Réf. : CAA Douai, 28 octobre 2021, n° 19DA00178 (N° Lexbase : A53337AR)
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N9491BY8
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par Franck Laffaille, Professeur de droit public (IDPS) - Université de Paris XIII
le 22 Novembre 2021
Mots-clés : acte anormal de gestion• baux commerciaux
La cour administrative d’appel de Douai a jugé que la renonciation à l’indexation des loyers est constitutive d’une renonciation à recettes procédant d’un acte anormal de gestion dans un arrêt du 28 octobre 2021.
Une SARL - propriétaire d’un immeuble hébergeant les sociétés d’un couple ainsi que l’habitation principale de ce dernier – renonce à indexer les loyers facturés aux locataires. Pourtant, les baux conclus entre les protagonistes prévoient une clause d’indexation des loyers à l’aune de l’indice du coût de la construction. Une question ne peut manquer de poindre : cette renonciation à l’indexation des loyers - constitutive d’une renonciation à recettes – emporte-t-elle constitution d’un acte anormal de gestion ? Assurément aux yeux de l’administration ; cette position est adoubée par la CAA de Douai dans la décision du 28 octobre 2021.
Le juge ne peut faire à moins que de rappeler que ne relève pas en principe de la gestion commerciale normale une renonciation à recettes consentie par une entreprise au profit d’un tiers. À ce principe il doit être dérogé lorsqu’il s’avère qu’une entreprise – en consentant un avantage de cette nature – agit dans son propre intérêt. Il revient alors à l’administration de subir le fardeau probatoire : elle doit « apporter la preuve des faits sur lesquels elle se fonde pour estimer que les avantages octroyés par une entreprise à un tiers constituent un acte anormal de gestion ». Cette preuve est réputée apportée par l’administration si l’entreprise ne justifie pas avoir bénéficié de contreparties.
Il va de soi que l’absence de revalorisation des loyers d’un bail - alors même qu’existe une clause contractuelle d’indexation – emporte privation de recettes pour la société considérée. Cette renonciation/privation signifie appauvrissement ; cet appauvrissement est, en lui-même, constitutif d’un acte anormal de gestion. Il appartient alors au contribuable d’apporter l’existence d’une contrepartie de nature à justifier la pertinence de cet appauvrissement. Dans le cas présent, la SARL La Royale explique la renonciation à l’indexation des loyers de la manière suivante : en raison de la découverte (en 2000) d’un champignon (mérule) dans la structure en bois de l’immeuble, il est convenu, en accord avec les occupants, de geler les loyers. Il est décrété qu’aucune augmentation des loyers n’adviendra jusqu’à la fin des travaux (en 2008) ; ce gel est regardé comme la contrepartie des nuisances découlant de la découverte du champignon et de la réalisation des travaux nécessaires. Une telle argumentation ne convainc ni l’administration ni le juge. Ce dernier constate que les travaux visant le mérule n’ont duré que jusqu’en 2001 (alors que le gel des loyers, pour mémoire, perdure jusqu’en 2008). Certes, travaux il y a bien eu jusqu’en 2010 mais ils portaient sur l’agrandissement des locaux et non point sur le champignon mangeur de bois. Plus précisément, les travaux ont porté sur la partie habitation (2002-2005), sur l’extension des surfaces professionnelles (2005-2008), sur l’extension des parties réservées à l’habitation (2010-2012). Il appert que les travaux en question n’ont pas empêché la jouissance des locaux, tout comme ils n’ont pas obligé les locataires à déménager. La cour d’appel de Douai constate que le contribuable/requérant personne physique est le gérant de la SARL La Royale, le gérant des sociétés hébergées dans l’immeuble et le titulaire du bail d’habitation ; il est des cumuls qui peuvent s’avérer fatals devant le juge de l’impôt. Pour ce dernier, les nuisances découlant des travaux ne peuvent être assimilées à une « contrepartie suffisante » justifiant l’absence de revalorisation des baux. Il s’ensuit que l’administration peut à bon droit estimer que la renonciation à indexer les loyers est synonyme d’acte anormal de gestion.
Un second point – toujours relatif à la notion d’acte anormal de gestion – mérite d’être abordé. Nonobstant une extension notable de la surface habitable, aucune revalorisation du bail à usage d’habitation n’a été effectuée. À la suite d’importants travaux (d’un montant de plus de 700 000 euros), la surface louée s’en est trouvée considérablement agrandie (2OO m2) ; point d’augmentation du loyer en dépit de cette substantielle novation. Le juge se fait alors sociologue urbain pour décrypter ce qui semble raisonnable et ce qui ne l’est pas (cf. le principe de ragionevolezza, de raisonnabilité, en Italie). Avant réalisation des travaux, le loyer est de 8,2 euros/m2 (15729 euros pour une surface habitable de 160 m2) ; après réalisation des travaux, le loyer est de 3,6 euros/m2 (15729 euros pour une surface habitable de 360 m2). Cette chute du prix du loyer au m2 est jugée d’autant surprenante que l’appartement se situe dans le Vieux Lille, à savoir un quartier où le prix des loyers tend davantage à grimper qu’à baisser. C’est la raison pour laquelle l’administration opère une rapide correction : elle applique l’indexation prévue dans le contrat de bail, indexation non réalisée par la société requérante. De cette opération surgit un loyer complémentaire de 28116 euros ; la renonciation à indexation du loyer ne peut présenter que les traits, pour l’administration, d’un acte anormal de gestion. Selon la SARL La Royale, ladite renonciation découle de la stricte application de la loi du 6 juillet 1989 ; il y a interdiction de réévaluation des loyers à l’initiative du bailleur pendant l’application du bail en raison de l’existence de travaux. Une telle argumentation ne convainc pas le juge qui opère une autre lecture de cette loi de 1989. Il souligne que l’article 17-1 (II) de la loi dispose que « les parties peuvent convenir, par une clause expresse, de travaux d’amélioration du logement que le bailleur fera exécuter et le contrat de location ou un avenant à ce contrat fixe la majoration du loyer consécutive à la réalisation de ces travaux ». Il revenait, estime la CAA de Douai, de prévoir une clause de cette nature dans le contrat de bail signé entre la SARL La Royale et M. et Mme A… d’autant que le gérant de la SARL est M. A… La renonciation à recettes est, là encore, constitutive d’un acte anormal de gestion ; l’administration est fondée à réévaluer le loyer par application de l’indexation prévue contractuellement.
Après le loyer de l’habitation principale, passons au loyer relatif au bail commercial : l’administration remet en cause la méthode de calcul des loyers. Selon elle, il n’est pas tenu compte de la valeur locative réelle des surfaces louées dans la mesure où d’importants travaux (montant de 709652 euros) ont été réalisés. La méthode de calcul des loyers doit être remise en cause car elle ne tient compte ni de la surface agrandie ni de la valeur locative. Est seulement pris en compte un rendement de 8 à 10 % du montant des travaux. La méthode retenue emporte minoration des loyers ; la renonciation à recette est, selon l’administration, constitutive d’un acte anormal de gestion. Réévaluation du montant du loyer il y a (porté à 23390 euros) ; pour ce faire, l’administration réalise un travail de correction par application de l’indexation prévue par le contrat, indexation éludée par la SARL. La CAA de Douai rappelle qu’il est certes possible de prendre en compte, dans la fixation d’un loyer, le rendement des travaux opérés pour rénover des locaux ; encore faut-il que cela ne génère pas une « minoration indue du montant du loyer réclamé ». Il importe de prendre en compte la valeur locative réelle du bien considéré au regard du marché immobilier au moment de la détermination du loyer. Dans le cas présent, le loyer versé – 9204 euros annuel pour une surface au sol de 230 m2 corrigée à 92 m2 – est synonyme d’une « minoration importante de recettes ». De la comparaison avant toute chose : cette minoration est « importante » une fois connus les loyers payés par les autres entreprises contrôlées par M. A… Que l’administration ne produise pas de référence pour des locaux comparables s’avère « sans influence » aux yeux du juge ; il suffit à ce dernier que l’administration se soit référée aux loyers pratiqués par la SARL (pour ces mêmes locaux) pour les autres entreprises contrôlées par M. A… C’est à bon droit que l’administration a remis en cause la méthode de calcul retenue et a opéré réévaluation des loyers.
Voici venu le temps des pénalités. La CAA de Douai fait lecture de l’article 1729 du CGI (N° Lexbase : L4733ICB) (majoration de 40 % en cas de manquement délibéré) et de l’article L. 195 A du LPF (N° Lexbase : L8353AE4) (incombe à l’administration la preuve de la mauvaise foi et des manœuvres frauduleuses). L’administration est réputée ici apporter la preuve de l’intention délibérée de la SARL LA Royale d’éluder l’impôt ; application de l’article 1729 du CGI il y a donc. Le juge ne peut que constater que M. A… est : le gérant de la SARL La Royale, le gérant des sociétés hébergées dans l’immeuble, le titulaire du bail d’habitation. Il était impossible à la SARL – et à son gérant – d’ignorer l’existence des clauses d’indexation dans les contrats, l’extension de la surface, l’amélioration du confort ainsi obtenu. Il y a plus : il était encore non crédible de ne pas prendre conscience de l’insuffisance des loyers facturés, la minoration à hauteur de 50 % du chiffre d’affaires réalisé expliquant la présence d’exercices « systématiquement déficitaires ».
Enfin, M. et Mme A… ont subi un redressement à raison des revenus distribués par les sociétés. Ils ont été jugés imposables, sur le fondement du 1° du 1. de l’article 109 du CGI (N° Lexbase : L2060HLU) et du c) de l’article 111 du CGI (N° Lexbase : L8673L4Y). Les sommes en question sont réputées constituer des « sommes ou valeurs mises à la disposition des associés […] et non prélevées sur les bénéfices ». De plus, l’administration a appliqué la majoration de 40 % pour manquement délibéré aux revenus distribués par la SARL La Royale et la majoration de 80 % pour manœuvres frauduleuses s’agissant des revenus distribués par la SARL A… Michaux. S’agissant du premier point (majoration de 40 % pour manquement délibéré), l’administration apporte la preuve qui lui incombe en établissant que M. A… était le gérant de la SARL La Royale, celui des sociétés hébergées et le titulaire du bail d’habitation. Il ne pouvait ignorer l’existence de la clause d’indexation, l’insuffisance des loyers aboutissant à minorer à hauteur de 50 % le chiffre d’affaires de la SARL La Royale (aux exercices systématiquement déficitaires). S’agissant du second point (majoration de 80 % pour manœuvres frauduleuses), l’administration n’apporte pas la preuve de l’existence desdites manœuvres. Le juge ne relève aucune manœuvre ayant pour objectif de « restreindre ou d’égarer le pouvoir de vérification de l’administration ». En effet, la distribution au cœur du litige a été comptabilisée au crédit du compte courant d’associé ouvert au nom de M. A… dans la comptabilité de la SARL La Royale. Il y a volonté manifeste de donner à l’opération la qualité de distribution. La demande de l’administration est rejetée…mais le juge opère une substitution de base légale : est apportée la preuve de l’intention délibérée de M. et Mme A… d’éluder l’impôt, ce qui entraîne l’application de la majoration de 40 % pour manquement délibéré. La demande de l’administration – présentée pour la première fois en appel – peut être accueillie « dès lors qu’elle n’entraîne la privation d’aucune garantie substantielle ».
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