La lettre juridique n°493 du 12 juillet 2012 : Domaine public

[Jurisprudence] La "taxe trottoir" imposée à certains commerçants utilisant momentanément le domaine public d'une commune est illégale

Réf. : CAA Marseille, 7ème ch., 26 juin 2012, n° 11MA01675, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A9703IP3)

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N2805BT3

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par Yann Le Foll, Rédacteur en chef de Lexbase Hebdo - édition publique

le 25 Juillet 2012

La cour administrative d'appel de Marseille conclut à l'illégalité de la "taxe trottoir" visant les commerçants ou les établissements bancaires dans un arrêt rendu le 26 juin 2012, énonçant que "l'utilisation d'une dépendance du domaine public d'une personne publique dans les limites ne dépassant pas le droit d'usage qui appartient à tous ne nécessite la délivrance d'aucune autorisation et ne donne pas lieu à assujettissement au paiement d'une redevance au titre de cette utilisation". Depuis le début de l'année 2011, une municipalité du sud de la France avait imposé aux commerces dont les clients stationnent dans la rue une "redevance d'utilisation du domaine public" visant les commerces qui "ont besoin du domaine public pour effectuer leur vente", principalement les snacks disposant d'un comptoir donnant directement sur la rue et les banques équipées de distributeurs. Elle excluait, toutefois, les commerces procédant à la vente ou à la location de services ou biens culturels (cinéma, distributeurs automatiques de supports vidéo, etc.). La mairie a annoncé son intention de se pourvoir en cassation, indiquant que la portion du trottoir sur laquelle les clients attendent d'être servis (ou attendent pour retirer de l'argent) est soustraite à la circulation des piétons. Selon elle, les commerçants tirent donc bien avantage du domaine public "en utilisant ce dernier de façon habituelle, comme espace de clientèle". Le pourvoi en cassation n'étant pas suspensif de l'arrêt de la cour administrative d'appel, la mairie a indiqué étudier la possibilité d'obtenir un sursis à exécution. L'instauration de cette taxe était intervenue après une délibération du conseil municipal, comme la jurisprudence en a réitéré l'obligation (CE S., 27 juillet 1984, n° 34860, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A2868ALS), et selon des modes de calcul différenciés de manière à prendre en compte l'usage fait du domaine public et la nature des commerces exercés comme la personne publique en a l'obligation (CE 9° et 8° s-s-r., 7 mai 1980, n° 05969, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A5052B7A, CE, 10 février 1978, n° 7652, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A3255AIE). L'assemblée délibérante avait fixé le tarif de cette redevance à 1 500 euros par an pour les distributeurs de billets et distributeurs de toute autre nature. S'agissant des commerces dont les vitrines ou les comptoirs ouvrent sur le domaine public, le tarif avait été fixé à 130 euros par mètre linéaire et par mois. Au total, une cinquantaine d'établissements était concernée, ce qui devait rapporter entre 90 000 et 100 000 euros par an à la municipalité. Le jugement attaqué (TA Nîmes, 3 mars 2011, n° 1002678 N° Lexbase : A3816HNN) avait rejeté les demandes tendant à l'annulation de la délibération, se fondant sur le Code général de la propriété des personnes publiques, pour relever que le temps de présence sur le trottoir avait "un caractère momentané", "ne dépassant pas le droit d'usage reconnu à tous".

I - La décision contraire de la cour administrative d'appel a bien évidemment soulevé l'ire des commerçants concernés et provoqué de multiples réactions médiatiques. L'on peut, cependant, penser que celles-ci n'étaient pas totalement justifiées car l'utilisation privative du domaine public n'est pas un droit, celui-ci supposant, en effet, des coûts de réalisation, d'aménagement, d'entretien et de surveillance (CE, Ass., 21 novembre 1958, Syndicat national des transporteurs aériens). En outre, les trottoirs des communes font partie du domaine public routier des communes depuis plus d'un siècle (CE, 28 janvier 1910, Robert ; CE, 14 mars 1975, Chatard). Par ailleurs, l'administration a une totale liberté d'appréciation pour décider ou refuser l'octroi d'une autorisation d'occuper le domaine public, même si elle a l'obligation de motiver son refus (CAA Bordeaux, 6ème ch., 27 octobre 2009, n° 09BX00027, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A5914HMY) et de ne pas contrevenir directement au droit de la concurrence ou indirectement en mettant un opérateur économique dans une situation contraire aux exigences de la concurrence (CE 2° et 7° s-s-r., 23 mai 2012, n° 348909, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A0935IML) et de toujours agir dans un but d'intérêt général (CAA Paris, 1ère ch., 11 avril 2006, n° 02PA03952, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A2998DPQ).

L'occupation du domaine public constitue, en effet, une ressource rare, pour laquelle les opérateurs économiques intervenant sur un marché concurrentiel sont prêts à entrer en compétition car elle devient un avantage économique pour celui qui en bénéficie, comme en témoigne la bataille autour du contrat confiant l'exploitation des équipements sportifs du stade Jean Bouin (CE, S, 3 décembre 2010, n° 338272 et n° 338527, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A4439GMD). La situation de l'occupant domanial reste précaire sur le domaine public (CE 3° et 8° s-s-r., 5 février 2009, n° 305021, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A9334ECP), et le paiement d'une redevance d'occupation domaniale tient clairement compte de la situation économique de l'occupant et, précisément, des avantages comme des désavantages de toutes natures qui lui sont procurés (CE 1° et 4° s-s-r., 10 février 1978, n° 07652, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A7015B7X ; CE 2° et 7° s-s-r., 7 octobre 2009, n° 309499, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A8618ELR ; CE, Ass., 16 juillet 2007, n° 293229, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A4716DXX ; CE 3° et 8° s-s-r., 11 octobre 2004, n° 254236, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A5895DDP), comme l'imposent les articles L. 2125-1 (N° Lexbase : L1665IPD) et L. 2125-3 (N° Lexbase : L4561IQY) du Code général de la propriété des personnes publiques.

Ce critère peut être complété, le cas échéant, par la prise en compte de la valeur locative de propriétés privées comparables à cette dépendance. Il faut donc que la fixation du montant d'une redevance tienne compte d'éléments concrets relatifs aux conditions d'exploitation et de rentabilité de la concession d'occupation, au chiffre d'affaires qu'elle produit pour l'occupant et à la possibilité, pour lui, de jouir de manière purement privative d'une partie du domaine public. En conséquence, si le conseil municipal peut déterminer des catégories d'occupation afin de fixer une grille tarifaire pour les redevances de voirie, ces catégories doivent être suffisamment précises, faute de quoi les tarifs pourront être contestés comme ne correspondant pas aux avantages de toute nature procurés à la catégorie correspondante d'occupants du domaine public.

Par ailleurs, historiquement, le domaine public reste le siège ou le support de nombreuses missions de service public (CE, S., 29 janvier 1932, n° 99532, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A9585B8I ; CE, S., 5 mai 1944, n° 66679, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A3590B74). C'est donc logiquement que la privatisation de l'espace public a un prix qui s'incarne dans une redevance fixée par le propriétaire du dit domaine, même si l'article L. 2125-1 précité n'interdit pas à une collectivité d'exiger de l'utilisateur du domaine public le paiement d'une redevance du fait de cette utilisation, même si ce dernier est dépourvu de titre (CAA Marseille, 10 janvier 2011, n° 08MA05219 N° Lexbase : A2914HRD ; CE 9° et 10° s-s-r., 16 mai 2011, n° 317675, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A0301HSX). L'article L. 2125-1, alinéa 2, du Code général de la propriété des personnes publiques dispose, en effet, que "l'autorisation d'occupation ou d'utilisation du domaine public peut en effet être délivrée gratuitement [...] soit lorsque l'occupation ou l'utilisation est la condition naturelle et forcée de l'exécution de travaux ou de la présence d'un ouvrage, intéressant un service public qui bénéficie gratuitement à tous [...] soit lorsque l'occupation ou l'utilisation contribue directement à assurer la conservation du domaine public lui-même".

A ces deux exceptions, l'article L. 2125-2 du même code (N° Lexbase : L2910IQT) en ajoute une troisième, en dispensant les communes et leurs groupements qui gèrent eux-mêmes leur service d'eau potable ou d'assainissement du paiement de toute redevance, dans l'hypothèse où leurs canalisations ou réservoirs occuperaient le domaine public de l'Etat. Enfin, l'affaire dite "des radars automatiques" (CE 3° et 8° s-s-r., 31 octobre 2007, n° 306338, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A2028DZ7), dans laquelle certains départements réclamaient à l'Etat le paiement d'une redevance pour l'occupation de leur domaine public routier par des installations de contrôle de vitesse, a généré une quatrième exception. Depuis 2009, le titre d'occupation peut aussi être "délivré gratuitement aux associations à but non lucratif qui concourent à la satisfaction d'un intérêt général". Précisions, toutefois, que la mise à disposition gratuite des dépendances du domaine public communal en vue de l'organisation d'une manifestation ponctuelle est illégale, au motif que cet avantage n'était pas justifié par un intérêt communal (CAA Marseille, 6 décembre 2004, n° 00MA02638, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A1520DGE).

II - En l'espèce, la redevance litigieuse excluait expressément les personnes titulaires d'une autorisation d'occupation ou d'utilisation du domaine public. Toutefois, et c'est bien là ce qui faisait débat en l'espèce, l'on n'était pas en présence d'une installation sur le domaine public lui-même, mais d'une simple "utilisation" de ce domaine, prenant la forme d'un stationnement de la clientèle sur le trottoir. Or, ces files d'attente peuvent empêcher la circulation normale des piétons tout en permettant aux commerçants de réaliser, ainsi, leur chiffre d'affaires. Les premier juges l'avaient d'ailleurs relevé : "les personnes qui ne peuvent exercer leur activité lucrative et réaliser les opérations matérielles de vente ou de transactions que parce que leur clientèle stationne temporairement sur la voie publique devant leur établissement, doivent être regardées comme utilisant, pour elles-mêmes, le domaine public". L'on peut souligner que d'autres juridictions avaient adopté une position différente, tel le tribunal administratif de Grenoble qui avait estimé que la ville d'Annecy ne pouvait instituer un droit de voirie du fait de l'installation de distributeurs automatiques de billets, ce jugement statuant, toutefois, sur une décision rendue avant l'entrée en vigueur du Code général de la propriété des personnes publiques (TA Grenoble, 15 décembre 2009, n° 0703737 N° Lexbase : A7044ERC). La Haute juridiction avait elle-même considéré, à propos de fabricants de pizzas ambulants, que "le versement d'un droit de stationnement ne peut être exigé des professionnels ambulants circulant sur les voies publiques en quête d'acheteurs lorsqu'ils se bornent à s'arrêter momentanément pour conclure une vente" (CE 3° et 5° s-s-r., 15 mars 1996, n° 133080, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A8080ANL).

Lors de l'audience du 29 mai 2012, le rapporteur public avait estimé illégale cette taxe en faisant valoir, notamment, que les commerces n'avaient pas demandé l'autorisation d'occuper le domaine public, en retour de quoi une redevance aurait pu leur être demandée. En outre, leur clientèle n'est pas à l'origine d'un stationnement prolongé sur la voie publique, avait-il ajouté. La cour administrative d'appel va suivre ses préconisations. Elle énonce que "l'utilisation, le temps d'une transaction, de la dépendance du domaine public de la commune [...] présente un caractère momentané [et] ne dépasse pas le droit d'usage qui appartient à tous et ne requiert pas ainsi la délivrance par la commune d'une autorisation". Elle en conclut que, "s'il est constant que ladite utilisation du domaine public communal concourt à l'exercice par les établissements concernés d'une partie de leurs activités commerciales et économiques, elle ne peut, toutefois, donner lieu à l'assujettissement desdits établissements au paiement d'une redevance d'utilisation du domaine public".

Les communes tentées d'instaurer le même type de taxe se heurteront, toutefois, à la question du champ d'application de ce type de redevance. Le tribunal administratif avait estimé qu'elle pouvait s'appliquer "aux personnes qui ne peuvent exercer leur activité lucrative et réaliser des opérations matérielles de vente ou de transaction que parce que leur clientèle stationne temporairement sur la voie publique devant leur établissement". Pourraient donc être concernés tous les commerçants, les cinémas, théâtre et autres lieux de spectacle vivant, mais aussi les magasins vendant des biens culturels à l'occasion de la venue d'une célébrité provoquant un attroupement. L'on pourra objecter que les enseignes commerciales ayant une vitrine donnant sur le domaine public ne saurait, en effet, être regardée comme équivalente à celle des commerces ne pouvant réaliser leurs transactions qu'en utilisant le domaine public. En effet, les clients des premières achètent à l'intérieur du magasin les objets exposés en vitrine, ce qui n'est pas le cas des commerçants concernés par la délibération en litige, qui ne possèdent pas de locaux destinés à l'accueil du public et à la vente. Il n'est donc pas certain que, malgré le mouvement de valorisation financière des usages du domaine public en cours depuis quelques années, cette "taxe trottoir" se généralise. L'avenir sera riche d'enseignements en la matière, la ville d'Angers venant d'adopter le principe de cette redevance, avec une application prévue dans le centre-ville dès le 1er janvier 2013.

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