Réf. : CE 3° 8° 9° et 10° s-s-r., 9 mai 2012, n° 342221, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A0104ILG)
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par Thibaut Massart, Professeur à l'Université Paris-Dauphine, Directeur du Master Fiscalité de l'entreprise
le 03 Décembre 2012
Fortes de cette nouvelle orientation, des sociétés mères non résidentes qui détenaient pourtant des participations inférieures à 5 % du capital d'une filiale française avaient demandé à l'administration qu'elle leur restitue la retenue à la source prélevée sur les dividendes perçus en tant qu'actionnaires de sociétés françaises (CAA Paris, 2ème ch., 21 mars 2012, n° 10PA04218, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A6677II7, Dr. fisc., 2012, n° 18, comm. 287, note Y. Egloff ; CAA Paris,2ème ch., 21 mars 2012, n° 10PA05940 N° Lexbase : A6737IID et n° 10PA05941 N° Lexbase : A6738IIE, inédits au recueil Lebon ; CAA Paris, 2ème ch., 21 mars 2012, n° 10PA05943, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A6740IIH, Dr. fisc., 2012, n° 18, comm. 287, note Y. Egloff). Si la cour administrative d'appel de Paris avait rejeté leurs requêtes, la doctrine attendait cependant de connaître la position du Conseil d'Etat.
En optant pour le contentieux de l'annulation, une société étrangère fournit l'occasion au Haut conseil de répondre rapidement.
Dans cette affaire, une société holding luxembourgeoise détenait une participation de 4 % dans le capital de la société Total, société établie en France. En 2008, Total a distribué à la société holding des dividendes et des acomptes sur dividendes d'un montant brut de 107 millions d'euros environ. Cette distribution a donné lieu à l'application de la retenue à la source prévue à l'article 119 bis du CGI pour les dividendes versés par des sociétés établies en France à des sociétés actionnaires établies à l'étranger. Le taux de cette retenue à la source, fixé à l'article 187 (N° Lexbase : L5693IRB), est en principe de 25 %. Toutefois, les articles 8.2 a) et 19.3 a) de la Convention fiscale franco-luxembourgeoise du 1er avril 1958 (N° Lexbase : L6716BH9) stipulent que ce taux est limité à 5 % si l'actionnaire détient au moins 25 % du capital de la société distributrice, et 15 % dans les autres cas. La retenue a donc été appliquée au taux de 15 %, pour un montant de 16 millions d'euros environ.
Malheureusement pour la holding, cette retenue ne pouvait être imputée sur un impôt dans son Etat de résidence, dans la mesure où elle était en situation déficitaire. La société luxembourgeoise introduit alors une réclamation contentieuse devant l'administration française visant à en obtenir le remboursement. Selon elle, si sa participation dans Total, inférieure à 5 %, ne lui permettait pas de bénéficier du régime mère-fille communautaire issu des Directives 90/435/CEE du 23 juillet 1990 (N° Lexbase : L7669AUL) et 2003/123/CE du 22 décembre 2003 (N° Lexbase : L1808DNB), transposées à l'article 119 ter du CGI (N° Lexbase : L3840IAH), l'imposition n'en était pas moins contraire au droit communautaire, notamment au principe de libre circulation des capitaux, eu égard, notamment, à l'impossibilité d'imputer dans son Etat de résidence l'imposition subie en France. A la suite du rejet de cette demande, la société saisit le tribunal administratif de Montreuil, devant lequel l'affaire est toujours pendante. En parallèle, la holding entama un contentieux de l'annulation qui donna lieu à la présente décision. Plus précisément, estimant que la position de rejet de l'administration était fondée sur une interprétation du 2 de l'article 119 bis du CGI, telle qu'elle a été exprimée dans les paragraphes 1 à 5 de la sous-section 4 relative aux conditions d'exigibilité de la retenue à la source de la documentation administrative référencée 4 J-1334 à jour au 1er novembre 1995 et dans l'instruction fiscale 4 C-7-07 du 10 mai 2007, précitée, la société luxembourgeoise a saisi le Conseil d'Etat de deux requêtes tendant, dans la mesure de ses conclusions, à l'annulation pour excès de pouvoir de ces instructions. Par ces deux requêtes, qui furent jointes, la société demanda, en réalité, par les mêmes moyens, au Conseil d'Etat de constater l'incompatibilité avec le droit de l'Union européenne des dispositions du 2 de l'article 119 bis du CGI.
Même si la société holding n'obtint pas satisfaction, la stratégie judiciaire déployée par cette dernière était, a priori, habile. En demandant l'annulation à la fois de la documentation fiscale qui rappelait le régime de droit commun de la retenue à la source et de l'instruction qui mentionnait le régime dérogatoire pour les sociétés mères non résidentes, la société luxembourgeoise multipliait les chances d'obtenir satisfaction et obligeait le Conseil d'Etat à répondre différemment aux deux demandes.
I - La demande d'annulation du paragraphe 5 de l'instruction du 10 mai 2007
Le contentieux de l'annulation s'est beaucoup développé, en raison de la lenteur du contentieux d'assiette. Le recours pour excès de pouvoir est plus rapide et plus efficace puisqu'il s'agit de s'attaquer directement à l'acte qui fonde l'imposition ou la rectification. L'intérêt du recours pour excès de pouvoir en matière fiscale a été fortement accru par des avancées jurisprudentielles récentes qui ont sensiblement étendu le domaine de cette action. Malheureusement, le Conseil d'Etat rappelle, par la présente décision, que ce recours nécessite de justifier d'un intérêt à agir.
A - L'extension du domaine du recours pour excès de pouvoir
En principe, le recours pour excès de pouvoir n'est pas recevable contre tout acte : seuls sont recevables les recours contre les décrets et les décisions des autorités administratives françaises, dès lors qu'elles ont un caractère réglementaire. En conséquence, la doctrine administrative échappait, en général, à la censure du juge de l'excès de pouvoir, dès lors que les circulaires, les instructions ou les notes de service servaient essentiellement à l'administration, dans l'exercice de son pouvoir hiérarchique, à préciser l'interprétation qu'il convenait de donner à des dispositions de la législation et de la réglementation fiscales.
Seules certaines instructions ou circulaires qui ajoutaient à la loi et, par suite, présentaient un caractère réglementaire, pouvaient être regardées comme illégales, dans la mesure où le ministre ne dispose normalement d'aucun pouvoir réglementaire en matière fiscale. Cette distinction entre les circulaires interprétatives et les circulaires réglementaires avait été consacrée par l'arrêt d'Assemblée du 29 janvier 1954 (CE Ass., 29 janvier 1954, n° 7134 N° Lexbase : A1297AWX, Rec. CE, p. 64, concl. B. Tricot ; RPDA, 1954, p. 50 et 56).
Mais une décision du 18 décembre 2002, relevant du contentieux administratif général (CE Section, 18 décembre 2002, n° 233618, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A9733A7M, Procédures, juin 2003, n° 154, note S. Deygas ; RFD adm., 2003, p. 280, concl. Mme P. Fombeur ; AJDA, 2003, p. 487, chron. F. Dommat et D. Casas), a mis à mal cette analyse, en considérant qu'un recours pour excès de pouvoir peut être formé à l'encontre d'une circulaire ou d'une instruction, dès lors que cette dernière contient des "dispositions impératives à caractère général". Est abandonnée la distinction traditionnelle entre circulaires réglementaires et non réglementaires, qui est remplacée par une distinction entre circulaires impératives et non impératives. Mais qu'est-ce qu'une circulaire impérative ? La réponse est délicate, car impérativité et normativité sont deux notions distinctes (M. Collet, La recevabilité du recours en annulation contre les instructions fiscales, Dr. fisc., 2005, n° 25, p. 23). Il semble qu'une circulaire peut être considérée comme impérative lorsqu'elle dicte à l'administration son comportement, c'est-à-dire lorsqu'elle comporte une forme "d'imperium" (en ce sens J. Turot, Annulation, où est donc ta victoire ? - Réflexions sur la portée de l'annulation d'une instruction fiscale, Dr. fisc., 2012, n° 11, p. 188). En conséquence, le Conseil d'Etat a admis qu'une instruction fiscale, même si elle se borne à reproduire mot pour mot les termes de la loi, est susceptible de faire l'objet d'un recours pour excès de pouvoir, dès lors qu'elle revêt un caractère impératif et général (CE 9° et 10° s-s-r., 6 mars 2006, n° 262982, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A4849DNW : "l'interprétation que par voie, notamment, de circulaires ou d'instructions l'autorité administrative donne des lois et règlements qu'elle a pour mission de mettre en oeuvre n'est pas susceptible d'être déférée au juge de l'excès de pouvoir lorsque, étant dénuée de caractère impératif, elle ne saurait, quel qu'en soit le bien-fondé, faire grief ; qu'en revanche, les dispositions impératives à caractère général d'une circulaire ou d'une instruction doivent être regardées comme faisant grief, alors même qu'elles se borneraient à réitérer une règle déjà contenue dans une norme juridique supérieure, le cas échéant en en reprenant les termes exacts ; que par suite, le ministre n'est pas fondé à soutenir qu'en dépit du caractère général et impératif de la règle qu'elles fixent, les circulaires contestées ne feraient pas grief, au motif que cette règle découlerait directement des textes législatifs sus-rappelés, auxquels il ne serait donc rien ajouté"). Le recours pour excès de pouvoir contre une instruction ayant un caractère impératif fut admis lorsque ladite instruction fixe, dans le silence des textes, une règle nouvelle entachée d'incompétence ou si, alors même qu'elle a été compétemment prise, il peut être soutenu qu'elle est illégale pour d'autres motifs. Il en est ainsi lorsque l'interprétation que l'instruction prescrit d'adopter, "soit méconnaît le sens et la portée des dispositions législatives ou réglementaires qu'elle entendait expliciter, soit réitère une règle contraire à une norme juridique supérieure" (CE 8° et 3° s-s-r., 19 février 2003, n° 235697, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A2732A7C, Dr. fisc., 2003, n° 38, comm. 646, concl. P. Collin ; RJF, mai 2003, n° 616).
Cet infléchissement pragmatique de la jurisprudence est des plus intéressants pour les justiciables, dès lors qu'il les autorise à porter directement devant le Conseil d'Etat la question de la contrariété entre une disposition fiscale de niveau législatif recopiée telle quelle et une norme supérieure, sans passer par les commentaires faits de ces dispositions et sans attendre que la difficulté soit tranchée dans le cadre d'un pourvoi en cassation.
Cette orientation est d'ailleurs conforme à la prise de position du Conseil d'Etat qui a jugé, le 9 juillet 2010 (CE 10° et 9° s-s-r., 9 juillet 2010, n° 337320, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A1399E4L), qu'une question prioritaire de constitutionnalité pouvait être soulevée à l'occasion d'un recours pour excès de pouvoir formé contre une circulaire. Il était par conséquent envisageable de contester la constitutionnalité d'une loi à la faveur d'un recours formé contre une instruction fiscale.
L'articulation de ces différentes décisions et évolutions est néanmoins surprenante, puisque le recours formé contre une instruction fiscale qui se borne à recopier la loi apparaît comme un nouveau moyen reconnu aux justiciables de contester directement devant le Conseil d'Etat la constitutionnalité du texte même de la loi. Le recours pour excès de pouvoir de l'administration se mue en un recours pour excès de pouvoir du législateur lui-même.
Cette métamorphose, mise en relief dans le rapport public de Laurent Olléon, est, implicitement, mais nécessairement, consacrée par la présente décision du Conseil d'Etat.
Cet arrêt met cependant à jour le talon d'Achille d'une telle action, à savoir la justification d'un intérêt à agir.
B - La justification d'un intérêt à agir
D'après l'administration, le requérant doit justifier d'un intérêt personnel suffisamment caractérisé selon le principe de procédure "Pas d'intérêt, pas d'action" (Doc. adm., 13 O-7132, § 6). L'intérêt est, avec la qualité pour agir, une des conditions de recevabilité de la requête. Intérêt et qualité se distinguent en ce que la qualité tient à la capacité du requérant, considéré, en lui-même, à ester en justice ou à représenter une autre personne au nom de laquelle il agit, tandis que l'intérêt concerne la possibilité d'introduire un recours déterminé. La qualité touche à la personne du requérant, l'intérêt à l'action qu'il engage. La notion d'intérêt pour agir est cependant particulièrement délicate à déterminer, car toute personne agit en justice parce qu'elle voit un intérêt à le faire. Or, cet intérêt-là ne peut pas, bien évidemment, être le critère d'ouverture de l'action. Confrontés au caractère indécis et multiforme de la notion d'intérêt à agir, les auteurs et la jurisprudence se sont efforcés de la circonscrire et de l'analyser en déterminant les contours de ses caractères.
En l'espèce, le Conseil d'Etat considère que la société requérante "ne justifie pas d'un intérêt lui donnant qualité pour demander, par la voie du recours pour excès de pouvoir, l'annulation du paragraphe 5 de l'instruction attaquée". Plus précisément, il lui est reproché de n'avoir pas établi "qu'elle serait affectée par l'absence de retenue à la source dont peuvent se prévaloir les sociétés mères non résidentes dans les conditions prévues par l'instruction contestée". L'affirmation est sibylline et ne permet pas d'apprécier la notion d'intérêt à agir adoptée par les magistrats. La lecture du rapport public apporte fort opportunément des éclaircissements intéressants. Selon Laurent Olléon, pour demander, comme en l'espèce, l'annulation d'un paragraphe d'une instruction impérative, il convient que la disposition fasse grief, ce qui suppose que l'intérêt personnel lésé soit suffisamment direct et certain pour justifier d'un intérêt à agir. Le caractère direct de l'intérêt à agir suppose que l'auteur du recours devant le Conseil d'Etat appartienne à une catégorie de personnes concernées par l'acte attaqué ou susceptibles d'être lésées du fait de son application. Plus précisément, le rapporteur public évoque la théorie dite des "cercles d'intérêts". Selon cette approche, l'intérêt à agir des tiers contre les instructions fiscales instituant un régime de faveur est réservé aux personnes qui appartiennent au même cercle d'intérêt que celles qui bénéficient du régime fiscal de faveur alors qu'elles en sont exclues (CE Section, 4 mai 1990, n° 55124-55137, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A4632AQM, RJF, 6/90, n° 674), ainsi qu'aux personnes qui se voient reconnaître l'extension d'un tel régime qui leur était réservé (CE 8° et 7° s-s-r., 8 août 1990, n° 68387, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A4655AQH, RJF, 8-9/90, n° 1101). Pour Laurent Olléon, "le cercle d'intérêt réunit donc toutes les personnes susceptibles d'être directement concernées par les distorsions de concurrence créées à l'intérieur d'une catégorie". Or, pour le rapporteur public, les sociétés qui relèvent du régime mère-fille sont dans une catégorie distincte de celles qui n'en relèvent pas.
Il est vrai que la différence ne tient pas uniquement au seuil de détention, car, pour prétendre au régime des sociétés mères filles, plusieurs conditions, prévues par les articles 145 (N° Lexbase : L3391IGP) et 216 (N° Lexbase : L0666IPD) du CGI doivent être réunies. Certaines sont relatives à la participation. Par exemple, les titres de participations doivent revêtir la forme nominative (ou être déposés dans un établissement désigné par l'administration), avoir été conservés pendant un délai de deux ans, conférer en principe des droits de vote (ce qui implique, selon la jurisprudence et de manière contestable, d'être détenus en pleine propriété). D'autres conditions tiennent aux sociétés en cause. Ainsi l'article 145, 6 et 7 du CGI exclut du champ d'application du régime des sociétés mères et filiales, les dividendes provenant de filiales établies dans des Etats ou territoires non coopératifs, ou encore provenant de SICOMI, sociétés d'investissements immobiliers cotées ou sociétés de capital-risque qui ont été prélevés sur des bénéfices exonérés. Toutes ces règles visent à favoriser la stabilité des investissements et à simplifier la fiscalité entre mère et fille. La volonté tant du législateur européen que du législateur national consiste donc bien à distinguer les sociétés mères des simples investisseurs en capital.
Pourtant, ce raisonnement ne convainc pas entièrement.
D'abord, il aurait été certainement facile à la société holding luxembourgeoise de justifier qu'elle remplissait toutes ces conditions posées par les articles 145 et 216 du CGI, à l'exception bien entendu du seuil de détention de 5 % du capital de la société émettrice. Toute l'argumentation du rapporteur public se serait alors effondrée. La prochaine requête pour excès de pouvoir du paragraphe 5 de l'instruction du 10 mai 2007 ne tombera certainement pas dans le piège de l'imprécision des règles procédurales.
Ensuite, si la volonté du législateur consiste bien à distinguer les sociétés mères des simples investisseurs, il conviendrait de prendre en compte la situation économique réelle de la société requérante, et non les critères purement objectifs retenus pour l'application du régime des sociétés mères filiales. En effet, la réglementation fiscale n'impose nullement que la société se comporte véritablement comme une société mère, au sens économique du terme, c'est-à-dire comme un associé actif contrôlant directement ou indirectement la gestion de la société émettrice. Or, une société qui détient 4 % du capital de la société Total, soit une participation de plus de 3 milliards d'euros, exerce certainement une influence plus importante sur la gestion de cette société qu'une société holding possédant 10 % du capital d'une société fermée. Si les sociétés mères forment une catégorie particulière pour l'application de la théorie des cercles d'intérêts, la notion même de société mère prête aussi à discussion.
Enfin, cette approche ne semble pas conforme à la position relativement libérale de la jurisprudence en matière d'intérêt à agir. En effet, le Conseil d'Etat avait implicitement admis, dans un contexte juridique où seuls les psychanalystes, docteurs en médecine, pouvaient légalement être exonérés de TVA, que des psychanalystes non docteurs en médecine avaient un intérêt pour agir contre une instruction accordant le bénéfice de l'exonération de TVA à des psychanalystes également non docteurs en médecine, mais titulaires de certains diplômes de psychologie (CE Section, 4 mai 1990, précité). On notera malgré tout que l'application de la théorie des cercles d'intérêts donne des résultats parfois déroutants. Il a ainsi été jugé qu'une société d'exercice libéral à forme anonyme d'avocats à la cour de Paris ne justifie pas d'un intérêt propre à déférer au juge de l'excès de pouvoir un arrêté du ministre de l'Economie, du ministre de la Justice et du secrétaire d'Etat au Budget en ce qu'il porte homologation d'un règlement du Comité comptable relatif au traitement comptable d'opérations de fusions ou assimilées réalisées entre sociétés commerciales au motif qu'une SELAFA n'est pas une société commerciale (CE 9° et 10° s-s-r., 8 juin 2005, n° 270581, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A6401DIW, Dr. fisc., 2005, n° 36, comm. 586). Le cercle des intérêts ressemble parfois à un cercle vicieux...
Déboutée de sa première demande d'annulation, la société holding luxembourgeoise pouvait espérer obtenir gain de cause sur sa seconde demande.
II - La demande d'annulation d'une partie de la documentation fiscale 4 J-1334
A titre principal, la société luxembourgeoise demandait au Conseil d'Etat d'annuler pour excès de pouvoir les paragraphes 1 à 5 de la sous-section 4, relative aux conditions d'exigibilité de la retenue à la source, de la documentation administrative référencée 4 J-1334, à jour au 1er novembre 1995, précitée. Ce texte réitère le 2 de l'article 119 bis du CGI, qui laisse subsister une retenue à la source à la charge de sociétés établies dans les Etats membres de l'Union européenne autres que la France et détenant moins de 5 % du capital d'une société distributrice établie en France. La question centrale posée au Conseil d'Etat consistait à déterminer la contrariété du régime de l'article 119 bis du CGI avec le principe communautaire de liberté de circulation des capitaux.
Pour répondre par la négative, le Conseil d'Etat ne pouvait invoquer le défaut d'intérêt à agir de la société requérante, car le texte attaqué ne traite pas seulement des sociétés relevant du régime mère-fille français ou qui en relèveraient si elles étaient françaises, mais bien de l'ensemble du dispositif de retenue à la source de l'article 119 bis du CGI qui a été appliqué à la société holding. D'autant que les paragraphes attaqués, comme le souligne le Haut conseil, sont divisibles du reste de l'instruction, et les dispositions qu'ils contiennent présentent bien un caractère général et impératif.
Le Conseil d'Etat rejette la demande d'annulation de la documentation administrative litigieuse en rappelant les principes applicables en la matière et en affirmant qu'il n'existe en droit français, pour les participations ne relevant pas du régime des sociétés mères, aucune différence de traitement entre sociétés résidentes et non résidentes déficitaires.
A - Le principe de la liberté de circulation des capitaux et la lutte contre la double imposition économique des bénéfices distribués
Le Conseil d'Etat commence sa démonstration en mentionnant le texte fondateur de la liberté de circulation des capitaux, à savoir le paragraphe 1 de l'article 73 B du Traité instituant la Communauté européenne, dans sa rédaction issue du Traité de Maastricht applicable à la date de la documentation administrative en litige, devenu article 56 de ce même traité après l'entrée en vigueur du Traité d'Amsterdam et article 63 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne après l'entrée en vigueur du Traité de Lisbonne (N° Lexbase : L2713IP8). Ce texte indique très clairement que "toutes les restrictions aux mouvements de capitaux entre les Etats membres et entre les Etats membres et les pays tiers sont interdites". Mais ce principe est assorti d'exceptions figurant à l'article 73 D du même Traité, devenu article 65 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne (N° Lexbase : L2715IPA). Cet article autorise les Etats membres à élaborer des règles fiscales qui établissent une distinction entre les contribuables qui ne se trouvent pas dans la même situation en ce qui concerne leur résidence ou le lieu où leurs capitaux sont investis, pourvu toutefois que ces dispositions ne constituent ni un moyen de discrimination arbitraire, ni une restriction déguisée à la libre circulation des capitaux.
Ces règles font ainsi obstacle aux mesures nationales qui, soit découragent les capitaux d'un Etat membre de s'investir dans un autre Etat membre, soit pénalisent les capitaux qui, provenant d'un autre Etat membre, s'investissent sur le territoire d'un autre Etat de l'Union. Par l'arrêt "Verkooijen" du 6 juin 2000 (CJUE, 6 juin 2000, aff. C-35/98 N° Lexbase : A1828AWM, Dr. fisc., 2000, comm. 792, étude P. Dibout, p. 1365 à 1372 ; RJF, 2000, n° 1185), la Cour de justice de l'Union européenne a estimé qu'une différence de traitement concernant l'imposition de dividendes d'actions est susceptible d'affecter la liberté de circulation des capitaux, dans la mesure où elle dissuade l'investissement de capitaux par un ressortissant d'un Etat membre dans des sociétés situées dans un autre Etat membre, et produit ainsi un effet restrictif à l'égard des sociétés concernées. A travers l'arrêt "Denkavit", qui concernait précisément le système de prélèvement d'une retenue à la source opérée sur les dividendes distribués par une filiale française au profit d'un holding résident d'un autre Etat de l'Union, en application des articles 119 bis et 187, 1 du CGI, la Cour de Luxembourg a estimé que les sociétés mères n'ayant pas leur siège en France subissaient un traitement discriminatoire du fait de la double imposition économique dont elles étaient victimes, alors même qu'elles se trouvent dans une situation comparable à leurs homologues résidentes. D'autres décisions, relatives à des législations de différents Etats membres, ont confirmé cette analyse (CJUE, 8 novembre 2007, aff. C-379/05 N° Lexbase : A3642DZW, JOUE n° C 22, 28 janvier 2006, p. 3 ; CJUE, 19 novembre 2009, aff. C-540/07 N° Lexbase : A6591ENG). En particulier, l'affaire "Amurta" (premier arrêt cité) pouvait servir de fondement des plus intéressants pour la société holding luxembourgeoise. Statuant conformément aux conclusions de l'Avocat général, la Cour a jugé, par cet arrêt du 8 novembre 2007, que "les articles 56 et 58 CE s'opposent à une législation d'un Etat membre qui -dès lors que le seuil minimal de participation de la société mère dans le capital de la filiale, instauré à l'article 5, paragraphe 1, de la Directive n° 90/435/CEE du Conseil du 23 juillet 1990, concernant le régime fiscal commun aux sociétés mères et filiales d'Etats membres différents, n'est pas atteint-, prévoit une retenue à la source sur les dividendes distribués par une société établie dans cet Etat membre à une société bénéficiaire établie dans un autre Etat membre, tout en exonérant de cette retenue les dividendes versés à une autre société bénéficiaire qui est assujettie, dans le premier Etat membre, à l'impôt sur les sociétés ou dispose, dans ce même Etat membre, d'un établissement stable auquel appartiennent les parts détenues dans la société distributrice". A la suite des arrêts "Denkavit" et "Amurta", il était possible de se demander, avec Henri de Feydeau (Vers la fin de la retenue à la source sur les dividendes intra-communautaires ?, Dr. fisc., 2007, n° 51, 1053), si ces décisions ne sonnaient pas le glas de toute retenue à la source sur les dividendes intra-communautaires. Telle était également la thèse de la société holding luxembourgeoise, qui prétendait que l'article 119 bis du CGI provoque une discrimination prohibée puisque, depuis les décisions précitées, les sociétés holdings françaises et étrangères doivent être regardées comme placées dans une situation comparable, alors que seules les sociétés étrangères sont soumises à une retenue à la source et sont, par conséquent, exposées à un risque de double imposition.
Certes, ce risque de double imposition juridique existe, puisque le régime fiscal français prévoit la taxation à la source des dividendes tirés par une société établie au Luxembourg de ses participations françaises, alors que le Luxembourg peut également taxer ces revenus. Mais, contrairement à ce que soutient la holding luxembourgeoise, les Etats membres de l'Union européenne n'ont, pour l'instant, nullement l'obligation de lutter contre la double imposition. Une communication de la Commission au Parlement européen, relative à la double imposition au sein du marché unique en 2011 (COM/2011/0712), rappelle que, si les Etats membres appliquent déjà des mesures unilatérales, bilatérales, voire multilatérales, pour atténuer la double imposition, "en l'état actuel du droit de l'Union européenne, ils ne sont pas obligés d'éliminer la double imposition en règle générale" et que "si les règles des Etats membres qui privilégient les situations nationales par rapport aux situations transfrontalières, notamment en matière de double imposition économique, sont contraires aux libertés fondamentales en l'absence de justifications pertinentes (voir arrêts de la Cour de justice du 12 décembre 2002 dans l'affaire C-324/00 N° Lexbase : A0411A7D, point 32, du 14 décembre 2006 dans l'affaire C-170/05, Denkavit International, point 39, du 8 novembre 2007 dans l'affaire C-379/05, Amurta, point 28, du 1er juillet 2010 dans l'affaire C-233/09 N° Lexbase : A5668E3C, point 23 et du 22 décembre 2010 dans l'affaire C-287/10 N° Lexbase : A7099GNA, point 15), la double imposition n'est pas contraire aux Traités, dès lors qu'elle résulte de l'exercice parallèle de la souveraineté fiscale des Etats membres concernés (CJUE, arrêts du 14 novembre 2006, aff. C-513/04 N° Lexbase : A3179DSK, du 12 février 2009, aff. C-67/08 N° Lexbase : A1105EDB et du 16 juillet 2009, aff. C-128/08 N° Lexbase : A9526EIN)". L'élimination de la double imposition n'est ainsi pas une obligation pour les Etats membres, mais relève d'un choix librement opéré.
La législation française maintient d'ailleurs bien une double imposition. Par principe, en effet, les bénéfices distribués subissent l'impôt sur les sociétés chez la société les ayant réalisés puis, une seconde fois, au même taux chez la société bénéficiaire de la distribution. Pour qu'il en soit autrement, le régime de l'intégration fiscale ou celui des sociétés mères doit s'appliquer.
Les conventions fiscales visent fréquemment à éliminer les doubles impositions, en prévoyant un crédit d'impôt tenant compte de l'imposition supportée dans l'Etat de la source. Comme le fait remarquer le rapporteur public, "c'est donc le Luxembourg qui pourrait éliminer, par un tel mécanisme, le risque de double taxation des dividendes sortants taxés à la source en France". La France peut, dès lors, exercer pleinement sa compétence fiscale et prélever une retenue à la source sur les dividendes versés à une société luxembourgeoise, d'autant que la Convention franco-luxembourgeoise du 1er avril 1958 prévoit bien cette faculté, même si elle en limite le taux. Si le Luxembourg décide d'exonérer d'impôt les dividendes perçus, ce choix ne rétroagit pas sur la législation française, en contraignant la France à revoir ses propres règles pour supprimer la retenue à la source et assurer, ce faisant, à la société luxembourgeoise, l'exonération d'impôt prévue par le droit luxembourgeois.
Il n'existe en réalité, et a priori, aucune discrimination en défaveur des sociétés non résidentes qui ne relèvent pas du régime mère-fille. Bien au contraire, alors que les sociétés françaises acquittent l'impôt sur les sociétés au taux de 33,3 % sur les dividendes perçus, les sociétés étrangères ne supportent qu'une retenue à la source de 25 %, sauf convention fiscale prévoyant un taux plus faible. Les sociétés étrangères, en particulier les sociétés luxembourgeoises, subissent par conséquent une imposition inférieure aux sociétés françaises. Cette affirmation doit cependant être nuancée par la situation de l'espèce, à savoir la situation déficitaire de la société luxembourgeoise bénéficiaire des distributions de dividendes.
B - La comparaison de l'imposition des sociétés résidentes et non résidentes déficitaires
Selon la société requérante, en raison de l'article 119 bis du CGI, les dividendes qu'elle perçoit sont soumis à un taux global discriminatoire par rapport aux dividendes perçus par une société française placée dans la même situation déficitaire qu'elle.
Comme le souligne le Conseil d'Etat, la différence de traitement entre les contribuables selon leur Etat de résidence doit concerner des situations qui ne sont pas objectivement comparables. Or, la comparaison n'est pas si simple en l'espèce, car les règles de détermination du résultat imposable diffèrent d'un pays à l'autre, et le fait que la société holding luxembourgeoise soit considérée comme déficitaire dans son pays de résidence ne signifie nullement qu'elle le serait en application des règles fiscales françaises. Pour apprécier si la société luxembourgeoise déficitaire est discriminée par rapport à une société française également déficitaire, il faudrait les placer dans des situations comparables, ce qui imposerait de recalculer le résultat de la société luxembourgeoise en appliquant les règles françaises.
Malgré cette difficulté, mise en relief par le Conseil d'Etat, il était toutefois possible de procéder par un raisonnement hypothétique, en faisant comme si la société luxembourgeoise était déficitaire selon les règles françaises. Ce mode de raisonnement ne constitue certes pas la marque de fabrique du droit fiscal, marqué plutôt par le réalisme de l'appréciation des situations que par la spéculation sur ce qu'elles auraient pu être (L. Olléon, concl. sous CE 8° et 3° s-s-r., 3 février 2011, n° 329618, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A2625GRN, Dr. fisc., 2011, n° 27, comm. 414). Il n'est cependant pas inconnu de la jurisprudence fiscale du Conseil d'Etat (CE Section, 30 décembre 2003, n° 233894, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A6487DAI ; Dr. fisc., 2004, n° 16, comm. 427, concl. G. Bachelier ; Dr. sociétés, 2004, comm. 50, note J.-L. Pierre ; JCP E, 2004, 429, note P. Masquart ; RJF, 2004, n° 238, concl. préc. p. 166 s. ; BDCF, 2004, n° 33, concl. préc. ; Bull. Joly Sociétés, 2004, § 67, note C. Nouel ; BGFE, mai 2004, p. 12 s., obs. N. Chahid-Nouraï. - L. Olléon, Article 212 du CGI, suite et fin, RJF, 2004, p. 83 s.). En l'espèce, le Conseil d'Etat semble l'admettre, même timidement, puisqu'il affirme que "lorsqu'un Etat membre, de manière unilatérale ou par voie conventionnelle, assujettit à l'impôt non seulement les actionnaires résidents, mais également les actionnaires non résidents pour les dividendes qu'ils perçoivent d'une société résidente, la situation des actionnaires non résidents se rapproche de celle des actionnaires résidents" (nous soulignons).
Cet obstacle étant franchi, il convient de comparer l'imposition d'une société résidente avec celle d'une société non résidente.
Il est vrai que les sociétés mères françaises, même si elles possèdent une participation inférieure à 5 % du capital de la société filiale, perçoivent l'entier dividende versé et ne supportent aucune imposition immédiate sur ce dividende, dès lors que leur résultat fiscal est déficitaire. En revanche, la société luxembourgeoise, également déficitaire, ne reçoit qu'un dividende amputé d'une retenue à la source, sans pouvoir profiter corrélativement d'un véritable crédit d'impôt, l'autorisant à récupérer l'intégralité de l'imposition perçue par les autorités françaises. Mais, pour le Conseil d'Etat, les situations sont en réalité assez proches.
En effet, le droit français ne prévoit aucune exonération des dividendes reçus par une société résidente lorsque ses résultats sont déficitaires, ce qui implique que ces dividendes sont compris dans le résultat de cette société et viennent en diminution du déficit reportable (ce qui génère déjà une imposition indirecte, voir en ce sens, le raisonnement tenu par CJUE, 12 février 2009, aff. C-138/07 N° Lexbase : A1099ED3, pt 39 et 40, Europe, 2009, comm. 168, note A.-L. Mosbrucker). Aussi, lorsque le résultat de cette société redevient bénéficiaire, la diminution de ce déficit reportable implique que ces dividendes seront effectivement imposés à l'impôt sur les sociétés au titre d'une année ultérieure, au taux de droit commun alors applicable.
Pour le Conseil d'Etat, la société luxembourgeoise et la société française sont toutes les deux imposées sur les dividendes qu'elles perçoivent. La première immédiatement, par la perception de la retenue à la source, la seconde ultérieurement à l'impôt sur les sociétés, lorsque la situation redeviendra bénéficiaire. Il n'y aurait qu'un simple décalage dans le temps qui résulterait d'une technique différente d'imposition des dividendes perçus par la société selon qu'elle est non résidente ou résidente. Mais, pour le Conseil d'Etat, "le seul désavantage de trésorerie que comporte la retenue à la source pour la société non résidente ne peut ainsi être regardé comme constituant une différence de traitement caractérisant une restriction à la liberté de circulation des capitaux".
Une telle allégation surprend.
D'abord, le raisonnement entrepris par le Conseil d'Etat n'est pas hypothétique, mais conjectural. Il repose sur l'affirmation que les résultats de la société française redeviendront bénéficiaires, ce qui ne ressort pas de l'évidence. Or, le prétendu décalage de trésorerie pourrait aboutir, comme le prétend la société requérante, à une charge d'imposition définitive pour la société étrangère si elle ne renouait pas avec les bénéfices alors qu'une société française n'aurait, dans cette situation, jamais payé l'impôt.
Ensuite, le désavantage de trésorerie est loin d'être anodin dans la gestion d'une entreprise. Les études sur les causes de défaillances des entreprises montrent qu'une structure inadaptée du financement de l'entreprise (besoin en fonds de roulement non suffisamment financé par des ressources à long terme, poids important de la dette) est généralement à l'origine de l'ouverture d'une procédure collective (voir par exemple "La défaillance des entreprises en France entre 2000 et 2010", réalisée par le laboratoire Economix et publiée par l'Observatoire des PME d'OSEO, Regards sur les PME, 2011, n° 21). Un désavantage de trésorerie peut constituer un frein très important, tant à la liberté de circulation des capitaux qu'à la liberté d'établissement.
Pourtant, il convient d'admettre que la jurisprudence communautaire ne condamne pas systématiquement les différences de traitement qui aboutissent à des décalages de trésorerie. Dans l'arrêt "Truck Center", la !cour estimait que "la différence de traitement résultant de la réglementation fiscale en cause dans le litige au principal ne procure pas nécessairement un avantage aux sociétés bénéficiaires résidentes, dès lors que [...] celles-ci sont tenues d'effectuer des versements anticipés de l'impôt des sociétés" (CJUE, 22 décembre 2008, aff. C-282/07 N° Lexbase : A9974EBZ, en particulier point 49, Dr. fisc., 2009, n° 26, comm. 389 ; RJF, 3/2009, n° 302 ; BDCF, 3/2009, n° 40, concl. J. Kokott). De même, la Cour, saisie d'une discrimination consistant en l'application d'un taux d'impôt sur les sociétés plus élevé aux sociétés de personnes non résidentes par rapport aux résidentes, considère que l'"argument selon lequel la différence de taux ne produirait pas d'effet dissuasif sur l'exploitation de sociétés de personnes par l'intermédiaire d'un établissement stable en Grèce n'est pas pertinent en l'espèce, dès lors que la législation hellénique comporte une différence de traitement non justifiée de situations comparables et ne différant qu'en raison du lieu d'établissement de la société" (CJUE, 23 avril 2009, aff. C-406/07 N° Lexbase : A5560EGZ, Europe, 2009, comm. 232, note A.-L. Mosbrucker, pt 41), ce qui pourrait impliquer, par un raisonnement a contrario, lorsque les situations sont incomparables, qu'un traitement défavorable puisse être admis (en ce sens E. Raingeard de la Blétière, Compatibilité du prélèvement obligatoire [CGI, art. 125 A, III] avec le droit communautaire , Dr. fisc., 2010, n° 3, comm. 81). Au regard de cette jurisprudence, la décision du Conseil d'Etat paraît nettement moins choquante, même si elle souligne l'inadéquation du système français de la retenue à la source perçue sur les dividendes versés à des sociétés non résidentes.
En conclusion, bien que la présente décision n'indique nullement que la retenue à la source serait, per se, contraire au droit communautaire (contrairement à ce que soutient H. de Feydeau, Vers la fin des retenues à la source sur les dividendes intracommunautaires ?, Dr. fisc., 2007, n° 51, étude 1053 ; voir aussi, dans le même sens, A. de Waal et L. Ragot, La réclamation contentieuse constitue-t-elle un moyen satisfaisant de réparer une discrimination contraire au droit communautaire ?, Dr. fisc., 2009, n° 23, 351), il pourrait être envisagé, à l'instar de la Grande-Bretagne, de supprimer la retenue à la source sur les dividendes versés entre sociétés établies dans les Etats membres de l'Union européenne). D'autres solutions ayant un impact budgétaire moindre pourraient également être étudiées. Par exemple, la mise en place d'un système déclaratif permettrait aux sociétés bénéficiaires des dividendes de déclarer les produits reçus au titre de l'exercice de distribution et de ne verser in fine l'impôt français que l'exercice suivant, si elles sont en mesure d'imputer la retenue à la source dans leur Etat de résidence. Ou encore élaborer un système de révision de la retenue à la source calqué sur celui existant en matière de bénéfices des sociétés étrangères ayant des exploitations en France, prévu à l'article 115 quinquies du CGI (N° Lexbase : L2095HL8), ce qui entraînerait une liquidation provisoire de la retenue à la source pouvant être ultérieurement révisée si l'imputation de la retenue s'avère partiellement ou totalement impossible (voir A. de Waal et L. Ragot, La réclamation contentieuse constitue-t-elle un moyen satisfaisant de réparer une discrimination contraire au droit communautaire ?, art. précité).
A quand la réforme ?
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