Lexbase Fiscal n°873 du 15 juillet 2021 : Taxe sur la valeur ajoutée (TVA)

[Focus] Comment ne pas perdre le fil dans la réforme du commerce en ligne ?

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par Pierre Pradeau - Olivier Galerneau et Maxime Mahtout, Avocats, EY Société d'avocats

le 13 Juillet 2021

Mots-clés : TVA • e-commerce 

Cet article est issu d'un dossier spécial visant à synthétiser les nouvelles règles applicables en matière de TVA pour le commerce électronique. Pour consulter le sommaire de ce dossier spécial, cliquez ici (N° Lexbase : N8335BYD).


I. Propos liminaires

Devant entrer en vigueur initialement le 1er janvier 2021, le nouveau régime TVA dit « e-commerce » s’applique en France depuis le 1er juillet 2021 [1].

Cette réforme était déjà évoquée depuis juin 2015. Dans sa communication COM(2015) 192 final du 6 mai 2015 (« Stratégie pour un marché unique en Europe »), la Commission Européenne considérait que l'établissement d’un marché unique numérique constitue un élément essentiel de la stratégie de l’UE visant à se préparer pour l’avenir et à maintenir un niveau de vie élevé pour sa population.

L’un des objectifs majeurs de la stratégie pour le marché unique numérique est l’établissement d’un climat d’investissement favorable pour les réseaux numériques, la recherche et les entreprises innovantes.

Quelques mois plus tôt [2], la Commission incitait fortement à prendre la voix de la réforme « E-commerce ».

« Le système de TVA actuellement applicable au commerce électronique transfrontière est complexe et onéreux à la fois pour les États membres et les entreprises. Les coûts moyens annuels de la livraison de biens dans un autre pays de l'Union sont estimés à 8 000 euros. En outre, les entreprises de l'Union sont en situation de désavantage concurrentiel, étant donné que les fournisseurs de pays tiers peuvent livrer des biens en exonération de TVA aux consommateurs de l'Union au titre de l'exonération applicable aux importations de petits envois (près de 150 millions d'envois en exonération de TVA ont été importés en 2015). Le système étant complexe, il est difficile pour les États membres d'assurer le respect des règles, ce qui entraîne des pertes estimées à environ 3 milliards d'euros par an ».

Dans ce cadre, la Commission s’était fixé pour but de présenter au plus tard à la fin de 2016 l’année une proposition législative visant à moderniser et à simplifier la TVA pour le commerce électronique transfrontière en étant force de proposition.

L’extension du mécanisme du guichet unique aux ventes en ligne de biens matériels effectuées par les entreprises des pays de l'Union et des pays tiers à destination des consommateurs finaux, l'introduction d'une mesure de simplification commune à l'ensemble de l'Union ou la suppression de l'exonération de la TVA pour les importations de petits envois provenant de fournisseurs de pays tiers étaient déjà envisagés.

Les objectifs principaux et initiaux de cette réforme étaient notamment de (i) simplifier les régimes TVA applicables au e-commerce (ii) éviter des pertes de recettes fiscales et lutte contre la fraude et (iii) favoriser la concurrence des entreprises européennes et des entreprises non-UE.

Comme nous allons le voir, l’objectif de la simplicité ne semble pas celui qui, de prime abord, ait été rempli.

II. Le nouveau régime des ventes à distance intra-EU et l’OSS (guichet unique)

A. Le nouveau régime des ventes à distance intra-UE de biens

Le nouveau régime des ventes à distance de biens fait partie d’un régime global dit « régime UE » élargissant, sur option des opérateurs, le système du guichet unique aux opérations qu’il englobe.

Le cas du cumul du régime des ventes à distances intra-UE avec le régime des interfaces électroniques sera abordé dans les analyses qui suivront.

1) Opérateurs concernés

Le régime des ventes à distance intra-UE de biens, avec option pour l’OSS, s’appliquera aux opérateurs suivants :

  • assujettis établis dans l’UE ;
  • assujettis établis hors de l’UE ;
  • aux interfaces électroniques agissant en tant que fournisseur présumé.

2) Opérations concernées

Le nouveau 14 §4 de la Directive n° 2006/112/CE (N° Lexbase : L7664HTZ) donne une nouvelle définition des ventes à distance intra-UE :

« Les livraisons de biens expédiés ou transportés par le fournisseur ou pour son compte, y compris lorsque le fournisseur intervient indirectement dans le transport ou l'expédition des biens, à partir d'un État membre autre que celui d'arrivée de l'expédition ou du transport à destination de l'acquéreur, lorsque les conditions suivantes sont réunies :

a) la livraison de biens est effectuée pour un assujetti ou pour une personne morale non assujettie, dont les acquisitions intracommunautaires de biens ne sont pas soumises à la TVA en vertu de l'article 3, paragraphe 1, ou pour toute autre personne non assujettie ;

b) les biens livrés sont autres que des moyens de transport neufs et autres que des biens livrés après montage ou installation, avec ou sans essai de mise en service, par le fournisseur ou pour son compte ».

L’article 5 bis du Règlement d’exécution du conseil de l’Union Européenne n° 2019/2026, du 21 novembre 2019 (N° Lexbase : L1520L7G) précise que « les biens sont considérés comme expédiés ou transportés par le fournisseur ou pour son compte, y compris lorsque le fournisseur intervient indirectement dans l’expédition ou le transport des biens, en particulier dans les cas suivants :

  1. lorsque l’expédition ou le transport des biens est sous-traité par le fournisseur à un tiers qui livre les biens à l’acquéreur ;
  2. lorsque l’expédition ou le transport des biens est effectué par un tiers mais que le fournisseur assume en tout ou en partie la responsabilité de la livraison des biens à l’acquéreur ;
  3. lorsque le fournisseur facture les frais de transport à l’acquéreur et les perçoit auprès de celui-ci pour ensuite les reverser à un tiers qui assurera l’expédition ou le transport des biens ;
  4. lorsque le fournisseur promeut par tout moyen les services de livraison d’un tiers auprès de l’acquéreur, met en relation l’acquéreur et un tiers ou communique à un tiers les informations nécessaires à la livraison des biens à l’acquéreur ».

Ces précisions ont été apportées, afin d’une part, d’inclure dans ce nouveau régime des ventes à distance les situations dans lesquelles le fournisseur n’intervient pas directement dans l’expédition et le transport des biens, et, d’autre part, afin d’apporter une interprétation uniforme du critère de l’intervention du fournisseur au sein de l’Union européenne.

Les ventes à distance de biens [3] intra-UE couvrent ainsi les livraisons de biens effectuées par un assujetti en charge du transport directement ou indirectement depuis un État membre vers un autre au profit des personnes suivantes :

  • particuliers ;
  • et personnes morales non-assujetties (dont notamment les personnes visées à l’article 151 de la Directive TVA n° 2006/112/CE et les holdings pures).

3) Régime applicable

Aux termes du nouvel article 33-a) de la Directive n° 2006/112/CE, le lieu de livraison des ventes à distance intra-UE de biens est réputé se situer à l'endroit où les biens se trouvent au moment de l'arrivée de l'expédition ou du transport à destination de l'acquéreur.

Toutefois, il est prévu pour déterminer le lieu de taxation des ventes à distances intra-UE des biens, l’application d’un seuil de 10 000 euros dans certains cas.

(i) Application du seuil de 10 000 euros

Le seuil des 10 000 euros s’applique pour la détermination du lieu de taxation de la livraison du bien [4].

Il est calculé en tenant compte de la valeur totale des ventes à distance réalisées et des services de télécommunications, de radiodiffusion et de télévision et des services électroniques transfrontières rendus aux bénéficiaires visés au 2. ci-dessus établis dans l’UE.

Toutefois, à la lecture des notes explicatives de la Commission européenne, ce seuil ne s’appliquerait que dans le cas où le prestataire est établi dans un seul État membre [5] ou dans le cas où les biens seraient transportés depuis un seul et même État membre.

(ii) Conséquences de l’application de ce nouveau seuil

L’actuel article 34 de la Directive n° 2006/112/CE (en vigueur avant le 1er juillet 2021) faisant référence au seuil de 35 000 euros et 100 000 euros permettant de déterminer le lieu de taxation de la vente à distance sera supprimé.

Ainsi, il convient de tenir compte depuis le 1er juillet 2021 uniquement du seuil de 10 000 euros pour déterminer le lieu de taxation des ventes à distance.

Selon les notes explicatives de la Commission européenne, le seuil de 10 000 euros ne sera pas à prendre à compte lorsque (i) l’assujetti vendeur est établi dans plusieurs États membres et lorsque (ii) l’assujetti vendeur n’est pas établi dans l’UE.

En conséquence, deux cas doivent être envisagés :

  • celui de l’assujetti établi dans un seul État membre de l’UE : le régime des ventes à distances s’appliquera à compter du dépassement du seuil de 10 000 euros. Les ventes seront donc taxables dans l’État membre d’arrivée lorsque le seuil des 10 000 euros sera dépassé ; avant le dépassement du seuil, les ventes seront taxables dans l’État membre d’établissement du vendeur ;
  • et celui ou l’assujetti n’est pas établi dans l’UE ou établi dans plusieurs États membres ou si les biens relevant du régime des ventes à distance sont expédiés depuis plusieurs États membres : le seuil ne s’appliquera pas et les ventes à distance seront en principe taxables au lieu d’arrivée des biens.

Dans l’un ou l’autre des cas présentés ci-dessus, l’assujetti devra déterminer s’il souhaite bénéficier ou non du guichet unique.

B. Les obligations déclaratives

Comme présenté ci-dessus, les opérateurs devront déterminer s’ils souhaitent ou non opter pour l’application de l’OSS :

  • dans le cas où l’opérateur choisit de passer par l’OSS, l’option sera obligatoirement applicable à toutes les opérations concernées par le « régime UE » (cf. ci-dessous). L’opérateur s’inscrira dans son pays d’établissement en ligne sur le portail du guichet unique TVA (OSS) ; cette option peut être librement prise par l’opérateur, même s’il n’atteint pas le seuil de 10 000 euros précédemment évoqué. Cette option est pleinement applicable pendant une durée de deux années civiles ;
  • si l’opérateur ne choisit pas de passer par l’OSS, celui-ci devra s’immatriculer dans chacun des pays de l’Union au sein desquels il réalise les opérations taxables à la TVA. Des déclarations locales devront ainsi être déposées.

C. L’instauration d’un guichet unique et du régime dit « régime UE »

Ce nouveau régime déclaratif inclut à compter du 1er juillet 2021, les régimes suivants :

  • celui relatif aux services de télécommunications, de radiodiffusion et de télévision : ce régime existe déjà en France à l’article 259 D du CGI (N° Lexbase : L6758LZC) ; le lieu de taxation de ces prestations réalisées au profit de non-assujettis est déterminé en fonction du dépassement ou non du seuil de 10 000 euros évoqué précédemment ;
  • celui des ventes à distances intra-UE de biens : le seuil précité de 10 000 euros s’appliquera globalement aux opérations ci-dessus et aux ventes à distance intra-UE de biens ;
  • celui relatif aux services rendus dans l’UE par des assujettis établis dans l’UE à des non-assujettis établis dans un autre État membre : il s’agit notamment des services matériellement localisables (par exemple les services se rattachant à un bien immeuble ou la location d’un moyen de transport). Précisons que ces prestations ne sont pas prises en compte pour la détermination du seuil de 10 000 euros [6].

En choisissant d’appliquer ce nouveau régime, les assujettis établis dans l’UE se devront d’utiliser le OSS (One Stop Shop). Rappelons que ce régime sera facultatif  [7].

Ainsi, en optant pour ce régime, les assujettis établis dans l’UE devront utiliser le guichet unique pour déclarer et payer la TVA due dans les différents États membres pour l’ensemble des opérations précitées ci-dessus, sans possibilité de limiter la portée de l’option à seulement une seule des catégories d’opérations concernées.

Rappelons qu’il s’agira d’un seuil global pour l’ensemble des opérations réalisées dans l’UE par un même assujetti.

Avec l’élargissement du champ d’application du guichet unique (OSS), les assujettis pourront déclarer la taxe et s’en acquitter depuis un seul État membre de l’UE, cela leur évitant une immatriculation dans chacun des pays concernés par leurs activités économiques.

À toutes fins utiles, rappelons que les inscriptions au guichet unique (OSS) sont ouvertes depuis le 22 avril 2021 sur l’espace fiscal professionnel des opérateurs.

Concernant les assujettis non-inscrits à l’actuel mini-guichet unique (MOSS), ces derniers doivent faire une demande d’inscription à l’espace OSS dans leur espace professionnel avant le trimestre civil au cours duquel ils souhaitent commencer à déclarer la TVA sur les opérations concernées.

Concernant les assujettis déjà assujettis au MOSS, les inscriptions sont reconduites automatiquement dans le nouveau régime de guichet unique correspondant. Pour ceux qui ne souhaitent pas appliquer ce nouveau régime, ces derniers doivent en informer l’administration au plus tard le 15 juin 2021.

Enfin, les opérateurs auront l’obligation de tenir un registre des opérations éligibles à l’OSS qui devra être mis à disposition des administrations de l'État d'identification et des États de consommation par voie électronique sur demande. Ce registre qui comportera de nombreuses informations telles que la nature du service fourni ou la quantité et la nature des biens fournis, le prix hors taxe ou encore, lorsqu’une facture est émise, les informations figurant sur la facture, devra être conservé 10 ans à compter du 31 décembre de l'année de l'opération.

D. Les enjeux pratiques

À ce jour, les enjeux pratiques sont notamment de deux ordres :

  • Gérer les retours de biens

Aucune disposition ne prévoit cette hypothèse.

Nous pouvons toutefois relever que dans le cadre actuel du mini-guichet unique (MOSS) il n’est pas possible, sur une déclaration, de faire figurer l’émission de note de crédit ou d’un avoir.

Une attention particulière devra donc être portée sur ce point afin que l’assujetti vendeur ne collecte pas indûment la taxe dans l’État membre de destination des biens.

  • Déterminer les règles de facturation

En cas d’option pour le guichet unique, l’assujetti ne sera pas dans l’obligation d’émettre une facture. Si l’assujetti décide toutefois d’en émettre une, les règles de facturation applicables seront celles de l’État membre d’identification (État où il est inscrit).

Il nous semble cependant nécessaire de préciser que les États membres peuvent, outre les règles de facturation applicables en matière de TVA, prévoir en parallèle des règles de facturation spécifiques. Tel est le cas en France pour les règles de facturation économiques, prévues par le Code de commerce.

Il conviendra, en conséquence, de porter une attention particulière aux règles de facturation propres à chaque État membre.


[1] Loi n° 2019-1479, du 28 décembre 2019, de finances pour 2020, art. 147-IV (N° Lexbase : L5870LUX).

[2] (COM(2016) 148 final – Communication du 7 avril 2016 – Vers un espace TVA unique dans l’Union – L’heure des choix) [en ligne].

[3] Certains biens sont exclus du régime tel que ceux soumis à accises, relevant du régime de la marge ou aux moyens de transport d’occasion (cf. nouvel article 35 de la Directive TVA n° 2006/112/CE) ;

[4] Nouvel article 59 quater de la Directive n° 2006/112/CE.

[5] Les notes explicatives n’ont pas valeur juridique contraignante.

[6] Nouvel article 59 quater de la Directive n° 2006/112/CE.

[7] Nouvel article 369 ter de la Directive n° 2006/112/CE.

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