Réf. : Cass. crim., 2 mars 2021, n° 19-80.991, F-P+B+I (N° Lexbase : A49954IT)
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N6670BYP
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par Laïla Bedja
le 24 Mars 2021
► La déclaration préalable à l’embauche vise, au moins en partie, à garantir l’efficacité des contrôles opérés par les autorités nationales compétentes afin d’assurer le respect des conditions d’emploi et de travail imposées par le droit du travail ; dès lors, il y a lieu d’en conclure que l’existence de certificats E101 et A1 ne fait pas obstacle à une condamnation du chef de travail dissimulé pour omission de procéder à l’obligation de procéder à la DPAE ;
De même, les délits de travail dissimulé tant par dissimulation de salariés que par dissimulation d’activité peuvent être établis, nonobstant la production de certificats E101 ou A1, lorsque les obligations déclaratives qui ont été omises ne sont pas seulement celles afférentes aux organismes de protection sociale (C. trav., art. L. 8221-3, 2° N° Lexbase : L0323LMW) ou aux salaires ou aux cotisations sociales (C. trav., art. L. 8221-5, 3° N° Lexbase : L7404K94) ; il en est ainsi, par exemple, lorsqu’a été omise l’immatriculation au registre du commerce et des sociétés, dans le cas de la dissimulation d’activité, ou lorsqu’il n’a pas été procédé à la remise de bulletins de paie, dans le cas de la dissimulation de salariés (premier moyen) ;
Une société étrangère disposant au domicile français de son dirigeant, pour les besoins de son activité commerciale, d’une représentation permanente, laquelle vaut ouverture d’un premier établissement sur le territoire national, doit s’immatriculer au registre du commerce et des sociétés (RCS) et il n’en va différemment que lorsque la seule activité lucrative de la société est exercée non pas en France mais à l’étranger, le fait d’œuvrer de manière temporaire en France pour le compte d’une société étrangère dans le seul but de poursuivre l’objet social ne requérant pas une telle immatriculation (deuxième moyen) ;
Enfin, l’action civile n’appartient qu’à ceux qui ont personnellement souffert du dommage directement causé par l’infraction ; l’URSSAF ne saurait prétendre avoir subi un préjudice lorsque, comme en l’espèce, la validité du certificat ne peut être contestée, faute de retrait dudit certificat par l’organisme qui l’a émis, ou faute d’établissement de la preuve d’une fraude conformément à la doctrine de la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE, 6 février 2018, aff. C-359/16, Omer Altun N° Lexbase : A6101XCX), et rappelée par la Chambre criminelle par plusieurs arrêts du 18 septembre 2018 (Cass. crim., 18 septembre 2018, no 13-88.631, FS-P+B N° Lexbase : A6578X7R, notamment), et qu’en conséquence les salariés concernés ne peuvent qu’être regardés comme régulièrement affiliés au régime de sécurité sociale de l’Etat ayant émis le certificat (moyen relevé d’office ; cassation).
Les faits et procédure. En 2011, le procureur de la République à Saint-Malo a diligenté une enquête préliminaire sur des faits d’exercice illégal en France d’une activité d’entreprise de travail temporaire à l’encontre d’une société, de nationalité slovaque. Au terme de l’enquête, Mme X, gérante de la société, et son époux M. X, ont été poursuivis devant le tribunal correctionnel des chefs de travail dissimulé, prêt illicite de main d’oeuvre, faux et usage et abus de biens sociaux, outre un délit de marchandage reproché uniquement à M. X. En 2013, le tribunal a annulé les citations.
Le ministère public et le mandataire judiciaire de la société, constitué partie civile, ont relevé appel de la décision.
À nouveau saisi contre la gérante, le tribunal correctionnel a déclaré cette dernière coupable d’abus de biens sociaux, de faux et usage et de travail dissimulé et l’a relaxée du chef de prêt de main d’œuvre illicite. Un nouvel appel a été formé par le ministère public, la prévenue et la société. La cour d’appel de Rennes a retenu la culpabilité de la gérante du chef de travail dissimulé par dissimulation d’activité en qualité d’auteur et de l’époux pour les mêmes chefs, en qualité de complice.
Sur la portée des certificats E101 / A1
Sur ce moyen, les prévenus reprochaient à la cour d’appel de ne pas avoir pris en compte la fourniture des certificats E 101 et donc les avoir déclarés, à tort, coupable de de travail dissimulé par dissimulation d’activité, par dissimulation de salarié pour défaut de remise de déclaration préalable à l’embauche et pour minoration du nombre d’heure de travail.
Répondant à une question préjudicielle posée par la Chambre criminelle (Cass. crim., 8 janvier 2019, no 17-82.553, FS-D N° Lexbase : A9698YSY), la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE, 14 mai 2020, aff. C-17/19, Bouygues travaux publics N° Lexbase : A44833LM) a énoncé que les formulaires de détachement, dits certificats E 101 et A1, s’imposent aux juridictions de l’État sur le territoire duquel les travailleurs exercent leurs activités uniquement en matière de sécurité sociale. S’agissant de l’analyse du droit national et en particulier de la portée de la déclaration préalable à l’embauche (DPAE), elle a précisé qu’il incombe à la juridiction de renvoi, et donc en l’espèce à la chambre criminelle, de déterminer la portée de cette obligation déclarative.
Rejet. Énonçant la solution précitée, la Haute juridiction rejette le moyen. Pour la Cour de cassation, la lutte contre le travail clandestin recouvre plusieurs finalités qui ne la limitent pas au financement des différentes branches de la sécurité sociale, puisqu’elle permet en outre de faciliter la lutte contre la fraude fiscale, une société qui procède à une DPAE étant tenue de s’identifier, ainsi que d’assurer une concurrence non faussée entre les entreprises. Cette DPAE permet de présumer l’existence d’un contrat de travail (C. trav., art. L. 1221-10 N° Lexbase : L0788H93), à l’employeur de demander l’examen médical d’embauche (C. trav., art. R. 4624-10 N° Lexbase : L2278LCD et -11 N° Lexbase : L2277LCC). Il résulte de ces considérations que la DPAE vise, au moins en partie, à garantir l’efficacité des contrôles opérés par les autorités nationales compétentes afin d’assurer le respect des conditions d’emploi et de travail imposées par le droit du travail.
Ainsi, en l’espèce, pour retenir la culpabilité de Mme et M. X, la cour d’appel a pu relever, notamment, que la société n’a effectué aucune déclaration à l’URSSAF du Bas-Rhin et n’a versé aucune cotisation pour de soi-disant artisans, en possession du formulaire A1 garantissant leur protection sociale en Slovaquie, avec lesquels les entreprises utilisatrices n’ont jamais contracté directement mais uniquement par l’intermédiaire de ladite société par le biais de contrats de mise à disposition identiques à ceux établis pour les salariés, écarte l’argument tiré de ce que ces employés, présentés comme des artisans, se sont vu décerner de tels certificats. Aussi, si les prévenus ont été reconnus coupables au titre de l’omission d’obligations déclaratives ayant pour unique objet d’assurer l’affiliation des travailleurs concernés à l’une ou à l’autre branche du régime de Sécurité sociale, ils l’ont été également au titre d’un défaut d’inscription au registre du commerce et des sociétés et d’un défaut de DPAE et la production de certificats E101 ou A1 pour certains ou tous les salariés concernés n’était pas de nature à interdire à la juridiction de déclarer établis ces derniers faits, qui à eux seuls suffisent à fonder les condamnations prononcées du chef de travail dissimulé, délit défini de façon unitaire par l’article L. 8221-1, 1°, du Code du travail (N° Lexbase : L3589H9S).
Lire le commentaire de Hélène Nasom-Tissandier, Des certificats E101/A1 et E106/S1 réguliers ne font pas obstacle à des condamnations pour travail dissimulé, in Lexbase Social, février 2021, n° 854 (N° Lexbase : N6427BYP). |
Sur la reconnaissance du travail dissimulé par dissimulation d’activité par défaut de déclaration auprès des organismes fiscaux et de protection sociale
Dans ce deuxième moyen, la prévenue, pour contester sa condamnation, avançait l’immatriculation de sa société en Slovaquie.
Rejet. Énonçant la solution précitée (seconde), la Haute juridiction rejette le moyen. Les juges du fond ont pu relever que si les prévenus considèrent que la société, étant imposée en Slovaquie, ne peut l’être en France et ne relève pas des organismes fiscaux français, les éléments du dossier ont permis d’établir que la société avait une activité habituelle, stable et continue en France, tant par l’importance en proportion du chiffre d’affaires qui y est réalisé, que par la réalité des moyens logistiques qui y sont basés et des activités de prospection de clientèle ou de recherche de salariés menées par M. X depuis le territoire français qui constituent à elles seules un motif suffisant pour rendre nécessaire l’ouverture d’un établissement en France et le déclarer.
Sur la recevabilité de constitution de partie civile de l’URSSAF
Cassation. Rappelant les dispositions de l’article 2 du Code de procédure pénale (N° Lexbase : L9908IQZ) et la doctrine de la CJUE, la Haute juridiction, ayant relevé d’office le moyen, casse et annule sans renvoi, le jugement ayant déclaré recevable l’URSSAF à se constituer partie civile et condamnant les prévenus au versement de dommages et intérêts.
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