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par Dorothée Fayein-Bourgois, Avocate à Amiens et ancien Bâtonnier
le 01 Décembre 2021
Ils sont désormais plus de 5 000 à avoir signé « l’appel des 3 000 » paru dans Le Monde le 23 novembre 2021 sous le titre « Nous ne voulons plus d’une Justice qui n’écoute pas et qui chronomètre tout ».
Les jours s’égrènent, les noms aussi, au bas de cette tribune.
Si nombreux, qu’on a renoncé à les compter, à parcourir la liste de ces magistrats et de ces greffiers, dont le mouvement dépasse celui du cœur, pour Charlotte, une jeune juge placée, dont le suicide, le 23 août 2021, provoque l’amorce de cette expression publique.
C’est un mouvement du corps (des corps) qui crie son amour pour la Justice en même temps que sa souffrance.
Chacun des commentateurs en a souligné le caractère singulier, inédit, traversant la diversité des sensibilités et des appartenances, venu de professionnels peu enclins à rendre publiques les difficultés qui sont les leurs - dans les détails de ces vies, des sacrifices consentis -, l’autorité s’accommodant mal d’explications et de complaintes.
Les mots sont forts : « violence du fonctionnement de notre institution », « face visible d’une Justice qui maltraite les justiciables », « souffrance éthique », « sentiment de perte de sens ».
Ce mouvement n’est pas une crise de foi ou des repères, mais exprime une profonde désespérance face à la crainte d’avoir à lâcher un jour, d’avoir à renoncer au serment prêté devant une cour d’appel.
Et cette souffrance infligée aux magistrats et aux greffiers doit être regardée avec courage, comme l’ont fait les auteurs de l’appel, car elle est, comme toute souffrance, génératrice d’autres souffrances infligées à d’autres acteurs, jusqu’aux justiciables.
En dépit de tout, de la réalité du quotidien décrit tour à tour par les juges aux affaires familiales, les juges civils de proximité, les juges des enfants, les juges correctionnels, les substituts du procureur, il est encore bien là, cet amour de la Justice. Elle est encore bien là cette conscience de la faim et de la soif de Justice des hommes, des femmes, des enfants, des entreprises de notre temps, de la nécessité d’offrir à la Justice un visage humain, de la qualité, de l’écoute et du temps qu’implique une décision attendue.
Quelle chance de constater que l’institution, les injonctions contradictoires, les temps courts, les innombrables réformes n’ont pas - encore - eu raison de cela ! Et de cela, nous avons l’obligation collective de prendre soin. De cette déclaration d’amour, de cette flamme, même un peu essoufflée, parce que malmenée par des brises glaciales, des vents violents ou les simples courants d’air qui s’engouffrent dans les bureaux des palais de Justice.
Car, non. La Justice n’est pas une machine qui se serait cassée et qu’on aurait réparée. Elle prend corps et visage dans ces hommes et ces femmes qui y engagent leur vie et leur temps, leur serment et leurs rêves, leur compétence et leur savoir-faire et -être, leur énergie et leur espérance, dans des contextes parfois éminemment difficiles et périlleux.
Comment ne pas songer, à cet égard, à celui provoqué par la pandémie de la covid-19, dès le début de l’année 2020 ?
Cette crise qui a interrogé et interroge encore les fondements de nos vies, la devise de notre République et la Justice, dans son fonctionnement et sa continuité.
Cette crise qui a évidemment mis en exergue l’indiscutable utilité que constituent les outils informatiques innovants, comme la procédure pénale numérique et la communication électronique pénale, mais qui a, plus encore, démontré avec éclat comme la mesure de la Justice est le sur-mesure.
Le sur-mesure n’est pas un luxe inatteignable dont la Justice n’aurait pas les moyens : il est une attention portée à chacun de ses acteurs, au plus près de leurs compétences, de leurs aspirations, de leurs contraintes, de leurs besoins. Il est un prendre soin ensemble de ce bien commun qu’est la Justice, et se satisfait mal des statistiques, des grandes messes, des états généraux, précurseurs et légitimateurs annoncés de énièmes réformes.
À cet égard, les courriers adressés au garde des Sceaux les 25 novembre et 26 novembre 2021, par les conférences nationales des premiers présidents et procureurs généraux d’une part, et les conférences nationales des présidents des tribunaux judiciaires et des procureurs de la République d’autre part, constituent un signe éminemment heureux de l’engagement et de la disponibilité des chefs de cour et de juridiction pour contribuer à répondre efficacement à cet appel des magistrats et greffiers, pour autant qu’on leur en donne les moyens, et la confiance ; ils constituent - avec les directeurs des services de greffe judiciaires - le bon échelon.
La confiance dans l’institution judiciaire ne se décrète ni ne se satisfait d’injonctions : elle se mérite.
La Justice n’est pas réparée, elle est encore souffrante (d’aucuns diront, à raison, #justicemalade), et a besoin qu’on prenne soin d’elle, au plus près, qu’on prenne soin de ses acteurs - tous -, des juridictions, qu’on se fie aux chefs de cour et de juridiction qui savent les ressources, les besoins, les contraintes dans chacun des territoires.
Et que la Nation lui accorde, au plus large, une protection, des moyens et toute sa reconnaissance.
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