Réf. : CE 3° et 8° ch.-r., 25 juin 2020, n° 416727, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A34753PE)
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par Marie-Gabrielle Merloz, Rapporteur public au Conseil d’État
le 18 Mai 2021
Par un arrêt du 25 juin 2020, le Conseil d’État a saisi la CJUE de deux questions préjudicielles portant sur l’application du régime de la TVA sur marge en cas de cession de terrain à bâtir. Lexbase Hebdo Édition Fiscale vous propose les conclusions du Rapporteur public, Marie-Gabrielle Merloz.
1. La société Icade Promotion Logement exerce une activité de promotion immobilière et de lotissement. À cette fin, elle acquiert auprès de particuliers des terrains non viabilisés qu’elle revend ensuite par lots à des personnes physiques en vue de la construction d’immeubles à usage d’habitation, après avoir réalisé des travaux de voieries et réseaux divers. Elle a soumis ces opérations, au titre des années 2007 et 2008, au régime de la taxe sur la valeur ajoutée (TVA) sur la marge alors prévu par les dispositions combinées du 6° de l’article 257 (N° Lexbase : L6267LUN) et de l’article 268 (N° Lexbase : L4910IQW) du Code général des impôts (CGI). Estimant que cette TVA avait été collectée en violation de la Directive 2006/112/CE, du Conseil du 28 novembre 2006, relative au système commun de TVA (N° Lexbase : L7664HTZ), elle s’est finalement ravisée. Elle en a sollicité la restitution auprès de l’administration fiscale par voie de réclamation sur le fondement de l’article L. 190 du Livre des procédures fiscales (N° Lexbase : L3311LCM), puis devant le juge de l’impôt.
Elle n’a pas connu plus de succès devant les juges du fond que devant l’administration. Mais par une décision du 28 décembre 2016 (CE 3° et 8° ch.-r., 28 décembre 2016, n° 385232, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A3671SYM, RJF, 3/17, n° 232, avec concl. E. Cortot-Boucher), vous avez annulé un premier arrêt de la cour administrative d'appel de Versailles en tant qu’il portait sur la restitution de la TVA correspondant aux opérations réalisées par cette société et vous avez renvoyé, dans cette mesure, l’affaire à la cour. Vous n’avez pas eu à connaître du bien-fondé du litige à cette occasion. L’erreur de droit censurée ne portait en effet que sur l’appréciation de la recevabilité de la demande de restitution de la société requérante qui se trouvait en situation de crédit intermittent. La société Icade Promotion Logement conteste aujourd’hui devant vous l’arrêt du 19 octobre 2017 par lequel cette même cour, statuant sur renvoi, a rejeté à nouveau son appel mais en se prononçant au fond, sans examiner la fin de non-recevoir opposée par le ministre.
2. La société requérante conteste cet arrêt tant au regard du droit interne que du droit de l’Union européenne. Nous nous concentrerons sur la question de la conformité du régime de taxation sur la marge à l’article 392 de la Directive TVA qui est au cœur de ce litige et soulève, à nos yeux, une difficulté sérieuse d’interprétation qui justifie que vous en saisissiez la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) sur le fondement des dispositions de l’article 267 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (TFUE).
Avant d’entrer plus avant dans le détail de l’argumentation du pourvoi, nous dirons un mot rapide du cadre juridique dans lequel s’inscrit cette question.
Ainsi que l’a jugé la Cour de justice dans un arrêt du 17 janvier 2013, (CJUE, 17 janvier 2013, aff. C-543/11, Woningstichting Maasriel N° Lexbase : A2947I3K, RJF, 4/13, n° 450 s’agissant d’un terrain non bâti livré après la démolition du bâtiment qui s’y trouvait et destiné à être bâti à la date de sa livraison), la livraison des terrains à bâtir est une opération qui doit, en principe, être soumise à la TVA. Cela résulte des dispositions combinées du b) du 1 de l’article 12 de la Directive TVA, qui inclut ces opérations dans le champ des opérations soumises à la TVA, et du k du 1 de son article 135, qui les exclut expressément de l’exonération prévue en faveur des « livraisons de biens immeubles non bâtis ».
Dans l’attente de l’introduction du régime définitif, les États membres ont toutefois été autorisés, à titre transitoire, à maintenir les exonérations prévues par leur législation, leur interdisant seulement d’en créer de nouvelles. Et vous savez que l’harmonisation complète des règles en la matière tardant à voir le jour, cette période transitoire n’a pas encore pris fin. En vertu de cette clause dite de gel, l’article 392 de la Directive TVA, qui reprend précisément les dispositions du f) du paragraphe 3 de l’article 28 de la sixième Directive [1], permet aux États membres de prévoir, par dérogation, « que, pour les livraisons de bâtiments et de terrains à bâtir achetés en vue de la revente par un assujetti qui n'a pas eu droit à déduction à l'occasion de l'acquisition, la base d'imposition est constituée par la différence entre le prix de vente et le prix d'achat ».
En droit interne, le régime applicable au litige résultait de la combinaison des articles 257 et 268 du Code général des impôts, dans leur rédaction antérieure à l’entrée en vigueur de la réforme opérée par la loi de finances rectificative pour 2010 [2]. Les opérations portant sur des immeubles étaient alors soumises à deux régimes distincts d’imposition à la TVA.
Les opérations « concourant à la production ou à la livraison d’immeubles » relevaient de la TVA dite immobilière dont le champ était défini au 7° de l’article 257. À l’époque du litige, ce régime de droit commun ne s’appliquait pas aux acquisitions de terrains réalisées par des particuliers en vue de la construction d'immeubles à un usage d'habitation. Ces dernières avaient en effet été exclues du champ d’application de la TVA immobilière par la loi de finances pour 1999 [3] afin de relancer le secteur de la construction.
Les opérations « dont les résultats doivent être compris dans les bases de l'impôt sur le revenu au titre des bénéfices industriels et commerciaux », autrement dit celles réalisées par des marchands de biens, visées au 6° de ce même article 257, relevaient pour leur part de la TVA dite sur la marge. Comme ce nom l’indique, la taxe était assise non sur l’intégralité du prix de cession de l’immeuble mais de la marge réalisée par le cédant conformément aux dispositions de l’article 268, dans sa rédaction alors applicable [4].
Ces dernières dispositions ne s’appliquaient que « sous réserve du 7° » et revêtaient donc un caractère subsidiaire, ainsi que vous l’avez jugé dans vos décisions du 16 décembre 1991, « Tricoire » (CE 7° et 8° ssr., 16 décembre 1991, n° 110623, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A9764AQP, RJF, 2/92, n° 198, concl. O. Fouquet p. 109) et du 21 décembre 2006, « Vielmon » (CE 3° et 8° ssr., 21 décembre 2006, n° 290092, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A1468DTK, RJF, 3/07, n° 268, concl. P. Collin, BDCF, 3/07, n° 26). Autrement dit, les ventes de terrains à bâtir étaient en principe soumises à la TVA dans les conditions fixées au 7° et ce n’est que si elles ne relevaient pas de ce régime que les dispositions du 6° pouvaient trouver à s’appliquer.
La position de la société requérante peut paraître de prime abord contre-intuitive. Elle conteste l’application du régime de la taxation sur la marge, pourtant plus favorable, pour revendiquer le bénéfice de la TVA immobilière. Mais ce paradoxe n’est qu’apparent : la société requérante, qui cède ses terrains à des particuliers en vue de la construction d'immeubles à un usage d'habitation, estime de ce fait être exclue du champ d’application de la TVA immobilière et échapper entièrement à l’imposition.
3. Si nous lisons correctement les écritures, la société requérante soulève une double critique pour démontrer que le régime de taxation sur la marge est incompatible avec l’article 392 de la Directive TVA.
En premier lieu, et c’est sa principale ligne de défense, elle estime que cet article n’autorise les États membres à soumettre à ce régime que les reventes de terrains à bâtir dont l’acquisition a été effectivement grevée de TVA, sans que l’acquéreur n’ait eu le droit d’en opérer la déduction. En revanche, et à l’inverse de ce qu’a jugé la cour, ce régime ne trouverait pas à s’appliquer en l’absence de tout paiement de taxe lors de l’achat des terrains à bâtir, comme ce fut le cas en l’espèce. Ce dernier point n’est pas complètement évident mais la cour le tient pour acquis et le ministre ne le conteste pas plus devant vous que devant les juges du fond.
La première question posée par le litige porte donc sur l’interprétation du membre de phrase de l’article 392 qui prévoit que l’assujetti « n’a pas eu droit à déduction à l’occasion de l’acquisition ». Elle porte sur le point de savoir s’il ne vise que l’hypothèse stricte où l’assujetti a été privé d’un droit à déduction lors de l’acquisition de l’immeuble ou si elle englobe, plus largement, l’ensemble des hypothèses dans lesquelles l’opération n’a pas pu ouvrir droit à déduction, y compris celles d’une opération qui n’a pas supporté de TVA, soit qu’elle en ait été exonérée, soit qu’elle ait été placée hors de son champ d’application.
Votre jurisprudence n’est pas totalement vierge sur ce point. Vous avez admis la conformité du régime dérogatoire de la TVA sur la marge prévu par le 6° de l’article 257 et l’article 268 du Code général des impôts avec la sixième Directive et la Directive TVA au moins à deux reprises, dans vos décisions du 30 septembre 1992, « Min. du budget c/ SARL Véfrance Foncier » (CE 8° et 9° ssr., 30 septembre 1992, n° 74640, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A7657ARZ, sur un autre point, RJF, 11/92, n° 1491 s’agissant d’un litige portant sur la détermination de la base d’imposition alors prévue à l’article 268) et du 27 mars 2015, « Société Compagnie immobilière d’aménagement (CIA) et Sté S2J » (CE 8° et 3° ssr., 27 mars 2015 n°s 372382 N° Lexbase : A6848NED et 374159 N° Lexbase : A6853NEK, inédits au recueil Lebon, RJF, 6/15, n° 477, concl. N. Escaut, BDCF, 6/15, n° 67 s’agissant des régimes alors prévus au 6° et 7° de l’article 257 [5]). Ces précédents, spécifiquement ces deux dernières décisions dont la portée très générale paraît dépasser le cadre du litige dont vous étiez saisis, peuvent légitimement faire hésiter à rouvrir un débat qui semble clôt.
C’est toutefois la première fois que vous êtes spécifiquement saisis de la question posée par le pourvoi et l’argumentation défendue devant vous mérite qu’on s’y arrête.
La société requérante se prévaut principalement de la version anglaise de l’article 392 de la Directive TVA, semblable à celle adoptée par dix autres pays [6], qui prévoit que le régime de la TVA sur la marge s’applique non, comme dans la version française ou les versions allemande, italienne et espagnole, lorsque l’assujetti-revendeur « n’a pas eu droit à déduction à l’occasion de l’acquisition », mais lorsque la TVA sur l’achat n’était pas déductible. Ces deux types de rédaction peuvent faire douter sur l’interprétation à donner de ces dispositions.
La société requérante n’ignore pas que ces divergences linguistiques ne justifient pas, à elles-seules, de saisir la Cour de justice d’une question préjudicielle. Selon une jurisprudence constante, il y a lieu, dans un tel cas, d’opter pour l’interprétation qui est la plus à même de sauvegarder l’effet utile de la disposition en cause et de se prononcer en fonction de l’économie générale et de la finalité de la règlementation dont elle constitue un élément. La nécessité d’une application et, dès lors, d’une interprétation uniformes d’un acte de l’Union exclut en effet que celui-ci soit considéré isolément dans l’une de ses versions, mais exige qu’il soit interprété en fonction tant de la volonté réelle de son auteur que du but poursuivi par ce dernier, à la lumière, notamment, des versions établies dans toutes les langues (voyez entre autres : CJCE, 9 mars 2000, aff. C-437/97, EKW et Wein & Co N° Lexbase : A1940AWR, RJF, 7-8/00, n° 1038, points 41 et 42 ; CJCE, 14 septembre 2000, aff. C-384/98, D. et W. N° Lexbase : A2011AIC, RJF, 1/01, n° 124, point 16 ; CJCE, 1er avril 2004, aff. C-1/02, Borgmann N° Lexbase : A6535DBN, point 25 ; CJCE, 15 mai 2014, aff. C-359/12, Timmel N° Lexbase : A1104MLH, points 62 et 63).
Si l’on suit cette démarche, le doute quant au bien-fondé de l’interprétation retenue par la cour paraît renforcé. Tout d’abord, il est à peine besoin de rappeler que l’article 392 présente un caractère tout à fait dérogatoire par rapport aux règles de droit commun et que les dérogations sont en principe d’interprétation stricte.
Ensuite et plus fondamentalement, il est permis de s’interroger sur l’objectif poursuivi par ces dispositions. Le pourvoi prend appui sur la jurisprudence de la Cour de justice relative au régime des biens d’occasion prévu aux articles 311 et suivants de la directive TVA (CJCE, 8 décembre 2005, aff. C-280/04, Jyske Finans A/S N° Lexbase : A8946DLW, RJF, 4/07, n° 523 ; CJUE, 3 mars 2011, aff. C-203/10, Direktsia « Obzhalvane i upravlenie na izpalnenieto » - Varna c/ Auto Nikolovi ODD N° Lexbase : A8046G3E, RJF, 5/11, n° 667). Il en déduit que la logique des cas de taxation à la TVA sur la marge est d’éviter une seconde imposition sur le prix total de vente lorsque la TVA n’a pas pu être déduite lors de l’acquisition et ainsi de limiter l’impact des rémanences de TVA. Ce régime serait ainsi justifié par la volonté de préserver la neutralité de la TVA. Cette interprétation est envisageable. Mais en l’absence de jurisprudence topique de la Cour de justice sur l’objectif poursuivi par l’article 392 ici en litige, il serait sans doute préférable de lui laisser le soin d’éclairer elle-même la portée de ces dispositions.
4. La société requérante soutient, en second lieu, que la cour a commis une erreur de droit en jugeant que l’article 392 de la Directive TVA n’a ni pour objet ni pour effet d’exclure du régime de la TVA sur la marge les achats de terrains nus suivis d’une revente en tant que terrains à bâtir. Elle soutenait à l’inverse devant les juges d’appel que cet article ne s’appliquait qu’à des reventes en l’état de terrains à bâtir et que tel n’était pas le cas en l’espèce puisqu’elle avait procédé à d’importants travaux de viabilisation entre leur acquisition et leur revente.
Cette critique nous semble sérieuse au vu de la lettre de l’article 392 qui ne vise que « les livraisons […] de terrains à bâtir achetés en vue de la revente », formulation qui semble réserver le régime dérogatoire de la taxation sur la marge aux reventes d’immeubles en l’état. Bien que vous n’ayez jamais interprété la portée de ces dispositions, votre jurisprudence peut paraître hésitante sur cette question.
Par votre décision du 13 mars 1996, « Min. c/ SCI « Le Mallory » (CE 8° et 9° ssr., 13 mars 1996, n° 112391, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A7974ANN, RJF, 5/96, n° 571, concl. J. Arrighi de Casanova, BDCF, 3/96, p. 20), vous avez opéré, contre la lettre du texte mais conformément à l’intention du législateur de 1966, un recentrage du champ d’application de la TVA sur la marge sur les marchands de biens stricto sensu. Si votre décision justifie cette solution au regard du seul droit interne, il n’est toutefois pas complètement exclu, à la lumière des conclusions du président Arrighi de Casanova sur cette affaire, que cette solution ait également été guidée par la préoccupation de faire une lecture du 6° de l’article 257 du Code général des impôts conforme aux anciennes dispositions du f du 3 de l’article 28 de la sixième Directive, aujourd’hui reprises à l’article 392, entendues dans une acception stricte.
Vous vous êtes toutefois éloignés de cette interprétation. Par vos décisions déjà mentionnées du 27 mars 2015, vous avez jugé que le 6° de l’article 257 s’applique non seulement aux marchands de biens mais également aux opérations réalisées par des lotisseurs. Et vous avez repris cette solution dans une décision de chambre jugeant seule du 10 mars 2017, « Sociétés Les terres à maisons Normandie et Les terres à maisons Ile-de-France » (CE 8° ch., 10 mars 2017, n° 392946, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A4836T3I, RJF, 7/17, n° 672, avec concl. B. Bohnert) dans une hypothèse qui paraît proche du cas d’espèce, s’agissant d’une activité d’aménageur-lotisseur. Mais la question de la conformité de ce régime à l’article 392 ne se posait pas en des termes aussi précis que dans le présent litige.
Si vous nous suivez dans la première partie de notre raisonnement, vous pourriez également interroger utilement la Cour de justice sur ce point.
5. Ajoutons avant de conclure que ces questions restent intéressantes dans le cadre juridique actuel.
Certes, la loi de finances rectificative pour 2010 a modifié le régime de la TVA applicable aux opérations immobilières afin de le simplifier et d’en assurer la conformité avec le droit de l'Union européenne. Le législateur a notamment objectivé la définition du « terrain à bâtir ». Cette qualification dépend, non plus de la manifestation par l’acquéreur de son engagement de construire sur la parcelle, mais de la situation du terrain au regard des règles d’urbanisme, c’est-à-dire de sa constructibilité au regard du plan local d’urbanisme [7]. Le régime applicable aux marchands de biens a par ailleurs été refondu afin de leur offrir la possibilité d’opter pour être soumis à la TVA [8]. L’application de la taxation sur la marge, régime désormais défini par le seul article 268 du Code général des impôts, a par conséquent été limitée à certaines opérations. Le législateur a en outre supprimé l'exonération de taxe dont bénéficiaient les opérations de cessions de terrains acquis par des particuliers en vue de la construction d'immeubles affectés à un usage d'habitation qui était dans le collimateur de la Commission européenne.
Toutefois, d’une part, l’article 268 prévoit toujours l’application du régime de TVA sur la marge pour les livraisons d’un terrain à bâtir « si l'acquisition par le cédant n'a pas ouvert droit à déduction de la taxe sur la valeur ajoutée », formulation directement empruntée à la version française l’article 392 de la Directive TVA et dont ces dispositions ont pour objet d’assurer la transposition, ainsi que vous l’avez relevé dans votre décision du 27 mars dernier, « Min c/ Société Promialp » (CE 8° et 3° ch.-r., 27 mars 2020, n° 428234, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A42573KU, RJF, 6/20, n° 524, avec concl. K. Ciavaldini). Soulignons encore que l’administration interprète ces dispositions comme comprenant l’hypothèse d’une acquisition non soumise à la TVA [9].
D’autre part, la notion de terrain à bâtir conserve, sous l’empire de ces nouvelles dispositions, une part d’ombre, comme en atteste votre décision « Min. c/ Société Promialp », par laquelle vous avez jugé que le régime de la TVA sur la marge ne s’appliquait pas à une cession de terrains à bâtir qui, lors de leur acquisition, avaient le caractère d'un terrain bâti et dont le bâtiment qui y était édifié a ensuite fait l'objet d'une démolition de la part de l'acheteur-revendeur.
La difficulté d’interprétation de l’article 392 de la Directive TVA nous paraissant sérieuse, nous vous proposons donc de saisir la Cour de justice d’une double question préjudicielle qui pourrait être formulée comme suit :
1) l’article 392 de la Directive TVA, qui est d’application stricte en tant que dérogation, doit-il être interprété en ce sens qu’il réserve l’application du régime de taxation sur la marge à des opérations de livraisons d’immeubles dont l’acquisition a été soumise à la TVA sans que l’assujetti qui les revend ait eu le droit d’opérer la déduction de cette taxe ou permet-il au contraire, comme sa version en langue française le suggère, d’appliquer ce régime à des opérations de livraisons d’immeubles dont l’acquisition n’a pas été soumise à cette taxe, soit parce que cette acquisition ne relève pas du champ d’application de celle-ci, soit parce que, tout en relevant de son champ, elle s’en trouve exonérée ?
2) ce même article doit-il être interprété en ce sens qu’il exclut l’application du régime de taxation sur la marge à des opérations de livraisons d’immeubles qualifiés, en droit interne, de terrains à bâtir lorsque ces immeubles ont, entre leur acquisition et leur revente, acquis cette qualification ou ont, à tout le moins, fait l’objet de modifications de leurs caractéristiques telles que leur division en lots ou la réalisation de travaux permettant leur desserte par divers réseaux (voirie, eau potable, électricité, gaz, assainissement, télécommunications) ?
Par ces moyens nous concluons au renvoi de ces deux questions à titre préjudiciel à la CJUE et à ce que, dans l’attente de sa décision, il soit sursis à statuer sur le pourvoi de la société Icade Promotion logement.
[1] Directive 77/388/CEE du Conseil du 17 mai 1977 en matière d'harmonisation des législations des États membres relatives aux taxes sur le chiffre d'affaires.
[2] Loi n° 2010-237 du 9 mars 2010, de finances rectificative pour 2010, art. 16 (N° Lexbase : L6232IGW).
[3] Loi n° 98-1266 du 30 décembre 1998, de finances pour 1999, art. 40 I 1 (N° Lexbase : L1137ATB).
[4] « […] la base d'imposition à la taxe sur la valeur ajoutée est constituée par la différence entre : / a. D'une part, le prix exprimé et les charges qui viennent s'y ajouter, ou la valeur vénale du bien si elle est supérieure au prix majoré des charges ; / b. D'autre part, […] les sommes que le cédant a versées, à quelque titre que ce soit, pour l'acquisition du bien ; […] ».
[5] Solution reprise par : CE 8ème ch. 10 mars 2017, n°s 392946, 392947, inédite au Recueil (N° Lexbase : A4836T3I), Société Les terres à maisons Normandie et Société Les terres à maisons Ile-de-France RJF, 7/17, n° 672, avec concl. B. Bohnert.
[6] Cf les versions bulgare, estonienne, croate, lettone, maltaise, polonaise, roumaine, slovène, finnoise, suédoise.
[7] Cf. art. 257 : « I. Les opérations concourant à la production ou à la livraison d'immeubles sont soumises à la taxe sur la valeur ajoutée dans les conditions qui suivent. […] 2. Sont considérés : / 1° Comme terrains à bâtir, les terrains sur lesquels des constructions peuvent être autorisées en application d'un plan local d'urbanisme, d'un autre document d'urbanisme en tenant lieu, d'une carte communale ou de l'article L. 111-1-2 [aujourd’hui L. 111-3] du Code de l'urbanisme » (1° du 2 du I de l’art. 257).
[8] Cf. 5° bis de l’art. 260.
[9] BOI-TVA-IMM-10-20-10, notamment n° 30 (N° Lexbase : X5340ALD).
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