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par Virginie Pradel, Fiscaliste, Docteur en droit, Institut de recherche fiscale
le 17 Janvier 2022
Mots-clés : paradis fiscal • fraude fiscale • multinationales
Les paradis fiscaux, décriés depuis plusieurs années, ont particulièrement été mis en évidence dans plusieurs affaires récentes parmi lesquelles : les « Offshore Leaks » en 2013, dans le contexte international de la crise financière de Chypre, place offshore prisée des investisseurs attirés par l’opacité, les China Leaks, relative aux « princes rouges » chinois (membres des familles des dirigeants chinois) en 2014, les Luxembourg Leaks (ou LuxLeaks) en 2014, les Panama Papers, les Bahamas Leaks et Football Leaks en 2016, les Money Island, Malta Files et Paradise Papers en 2017, les Dubaï Papers et CumEx Files en 2018, les FinCEN Files en 2020 et les OpenLux et Pandora Papers en 2021.
Cet article a vocation à répondre aux questions récurrentes suivantes : Qu’est-ce qu’un paradis fiscal ? Quels enjeux soulèvent les paradis fiscaux ? Comment l’OCDE, l’UE, la France et d’autres organisations appréhendent-ils les paradis fiscaux ?
I. La notion de paradis fiscal
Si tout le monde blâme aujourd’hui l’existence des paradis fiscaux, force est toutefois de constater que personne n’est encore en mesure de les définir précisément. Et pour cause : il n’existe aucune définition juridique précise du paradis fiscal, que ce soit dans la législation ou dans la jurisprudence tant nationale qu’internationale. Le paradis fiscal est ainsi une notion médiatique et politique et non proprement juridique.
Le paradis fiscal se différencie à la fois des zones offshore et des paradis bancaires ou judiciaires. Dans le langage courant, toutefois, on désigne sous cette appellation tous les « territoires non coopératifs ».
Le paradis fiscal se distingue également des territoires permettant une optimisation fiscale. Il existe en effet, au sein même de l’Europe, des États pratiquant le « dumping » fiscal, c’est-à-dire prévoyant des taux d’imposition particulièrement faibles, parfois seulement au profit des étrangers, de manière à attirer des capitaux et des sièges sociaux dans leur territoire.
Trois types de « paradis fiscaux » peuvent être distingués :
II. L’OCDE et les paradis fiscaux
En 2000, l'OCDE a établi une première liste de paradis fiscaux dans le rapport « Towards Global Tax Co-operation: Progress in Identifying and Eliminating Harmful Tax Practices ». Au cours des deux années suivantes, 31 pays se sont engagés à mettre en place les principes de transparence et d'échange d'informations fiscales. En 2002, une liste des paradis fiscaux non coopératifs a été établie, sur laquelle figurent sept pays n'ayant pris aucun engagement de ce type.
En mars 2009, sous la pression notamment du G20, l’Andorre, le Liechtenstein et Monaco, les trois pays restant sur la liste, ont décidé de s'aligner sur les recommandations de l'OCDE en ce qui concerne la transmission des informations financières entre pays, mais sous certaines conditions.
En l’absence de définition, l’OCDE retient quatre critères permettant de les identifier :
L’OCDE classe depuis 2009 les paradis fiscaux dans trois catégories :
En 2017, la liste noire de l'OCDE n'inclut qu'un seul pays : Trinité-et-Tobago. La liste grise ne comprend quant à elle que les Îles Marshall.
III. L’Union européenne et les paradis fiscaux
En novembre 2016, le Conseil a chargé le groupe « Code de conduite (fiscalité des entreprises) », un groupe de travail du Conseil, d'effectuer les travaux préparatoires nécessaires à l'établissement de la liste.
Le groupe "Code de conduite" a passé en revue 92 pays et territoires, sélectionnés sur la base des éléments suivants :
Le rapport d'évaluation a permis au Conseil d'adopter la première liste de l'UE le 5 décembre 2017. La liste (annexe I des conclusions du Conseil) comprenait 17 pays ou territoires non membres de l'UE. Ces pays ou territoires n'avaient pas pris d'engagements suffisants en réponse aux préoccupations de l'UE.
Le Conseil a adopté la première liste de l'UE le 5 décembre 2017. Depuis lors, elle a été mise à jour à plusieurs reprises.
Des révisions plus importantes ont eu lieu en mars 2019 et en février 2020. Elles coïncident avec l'expiration des délais de la fin 2018 et de la fin 2019 que les pays et territoires se sont vu fixer pour la mise en œuvre de leurs engagements initiaux.
Depuis 2020, la liste est mise à jour deux fois par an. La liste de l'UE est à présent régulièrement mise à jour et révisée dans le cadre d'un suivi dynamique des mesures mises en œuvre par les pays et territoires pour respecter leurs engagements.
Ce processus continu consiste notamment à :
La dernière révision en date a eu lieu en octobre 2021. La prochaine révision est prévue pour février 2022.
La nouvelle liste comprend les 9 juridictions suivantes :
IV. La France et les paradis fiscaux ?
La France a, par un arrêté du 26 février 2021, publié sa liste mise à jour des états et territoires non coopératifs (ETNC).
Pour rappel, la définition d’ETNC est codifiée à l’article 238-0 A du CGI.
La liste des ETNC est fondée :
- ces États ou territoires sont considérés par le Conseil de l’UE comme facilitant la création de structures ou de dispositifs offshore destinés à attirer des bénéfices sans substance économique réelle
- ces États ou territoires ne respectent pas au moins un des autres critères définis par le conseil de l’UE relatifs à la transparence fiscale, à l'équité fiscale et à la mise en œuvre des mesures anti-BEPS que les États membres de l'UE s'engagent à promouvoir, et figurant à l’annexe V de la liste de l’UE.
Les opérations réalisées avec ces États ou territoires subissent en conséquence une fiscalité alourdie, illustrée notamment par l’application de retenues à la source ou prélèvements de 75 % sur les dividendes, sur certains revenus non salariaux, ou encore sur les profits immobiliers lorsqu’ils sont réalisés en France par les résidents de ces États…
La dernière liste publiée par la France résultait d’un arrêté du 6 janvier 2020.
La nouvelle liste comprend les 13 juridictions suivantes :
Conformément aux dispositions du 2 ter de l’article 238-0 A du CGI, l’arrêté qui modifie la liste indique le motif qui justifie le retrait ou l’ajout d’un État ou territoire.
Ainsi, le nouvel arrêté exclut de la liste les Bahamas qui y avaient été inscrites lors de la dernière mise à jour en 2020. À l’époque l’inscription sur la liste, effectuée en application des dispositions du b) du 2 de l’article 238-0 A du CGI, se justifiait par le fait que l’échange de renseignements avec ce pays n’était pas considéré comme satisfaisant, alors même qu’une convention d’assistance administrative existe entre la France et les Bahamas. Le retrait de la liste, réalisé en application des dispositions du a) du 2 de l’article 238-0 A du CGI signifie donc que les autorités françaises considèrent désormais que l’échange d’informations est effectif.
Est également exclu de la liste Oman. L’exclusion est effectuée en application des dispositions du 2° du 2 bis de l’article 238-0 A du CGI, ce qui signifie que les critères définis par l’UE sont désormais considérés comme remplis.
Par ailleurs, deux États font leur entrée sur la liste française :
Ces deux États sont considérés comme défaillants au regard des critères listés par l’UE.
La liste française des ETNC est aujourd’hui quasi-identique à la liste UE à la seule exception des Îles Vierges britanniques qui demeurent inscrites sur la liste française mais non sur la liste UE.
V. Le réseau Tax Justice Network (TJN) et les paradis fiscaux
Le réseau Tax Justice Network (TJN) se base sur un indice qui cumule le degré d’opacité et le poids des différentes places financières dans l’économie mondiale. Il estime que les 10 principaux paradis fiscaux pour les entreprises en 2021 sont :
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