Lexbase Affaires n°51 du 12 décembre 2002 : Contrats et obligations

[Jurisprudence] La sanction de la durée excessive d'une obligation contractuelle

Réf. : Cass. civ. 1ère, 13 novembre 2002, n° 99-21.816, FS-P (N° Lexbase : A7303A3U)

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le 01 Octobre 2012

Un récent arrêt de la première chambre civile de la Cour de cassation en date du 13 novembre 2002, énonce, au visa de l'article 39 de la loi du 29 décembre 1979 (aujourd'hui codifié à l'article L. 581-25 du Code de l'environnement N° Lexbase : L3071AN3), "qu'aux termes de ce texte, qui est d'ordre public, le contrat de louage d'emplacement publicitaire ne peut être conclu pour une durée supérieure à six ans à compter de sa signature ; que la stipulation d'une durée plus longue est soumise à réduction". Cette décision invite à revenir sur une question peu abordée, qui tient aux modalités de la sanction d'une obligation contractuelle excessive dans le temps. Si, en effet, les engagements perpétuels sont sanctionnés, de façon discutable selon nous, par la nullité totale de la convention (1), la jurisprudence s'en tient, plus fréquemment, à une sanction plus mesurée et adaptée au seul vice à combattre, en l'occurrence, le caractère excessif de la durée de l'engagement. La prohibition des engagements perpétuels tend à empêcher que les individus ne se trouvent liés pour un temps exagérément long. Ce même souci d'assurer la sauvegarde de la liberté de chacun des contractants justifie encore que la durée d'exécution de nombreux contrats spéciaux soit déterminée de façon autoritaire : il est, en effet, des hypothèses dans lesquelles la durée de certaines clauses ou conventions particulières ne peut excéder une limite fixée par la loi. Le seul vice des conventions en question résidant dans le caractère excessif de leur durée, il était concevable, a priori et intuitivement, de penser que la sanction de ce vice ne pouvait être que la réduction de cette durée, c'est-à-dire la nullité dans la mesure de l'excès. Pourtant, on l'a rappelé, il n'en va pas toujours ainsi. Dans certains cas, le dépassement de la durée autorisée donne lieu à la nullité totale de la convention, ce qui permet de dire que "finalement, il n'existe (à l'heure actuelle) aucune règle générale sanctionnant la violation d'une durée maximum" (Traité de droit civil, Les effets du contrat, LGDJ, 3ème édition par J. Ghestin, Ch. Jamin et M. Billiau, 2001, n° 211, page 260).

Il est toutefois, fort heureusement, des hypothèses dans lesquelles la durée excessive d'un engagement donne lieu, non pas à l'anéantissement de celui-ci, mais à une réduction de la durée en question. Seule cette solution nous paraît admissible.
Parfois, la solution ne fait aucune difficulté. Tel est, bien sûr, le cas, lorsque le législateur a lui-même imposé la réduction comme sanction de la durée excessive de l'engagement. Ainsi, en est-il de la vente à réméré, définie par l'article 1659 du Code civil (N° Lexbase : L1769AB7) comme le contrat "par lequel le vendeur se réserve de reprendre la chose vendue, moyennant la restitution du prix principal et le remboursement dont il est parlé à l'article 1673 (N° Lexbase : L1783ABN)", et dont on sait que l'article 1660 (N° Lexbase : L1770AB8) limite la "faculté de rachat" (art. 1659) à un délai de cinq ans maximum : l'alinéa 2 de l'article 1660 dispose que "si (la faculté de rachat) a été stipulée pour un terme plus long, elle est réduite à ce terme". Le texte indique donc ici expressément que la sanction de l'excès est la réduction, et devrait, à ce titre, "servir de modèle pour la réduction de toute disposition relative à la limitation d'un élément quantitatif" (Ph. Simler, La nullité partielle des actes juridiques, LGDJ, 1969, n° 214, page 257). Les dispositions relatives à la conclusion par l'usufruitier ou le tuteur d'un bail d'une durée supérieure à neuf ans, relèvent, à cet égard, de la même logique (voir C. civ., art 595, al. 2 N° Lexbase : L3176ABA et C. civ., art 1718 N° Lexbase : L1840ABR) .

Dans d'autres hypothèses, le législateur a bien fixé un maximum de durée à la convention, sans cependant expressément dire en quoi doit consister la sanction du dépassement du plafond. On observera tout de même que, lorsqu'un seuil de durée maximale a été posé par le législateur (ce qui n'est pas le cas, précisément, s'agissant des engagements perpétuels), la jurisprudence semble, dans son ensemble, favorable à la réduction.
A propos de la durée excessive de la saisine de l'exécuteur testamentaire, l'article 1026 du Code civil (N° Lexbase : L1101ABE) limite à un an et un jour, à compter du décès du testateur, la saisine quecelui-ci peut accorder à l'exécuteur testamentaire qu'il a nommé (N° Lexbase : L1101ABE). Ce délai a paru suffisant pour l'exécution du testament et l'on a estimé qu'il serait dangereux de donner une saisine sans durée déterminée, l'exécuteur testamentaire risquant d'en abuser en prolongeant indéfiniment la situation. A la différence de l'article 1660 du Code civil (N° Lexbase : L1770AB8) relatif à la clause de réméré, l'article 1026 n'indique pas expressément que la sanction du dépassement de la durée d'un an et un jour consiste en la réduction. Néanmoins, comme on l'a observé, "le fait que la clause ne peut durer au-delà d'un an (C. civ., art. 1026) nous paraît être un argument pertinent dans le sens de la réduction, si une durée excessive précise a été stipulée, ou de la nullité partielle quant aux effets, si la saisine a été accordée pour une durée illimitée ou indéterminée" (Ph. Simler, La nullité partielle des actes juridiques, op. cit., n° 215, page 258). La doctrine et la jurisprudence semblent d'ailleurs, dans leur ensemble, avoir admis la réduction de la durée excessive de la saisine.

De même convient-il de rappeler, toujours à titre d'exemple, que, s'agissant des conventions d'indivision conclues à durée déterminée, qui représentent le type le plus courant et le plus pratique de convention d'indivision, le législateur, à l'occasion de la loi du 31 décembre 1976 relative à l'indivision (2), a autorisé la suspension du partage à condition toutefois que "la convention (soit) conclue pour une durée déterminée qui ne saurait être supérieure à cinq ans", reprenant ainsi le délai de l'ancien article 815, alinéa 2, du Code civil qui disposait qu'" on peut (...) convenir de suspendre le partage pendant un temps limité : cette convention ne peut être obligatoire au-delà de cinq ans." Si le délai prévu excède le maximum autorisé, il est certain que la convention n'est pas nulle pour autant, ce qui serait d'ailleurs contraire à l'esprit de la loi et à la volonté des parties : il ne saurait en effet être question de revenir sur la volonté des indivisaires pour la partie inférieure ou égale à cinq ans. En revanche, la plupart des auteurs, s'appuyant sur certaines décisions jurisprudentielles, s'accordent aujourd'hui à considérer que la durée est sujette à réduction pour l'excédent (3).

Il est donc permis de penser que la réduction de la durée excessive de l'obligation bénéficie, serait-on tenté de dire, d'une certaine faveur de la part des tribunaux, du moins toutes les fois que la loi a fixé un maximum autorisé. La solution apportée par la jurisprudence au problème de la durée excessive du pacte de préférence concédé par un éditeur sur les oeuvres futures d'un auteur (4), préconisée par la doctrine (5), ne fait que confirmer cette assertion.
En revanche, on l'a dit, la jurisprudence ne semble pas encore prête à recourir à la réduction comme technique de sanction de l'excès lorsque la convention est conclue pour une durée indéterminée. La première hypothèse ne saurait, à vrai dire, surprendre, l'intervention du juge étant, en pareil cas, réduite puisqu'il lui suffit de rabaisser le quantum excessif au maximum autorisé, c'est-à-dire de remplacer une quantité volontairement fixée par les parties par une autre autoritairement arrêtée par le législateur. Au contraire, le refus de principe de permettre au juge de substituer à la volonté des parties une solution plus équitable, explique que celui-ci soit réticent à prononcer la réduction d'un quantum excessif en dehors de tout point de repère, ce qui reviendrait à réécrire le contrat. La solution nous paraît, à vrai dire, très contestable puisque, en tout état de cause, le respect de la volonté des parties est mieux assuré par la réduction que par l'anéantissement total de l'acte. En outre, si l'on admet que le traitement de l'excès en droit civil témoigne d'une volonté d'associer le juge à l'élaboration de la règle (voir notamment G. Cornu, L'apport des réformes récentes du Code civil à la théorie du droit civil, Cours de D.E.S., 1970-1971, coll. Les cours du droit, pages 220 et 221), il devient alors incohérent que celui-ci limite son pouvoir modérateur en l'absence, le plus souvent délibérée et, en tout cas, conforme à la logique de la prise en compte de l'excès (6), d'une donnée légale rigide de comparaison. Il est, croyons-nous, de l'essence de l'appréhension juridique de l'excès de conférer au juge de larges pouvoirs d'immixtion dans le contrat lui permettant de réduire un quantum excessif même en l'absence d'un seuil arithmétique fixé par le législateur.

David Bakouche
Docteur en droit


(1) Sur cette question, voir notamment, M. Pinlon, Essai sur la notion de perpétuité en droit civil, th. Poitiers, 1952 ; J. Azéma, La durée des contrats successifs, préface R. Nerson, LGDJ, 1969 ; B. Houin, La rupture unilatérale des contrats synallagmatiques, th. Paris II, 1973 ; I. Petel, La durée d'efficacité des contrats, th. Montpellier, 1984 ; R. Libchaber, Réflexions sur les engagements perpétuels et la durée des sociétés, Rev. Sociétés 1995, p. 437 ; O. Litty, Inégalité des parties et durée du contrat - Etude de quatre contrats d'adhésion usuels, préf. J. Ghestin, LGDJ, 1999 ; F. Rizzo, Regards sur la prohibition des engagements perpétuels, Dr. & patr. janvier 2000, pages 60 et s.

(2) Voir Catala, Defrénois 1979, art. 3, art. 81, art. 601 ; 1980, art. 3 ; 1981, art. 241, art. 321 ; M. Dagot, JCP éd. G 1977, I, n° 2858 et 2862 ; 1978, I, n° 2918 ; D. Martin, D. 1977, Chron. page 221 ; G. Morin, Defrénois 1977, art. 1049 et art. 1113. Add. M. Dagot, L'indivision, Litec, 1978.

(3) Voir F. Terré, Ph. Simler et Y. Lequette, Droit civil, Les obligations, Dalloz, 7ème éd., 1999, n° 396, page 385 ; voir déjà, sous l'empire de l'ancien article 815 alinéa 2 du Code civil Baudry-Lacantinerie et Wahl, Traité théorique et pratique de droit civil, Des successions, 3ème éd., T. II, n° 2184-2185 ; Planiol et Ripert, Traité pratique de droit civil français, 2ème éd., T. III par Picard, n° 292.

(4) L'article L.131-4 du Code de la propriété intellectuelle (N° Lexbase : L3387ADS) est ainsi rédigé : "En ce qui concerne l'édition, est licite la stipulation par laquelle l'auteur s'engage à accorder un droit de préférence à un éditeur pour l'édition de ses oeuvres futures de genres nettement déterminés. Le droit est limité pour chaque genre à cinq ouvrages nouveaux à compter du jour de la signature du contrat d'édition conclu pour la première oeuvre ou à la production de l'auteur réalisée dans un délai de cinq années à compter du même jour".

(5) Voir P.-Y. Gautier, Propriété littéraire et artistique, PUF, coll. Droit fondamental, 3ème éd., 1999, n° 276 et s., pages 422 et s., spécialement n° 277, pages 425 et 426.

(6) Voir, sur cette question, notre thèse, L'excès en droit civil, th. Paris II, 2001, spécialement n° 60 et s. et n° 101.

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