sur les sommes dues au titre des trois dernières années à compter de ce jour ou, lorsque le contrat de travail est rompu, sur les sommes dues au titre des trois années précédant la rupture du contrat.

3. Actions portant sur la rupture du contrat de travail

Objet de l’action

Délai de prescription

Point de départ du délai de prescription

Cas général

1 an [18]

Toute action portant sur la rupture du contrat de travail se prescrit par douze mois à compter de la notification de la rupture.

Contestation du licenciement pour motif personnel

1 an [19]

Le délai commence à courir à compter de la notification du licenciement [20].

Contestation du licenciement pour motif économique

1 an [21]

Le délai commence à courir à la notification du licenciement [22].

Contestation de la rupture conventionnelle

1 an [23]

La prescription commence à courir à compter de l’homologation de la convention, ou en cas de fraude au jour où celui qui l’invoque en a connaissance [24].

Contestation portant sur le licenciement pour motif économique (dans le cadre d’un PSE)

12 mois [25]

La prescription court à compter de :

  • la dernière réunion du CSE ;
  • la notification du licenciement s’agissant de sa contestation individuelle par le salarié.

4. Actions fondées sur une situation de harcèlement ou de discrimination

Objet de l’action

Délai de prescription

Point de départ du délai de prescription

Reconnaissance d’une situation de harcèlement (moral ou sexuel)

5 ans [26]

La prescription des actions en réparation pour harcèlement moral commence à courir à compter du dernier acte de harcèlement [27].

Reconnaissance d’une discrimination

5 ans [28]

La prescription court à compter de la révélation de la discrimination [29].

L’écoulement de la prescription est néanmoins retardé tant que les faits de discrimination perdurent [30].

5. Actions fondées sur une faute inexcusable de l’employeur et dommage corporel du salarié

Objet de l’action

Délai de prescription

Point de départ du délai de prescription

Reconnaissance de la faute inexcusable de l’employeur

2 ans [31]

Le délai commence à courir à compter du plus récent des évènements suivants :

  • jour de l’accident ;
  • jour de la cessation du travail ;
  • jour de la cessation du paiement de l’indemnité journalière ;
  • jour de la reconnaissance du caractère professionnel de la maladie ou de l’accident [32].

Réparation d’un dommage corporel causé à l’occasion de l’exécution du contrat de travail

10 ans [33]

La prescription court à compter de la consolidation du dommage.

6. Interruption et suspension de la prescription

Au-delà des délais de prescription multiples que recouvre la matière prud’homale, le législateur, mais également la jurisprudence, ont, au fil du temps, davantage complexifié la matière en créant des spécificités relatives à l’interruption et à la suspension de certains délais de prescription.

Effet sur la prescription

Objet

Interruption

La reconnaissance par l'employeur de sa dette envers un salarié et son acceptation de la régler même partiellement, interrompt la prescription pour la totalité de la créance [34].

Interruption

La saisine d’une juridiction, même incompétente, ou en référé, interrompt le délai de prescription [35].

Interruption

Le délai de 2 mois, offert à l’employeur pour engager des poursuites disciplinaires à l’égard d’un salarié est interrompu, en cas de poursuites pénales (même si elles ne font pas suite à une plainte de l’employeur) [36].

Le délai est interrompu :

  • jusqu’à la décision définitive de la juridiction répressive (lorsque l’employeur est partie à la procédure) ;
  • jusqu’au jour où l’employeur est informé de l’issue définitive de la procédure pénale (lorsqu’il n’est pas partie à la procédure pénale).

Suspension

La prescription est suspendue à compter du jour où les parties conviennent de recourir à la médiation ou à la conciliation (ou à défaut d’écrit, à compter de la première réunion de médiation ou de conciliation) [37].

Suspension

La prescription est suspendue pour les mineurs, jusqu’à la date de leur majorité [38].

Exemple : accident du travail d’un salarié mineur [39].

Suspension

La prescription est suspendue en cas d’impossibilité d’agir, notamment dans une situation de force majeure [40].


[1] Faya Dequoy.

[2] C. trav., art. L. 1471-1 (N° Lexbase : L1453LKZ).

[3] C. trav., art. L. 1471-1, préc. ; Cass. soc., 29 janvier 2020, n° 18-15.359, FS-P+B+I (N° Lexbase : A83183C3).

[4] C. trav., art. L. 1471-1, préc. ; Cass. soc., 8 juillet 2020, n° 18-19.727, F-D (N° Lexbase : A12363R9).

[5] Cass. soc., 3 mai 2018, n° 16-26.437, FS-P+B (N° Lexbase : A4401XMX).

[6] Cass. soc., 30 juin 2021, n° 19-16.655, FS-B (N° Lexbase : A20064YX).

[7] Cass. soc., 30 juin 2021, n° 19-16.655, préc..

[8] C. trav., art. L. 1471-1 ; CA Paris, Pôle 6, 11ème ch., 10 mars 2020, n° 18/03439 (N° Lexbase : A48373IY) ; CA Paris, Pôle 6, 11ème ch., 1er décembre 2020, n° 18/08036 (N° Lexbase : A350738E).

[9] C. trav., art. L. 3245-1 (N° Lexbase : L0734IXH).

[10] C. trav., art. L. 3245-1, préc..

[11] Cass. soc., 14 novembre 2013, n° 12-17.409, FS-P+B (N° Lexbase : A6294KPS).

[12] Cass. soc., 26 janvier 2012, n° 10-13.825, F-D (N° Lexbase : A4348IBN).

[13] Cass. soc., 30 juin 2021, n° 18-23.932, FS-B (N° Lexbase : A21214Y9).

[14] Cass. soc., 30 juin 2021 n° 19-14.543, FS-B (N° Lexbase : A20744YH) ; C. trav., art. L. 1134-5 (N° Lexbase : L5913LBM).

[15] C. trav., art. L. 1134-5, préc. ; Cass. soc., 22 septembre 2021, n° 20-13.572, F-D (N° Lexbase : A4509477).

[16] Cass. soc., 30 juin 2021, n° 19-10.161, FS-B (N° Lexbase : A21654YT).

[17] Cass. soc., 30 juin 2021, n° 20-12.960, FS-B (N° Lexbase : A20724YE).

[18] C. trav., art. L. 1471-1 (N° Lexbase : L1453LKZ).

[19] C. trav., art. L. 1471-1, préc..

[20] Cass. soc., 6 novembre 2019, n° 18-22.874, F-D (N° Lexbase : A4007ZUX).

[21] C. trav., art. L. 1471-1, préc..

[22] Cass. soc., 11 septembre 2019, n° 18-18.414, FS-P+B (N° Lexbase : A4772ZN3).

[23] C. trav., art. L. 1237-14 (N° Lexbase : L8504IA9).

[24] Cass. soc., 22 juin 2016, n° 15-16.994, FS-P+B (N° Lexbase : A2407RUP).

[25] C. trav., art. L. 1235-7 (N° Lexbase : L7304LHY).

[26] Les actions civiles relatives à des faits de harcèlement moral ou sexuel ou à des mesures de rétorsion exercées sur des victimes ou témoins de tels faits se prescrivent en principe par 5 ans, en application du délai de droit commun prévu par l'article 2224 du Code civil (N° Lexbase : L7184IAC), ces actions étant exclues du champ de l’article L. 1471-1 du Code du travail (N° Lexbase : L1453LKZ).

[27] Cass. soc., 9 juin 2021, n° 19-21.931, FS-P (N° Lexbase : A41064UM).

[28] C. trav., art. L. 1134-5 (N° Lexbase : L5913LBM).

[29] C. trav., art. L. 1134-5, préc. ; Cass. soc., 22 septembre 2021, n° 20-13.572, F-D (N° Lexbase : A4509477).

[30] Cass. soc., 31 mars 2021, n° 19-22.557, F-P (N° Lexbase : A47804ND).

[31] CSS, art. L. 431-2 (N° Lexbase : L9585GQ3).

[32] Cass. civ. 2, 29 juin 2004, n° 03-10.789, publié (N° Lexbase : A9044DCX).

[33] C. civ., art. 2226 (N° Lexbase : L7212IAD).

[34] Cass. soc., 22 octobre 1996, n° 93-44.148, publié (N° Lexbase : A4031AAK).

[35] C. civ., art. 2241 (N° Lexbase : L7181IA9).

[36] Cass. soc., 15 juin 2010 n° 08-45.243, FS-P+B (N° Lexbase : A0911E37).

[37] C. civ., art. 2238 (N° Lexbase : L1053KZZ).

[38] C. civ., art. 2234 (N° Lexbase : L7219IAM).

[39] Cass. soc., 14 mars 1958, Bull. civ. IV, n° 411.

[40] C. civ., art. 2234, préc..

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