Réf. : Cass. civ. 1, 4 juillet 2012, n° 11-13.384, FS-P+B+I (N° Lexbase : A4893IQB)
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N3597BTE
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par Sophie Deville, Maître de conférences en droit privé, Institut de droit privé EA 1920, Université Toulouse 1 Capitole
le 27 Septembre 2012
C'est sans ambiguïté que la Cour de cassation rejette l'ensemble des arguments qui lui sont soumis. En énonçant que les magistrats d'appel ont à bon escient considéré, après avoir constaté que seul le mari possédait la qualité d'associé, que les droits litigieux ne pouvaient être communs que pour leur valeur, la première chambre civile confirme l'impossibilité d'un partage en nature. Le titre ayant été conservé par l'époux, il est l'unique attributaire des biens. L'espèce est ici l'occasion pour la cour de rappeler avec force une jurisprudence constante qu'elle ne semble pas décidée à abandonner, malgré les hésitations que la qualification peut susciter tant en doctrine qu'en pratique.
La problématique générée par la catégorie des biens "mixtes" n'est bien sûr pas nouvelle. Très tôt, au sein des régimes communautaires, s'est posée la difficulté de concilier les principes présidant à la naissance des acquêts avec la dimension personnelle que peuvent intrinsèquement abriter certains biens. La question est d'importance, tant on sait que la détermination de la nature va présider à l'application des règles de pouvoirs, ainsi qu'au devenir du bien au partage de l'indivision post-communautaire. L'article 1401 du Code civil (N° Lexbase : L1532ABD) se fonde essentiellement sur la période et le mode d'acquisition pour retenir la qualification d'acquêt au sein du régime matrimonial légal. Ces critères objectifs laissent naturellement peu de place aux relations étroites qui peuvent lier un bien à la personne d'un époux. Pour autant, l'intuitu personae se manifeste incontestablement lorsque l'exploitation du bien nécessite de la part d'une personne des qualités ou des compétences particulières, ou encore lorsque sa naissance résulte d'un processus de création intellectuel qui reflète la personnalité d'un individu (2). Ces hypothèses concernent essentiellement les offices ministériels auxquels sont associées les clientèles de professions libérales, ainsi que les droits sociaux non négociables qui sont en l'espèce au coeur du litige opposant les époux. La difficulté n'existe en réalité qu'au cas d'acquisition à titre onéreux pendant le mariage puisque les biens présents des époux leur restent propres aux termes de l'article 1405 du Code civil (N° Lexbase : L1536ABI) (3). On devine aisément les relations étroites unissant l'office ministériel à son titulaire qui s'est vu reconnaître par l'autorité publique la responsabilité de l'administration de la charge ; de même, les droits sociaux présentent la spécificité, au-delà de leur valeur intrinsèque, d'abriter un lien entre le détenteur des titres et le groupement, lequel se caractérise par l'attribution de la qualité d'associé (4).
Ceci étant, il apparaît délicat de nier à ces éléments souvent importants du patrimoine l'entrée en communauté, en considération de leur valeur et de leur moment d'acquisition. Conscients de la difficulté à intégrer ces biens particuliers au sein des catégories prévues par le droit des régimes matrimoniaux, les juges ont très tôt choisi d'opérer une distinction, destinée à concilier les aspects personnels et patrimoniaux innervant ces situations. Dans un premier temps consacrée au profit des offices ministériels et clientèles civiles, l'analyse consiste à séparer le titre, lequel n'a été attribué qu'à un époux par l'autorité publique, qui demeure propre, et la finance, c'est-à-dire la valeur patrimoniale de l'office (plus exactement la valeur du droit de présentation de la clientèle), qui tombe pour sa part en communauté (5). La solution a par la suite été étendue à certaines exploitations nécessitant la délivrance d'une autorisation administrative fondée sur les compétences et aptitudes d'un époux (6). La distinction du titre et de la finance est également appliquée de manière constante par la jurisprudence aux titre sociaux non négociables acquis pendant le mariage. Pour ce qui les concerne, il s'agit d'isoler la qualité d'associé, titre qui permet de participer activement à la vie sociale demeurant propre à l'époux qui a réalisé l'apport, et la valeur patrimoniale des parts qui doit être comprise dans la masse commune (7).
Bien que complexe, cette qualification "mixte" permet de concilier au mieux les intérêts de l'époux détenteur du titre et ceux de la communauté. Les effets sont aisément observables au stade du partage de la masse commune (8). Le titre demeurant propre à l'un des époux, celui-ci est assuré de se voir attribuer le bien sans risquer un partage en nature qui, dans la plupart des hypothèses, n'aurait que peu de sens. Ceci étant, la finance étant commune, l'autre époux peut prétendre à une créance correspondant à la moitié de la valeur du bien, à faire valoir contre son conjoint. De même, il importe de souligner que les plus-values générées pendant l'indivision post-communautaire viennent grossir la masse à partager en raison du caractère commun de la finance (9).
En l'espèce, il apparaît clairement à la lecture de l'arrêt que les juges du fond avaient retenu la distinction classiquement appliquée aux droits sociaux non négociables. En effet, le caractère commun de la finance n'autorise pas un partage en nature, seule la valeur des parts étant comprise dans la communauté. La Cour de cassation reprend à son tour la position qu'elle maintient fermement, sans adhérer aux arguments du pourvoi.
La catégorie des biens "mixtes" et la distinction consacrée n'est pourtant pas restée à l'abri des critiques, et plusieurs thèses lui ont été opposées. Lors de l'entrée en vigueur de la loi n° 65-570 du 13 juillet 1965 (N° Lexbase : L4317IRC), certains auteurs ont défendu l'idée selon laquelle les biens à dimension personnelle devaient désormais relever de l'article 1404 du Code civil (N° Lexbase : L1535ABH), qui envisage la catégorie des biens propres par nature, c'est-à-dire "tous les biens qui ont un caractère personnel et tous les droits exclusivement attachés à la personne" (10). Pour compenser l'importante perte subie par la communauté à laquelle échapperaient ces biens pourtant financés à l'aide d'acquêts, la doctrine a suggéré d'ouvrir un droit à récompense au profit de la masse commune. La proposition s'est néanmoins heurtée à des arguments pertinents (11) ; si le risque d'insolvabilité de l'époux auquel est attribué le bien est aussi dommageable que l'on retienne l'une ou l'autre des qualifications, la distinction du titre et de la finance semble préférable lorsqu'on se penche sur le sort des plus-values générées pendant l'indivision post-communautaire. L'application de l'article 1404 du Code civil conduit à les réserver à l'époux qui a procédé à la reprise de ses propres au détriment de la masse à partager. A cet égard, la distinction prétorienne semble davantage respectueuse des intérêts en présence. Au-delà, concernant les droits sociaux, les termes de l'article 1424 du Code civil (N° Lexbase : L2300IBS) tendent à considérer que la nature de propre est exclue de fait par le législateur qui les traite comme des acquêts soumis à la cogestion. Bien que parfois invoquée par les plaideurs et approuvée par les juridictions du fond, la qualification de propre par nature à charge de récompense n'a pas séduit la Cour de cassation (12).
Une seconde analyse, qui s'est particulièrement développée en considération du statut des droits sociaux non négociables, a défendu une approche renouvelée de ces biens particuliers. En effet, il a été proposé de distinguer la qualité d'associé, prérogative extrapatrimoniale par nature inapte à se fondre dans le clivage opposant les acquêts et les propres, de la part sociale elle-même, appréhendée comme un bien (13). Or, c'est à l'égard de cette dernière que doit être posée la question de la qualification. Détachés de la qualité d'associé qui préserve, à elle seule, l'intuitu personae caractérisant les liens entre l'associé et le groupement, les titres peuvent être considérés comme des acquêts par nature. La théorie peut trouver du soutien dans les dispositions de l'article 1424 du Code civil, qui soumet les droits sociaux non négociables "dépendant de la communauté" aux règles de la cogestion. Elle se veut également simplificatrice -durant la vie du régime, à tout le moins- puisque l'ensemble des principes gouvernant les acquêts sont appliqués aux titres. Enfin, elle propose une appréhension renouvelée et affinée de la notion de droits sociaux, fidèle à leur particularisme.
Dans l'affaire tranchée le 4 juillet 2012, le pourvoi se fonde indiscutablement sur cette thèse pour défendre le partage en nature des parts de la SARL. L'époux nie aux droits sociaux la qualification d'acquêts en valeur seulement et avance bien au contraire que les parts doivent être considérées comme des biens communs par nature, rejetant ainsi la distinction entre le titre et la finance.
Si elle présente certains avantages, cette analyse montre néanmoins ses limites au stade du partage de l'indivision post-communautaire. En effet, il est tout à fait concevable, pendant le mariage, de concilier la nature commune des parts avec l'exercice de la qualité d'associé par l'époux qui en est seul titulaire. La situation devient néanmoins délicate lors de la répartition des biens contenus dans la masse à partager. En réalité, la difficulté n'existe que si un seul des conjoints possède la qualité d'associé car elle est, de fait, déterminante de l'attribution des droits sociaux. Dans de telles hypothèses, les partisans de la théorie proposent de soumettre l'époux non associé à l'agrément des membres du groupement. S'il acquiert la qualité d'associé, plus rien ne s'oppose à ce que les conjoints procèdent à un partage en nature. Mais dans le cas contraire, les auteurs admettent la nécessité de revenir à la distinction opposant le titre et la finance, en considérant que seule la valeur des droits est tombée en communauté. Même si la loi n° 82-596 du 10 juillet 1982, relative aux conjoints d'artisans et de commerçants travaillant dans l'entreprise familiale (N° Lexbase : L7728AI3), semble avoir oeuvré en faveur de cette thèse en encourageant le conjoint de l'apporteur à revendiquer la qualité d'associé dès l'acquisition des parts aux termes de l'article 1832-2 du Code civil (N° Lexbase : L2003ABS), force est de constater que la démarche demeure purement volontaire, et qu'il n'est nullement contraint de le faire. De même, l'agrément demandé a posteriori par l'époux non apporteur est naturellement dépendant de la volonté des associés. Ces éléments rendent incertaine l'application des principes classiques du partage des acquêts et il est à craindre que dans de nombreuses situations, le retour à la distinction du titre et de la finance ne s'avère nécessaire.
Dans l'espèce qui nous intéresse, la qualification d'acquêts par nature était, malgré les arguments de l'auteur du pourvoi, tout à fait impossible ; seul le mari bénéficiait de la qualité d'associé et il est fort peu probable que l'épouse ait eu l'intention d'obtenir l'agrément a posteriori afin d'intégrer la société. A tout le moins, aucune démarche n'avait été faite en ce sens. Dès lors, la scission entre le titre et la finance s'imposait et la solution de la Cour de cassation doit être sur ce point approuvée.
Finalement, l'abandon de cette distinction prétorienne -si complexe et critiquée soit-elle- semble bien délicat, car elle seule permet de préserver au mieux les intérêts difficilement conciliables qui se manifestent dans ces biens particuliers.
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