Lexbase Fiscal n°857 du 11 mars 2021 : Taxe sur la valeur ajoutée (TVA)

[Jurisprudence] À propos des notions de « terrain à bâtir » et de « fondations »

Réf. : CAA de Nantes, 28 janvier 2021, n° 19NT01800 (N° Lexbase : A17864EU)

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N6700BYS

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par Franck Laffaille, Professeur de droit public, Faculté de droit (CERAP) - Université de Paris XIII (Sorbonne/Paris/Cité), Directeur scientifique de Lexbase Hebdo - édition fiscale

le 10 Mars 2021


Mots-clés : TVA • terrain à bâtir • parcelles • TVA à la marge

La cour administrative d’appel de Nantes a jugé, dans un arrêt du 28 janvier 2021 que la  circonstance que les parcelles cédées ont fait l’objet d’aménagements de viabilisation, qui ont été utilisées lorsqu’elles servaient de terrains de camping ou de caravaning n’a pas pour effet de leur donner un caractère bâti.


 

Une SNC – dont l’activité consiste en la gestion de campings et en la vente de mobile-homes et d’habitations légères de loisirs – opère cession de lots numérotés dans chacune des 10 parcelles composant l’un de ses campings. La finalité de l’opération est de poser des habitations légères de loisirs à titre de résidence secondaire. L’administration impose la vente des parcelles selon le régime de la marge (CGI, art. 268 N° Lexbase : L4910IQW) ; selon elle, les parcelles possèdent la qualité de terrains à bâtir au sens de l’article 257 (1° du 2 du I) du CGI (N° Lexbase : L6267LUN). Saisi d’une demande aux fins de prononcer la décharge – en droits et pénalités – des rappels de TVA mis à la charge de la SNC, le tribunal administratif de Caen déboute la requérante. Saisie, la cour administrative d’appel de Nantes confirme le jugement.

Les griefs de la SNC sont de diverses natures.

  • tout d’abord, elle soutient que les propositions de rectification sont insuffisamment motivées ; elles ne font pas état d’une vérification de la qualification des terrains à l’aune de la « loi littoral » et du plan de prévention des risques territoriaux. Se trouveraient ainsi violées les dispositions de l’article L. 57 du Livre des procédures fiscales (N° Lexbase : L0638IH4),
  • secondement, l’administration aurait méconnu la définition « objective » du terrain à bâtir qui repose sur un critère de constructibilité effective (instruction BOI-TVA-IMM-10-10-10-20 n° 20 N° Lexbase : X8483ALR),
  • troisièmement, l’administration ne saurait nier le fait que les parcelles sont situées dans une zone d’urbanisation diffuse : proches du rivage de la Manche, elles sont entourées de terrains de camping, d’une zone naturelle et d’une zone constructible,
  • quatrièmement, il ne saurait être contesté que les parcelles ne méritent pas la qualification de terrain à bâtir au regard des règles d’urbanisme,
  • cinquièmement, le terrain en question n’a pas été transformé en parc résidentiel de loisirs ; aucune démarche n’a d’ailleurs été menée en vue d’une construction neuve,
  • sixièmement, exploitation commerciale des parcelles il y a eu, avant même leur cession dans le cadre d’une location qualifiée de commerciale au regard de la TVA (location de terrain),
  • septièmement, des aménagements de viabilisation ayant été réalisés s’agissant des parcelles cédées en lots, elles possèdent un caractère bâti,
  • huitièmement : dans la mesure où les cessions des parcelles incluent aussi une quote-part de bâtiments communs à la résidence, elles portent sur des terrains bâtis depuis plus de cinq ans.

La CAA de Nantes n’est pas convaincue par les arguments développés à l’appui des prétentions de la SNC.

S’agissant tout d’abord de la régularité de la procédure d’imposition, le juge estime que l’administration n’a pas méconnu les dispositions de l’article L. 57 du LPF (« L'administration adresse au contribuable une proposition de rectification qui doit être motivée de manière à lui permettre de formuler ses observations ou de faire connaître son acceptation [...] »). Est opérée une lecture formaliste de la disposition invoquée :  une proposition de rectification est régulière dès lors que l’impôt visé est désigné, que sont mentionnées l’année d’imposition et la base d’imposition, que sont énoncés les motifs justifiant les rectifications envisagées. De telles exigences s’imposent pour que le contribuable soit à même de formuler des observations en soutien de sa cause. Mais – estime le juge – la régularité de la procédure d’imposition « ne dépend pas du bien-fondé de ces motifs » ; tout comme elle ne dépend pas « des précisions apportées par administration sur l’origine des documents » par elle utilisés pour opérer les redressements. Dans le cas présent, les propositions de rectification sont réputées suffisamment motivées : il est indiqué qu’elles portent sur la TVA, les périodes concernées et les bases d’imposition sont mentionnées, les motifs de rappel de la taxe (relatifs à l’existence de terrains à bâtir) sont précisés.

Quid du bien-fondé de l’imposition ?

Le juge opère lecture des dispositions législatives visées. En vertu de l’article 257 du CGI, sont des terrains à bâtir « les terrains sur lesquels des constructions peuvent être autorisées en application d'un plan local d'urbanisme, d'un autre document d'urbanisme en tenant lieu, d'une carte communale ou de l'article L. 111-1-2 du Code de l'urbanisme ». En vertu de l’article 268 du CGI relatif à la livraison d'un terrain à bâtir, la base d'imposition est constituée (si l'acquisition par le cédant n'a pas ouvert droit à déduction de la TVA) « par la différence entre / 1° D'une part, le prix exprimé et les charges qui s'y ajoutent ; / 2° D'autre part, selon le cas : / a) soit les sommes que le cédant a versées, à quelque titre que ce soit, pour l'acquisition du terrain ou de l'immeuble ». Selon l’article 261 du CGI, sont exonérées de la TVA « les livraisons de terrains qui ne sont pas des terrains à bâtir au sens du 1° du 2 du I de l'article 257 ».

Reste maintenant à cogiter sur la nature et la spécificité des habitations légères de loisirs au centre du contentieux. Ces habitations – posées sur les lots de parcelles vendus par la SNC – sont des « maisonnettes préfabriquées », démontables ou transportables au sens du code de l’urbanisme. Cette simple constatation semble étayer la thèse de la SNC. Cependant, précise le juge, de telles habitations « constituent des constructions posées sur des murets faits de parpaings scellés en béton et fixés au sol par des fondations ». De cela, il convient de tirer la conclusion suivante : elles n’ont pas vocation – dans le cadre d’une « utilisation normale et courante » - à être déplacées. Il s’agit bien de constructions au sens de l’article 257 du CGI (1° du 2 du I). Le juge préfère ainsi retenir comme critère pertinent non pas celui de la nature intrinsèque des constructions – des préfabriqués démontables ou transportables – mais celui de la non mobilité au regard d’une utilisation dite « normale et courante ». Les terrains sont réputés « à bâtir » dans la mesure où ils posés sur des murets faits de parpaings scellés en béton et fixés au sol par des fondations. Reste qu’ils peuvent aisément être démontés et transportés… Reste que la notion d’« utilisation normale et courante » mériterait quelque précision substantielle pour éviter de sombrer dans une généricité par trop commode…

La nature des constructions n’est pas la seule donnée expliquant pourquoi la CAA de Nantes aligne sa position sur celle de l’administration. Il est encore fait référence au plan d’occupation des sols de la commune sur laquelle se trouvent les parcelles : le POS a autorisé les aires naturelles de camping, les terrains de caravanning et les parcs résidentiels de loisirs. Cette autorisation porte sur les zones constructibles et classées en secteur UCI, secteur à l’intérieur duquel sont situées les parcelles. Un tel classement des parcelles conduit le juge – en vertu de ce que l’on pourrait dénommer principe d’attractivité fiscale – à les qualifier de terrains à bâtir au sens de l’article 257 du CGI. Que les parcelles aient fait l’objet d’aménagements de viabilisation – utilisés alors qu’elles étaient faisaient office de terrains de camping ou de caravanning – ne change rien à la donne. Cela ne permet pas de leur donner la qualité de terrain bâti.

La SNC soutient que les parcelles doivent être qualifiées de terrains bâtis pour une autre raison : les cessions incluent une quote-part des bâtiments communs à la résidence et portent sur des terrains bâtis depuis plus de cinq ans. La CAA de Nantes n’estime pas pertinente une telle argumentation. Scrutant la teneur des accords conclus entre les parties, elle constate que l’unique acte de cession comprend un prix global de vente. Cela emporte la conséquence suivante : la SNC n’a pas vendu à titre principal des parcelles comportant une construction achevée depuis plus de cinq ans.

Enfin, la SNC ne peut se prévaloir à bon droit – en vertu de l’article L. 80 A du LPF (N° Lexbase : L6958LLB)[1] – du paragraphe 20 de l’instruction BOI-TVA-IMM-10-10-10-20 (12 septembre 2012). Selon le §20 de ladite instruction, « le législateur a retenu une définition de nature administrative, autonome des définitions fiscales connues par ailleurs qui reposent sur un critère de constructibilité effective. En l'espèce, aux termes mêmes du texte, la qualification de terrain à bâtir sera acquise dès lors que « des constructions peuvent être autorisées en application des documents (d'urbanisme) », indépendamment de la question de savoir si la réalisation concrète d'une construction se trouve en outre subordonnée à la réalisation d'autres conditions tenant, par exemple, à des exigences de surface, de densité ou de consistance, ou encore au respect de servitudes du fait de tiers.

Il s'agit donc des terrains pour lesquels, au moment de leur livraison, la documentation publique opposable ne fait pas obstacle à construire, quelle que soit la densité de construction autorisée et sans qu'il soit nécessaire d'apporter préalablement une modification aux documents en cause ». Ce paragraphe 20 ne peut être utilisé avec profit par la société requérante : la notion de livraison de terrain à bâtir renvoie ici à un « terrain qui ne comporte pas d’ores et déjà des « bâtiments », au sens de « construction incorporée au sol ». Ce faisant, il n’existe aucun hiatus entre cette interprétation de la loi fiscale et l’interprétation au cœur du présent litige.

La CAA de Nantes rejette la requête de la SNC et confirme le jugement du TA de Caen.

 

[1] « Il ne sera procédé à aucun rehaussement d'impositions antérieures si la cause du rehaussement poursuivi par l'administration est un différend sur l'interprétation par le redevable de bonne foi du texte fiscal et s'il est démontré que l'interprétation sur laquelle est fondée la première décision a été, à l'époque, formellement admise par l'administration.

Il en est de même lorsque, dans le cadre d'un examen ou d'une vérification de comptabilité ou d'un examen contradictoire de la situation fiscale personnelle, et dès lors qu'elle a pu se prononcer en toute connaissance de cause, l'administration a pris position sur les points du contrôle, y compris tacitement par une absence de rectification.

Lorsque le redevable a appliqué un texte fiscal selon l'interprétation que l'administration avait fait connaître par ses instructions ou circulaires publiées et qu'elle n'avait pas rapportée à la date des opérations en cause, elle ne peut poursuivre aucun rehaussement en soutenant une interprétation différente. Sont également opposables à l'administration, dans les mêmes conditions, les instructions ou circulaires publiées relatives au recouvrement de l'impôt et aux pénalités fiscales ».

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