Réf. : Cons. const., décision n° 2021-891 QPC du 19 mars 2021, Association Générations futures et autres (N° Lexbase : A59554L7)
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par Amandine Capitani, Avocat associé SCP Capitani & Moritz, docteur en droit
le 07 Avril 2021
Mots clés : environnement • participation du public • pesticides
Les modalités retenues par le législateur pour l'élaboration des chartes d'engagement départementales relatives à l'utilisation des produits phytopharmaceutiques sont contraires à l'article 7 de la Charte de l'environnement.
Par décision en date du 31 décembre 2021, le Conseil d’État a décidé de soumettre au Conseil constitutionnel une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) portant sur la constitutionnalité du III de l’article L. 253-8 du Code rural et de la pêche maritime (N° Lexbase : L1256LZK), dans sa rédaction issue de la loi du 30 octobre 2018 [1].
Cette disposition précise qu’ « à l'exclusion des produits de biocontrôle mentionnés au deuxième alinéa de l'article L. 253-6, des produits composés uniquement de substances de base ou de substances à faible risque au sens du Règlement (CE) n° 1107/2009 du Parlement européen et du Conseil du 21 octobre 2009 concernant la mise sur le marché des produits phytopharmaceutiques et abrogeant les Directives 79/117/ CEE et 91/414/ CEE du Conseil, l'utilisation des produits phytopharmaceutiques à proximité des zones attenantes aux bâtiments habités et aux parties non bâties à usage d'agrément contiguës à ces bâtiments est subordonnée à des mesures de protection des personnes habitant ces lieux. Ces mesures tiennent compte, notamment, des techniques et matériels d'application employés et sont adaptées au contexte topographique, pédoclimatique, environnemental et sanitaire. Les utilisateurs formalisent ces mesures dans une charte d'engagements à l'échelle départementale, après concertation avec les personnes, ou leurs représentants, habitant à proximité des zones susceptibles d'être traitées avec un produit phytopharmaceutique.
Lorsque de telles mesures ne sont pas mises en place, ou dans l'intérêt de la santé publique, l'autorité administrative peut, sans préjudice des missions confiées à l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail, restreindre ou interdire l'utilisation des produits phytopharmaceutiques à proximité des zones définies au premier alinéa du présent III.
Un décret précise les conditions d'application du présent III ».
Les associations requérantes ont soutenu que ces dispositions méconnaîtraient l’article 7 de la Charte de l’environnement (N° Lexbase : L8859IUN), qui prévoit que : « Toute personne a le droit, dans les conditions et les limites définies par la loi, d'accéder aux informations relatives à l'environnement détenues par les autorités publiques et de participer à l'élaboration des décisions publiques ayant une incidence sur l'environnement ».
Le Conseil d’État, estimant que les conditions à la transmission de la QPC étaient réunies, a saisi le Conseil constitutionnel de la question de savoir si le III de l’article L. 253-8 du Code rural et de la pêche maritime est conforme à l’article 7 de la Charte de l’environnement, faute de prévoir des modalités suffisantes de participation du public à l’élaboration des chartes d’engagement des utilisateurs. Plus précisément, le Conseil constitutionnel a estimé que la question de constitutionnalité portait sur les mots « après concertation avec les personnes, ou leurs représentants, habitant à proximité des zones susceptibles d'être traitées avec un produit phytopharmaceutique ».
Dans cette décision du 19 mars 2021 [2], la onzième censure sur le fondement de l’article 7 de la Charte de l’environnement depuis son entrée en vigueur le 3 mars 2005, le Conseil constitutionnel est venu apporter des précisions utiles sur la nature des chartes d’engagement départementales (I) et sur la notion de participation au sens de l’article 7 de la Charte de l’environnement (II). Sur ce dernier point, le Conseil constitutionnel est venu rappeler l’importance de la notion de « toute personne » énoncée à l’article 7 précité, et le degré de précision attendu dans le détail des procédures de participation du public en dehors de celles déjà codifiées.
I. Sur la nature de « décisions publiques ayant une incidence sur l’environnement » des chartes d’engagement départementales
L’article L. 253-8 du Code rural et de la pêche maritime impose aux utilisateurs de produits phytopharmaceutiques, c’est-à-dire une gamme de pesticides destinés à protéger les végétaux et les produits de culture [3], de formaliser dans une charte d’engagement les mesures de protection prises pour protéger les habitants des zones contiguës où ont lieu ces épandages. Elles doivent tenir compte « des techniques et matériels d'application employés » et doivent être « adaptées au contexte topographique, pédoclimatique, environnemental et sanitaire ». La Charte est élaborée à l’échelle départementale après concertation avec les personnes habitant à proximité ou leur représentant. À défaut ou en cas d’insuffisance, une interdiction d’utilisation peut être prononcée.
Le Conseil constitutionnel estime que ces chartes, qui font l’objet d’un contrôle et d’une approbation par l’autorité administrative, « doivent nécessairement faire l’objet d’une décision de l’autorité administrative pour produire des effets juridiques ». Il en découle qu’il s’agit d’une « décision publique » au sens de l’article 7 de la Charte de l’environnement.
Ces chartes régissant les conditions d’utilisation de produits phytopharmaceutiques, il considère qu’elles ont nécessairement des conséquences sur « la biodiversité et la santé humaine » et donc une « incidence directe et significative sur l’environnement ».
Ce n’est pas la première fois que le Conseil constitutionnel se réfère aux incidences sur la biodiversité pour considérer que la décision est susceptible d’avoir une incidence sur l’environnement. Ainsi, dans la décision n° 2014-396 QPC du 23 mai 2014 (N° Lexbase : A5119MMK), il avait retenu « que l'inscription sur l'une ou l'autre de ces listes a pour conséquence d'imposer des obligations particulières qui tendent à préserver la continuité écologique sur des cours d'eau à valeur écologique reconnue » (§ 5). Quelques années auparavant, il avait également retenu la notion de « patrimoine biologique » [4]. À cette occasion, il avait également fait référence à la santé humaine, qui était alors visée par la disposition examinée. Il en fut de même dans la décision n° 2011-183/184 QPC du 14 octobre 2011 (N° Lexbase : A7387HYA).
Dans le cadre de la présente décision, le Conseil constitutionnel fait explicitement référence à la santé, mais cette fois sans que les dispositions examinées n’en fassent mention. Une telle évolution était attendue eu égard au mouvement protecteur qui s’est amorcé en 2020 dans la décision n° 2019-823 QPC du 31 janvier 2020 (N° Lexbase : A85123CA), relative également aux produits phytopharmaceutiques [5]. En effet, dans le cadre de cette décision, le Conseil constitutionnel a déduit du préambule de la Charte de l’environnement un objectif de valeur constitutionnelle « de protection de l’environnement, patrimoine commun des êtres humains » [6], là où, jusqu’à présent, il évoquait un objectif d’intérêt général [7].
Il a, en outre, dans la suite de son raisonnement, adopté une formule nouvelle pour la protection de la santé [8], en faisant également référence à un objectif de valeur constitutionnelle basé sur le onzième alinéa du Préambule de la Constitution de 1946 (N° Lexbase : L6815BHU), alors que, depuis 1991 [9], il faisait majoritairement référence à un principe constitutionnel. Une telle évolution traduit, nous semble-t-il, une volonté de donner plus de latitude au législateur, qui sous réserve de la poursuite de ces objectifs de valeur constitutionnelle, pourra porter atteinte à d’autres exigences et/ou droits constitutionnels qui viendraient en conflit.
Ainsi, les chartes d’engagement départementales sont des décisions publiques ayant une incidence sur l’environnement et relèvent donc de l’article 7 de la Charte de l’environnement.
Cette décision vient compléter la liste relativement longue des décisions ayant été identifiées comme ayant une incidence sur l’environnement, telle que la celle autorisant l'exploitation d'une installation de production d'électricité [10] pour n'en citer qu’une récente.
II. Sur la procédure de participation du public au sens de l’article 7 de la Charte de l’environnement
Cette décision est particulièrement intéressante car elle vient préciser que si le législateur fait le choix de déroger aux procédures codifiées de participation prévues par le Code de l’environnement, en l’espèce son article L. 123-19-1 (N° Lexbase : L8061K9G), des précisions suffisantes doivent être apportées.
Ainsi, à partir du moment où le législateur opte pour une procédure particulière de participation du public, il ne peut se borner à définir son échelon territorial. Il doit préciser les conditions et limites d’exercice de ce droit à la participation, conformément à la lettre de l’article 7 de la Charte de l’environnement. Ce faisant, il s’agit d’un simple rappel d’une position de principe déjà énoncée dans le cadre des décisions QPC [11] mais également dans le cadre du contrôle de constitutionnalité a priori. Le Conseil constitutionnel indiquait ainsi dans la première décision rendue au visa de l’article 7 de la Charte de l’environnement, soit trois ans après son entrée en vigueur, « qu'il ressort de leurs termes mêmes qu'il n'appartient qu'au législateur de préciser “les conditions et les limites” dans lesquelles doit s'exercer le droit de toute personne à accéder aux informations relatives à l'environnement détenues par les autorités publiques ; que ne relèvent du pouvoir réglementaire que les mesures d'application des conditions et limites fixées par le législateur » [12]. En l’espèce, les modalités pratiques de la concertation figurent uniquement dans un décret [13] et un arrêté [14], méconnaissant ainsi la compétence du législateur.
Enfin, et c’est l’un des apports majeurs de cette décision, le Conseil constitutionnel juge que le fait que la concertation puisse se tenir avec les représentants des personnes résidant à proximité des zones d’épandage ne « satisfait pas les exigences d’une participation de “toute personne” visée par l’article 7 de la Charte de l’environnement. » En l’espèce, la formulation critiquée laisse un choix aux organisateurs de la concertation, à savoir consulter les personnes ou leurs représentants, ce qui implique la possibilité de ne pas consulter directement les riverains mais seulement leurs représentants, les privant ainsi des zones d’épandage du droit de participer.
Au regard du libellé de l’article 7 de la Charte de l’environnement et de la finalité de la procédure de participation, à savoir une participation effective du public [15], permettre une concertation impliquant les seuls représentants des personnes concernées est contraire aux exigences constitutionnelles.
Cette position traduit une volonté d’assurer une véritable effectivité au droit à la participation, recherche d’effectivité procédurale que l’on retrouve également, de plus en plus fréquemment, chez le juge administratif dans de nombreux domaines.
Cette déclaration d’inconstitutionnalité induit que les dispositions examinées ne sont plus en vigueur. Elle est applicable à toutes les décisions non jugées définitivement à la date du 19 mars 2021. Contrairement à certaines décisions rendues sur ce fondement [16], le Conseil constitutionnel n’a pas distingué différentes périodes. Toutefois, cette formule n’est pas sans poser de difficultés.
En effet, l’article L. 253-8 du Code rural et de la pêche maritime a fait l’objet de modifications législatives depuis l’entrée en vigueur de la loi de 2018 de sorte que, conformément à la position habituelle du Conseil constitutionnel, la déclaration d’inconstitutionnalité ne porte que sur la version de l’article en vigueur entre octobre 2018 et décembre 2020. L’article L. 253-8 du Code rural et de la pêche maritime post-modification législative de décembre 2020 [17] demeure donc dans l’ordonnancement juridique, alors même que le libellé du III du dit article est resté identique. Il conviendra néanmoins de ne pas l’appliquer en ce qu’il est contraire à la loi [18] et à la Constitution. La transmission d’une nouvelle question prioritaire de constitutionnalité sur cette disposition semble néanmoins peu probable eu égard à la nécessité pour la QPC de présenter un caractère « nouveau ».
Il appartient donc désormais au législateur de légiférer, de nouveau, dans ce domaine. Le fait que la France finalise actuellement son rapport d’application de la Convention d’Aarhus du 25 juin 1998, sur l’accès à l’information, la participation du public et l’accès à la justice en matière d’environnement, pourrait favoriser l’adoption rapide d’une procédure suffisamment détaillée et ouverte à toutes les personnes susceptibles d’être concernées.
[1] Loi n° 2018-938, du 30 octobre 2018, pour l'équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et alimentaire et une alimentation saine, durable et accessible à tous (N° Lexbase : L6488LMA).
[2] Cons. const., décision n° 2021-891 QPC, du 19 mars 2021, Association Générations futures et autres (N° Lexbase : A59554L7).
[3] Règlement (CE) n° 1107/2009 du Parlement européen et du Conseil, du 21 octobre 2009, concernant la mise sur le marché des produits phytopharmaceutiques, art. 2 (N° Lexbase : L9336IEI).
[4] Cons. const., décision n° 2012-269 QPC, du 27 juillet 2012 (N° Lexbase : A0585IR4).
[5] La décision portait sur la constitutionnalité du IV de l’article L. 253-8 du Code rural et de la pêche maritime.
[6] « Aux termes du préambule de la Charte de l'environnement : l'avenir et l'existence même de l'humanité sont indissociables de son milieu naturel … l'environnement est le patrimoine commun des êtres humains… la préservation de l'environnement doit être recherchée au même titre que les autres intérêts fondamentaux de la Nation … afin d'assurer un développement durable, les choix destinés à répondre aux besoins du présent ne doivent pas compromettre la capacité des générations futures et des autres peuples à satisfaire leurs propres besoins ». Il en découle que la protection de l'environnement, patrimoine commun des êtres humains, constitue un objectif de valeur constitutionnelle » (§ 4).
[7] Cons. const., décision n° 2019-808 QPC, du 11 octobre 2019 (N° Lexbase : A7486ZQC).
[8] « Aux termes du onzième alinéa du Préambule de la Constitution de 1946, la Nation “garantit à tous […] la protection de la santé” », Cons. const., décision n° 2019-823 QPC, préc., § 5.
[9] Cons. const., décision n° 90-283 DC du 8 janvier 1991 (N° Lexbase : A8239AC7).
[10] Cons. const., décision n° 2020-843 QPC, du 28 mai 2020 (N° Lexbase : A22923MT).
[11] Voir par exemple : Cons. const., décision n° 2020-843 QPC, du 28 mai 2020, préc. ; Cons. const., décision n° 2014-396 QPC, du 23 mai 2014 (N° Lexbase : A5119MMK).
[12] Cons. const., décision n° 2008-564 DC, du 19 juin 2008 (N° Lexbase : A2111D93), § 48.
[13] Décret n° 2019-1500, du 27 décembre 2019, relatif aux mesures de protection des personnes lors de l'utilisation de produits phytopharmaceutiques à proximité des zones d'habitation (N° Lexbase : L2128LUD).
[14] Arrêté du 27 décembre 2019, relatif aux mesures de protection des personnes lors de l'utilisation de produits phytopharmaceutiques et modifiant l'arrêté du 4 mai 2017, relatif à la mise sur le marché et à l'utilisation des produits phytopharmaceutiques et de leurs adjuvants visés à l'article L. 253-1 du Code rural et de la pêche maritime (N° Lexbase : L2210LUE).
[15] Le 3 de l’article 6 relatif à la participation du public aux décisions relatives à des activités particulières de la Convention d’Aarhus précise que : « Pour les différentes étapes de la procédure de participation du public, il est prévu des délais raisonnables laissant assez de temps pour informer le public conformément au paragraphe 2 ci-dessus et pour que le public se prépare et participe effectivement aux travaux tout au long du processus décisionnel en matière d'environnement ».
[16] Voir par exemple : Cons. const., décisions n° 2014-396 QPC, du 23 mai 2014 et n° 2016-595 QPC, du 18 novembre 2016 (N° Lexbase : A3267SHH).
[17] Loi n° 2020-1578, du 14 décembre 2020, relative aux conditions de mise sur le marché de certains produits phytopharmaceutiques en cas de danger sanitaire pour les betteraves sucrières (N° Lexbase : L1025LZY).
[18] C. env, art. L. 110-1, II, 5° (N° Lexbase : L0336L3T).
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