La lettre juridique n°886 du 2 décembre 2021 : Négociation collective

[Questions/Réponses] Droit du travail - Le maintien de la rémunération perçue

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par Quentin Chatelier, doctorant et juriste au sein du cabinet Eunomie Avocats

le 01 Décembre 2021

Lorsqu’un accord collectif disparaît, du fait d’une dénonciation ou d’une mise en cause, le Code du travail organise un mécanisme pour garantir aux salariés concernés une certaine continuité. Depuis la loi « Travail » du 8 août 2016 (N° Lexbase : L8436K9C), il est prévu un « maintien de la rémunération perçue » (C. trav. art. L.2261-13 ; C. trav. art. L.2261-14). Largement inspiré des préconisations issues du rapport rendu par le professeur Jean-François Cesaro, il suscite de nombreuses questions. Décryptage.

  • À quelle date est entré en vigueur le « maintien de la rémunération perçue » ?

L’inscription du principe du « maintien de la rémunération perçue » dans le Code du travail a été réalisée en deux temps :

1. la loi n° 2016-1088 du 8 août 2016, dite loi « Travail », acte ce principe ;

2. la loi n° 2018-217 du 29 mars 2018 (N° Lexbase : L9253LIK) apporte d’utiles précisions.

Les articles 21, II, de la loi n° 2018-217 du 29 mars 2018 et 17, IV, de la loi n° 2016-1088 du 8 août 2016, fixent avec précision la date d’entrée en vigueur de la nouvelle rédaction des articles L. 2261-13 (N° Lexbase : L1465LKH) et L. 2261-14 (N° Lexbase : L1464LKG) du Code du travail. Le « maintien de la rémunération perçue » s’applique aux accords ayant cessé de produire leurs effets à compter du 9 août 2016 et ce, « y compris si la date de leur dénonciation ou de leur mise en cause est antérieure ».

Il remplace, à compter de cette date, le décrié mécanisme des avantages individuels acquis (AAI).

  • Dans quelles situations s’applique le « maintien de la rémunération perçue » ?

Le « maintien de la rémunération perçue » s’applique dans deux situations :

  • en cas de dénonciation de l’accord collectif (C. trav., art. L. 2261-13) ;
  • en cas de mise en cause de l’accord collectif, notamment du fait d'une fusion, d'une cession, d'une scission ou d'un changement d'activité (C. trav., art. L. 2261-13).

Dans chacune des deux situations, l’accord dénoncé ou mis en cause ne doit pas avoir été remplacé par un accord dit de substitution pendant le délai de survie de l’accord, à savoir 12 mois (sauf clause ou stipulation prévoyant une durée supérieure), à compter de l’expiration du délai de préavis de 3 mois (sauf stipulation expresse contraire).

Le saviez-vous ?

Il existe un doute sur les salariés pouvant bénéficier du « maintien de la rémunération perçue ». Trois possibilités :

  • seuls les salariés présents au jour de la dénonciation ou de la mise en cause ;
  • seuls les salariés présents au jour de l’expiration du délai de préavis ;
  • l’ensemble des salariés ayant bénéficié de l’accord dénoncé ou mis en cause, y compris pendant le délai de survie.

La doctrine est divisée. Dans le cadre des avantages individuels acquis, la Cour de cassation s’était prononcée en faveur de la première hypothèse (V. not. Cass. soc., 15 mai 2001, n° 99-41.669 N° Lexbase : A5191AGD). À suivre.

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  • Comment fonctionne le « maintien de la rémunération perçue » ?

Le « maintien de la rémunération perçue » repose sur une logique de comparaison. Il s’agit de comparer :

  • la « rémunération d’origine » : la rémunération que percevait le salarié avant la dénonciation ou la mise en cause de l’accord ;

ET

  • la « nouvelle rémunération » : la rémunération que perçoit le salarié après la dénonciation ou la mise en cause de l’accord.

La comparaison doit être à la fois globale et individualisée.

  • Globale car il ne s’agit pas d’opérer une comparaison « élément de rémunération » par « élément de rémunération », mais de comparer deux rémunérations annuelles (cf. ci-dessous) prises dans leur ensemble.
  • Individualisée car la « rémunération d’origine » et la « nouvelle rémunération » doivent être calculées pour chaque salarié. La garantie de rémunération qui en résulte pourra être différente selon les situations individuelles.

L’enjeu est donc de déterminer le montant de la « rémunération d’origine », ainsi que celui de la « nouvelle rémunération », pour ensuite les comparer.

Le saviez-vous ?

Si la « rémunération d’origine » est plus importante que la « nouvelle rémunération », le mécanisme du « maintien de la rémunération perçue » s’applique. L’employeur doit garantir au salarié concerné la différence entre ces deux rémunérations.

Les articles L. 2261-13 et L. 2261-14 du Code du travail prévoient que la « garantie de rémunération peut être assurée par le versement d’une indemnité différentielle » entre le montant de la « rémunération d’origine » et le montant de la « nouvelle rémunération ».

Par exemple : la « rémunération d’origine » est de 30 000 € alors que la « nouvelle rémunération » est de 25 000 €. Sur l’année concernée, l’employeur doit verser une « indemnité différentielle » de 5 000 €.

Nb : rien ne s’oppose à ce que l’indemnité différentielle fasse l’objet d’un versement mensuel.

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  • Quelle est la rémunération prise en compte ?

Pour déterminer le montant de la « rémunération d’origine » et de la « nouvelle rémunération », les dispositions légales renvoient à la « rémunération au sens de l’article L. 242-1 du Code de la Sécurité sociale (N° Lexbase : L4986LR4), à l’exception de la première phrase du deuxième alinéa du même article L. 242-1 ».

Il en ressort une certitude et une interrogation majeure :

  • La certitude : le « rabais excédentaire soumis à cotisations lors de la levée d'une option sur actions » n’intègre pas l’assiette du « maintien de la rémunération perçue » (« première phrase du deuxième alinéa » de l’article L. 242-1 du Code de la Sécurité sociale). C’est le cas également de l’ensemble des éléments versés au salarié n’ayant incontestablement pas la nature de rémunération (frais professionnels notamment).
  • L’interrogation : un débat, non résolu à ce jour, agite la doctrine sur le sens à donner à l’expression « rémunération au sens de l’article L. 242-1 du Code de la Sécurité sociale ».

S’agit-il de la rémunération effectivement soumise à cotisations sociales (interprétation restrictive) ou de la rémunération susceptible d’être soumise à cotisations sociales, car « due en contrepartie ou à l'occasion d'un travail » (interprétation large) ?

Par exemple : la cotisation patronale à un régime de protection sociale complémentaire, qui est exclue (sous conditions) de l’assiette de cotisations en vertu du 4° du II de l’article L. 242-1 du Code de la sécurité sociale tout en étant un élément de rémunération versé « en contrepartie ou à l’occasion d’un travail ».

Selon l’interprétation restrictive, cette cotisation n’a pas à intégrer l’assiette du « maintien de la rémunération perçue ». Et selon l’interprétation large, cette cotisation doit intégrer l’assiette du « maintien de la rémunération perçue ».

Une réponse jurisprudentielle sur ce point est attendue.

Les articles L. 2261-13 et L. 2261-14 du Code du travail apportent une précision complémentaire. La rémunération qui doit être prise en compte est limitée :

  • à la rémunération issue de la convention ou de l’accord dénoncé et du contrat de travail pour la « rémunération d’origine » ;
  • à la rémunération issue de la nouvelle convention ou du nouvel accord, s’il existe, et du contrat de travail pour la « nouvelle rémunération ».

Le saviez-vous ?

Les éléments de rémunération issus d’un engagement unilatéral ou d’un usage ne sont pas pris en compte dans le calcul du « maintien de la rémunération perçue ».

Par exemple : un accord est dénoncé sans faire l’objet d’un accord de substitution. En vertu de cet accord et de son contrat de travail, un salarié percevait sur l’année 2021 30 000 €. En 2022, en vertu de son contrat de travail (et en l’absence d’un nouvel accord), il percevait 28 000 €. En parallèle, l’employeur décidait d’instaurer par voie d’engagement unilatéral une prime annuelle de 4 000 €. Cette prime ne sera pas prise en compte dans le calcul de la « nouvelle rémunération ». Le salarié va percevoir 34 000 € sur l’année 2022 : 28 000 € de rémunération + 2 000 € de « maintien de la rémunération perçue » + 4 000 € de prime annuelle.

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  • Quelle est la période de référence ?

Pour calculer le montant de la « rémunération d’origine » et de la « nouvelle rémunération », il est nécessaire de définir une période de référence. Les articles L. 2261-13 et L. 2261-14 du Code du travail permettent d’y voir plus clair.

  • Concernant la « rémunération d’origine » : il s’agit, selon les dispositions légales, de la rémunération « versée lors des douze derniers mois ». Bien que les textes ne l’affirment pas clairement, il s’agit des douze mois précédant la fin du délai de survie de l’accord dénoncé ou mis en cause.

Par exemple : un accord est dénoncé le 1er octobre 2021. Sa période de survie s’achève le 1er janvier 2023 (3 mois + 12 mois). Le « rémunération d’origine » sera la rémunération versée lors de l’ensemble de l’année civile 2022 (du 1er janvier au 31 décembre).  

  • Concernant la « nouvelle rémunération » : les dispositions légales affirment que les salariés concernés bénéficient d’une « garantie de rémunération dont le montant annuel […] ». La référence à une périodicité annuelle sous-entend une comparaison renouvelée chaque année et, par voie de conséquence, une estimation renouvelée de la « nouvelle rémunération ».

Par exemple : un accord est dénoncé le 1er octobre 2021. Sa période de survie s’achève le 1er janvier 2023 (3 mois + 12 mois). Le « rémunération d’origine » sera la rémunération versée lors de l’ensemble de l’année civile 2022 (du 1er janvier au 31 décembre).

La première comparaison aura lieu le 1er janvier 2024 entre la « rémunération d’origine » et la « nouvelle rémunération », équivalente à la rémunération de l’ensemble de l’année civile 2023 (du 1er janvier au 31 décembre).

La deuxième comparaison aura lieu le 1er janvier 2025 entre la « rémunération d’origine » (montant inchangé) et la « nouvelle rémunération » équivalente à la rémunération de l’ensemble de l’année civile 2024 (du 1er janvier au 31 décembre).

Et ainsi de suite.

Le saviez-vous ?

Le mécanisme de « maintien de la rémunération perçue » impose un calcul annuel de la « nouvelle rémunération », à chaque date d’anniversaire de la fin du délai de survie.

Cette opération de calcul, très contraignante pour l’employeur, est rendue obligatoire par la comparaison annuelle avec la « rémunération d’origine ».

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  • Quelle est la conséquence d’un changement de durée du travail ?

Les articles L. 2261-13 et L. 2261-14 du Code du travail permettent de neutraliser tout changement dans la durée du travail du salarié concerné par le dispositif de « maintien de la rémunération perçue ».

En effet, ils disposent que la « nouvelle rémunération » ne doit pas être inférieure à la « rémunération d’origine » et ce, « pour une durée de travail équivalente à celle prévue par [le] contrat de travail ». Autrement dit, en cas de modification de la durée du travail, le montant de la « rémunération d’origine » doit être proratisé avant d’être comparé à la « nouvelle rémunération ».

Exemple 1 : la « rémunération d’origine » d’un salarié est fixée à 30 000 €, alors qu’il travaille à temps plein. L’année suivant la fin de la période de survie de l’accord dénoncé, le salarié travaille à mi-temps. Sa « nouvelle rémunération » devra au moins être équivalente à 15 000 € (30 000 €/2).

Exemple 2 : la « rémunération d’origine » d’un salarié est fixée à 15 000 €, alors qu’il travaille à mi-temps. L’année suivant la fin de la période de survie de l’accord dénoncé, le salarié travaille à temps plein. Sa « nouvelle rémunération » devra au moins être équivalente à 30 000 € (15 000 €*2).

Le saviez-vous ?

Le mécanisme du « maintien de la rémunération perçue » peut également s’appliquer en cas de mise en cause d’une convention ou d’un accord à durée déterminée.

Lorsque le terme de l’accord/convention initialement fixé est postérieur à la date à laquelle il cesse de produire ses effets du fait de la mise en cause, le « maintien de la rémunération perçue » s’applique jusqu’à ce terme (C. trav., art. L. 2261-14, al. 5).

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