La lettre juridique n°878 du 23 septembre 2021 : Avocats/Procédure

[Questions à...] « C'est rajouter du travail qui n'est pas utile ! » - Questions à Maître Florian Borg à propos des propositions de la DACS en matière de structuration des écritures

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[Questions à...] « C'est rajouter du travail qui n'est pas utile ! » - Questions à Maître Florian Borg à propos des propositions de la DACS en matière de structuration des écritures. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/article-juridique/72477455-questions-a-cest-rajouter-du-travail-qui-nest-pas-utile-questions-a-maitre-florian-borg-a-propos-des
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par Marie Le Guerroué et Joséphine Pasieczny

le 22 Septembre 2021


Le 27 août 2021, la Direction des affaires civiles et du sceau (DACS) a communiqué au CNB un projet de réforme en matière de structuration et de présentation des pièces en procédure civile. La note envisage tout particulièrement d’imposer une synthèse des moyens à la fin de la discussion tout en précisant que celle-ci ne pourra excéder les 10 % des écritures dans la limite des 1 000 mots. Le projet a emporté la colère de nombreux avocats et a conduit le CNB à adopter, vendredi 17 septembre, une résolution dénonçant une atteinte grave à l’indépendance des avocats et aux droits de la défense.

Florian Borg, avocat au barreau de Lille, élu au SAF et secrétaire du CNB a présenté le rapport sur le projet lors de l’assemblée générale du CNB. Il a accepté pour Lexbase Avocats et Lexradio de revenir sur les enjeux d’une telle proposition de réforme.

Cette interview est également à retrouver en podcast sur Lexradio.


 

*Crédit photo Thomas Appert

Lexbase Avocats : Quelles sont les mesures prévues par la DACS dans le cadre de ce projet de réforme ? 

Florian Borg : Pour le moment, nous sommes au stade des discussions entre les services du ministère et les instances représentatives de la profession. Ce projet consiste à réformer le Code de procédure civile pour rationaliser les écritures et les pièces en matière de procédure civile, tant en première instance qu’en appel. Concrètement, il y a deux mesures bien précises qui sont prévues. La première, et la plus problématique, consiste à demander aux avocats de faire une synthèse de leurs écritures et de leurs moyens dans leurs écritures. Une synthèse qui est prévue autour de 10 % dans la limite de 1 000 mots, donc c'est assez technique. Il faut également souligner que cette synthèse et, le fait que les moyens soient repris dans cette synthèse, est sanctionné par le rejet des moyens. Les moyens ne seront pas étudiés. Donc si vous mettez les moyens dans le texte mais pas dans la synthèse ou, dans la synthèse mais pas dans le texte, ils ne seront pas retenus. La deuxième mesure est l’instauration d’un bordereau unique de pièces avec des libellés suffisamment explicites et précis. Ce bordereau de pièces sera repris de la même manière en première instance et en appel. Voilà les deux mesures qui sont principalement prévues dans la proposition de la direction des affaires civiles et du sceau du ministère de la Justice.

Lexbase Avocats :  À votre avis, quelles sont les motivations d’une telle réforme ?

Florian Borg : On peut s'en souvenir, le ministère avait mis en place en janvier 2021 un groupe de travail sur les délais de fonctionnement de la justice afin de prendre en compte à la fois les délais qui avaient augmenté tant par la pandémie de la Covid et, soi-disant, par la grève des avocats concernant les retraites. Ce groupe de travail, qui était composé à la fois de magistrats et de Bâtonnières et Bâtonniers, avait proposé un certain nombre de points, dont un qui était la rationalisation des écritures. Il faut, toutefois, savoir que cela n’était pas proposé dans le cadre d'une réforme, mais dans le cadre de conventions entre les barreaux et les tribunaux. Sauf que, dans la proposition de la DACS, cela s'est transformé en proposition de modification du Code de procédure civile. Ce qui est particulier, c'est qu’on ne comprend pas en quoi ces éléments vont faire réduire les stocks et les délais des dossiers de justice. Car tout le monde le sait, en réalité, pour accélérer la justice il faut d'abord des moyens. Ici, il ne s’agit pas de moyens, mais de rationalisation des écritures. Cela ne va pas donner moins de travail aux greffes ni moins de travail aux juges. En revanche, cela va donner plus de travail aux avocats et surtout des risques supplémentaires de voir rejeter leurs écritures et donc des risques pour l’accès à la justice. Si l'idée est de réduire les délais en fermant l'accès à la justice, on ne voit pas bien comment on pourra obtenir une bonne justice.

La crainte qui est très vive dans la profession est de remettre sur le tapis des réformes de type « Magendie » en procédure d'appel. La procédure « Magendie » a complexifié la procédure d'appel et entraîné un certain nombre de rejets de dossiers et de caducité. Finalement, ces dossiers ne sont pas jugés et l’accès à la justice est fermé. Pour nous, réduire les délais en fermant l’accès à la justice n’est pas une bonne chose d'autant plus qu’elle crée un certain nombre de chausse-trappes dans le travail de l'avocat et cela a assez peu de sens dans l'amélioration du travail et du débat judiciaire.

Lexbase Avocats : Pourquoi les avocats y voient-ils une atteinte à l’indépendance de leur profession et aux droits de la défense ?

Florian Borg : Alors, sur l'indépendance, vouloir rationaliser les écritures c'est un peu dicter ce que les avocats vont porter devant un juge. Si les avocats portent un mauvais dossier devant un juge, ce dossier sera rejeté et c'est comme cela que les choses se passent aujourd'hui.

Si les avocats portent un bon dossier avec une bonne structuration, ils auront plus de chances d’être entendus par le juge. La solution est donc déjà là. La crainte aujourd’hui est de devoir rajouter des éléments dans la procédure qui n'apportent rien au débat judiciaire. Se dire que l’on va calculer 10 % de nos conclusions dans la limite de 1 000 mots pour faire une synthèse, c'est rajouter du travail qui n'est pas utile. Cela peut être utile dans des dossiers très complexes et très volumineux, mais les avocats font déjà un plan au début de leurs écritures. Vouloir généraliser cette structuration à l’ensemble des écritures dans des dossiers où il y a des questions de fait cela n’a aucune utilité, sauf à se dire que le magistrat ne va pas lire les écritures et s’arrêter à la synthèse.

On complexifie le dossier. La plaidoirie aussi est aujourd'hui réduite, nous sommes souvent en dépôt de dossier. Si c’est pour remplir un formulaire, on ne voit pas très bien où est la place de l’avocat mais surtout où est la place de la justice et du débat judiciaire. C’est pour ces raisons qu’il y a une crainte, surtout avec une rentrée qui est un peu compliquée pour tout le monde en période de Covid. Nous rencontrons déjà des difficultés comme, par exemple, sur la réforme de la prise de dates. Les choses ne sont pas encore abouties, les tribunaux ne sont pas prêts. On s’arrache déjà les cheveux sur prises de dates pour des assignations avec des risques de prescription et le délai et on souhaite nous rajouter des éléments qui n’ont pas de sens !

Lexbase Avocats : D’autres solutions alternatives ont-elles déjà été proposées pour réduire les délais de jugement ?

Florian Borg : La première des solutions, comme je l'ai rappelé, c'est déjà d’augmenter les moyens de la justice civile. Les moyens de la justice ont été très souvent augmentés ces dernières années, mais c'est en général en direction de la justice pénale et surtout de la détention. La profession le dit de manière quasi unanime, la question des délais se règle d'abord par la question des moyens. Avoir aujourd'hui dans certains prud'hommes des convocations en audience de plaidoirie en 2023, c'est un véritable déni judiciaire ! Commençons par cette question.

Nous savons qu'il y aura des annonces sur une augmentation du budget pour 2022. Nous attendons de voir le contenu dans le projet de loi de finances pour savoir à quoi cela correspond. Mais si, une fois encore les moyens ne sont pas mis sur la justice civile, on n'en sortira pas. On continuera à détourner les dossiers de la justice civile par des mesures alternatives, soit en fermant et en complexifiant la procédure, soit en renvoyant les gens vers des procédés alternatifs au contentieux judiciaire, qui en soi, peut être une bonne chose pour régler les conflits, mais quand on a besoin de saisir un tribunal, il faut toujours pouvoir le faire, quel que soit le contentieux.

Lexbase Avocats : Le CNB a donc adopté une résolution vendredi dernier. Quels messages l’institution souhaite-t-elle faire passer à la Chancellerie ?

Florian Borg : Le fait que l'assemblée générale du CNB ait rejeté ce projet n'empêche pas que nous continuions à avoir des échanges réguliers avec la Chancellerie. En réalité, le message qui est passé auprès de la Chancellerie est de dire, si nous devons discuter, discutons à partir d'éléments sérieux comme nous le faisons sur d'autres dossiers et engageons un travail plus global parce que nous avons des propositions à faire en matière de procédure civile. Cela concerne aussi, et c'est une demande très forte du conseil national des barreaux et des avocats, de réviser la procédure « Magendie » pour la remettre à plat et de rediscuter de la procédure d'appel. Nous n’arrivons pas à avoir un dialogue sur la procédure d’appel que déjà on nous ouvre un nouveau dialogue sur la procédure en première instance. Le message que l'on fait passer à la Chancellerie là-dessus est que, sur la procédure civile, il y a des moyens à donner, des réformes à faire, mais des réformes à faire non pas pour fermer la procédure, mais pour l'améliorer et qu'elle soit sérieuse avec des propositions sérieuses et pas des propositions qui visent à empêcher les parties d’accéder au juge.

Pour en savoir plus : lire aussi, Ch. Simon, Structuration des écritures : levée de bouclier contre la Chancellerie, Le Quotidien Lexbase, 22 septembre 2021 (N° Lexbase : N8805BYR).

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