La lettre juridique n°510 du 20 décembre 2012 : Entreprises en difficulté

[Jurisprudence] La non-constitutionnalité de la saisine d'office

Réf. : Cass. QPC, 16 octobre 2012, n° 12-40.061, F-D (N° Lexbase : A7201IUA) ; Cons. const., décision n° 2012-286 QPC, du 7 décembre 2012 (N° Lexbase : A4918IYS)

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N5001BTE

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par Pierre-Michel Le Corre, Professeur à l'Université de Nice Sophia Antipolis, Directeur du Master 2 Droit des difficultés d'entreprises

le 12 Janvier 2013

Aux termes de l'article L. 631-5, alinéa 1er, du Code de commerce (N° Lexbase : L3168IMB), dans la rédaction que lui donne la loi de sauvegarde des entreprises du 26 juillet 2005 (loi n° 2005-845 N° Lexbase : L5150HGT), "lorsqu'il n'y a pas de procédure de conciliation en cours, le tribunal peut également se saisir d'office ou être saisi sur requête du ministère public aux fins d'ouverture de la procédure de redressement judiciaire". Ce mode de saisine est l'une des quatre possibilités de saisine aux fins d'ouverture d'un redressement judiciaire, étant précisé que ces mêmes modes d'ouverture de la procédure sont posés pour la procédure de liquidation judiciaire par les articles L. 640-4 (N° Lexbase : L4041HBB) et L. 640-5 (N° Lexbase : L3169IMC) du Code de commerce, la saisine d'office en liquidation judiciaire étant plus spécialement prévue par l'alinéa 1er de l'article L. 640-5 du code. Au contraire, la procédure volontariste de sauvegarde est, on le sait, à l'initiative exclusive du débiteur.

La loi du 13 juillet 1967 (loi n° 67-563 N° Lexbase : L7803GT8) connaissait déjà la saisine d'office aux fins d'ouverture d'un règlement judiciaire ou d'une liquidation des biens, aux côtés de la saisine par le débiteur ou par un créancier. Elle ignorait, en revanche, la saisine par le ministère public, introduite par une loi essentielle du 15 octobre 1981 (loi n° 81-927 N° Lexbase : L1885HCS) ayant modifié considérablement et pour l'heure en tout cas, inexorablement le rôle du ministère public, dans le droit des entreprises en difficulté.

La loi du 25 janvier 1985 (loi n° 85-98 N° Lexbase : L7852AGW) reprendra les solutions de la loi de 1967, corrigée par la loi du 15 octobre 1981.

L'impression générale qui se dégage autour de la saisine d'office est qu'elle fait partie du paysage juridique depuis longtemps et que, dès lors, sa légitimité serait incontestable.

Pourtant, en se replongeant dans la lecture des ouvrages anciens, cette impression de légitimité n'est pas aussi certaine.

Sous l'empire de la loi du 4 mars 1889, il existe deux procédures, la faillite et la liquidation judiciaire, cette dernière procédure étant réservé aux commerçants malheureux et de bonne foi. Cette procédure ne peut être prononcée d'office. Au contraire, la faillite peut être ouverte sur saisine d'office du tribunal, en application des articles 437, alinéa 3 et 440 du Code de commerce, dans la rédaction donnée par la loi du 4 mars 1889.

A l'époque, deux arguments sont essentiellement invoqués au soutien de cette prérogative judiciaire. "Si les intéressés s'abstiennent de réclamer la faillite, il faut pourtant bien y pourvoir, afin de permettre à la justice criminelle d'atteindre le failli banqueroutier" (1). En outre, "il est nécessaire de veiller aux intérêts des créanciers absents, lorsqu'ils sont menacés par quelques combinaisons que le débiteur prépare à leur préjudice avec les créanciers présents" (2).

La valeur de ces considérations, estime-t-on, est contestable. Pour s'en tenir au premier argument, il suffit de faire observer que la théorie de la faillite virtuelle y remédie : il n'est pas besoin d'ouvrir une procédure collective pour condamner le banqueroutier (3).

En vérité, la saisine d'office est, à l'époque, mal perçue par les meilleurs auteurs. Il est à craindre disent-ils, que "les juges ne fassent de ces pouvoirs un usage intempestif et dangereux" (4). Il est d'ailleurs remarqué que, dans les principaux pays étrangers, qu'il s'agisse de l'Allemagne, de l'Angleterre et des Etats-Unis, la saisine d'office n'existe pas.

Elle est pourtant très pratiquée en France, puisque, en 1900, on annonce le chiffre de 10 % de faillites ouvertes sur saisine d'office (5).

Jusqu'à la loi du 13 juillet 1967, la saisine d'office ne va guère préoccuper les esprits. L'heure du respect de la procédure civile et de ses règles essentielles n'a pas encore sonné. A tel point que, dans le décret du 20 mai 1955, la convocation du débiteur n'était toujours pas prévue, lorsque le tribunal envisageait d'ouvrir d'office la procédure collective, outrage procédural que va réparer la Cour de cassation dans un arrêt de 1958 (6).

L'article 2 de la loi du 13 juillet 1967 prévoit cette convocation obligatoire. Le président du tribunal doit faire convoquer le débiteur par les soins du greffier, par acte extrajudiciaire, à comparaître dans le délai qu'il fixe devant le tribunal siégeant en chambre du conseil. Pour permettre au débiteur de préparer sa défense, la convocation doit être motivée et le délai de comparution doit être au moins égal à huit jours francs.

Dans l'ouvrage célèbre commentant la loi du 13 juillet 1967, on peut lire que cette "faculté inquisitoriale n'est laissée aux juges que pour leur permettre de faire face, par une mesure radicale, à des circonstances d'urgence et d'une gravité particulière, notamment lorsque le débiteur menace de s'enfuir à l'étranger ou de détourner une partie de son actif" (7).

Ainsi, sous l'empire de la loi de 1967, encore, la saisine, dans l'esprit des bons auteurs, doit rester une mesure exceptionnelle.

Le tournant dans la vision de la saisine d'office intervient avec la loi du 25 janvier 1985. On quitte alors le terrain des procédures collectives de paiement, celui des procédures orientées vers le paiement des créanciers, pour entrer dans l'ère du sauvetage de l'entreprise et des emplois. Autrement dit, le temps est venu du droit des entreprises en difficulté.

Il n'est dès lors pas étonnant de s'éloigner de l'idée que l'ouverture d'une procédure collective serait d'abord et avant toute l'affaire des parties. L'idée d'intérêt général transparaît assez clairement, voire est affirmé par les auteurs.

Tout d'abord, peut-on lire dans l'ouvrage de Fernand Derrida, Pierre Godé et Jean-Pierre Sortais, que "il est traditionnel qu'en matière de faillite le tribunal puisse se saisir d'office ; il le fait le plus souvent à la suite d'un avis officieux ou compte tenu des informations personnelles dont peuvent disposer les membres du tribunal ou tel ou tel d'entre eux. Il y a là une exception traditionnelle au principe selon lequel le juge n'a pas à faire état de ces considérations ou informations personnelles" (8).

De manière encore plus nette, peut-on lire dans l'ouvrage du professeur Soinne, que "certains estiment que la juridiction ne saurait intervenir que dans des circonstances d'une gravité d'une urgence particulière, par exemple lorsque le débiteur menace de s'enfuir à l'étranger ou de détourner une partie de son actif. Cette vision de la saisine d'office n'est pas exacte. La procédure présente un intérêt général. Il est une impérieuse nécessité que l'entreprise soit placée sous le régime du redressement dès lors qu'elle est en situation désespérée. L'intérêt des salariés commande cette solution. La saisine d'office ne saurait dès lors présenter un caractère exceptionnel. Il s'agit d'un procédé normal d'ouverture de la procédure. Tout retard porterait préjudice à l'entreprise en réduisant ses possibilités de redressement. Il faut en outre tenir compte de la situation des tiers, créanciers éventuels ou entreprises concurrentes qui peuvent souffrir gravement de la poursuite d'une activité déficitaire" .

Ainsi, sous l'empire de la loi du 25 janvier 1985, les choses sont extrêmement claires. La saisine d'office est une technique normale d'ouverture des procédures collectives, parfaitement justifiée en termes d'intérêt général.

Sous le strict prisme du droit des entreprises en difficulté, la réflexion apparaît exacte et l'est encore davantage avec la loi de sauvegarde des entreprises, dont l'un des objectifs est d'assurer l'intervention la plus précoce possible du jugement d'ouverture. Or cette précocité dans l'ouverture de la procédure collective passe, notamment, par la possibilité de saisine d'office de la juridiction aux fins d'ouverture de la procédure, dès lors que créanciers et débiteur sont négligents.

Mais c'est oublier -ce que d'ailleurs Mrs Derrida, Godé et Sortais n'oublient pas complètement- que le droit des entreprises en difficulté doit respecter les grands principes de la procédure civile et notamment le droit à un procès équitable. Cela signifie clairement que les impératifs du droit des entreprises en difficulté ne doivent pas conduire à méconnaître des principes supérieurs, et notamment le principe de l'impartialité du juge.

L'air du temps est celui où le citoyen est enduit d'un écran à indice fort de protection des droits de Homme. C'est ainsi que, sans grande surprise, un coup de tonnerre devait retentir dans les prétoires consulaires, obligeant à remplacer l'habitude -celle de l'utilité d'intérêt général de la saisine d'office- par une réflexion -celle de la comptabilité de cette saisine d'office à nos normes supérieures-.

Et c'est ainsi que la Cour de cassation a été saisie d'une question prioritaire de constitutionnalité et qu'elle devait, en conséquence, répondre à l'interrogation suivante : la saisine d'office par le tribunal de commerce en application de l'article L. 631-5 du Code de commerce est-elle conforme à la constitution alors même qu'en vertu des droits de la défense et du droit à un recours effectif, l'on ne saurait à la fois être juge et partie ?

La Cour de cassation a estimé la question sérieuse et l'a transmise au Conseil constitutionnel. La Cour de cassation estime que "la faculté pour une juridiction de se saisir elle-même en vue de l'ouverture d'une procédure collective peut apparaître contraire au droit du débiteur à un recours juridictionnel effectif garanti par l'article 16 de la Déclaration des droits de l'Homme et du citoyen de 1789(N° Lexbase : L1363A9D), dès lors que le juge, en prenant l'initiative de l'introduction de l'instance, peut être perçu comme une partie". La disposition invoquée, ajoute la Cour de cassation, "est susceptible de constituer une atteinte aux principes d'impartialité et d'indépendance, en ce qu'elle ne comporte pas, par elle-même, un mécanisme permettant d'assurer la pleine effectivité des droits du débiteur" (10).

Le Conseil constitutionnel a suivi cette position et a déclaré non conforme à la Constitution l'article L. 631-5 du Code de commerce, qui rend possible la saisine d'office du redressement judiciaire (11).

Le Conseil fonde son analyse sur le constat qu'aucune disposition ne fixe, en cas de saisine d'office aux fins d'ouverture du redressement judiciaire, les garanties légales ayant pour objet d'assurer qu'en se saisissant d'office, le tribunal ne préjuge pas sa position. Dès lors, les exigences de l'article 16 de la Déclaration de 1789 ne sont pas respectées, et spécialement le principe d'impartialité.

Depuis la publication de la décision du Conseil constitutionnel au Journal officiel, le 8 décembre 2012, aucun jugement d'ouverture de redressement judiciaire ne peut plus intervenir sur saisine d'office.

Pour l'heure, seule la saisine d'office aux fins d'ouverture du redressement judiciaire sur le fondement de l'article L. 631-5, alinéa 1er, du Code de commerce se trouve condamnée.

Les autres textes prévoyant la saisine d'office aux fins d'ouverture du redressement ou de la liquidation judiciaire restent valides.

Il en est d'abord ainsi de l'article L. 631-4, alinéa 2 du Code de commerce (N° Lexbase : L4015HBC), qui prévoit la saisine d'office obligatoire pour le tribunal en cas d'échec d'une procédure de conciliation, lorsque l'état de cessation des paiements du débiteur résulte du rapport du conciliateur. Il ne s'agit pas ici d'une simple faculté pour le tribunal, comme cela est le cas à l'article L. 631-5, alinéa 1er, du code.

Le tribunal pourrait aussi bien se saisir aux fins d'ouverture d'une liquidation judiciaire, si les conditions de la liquidation judiciaire immédiate sont réunies (C. com., art. L. 640-4, al. 2).

En outre, en dehors de l'échec d'une conciliation, la saisine d'office aux fins d'ouverture d'une liquidation judiciaire reste possible, jusqu'à ce qu'une très prochaine question prioritaire de constitutionnalité conduise le Conseil constitutionnel à étendre sa solution à la liquidation judiciaire.

Enfin, par application de l'article R. 631-6 du Code de commerce (N° Lexbase : L9291IC4 anciennement décret n° 2005-1677 du 28 décembre2005, art. 175 N° Lexbase : L3297HET), "la cour d'appel qui annule ou infirme un jugement de redressement judiciaire ou prononce la liquidation judiciaire peut d'office, soit ouvrir la procédure de redressement judiciaire, soit prononcer la liquidation judiciaire". Symétriquement, l'article 65 du décret du 12 février 2009 (décret n° 2009-160 N° Lexbase : L9187ICA) modifie l'article R. 640-2 du Code de commerce (N° Lexbase : L9289ICZ), pour prévoir que la cour d'appel qui infirme un jugement prononçant la liquidation judiciaire peut d'office ouvrir le redressement judiciaire. Il s'est agi d'assurer un traitement rapide des difficultés (12). Observons ici que le texte ne prévoit pas la possibilité d'ouvrir un redressement après annulation du jugement ouvrant la liquidation judiciaire. Mais cela semble résulter d'un oubli, plus que d'une volonté délibérée (13). En cas d'annulation, la solution supposera toutefois -effet dévolutif de l'appel oblige- que la nullité ne soit pas encourue pour défaut d'acte introductif d'instance. Ce texte, de nature réglementaire, n'est pas soumis au mécanisme de la question prioritaire de constitutionnalité.

Pour comprendre la décision de non-conformité de la saisine d'office à la Constitution et plus précisément au principe d'impartialité du juge, il convient de décrire exactement son mécanisme.

Les modalités procédurales de la saisine d'office aux fins d'ouverture d'un redressement judiciaire sont posées par les articles R. 631-3 (N° Lexbase : L0986HZK) et R. 631-5 (N° Lexbase : L0988HZM) du Code de commerce (anciennement décret du 28 décembre 2005, art. 172 et 174), en ce qui concerne la procédure devant le tribunal.

La convocation du débiteur doit intervenir par acte extrajudiciaire, qui doit être sollicité du greffier du tribunal. A la convocation du débiteur, l'alinéa 2 de l'article R. 631-3 du Code de commerce (anciennement décret du 28 décembre 2005, art. 172, al. 2) prévoit qu'est jointe une note par laquelle le président du tribunal expose les faits de nature à motiver la saisine d'office.

Cette note doit être impartiale. C'est en ce sens qu'a été considérée irrégulière pour défaut d'impartialité du juge, violant ainsi l'article 6 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme (N° Lexbase : L7558AIR), la note du président, du fait d'éléments y figurant (14). La forme de cette note n'est pas réglementée. Il pourra s'agir de l'ordonnance du président du tribunal citant le débiteur à comparaître, dès lors qu'elle contient les faits justifiant la saisine (15). Le visa dans la citation d'un rapport dont peut prendre connaissance le débiteur est insuffisant (16), peu important que le débiteur ait personnellement connaissance des faits de nature à motiver la saisine (17).

Ainsi, tout le mécanisme de la saisine d'office est concentré entre les mains du président du tribunal et l'on doit évidemment sourire lorsque la jurisprudence exige que la note annexée à la citation à comparaître soit impartiale. Comment cela serait-il possible si ce n'est par le jeu d'une mascarade consistant pour le président à utiliser, dans sa note, le mode conditionnel au lieu de l'indicatif, qui vaudrait par trop affirmation.

Aucun garde-fou n'est prévu. En d'autres termes, aucune règle ne vient ici garantir au plaideur que le tribunal ne suivra pas l'opinion déjà forgée -sinon à quoi bon se saisir d'office- du président du tribunal, dont l'autorité sur ses juges est chose bien naturelle. Or, le Conseil constitutionnel, dans sa décision du 7 décembre 2012, vient préciser que la saisine d'office par une juridiction, hormis le cas des sanctions, n'est possible que sous deux conditions cumulatives, celle d'un motif d'intérêt général et celle de l'existence de "garanties propres à assurer le respect du principe d'impartialité".

Il n'est pas discutable que la saisine d'office aux fins d'ouverture d'une procédure collective obéit à un intérêt général. Le rappel de ce qu'écrivait sur la question le Professeur Soinne nous semble probant pour justifier cet intérêt général. La processualiste de renom, Natalie Fricero, commentant la question prioritaire de constitutionnalité posée à la Cour de cassation, souligne que "la faillite n'est pas seulement l'affaire du débiteur et de ses créanciers, elle affecte l'ordre public économique et comporte des enjeux sociaux importants" (18). On y ajoutera la volonté clairement affichée par la loi de sauvegarde des entreprises pour que les procédures collectives s'ouvrent le plus tôt possible. Plus qu'une volonté, c'est même aujourd'hui une philosophie législative. Or, incontestablement, la saisine d'office participe de cette quête politique.

En revanche, rien dans les textes ne permet d'apercevoir que des garanties sont offertes au plaideur pour que le respect du principe d'impartialité soit assuré.

Quelles garanties auraient pu être offertes au plaideur ? Nous pensons que l'on aurait pu avoir le mécanisme suivant. Informé de difficultés rencontrées par un débiteur, d'où pourraient résulter un état de cessation des paiements, rendant obligatoire, rappelons-le, l'ouverture d'une procédure collective dans un délai maximum de 45 jours par rapport à l'existence de cet état, le président du tribunal décide de déclencher une enquête aux fins de déterminer la situation passive et active du débiteur, autrement dit aux fins de déterminer si le débiteur est ou non en état de cessation des paiements. Cette enquête est confiée à un juge délégué qui devra faire un rapport. Si l'enquête fait ressortir un état de cessation des paiements, il y a place à saisine d'office. Le débiteur est alors convoqué, par acte extrajudiciaire. Une copie du rapport d'enquête est jointe à l'assignation. Ni le président du tribunal, qui a été à l'initiative de l'enquête, ni le juge enquêteur ne pourront faire partie de la juridiction de jugement.

Cette exclusion de la juridiction de jugement du président du tribunal et du juge enquêteur nous semble une garantie d'impartialité. Ceux qui jugeront n'auront pas préjugé de la situation. Ils seront éclairés, comme l'est une juridiction statuant après rapport d'expertise, sans être nullement tenus par le contenu du rapport d'enquête, lequel sera contradictoirement débattu, devant la juridiction, comme peut l'être le rapport d'expertise.

Il nous semblerait dommageable, au regard de la philosophie de la loi de sauvegarde des entreprises, et plus généralement de notre droit des entreprises en difficulté, que l'on supprime de notre législation la saisine d'office.

Si ce parti ne devait pas être retenu, on imagine très bien l'explication qui sera donnée : il suffit que le ministère public sollicite l'ouverture de la procédure collective. Un petit coup de téléphone du président du tribunal au procureur de la République remplacerait alors la saisine d'office.

Mais qui nous dit que le ministère public, dont on sait pertinemment qu'il est parfaitement débordé, procédera à la saisine ? S'il suffisait d'une vision législative, cela ferait bien longtemps que les parquetiers seraient omniprésents aux audiences de procédures collectives. Est-ce le cas ? Les parquetiers, les premiers, lorsqu'ils interviennent à quelques colloques universitaires -et en cette occurrence cela prouve que la matière les attire et qu'ils s y' entendent en droit des entreprises en difficulté, ce qui n'est pas nécessairement le cas-, reconnaissent bien volontiers que s'ils avaient plus de temps ou si les effectifs étaient supérieurs, alors ils pourraient s'occuper du droit des entreprises en difficulté, comme le législateur les invite à la faire.

Il est donc clairement à craindre que, par dogme, on sacrifie la saisine d'office, sans qu'elle soit effectivement remplacée par une saisine par le ministère public, et que cela entraîne la disparition supplémentaire d'entreprises, qui auraient peut-être pu être sauvées et, par devers elles, les emplois y attachés préservés.

Mais des réalités économiques seront-elles suffisantes à tenir en échec des dogmes ?


(1) Percerou et Desserteaux, Des faillites et banqueroutes et des liquidations judiciaires, 2ème éd., Librairie Arthur Rousseau, Paris, 1935, t. 1, n° 283.
(2) Percerou et Desserteaux, op. cit., n° 283.
(3) Percerou et Desserteaux, op. cit., n° 284.
(4) Percerou et Desserteaux, op. cit., n° 284.
(5) Percerou et Desserteaux, op. cit., n° 318.
(6) Cass. com., 25 février 1958, JCP, 1958 II, 10510, note Nectoux.
(7) Argenson et Toujas, Règlement judiciaire, liquidation des biens et faillite, Traité et formulaire, Litec, 4ème éd., 1973, n° 87.
(8) F. Derrida, P. Godé et J.-P. Sortais , avec la collab. d' A. Honorat, Redressement et liquidation judiciaires des entreprises, 3ème éd., Dalloz, 1991, n° 58.
(9) B. Soinne, Traité des procédures collectives, 2ème éd., Litec, 1995, n° 567.
(10) Cass. QPC, 16 octobre 2012, n° 12-40.061, D., 2012, Actu 2446, note A. Lienhard ; Act. proc. coll., 2012/18, comm. 266, note N. Fricéro, .
(11) Cons. const., décision n° 2012-286 QPC, du 7 décembre 2012.
(12) A.-S. Texier et E. Russo, Le nouveau droit des entreprises en difficulté après l'ordonnance du 18 décembre 2008 et son décret d'application du 12 février 2009 LPA, 2 mars 2009, n° 43, p. 3 et s., sp. p. 14.
(13) En ce sens, aussi, O. Staes, Clarification et harmonisation du traitement procédural des entreprises en difficulté, Dr. et patr., déc. 2009, n° 187, p. 53 et s., sp. p. 54.
(14) Cass. com., 3 novembre 1992, n° 90-16.751, publié (N° Lexbase : A4234ABG), Bull. civ. IV, n° 345 ; D., 1993, 538, note J.-L. Vallens.
(15) CA Riom, 13 mars 1991, Gaz. Pal., 1992, II, somm. 537 ; rappr., pour une ordonnance ne pouvant valoir note, dès lors qu'elle ne contenait pas les faits justifiant la saisine, CA Paris, 31 mars 1995, n° 94-26487 (N° Lexbase : A4293ILL), Gaz. Pal., 1995, II, somm. 522.
(16) CA Rouen, 25 février 1993, JCP éd. G, 1993, IV, 1987.
(17) Cass. com., 25 juin 1996, n° 93-17.122, publié (N° Lexbase : A4423AGW), Bull. civ. IV, n° 194.
(18) Note sous Cass. QPC, 16 octobre 2012, n° 12-40.061, Act. proc. coll., préc..

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