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par Olivier Cousi, Bâtonnier de l'Ordre des avocats de Paris
le 06 Octobre 2021
Lorsqu’un homme décède, qu’il soit connu, reconnu ou anonyme, l’usage veut que l’on chante ses louanges ou que l’on reconnaisse publiquement les mérites et les talents du disparu, des qualités qui manqueront à ses pairs, ses amis, ses amours. Loin de m’insurger contre cette manière de rendre hommage à ceux qui s’en vont et sans vouloir ajouter des phases et aux phrases, il m’est apparu essentiel d’envoyer à mon tour un dernier signe de la main à mon confrère Jean-Denis Bredin.
Avocat reconnu, homme d’affaires avisé, écrivain engagé, Jean-Denis Bredin était un homme à facettes. Sa vie durant, il fut occupé à inventer de nouvelles manières d’exercer, d’écrire, de réussir, courant plus vite que les autres. Non pas par la force des choses, mais parce qu’il travailla toujours avec acharnement. On ne peut pas être docteur en droit à 21 ans, reçu premier à l’agrégation de droit à 28 ans, premier également au Concours de la Conférence du stage des avocats, en avançant le nez au vent. Non, pour arriver, à tous les sens du terme, comme Jean-Denis le fit, il faut avoir une angoisse à fuir, un chef-d’œuvre à construire ou un territoire à conquérir. Il faut en somme, être convaincu que l’on est sur Terre pour accomplir quelque chose.
Qui saurait dire laquelle de ses obsessions constituait sa motivation profonde ? Doit-on après sa mort s’autoriser à ausculter les raisons d’un homme ? Je ne crois pas. Néanmoins, quand on a beaucoup admiré quelqu’un, comme ce fut mon cas, on ne peut s’empêcher de chercher. Convaincu que l’on est le plus à même voire le seul à pouvoir toucher du doigt la vérité. J’ai cherché. J’ai parcouru tout ce qui fut écrit depuis le 1er septembre jour de sa mort, relu certains de ses livres, remémoré certaines de ses plaidoiries. Et je dois l’avouer, bien malgré moi, je n’ai trouvé aucune des réponses que je cherchais.
Mais vous le savez sans doute, lorsque l’on part, bille en tête, en quête d’une chose, on se trouve, plus souvent qu’il ne faudrait, confronté à un chemin de traverse. À la recherche des ingrédients et de la recette qui firent de mon confrère un homme à part, je me suis trouvé perplexe devant une grande question : pourquoi un homme aussi talentueux, un homme qui avait donc le choix, a-t-il choisi d’être avocat ? Épouser cette carrière, je le sais bien, ne garantit pas la richesse, la reconnaissance, ni le bonheur. On passe sa vie à lutter, à courir, à s’intéresser aux autres avant de penser à soi. Concrètement, c’est cela travailler à la défense de nos contemporains, rien d’autre et il faut pour tenir, un goût prononcé pour l’altérité.
Pourtant, le portrait que l’on fait de Jean-Denis Bredin, laisse imaginer à ceux qui ne connaissait que le célèbre avocat, une personnalité aux antipodes. Un homme qui mit autant d’acharnement à être premier partout, n’était-il pas obsédé par l’idée d’écraser les autres ? Un homme qui fonda l’un des plus réputés cabinets d’affaires de la place, ne souhaitait-il pas être plus riche que les autres ? Un homme qui ajouta au titre de docteur et d’agrégé, celui de professeur puis d’académicien, ne pensait-il pas avant tout à impressionner les autres ? Le parcours de Bredin révèle un homme éloigné du commun, hors-norme et pourtant jamais hors du monde.
La position qui fut la sienne lui permit de se battre pour des causes nécessaires. La présomption d’innocence, la liberté, l’équité. Des idées dont il fit le leitmotiv des nombreuses biographies qu’il écrivit comme de son exercice quotidien. On ne défend pas les grands patrons du CAC40, tout en retraçant le parcours de Joseph Caillaux ou de Charlotte Corday, sans épouser la conviction profonde que les différences de statuts, de richesses, de naissance, dont notre société est faite donnent lieu plus souvent que de raison aux quiproquos et aux amalgames. On est toujours victime de son histoire, de ses réussites comme de ses échecs. Raccommoder la toile, choisir les fils, coudre et découdre pour donner à voir un tableau achevé, voilà ce qu’est l’ouvrage d’un avocat, l’œuvre de défense.
Jean-Denis Bredin, j’en suis convaincu, est devenu avocat, parce qu’il pouvait tout faire, mais qu’une seule chose lui paraissait essentielle : comprendre. Puisse son exemple inspirer de nombreux jeunes confrères, puisse son héritage confirmer chaque avocat, qu’importe son âge et sa condition, dans son serment.
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