Réf. : Cass. civ. 1ère, 19 novembre 2002, n° 00-21.083, FS-P+B (N° Lexbase : A0524A48) ; Cass. civ. 1ère, 19 novembre 2002, n° 00-16.683, FS-P (N° Lexbase : A0500A4B)
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par Ivan Tchotourian, Membre du Centre de recherche de droit privé (CRDP) de l'Université Nancy 2, Chargé de travaux dirigés à l'Université Nancy 2
le 01 Octobre 2012
Aussi l'article 1415 du Code civil dispose-t-il que "chacun des époux ne peut engager que ses biens propres et ses revenus, par un cautionnement ou un emprunt, à moins que ceux-ci n'aient été contractés avec le consentement exprès de l'autre conjoint qui, dans ce cas, n'engage pas ses biens propres" (N° Lexbase : L1546ABU). Ainsi, par un cautionnement ou un emprunt, un époux n'engage que ses propres et ses revenus bien que la dette soit née au cours du régime de communauté ("le créancier ne peut (...) saisir que ses biens propres, les fruits de ces derniers et ses gains et salaires" : D. Legeais, Sûretés et garanties du crédit, précité, n° 105).
Toutefois, le conjoint a la possibilité de rétablir le droit de poursuite des créanciers sur les biens communs, en donnant son consentement exprès au cautionnement ou à l'emprunt. Par ce consentement, l'époux autorise l'engagement de la communauté (Cass. civ. 1ère, 22 novembre 1988, n° 86-19.266 N° Lexbase : A2210AHC), mais non de ses propres (le point de savoir si les gains et salaires demeurent à l'abri des poursuites des créanciers en cas d'accord du conjoint est discuté. Voir à ce propos : M. Goubeaux, Droit civil : Régimes matrimoniaux, successions et libéralités, précité, n° 134).
Comme l'a déjà énoncé la jurisprudence (Cass. civ. 1ère, 6 juillet 1999, n° 97-15.005 N° Lexbase : A8742AHA), l'article 1415 du Code civil est applicable au crédit consenti par découvert en compte courant. Ainsi, le problème juridique soumis à la Haute cour est relatif aux conditions d'application de ce texte. A travers ces deux décisions du 19 novembre 2002, les magistrats de la Cour de cassation non seulement rappellent les solutions en la matière, mais encore y apportent des précisions intéressantes (pour un exposé des difficultés de mise en oeuvre de l'article 1415 du Code civil, voir : D. Legeais, Sûretés et garanties du crédit, précité, n° 105).
I. La nécessaire obligation de "constater dans la convention d'ouverture du compte l'existence d'une clause de solidarité assortie de la faculté pour chaque cotitulaire d'obtenir un découvert"
Dans la première espèce, la banque BNP-Paribas, invoquant le solde débiteur du compte joint des époux Lescarret, époux communs en biens, assigne ces derniers en paiement solidaire du montant du solde débiteur de ce compte. La cour d'appel de Reims, dans un arrêt du 14 octobre 1998, condamne l'épouse Lescarret solidairement avec son ex-époux à payer à l'établissement bancaire le solde débiteur de ce compte. Les juges d'appel relevaient, en effet, que "le débit du compte était la conséquence d'un concours de 200 000 francs consenti par la banque sous la seule signature du mari jusqu'au 30 juin 1992, mais dont la femme avait connaissance ainsi qu'il résulte des correspondances échangées entre elle et la banque".
La première chambre civile censure le raisonnement suivi par la cour d'appel pour ne pas s'être assurée de "l'existence d'une clause de solidarité assortie de la faculté pour chaque cotitulaire d'obtenir un découvert". Cet arrêt de la première chambre civile souligne la limite des droits du créancier lorsqu'il existe un compte joint entre époux. En effet, ce dernier n'est pas saisissable, faute pour les créanciers d'identifier les revenus de leur débiteur (Cass. civ. 1ère, 3 avril 2001, n° 99-13.733 N° Lexbase : A1747ATU).
Par ailleurs, d'autres éléments de cette décision du 19 novembre 2002 peuvent être mis en avant.
D'une part, les magistrats de la Cour de cassation estiment que la simple "connaissance" du concours financier par la femme est insuffisante à elle seule à caractériser son consentement exprès. Cette solution confirme celle de la jurisprudence antérieure (Cass. civ. 1ère, 17 février 1998, n° 96-10.056 N° Lexbase : A2196A44) et de la doctrine, selon laquelle le consentement doit résulter d'actes positifs.
D'autre part, les magistrats de la Cour de cassation confirment que l'article 1415 du Code civil ne s'applique pas dans l'hypothèse où le conjoint s'est déclaré solidairement débiteur avec l'autre époux. Dans une telle hypothèse, "le créancier peut saisir tous les biens : propres de chacun des époux et communauté" (M. Goubeaux, Droit civil : Régimes matrimoniaux, successions et libéralités, précité, n° 134). Une telle clause de solidarité faisant défaut en l'espèce, les biens communs ne pouvaient être engagés et l'ex-épouse condamnée à indemniser la banque.
II. Les conséquences de l'absence de consentement exprès du conjoint au contrat de garantie
Dans la seconde espèce, Monsieur Chevreux, exploitant en son nom propre un garage, avait souscrit, le 23 juillet 1990, auprès de la banque UFICO, un contrat d'avance sur ristournes avec la caution de la société Yacco. Pour garantir ce contrat, les époux Chevreux, communs en biens, hypothèquent solidairement au profit de la société Yacco l'immeuble commun dans lequel ils habitent. Suite au redressement judiciaire de Monsieur Chevreux, la société Yacco paie la totalité des sommes dues par ce dernier à la banque UFICO. L'établissement bancaire ayant délivré quittance subrogative, la société assigne alors Madame Chevreux pour obtenir sa condamnation à lui payer la somme restant due.
Par un arrêt du 29 mars 2000, la cour d'appel de Poitiers rejette la demande de la société Yacco. Les juges d'appel estiment "qu'en suite d'un contrat d'avance sur ristournes souscrit entre M. Chevreux et la société Yacco (...) Mme Chevreux, par acte authentique du 10 octobre 1990, avait donné son accord exprès pour l'affectation hypothécaire, à la sûreté et à la garantie du remboursement des sommes que la société Yacco pourrait être amenée à payer à l'UFICO (...), l'affectation hypothécaire consentie par Mme Chevreux à la société Yacco ne pouvait porter que sur la part de communauté de M. Chevreux".
La Cour de cassation, dans sa décision du 19 novembre 2002, se prononce dans le même sens que la cour d'appel. Les magistrats de la Haute cour constatent que " le contrat d'avance sur ristournes avait été souscrit par le mari seul et que, dans un acte postérieur, les époux avaient hypothéqué un bien commun en garantie de cette dette". Par conséquent, "la femme n'avait pas expressément consenti au contrat du 23 juillet 1990, ce dont il résultait que cet acte n'engageait ni ses biens propres ni l'ensemble des biens communs, à l'exception de l'immeuble hypothéqué".
Cette décision a tout d'abord le mérite de rappeler l'obligation de s'assurer du consentement du conjoint pour que les biens communs puissent être engagés. L'importance de ce "consentement exprès" (M. Cabrillac et C. Mouly, Droit des sûretés, précité, n° 141) se trouve souligné comme il l'est en doctrine. Même si ce consentement n'a pas à être assorti de la mention manuscrite exigée par l'article 1326 du Code civil (N° Lexbase : L1437ABT) (en jurisprudence, voir : Cass. civ. 1ère, 13 novembre 1996, n° 94-12.304 N° Lexbase : A9676ABY ; en doctrine, voir : M. Cabrillac et C. Mouly, Droit des sûretés, précité, n° 141 ; D. Legeais, Sûretés et garanties du crédit, précité, n° 105), cet accord doit être vérifié.
A défaut de consentement exprès du conjoint, ne peuvent être obtenues :
- l'opposabilité à l'épouse du jugement de condamnation à l'égard du mari caution (Cass. civ. 1ère, 18 novembre 1992, n° 91-10.473 N° Lexbase : A5655AHW) ;
- la conversion en hypothèque définitive de l'inscription provisoire prise sur un immeuble commun (Cass. civ. 1ère, 29 mai 1996, n° 94-16.615 N° Lexbase : A8570ABZ) ;
- l'inscription d'hypothèque judiciaire provisoire (CA Versailles, 22 juin 1994, Gaz. Pal. 3-4 févr. 1995, flash, p. 23) ;
- la saisie d'un immeuble commun.
Ensuite, le créancier ne peut prendre des sûretés sur les biens communs pour garantir l'exécution du cautionnement, lorsque ce dernier n'a pas reçu l'accord du conjoint. Cet arrêt du 19 novembre 2002 s'inscrit donc en droite ligne de la jurisprudence antérieure et notamment de la décision du 11 avril 1995 (Cass. civ. 1ère, 11 avril 1995, n° 93-13.629 N° Lexbase : A4961ACQ).
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