La lettre juridique n°493 du 12 juillet 2012 : Sociétés

[Jurisprudence] L'expression dans un acte du consentement unanime des associés d'une société civile

Réf. : Cass. com., 12 juin 2012, n° 11-17.042, F-P+B (N° Lexbase : A8831INE)

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par Deen Gibirila, Professeur à la Faculté de droit et science politique (Université Toulouse I Capitole)

le 14 Juillet 2012

Le législateur offre aux associés plusieurs possibilités de prise des décisions collectives. Si, d'une manière générale, celles-ci sont arrêtées en assemblée, les statuts peuvent prévoir qu'elles résultent d'une consultation (1). En outre, dès lors qu'il ne restreint pas la liberté des associés de déterminer les modalités de leurs consultations, les statuts pourraient, semble-t-il, limiter la possibilité de consultation par correspondance à certaines décisions, telles que celles qui n'entraînent pas modification des statuts autres que l'approbation annuelle des comptes. De plus, rien ne s'opposerait à ce que les statuts offrent le choix au gérant entre une consultation écrite et la réunion d'une assemblée, pour chaque décision à prendre. Par ailleurs, toujours selon la loi, les décisions collectives peuvent être prises par acte sous seing privé ou notarié signé par tous les associés (2). C'est le procédé souvent utilisé dans les sociétés dont le nombre d'associés est peu élevé. Tandis que la procédure de consultation écrite doit être prévue par les statuts, la constatation des décisions collectives dans un acte signé par tous les associés demeure possible en l'absence de toute disposition statutaire. Il n'empêche que l'expression dans un acte du consentement unanime des associés n'est pas exempte de difficulté. La mise en oeuvre d'une telle procédure fait l'objet de l'arrêt rapporté de la Chambre commerciale de la Cour de cassation du 12 juin 2012.

I - Les faits de l'espèce, relativement simples, peuvent être exposés en quelques lignes.

Ils ont trait aux statuts d'une société civile de moyens (SCM) constituée entre avocats et prévoyant que la contribution de chaque associé aux dépenses serait proportionnelle à sa participation au capital. L'un des trois associés ayant été exclu, les 90 parts représentant le capital social ont été réparties entre les deux associés restant à raison de 50 parts pour l'un et de 40 pour l'autre.
A la suite d'un désaccord entre ces deux associés relatif à la contribution de chacun aux charges salariales, la société et l'associé majoritaire ont demandé la condamnation du minoritaire au paiement d'une certaine somme arrêtée en fonction d'une répartition égalitaire de ces charges. Saisie du litige, la cour d'appel de Nîmes a, dans sa décision du 8 février 2011 (CA Nîmes, 8 février 2011, n° 09/03775 N° Lexbase : A6168HQI), accueilli la demande au motif que les déclarations fiscales signées par les deux associés font état d'une répartition égalitaire dans la prise en charge des dépenses de la société. Ainsi, ces documents fiscaux traduisent la volonté réitérée des associés de considérer qu'ils se trouvaient à égalité dans la répartition des dépenses et des déficits. Elle a infirmé le jugement précédemment rendu sur cette affaire le 8 février 2011 par le tribunal de grande instance de Nîmes.

A la suite du recours en cassation formé par l'associé minoritaire, la Chambre commerciale a censuré l'arrêt d'appel sur le fondement des articles 1853 (N° Lexbase : L2050ABK) et 1854 (N° Lexbase : L2051ABL) du Code civil, ainsi que des articles 45 et 46 du décret n° 78-704 du 3 juillet 1978 (N° Lexbase : L1376AIS). La Cour régulatrice considère en effet qu'en statuant ainsi, alors que les déclarations fiscales ne constituent pas des actes, la juridiction de seconde instance a porté atteinte aux dispositions de l'article 1854 du Code civil.

II - Au-delà même de la question de savoir si les déclarations fiscales constituent ou non des actes, le présent arrêt de la Cour de cassation faisant une stricte application des textes susvisés consacre l'idée selon laquelle quand, en l'absence d'une réunion d'assemblée ou d'une consultation écrite, les décisions des associés résultent de leur consentement unanime, celui-ci doit être exprimé dans un acte. Cette question qui ne se pose qu'à propos de certaines sociétés, a donné lieu à une évolution jurisprudentielle.
En effet, un litige de cette nature ne naît qu'au sein de structures sociétaires pour lesquelles les modifications statutaires résultent du consentement unanime des associés et s'expriment dans un acte, à savoir les sociétés civiles et les SARL (3). Aussi, n'est-il pas surprenant que l'actuel arrêt ait pour cadre une société civile de moyens.

Il en va autrement dans les sociétés en nom collectif à propos desquelles l'article L. 221-6 du Code de commerce (N° Lexbase : L5802AIQ) exige une consultation écrite. Dans les sociétés anonymes, dès lors que la réunion d'une assemblée s'impose, une modification des statuts même décidée par tous les associés est invalide pour avoir été réalisée en dehors d'une assemblée générale extraordinaire (4). A l'inverse, s'agissant des sociétés par actions simplifiée, la question reste discutée car il revient aux statuts de déterminer les modalités selon lesquelles les décisions collectives sont prises (5), sans toutefois que soit admise une modification implicite (6).

La solution retenue en l'espèce par la juridiction du droit, exigeant un consentement formellement exprimé dans un acte, est fort éloignée, pour ne pas dire contraire à la décision auparavant prise par la première chambre civile. Celle-ci avait estimé qu'il ne fallait pas revenir sur une répartition de bénéfices non conforme aux stipulations statutaires, dès lors que celle-ci l'avait été d'un commun accord (7).
En revanche, elle se situe dans le droit fil d'un arrêt plus récemment rendu par cette chambre qui, statuant au vu des articles 1853 et 1854 du Code civil, relatifs à la société civile de droit commun, ainsi que de l'article 14 de la loi n° 66-879 du 29 novembre 1966 (N° Lexbase : L3146AID) ayant trait aux sociétés civiles professionnelles, avait repris à son compte le principe selon lequel lorsqu'en l'absence d'une réunion d'assemblée ou d'une consultation écrite, les décisions des associés résultent de leur consentement unanime, ce consentement doit être exprimé dans un acte (8).

Ce formalisme, imposé par les textes et consacré par la jurisprudence, se justifie en ce que les statuts constituent la loi des associés qu'ils doivent respecter et qui ont vocation à s'appliquer tout au long de la vie sociale ; d'où la nécessité, en cas de modification, de respecter strictement les conditions, notamment de forme, posées par la loi. Une modification statutaire ne saurait résulter du simple consentement apparent ou même réel des associés.
Au sujet du "consentement exprimé dans un acte", l'article 42 du décret du 3 juillet 1978 impose que le texte des résolutions proposées, tout comme les documents nécessaires à l'information des associés, soient adressés à chacun d'eux par courrier recommandé avec demande d'avis de réception. Chaque associé dispose alors du délai minimal de 15 jours à compter de leur réception pour émettre son vote, la justification du respect des formalités et la réponse des intéressés étant annexées au procès-verbal. En cela, ces exigences formelles ne vaudrait pas seulement comme condition de preuve ou pour l'opposabilité aux tiers ; étant considérées comme d'ordre public, elles viseraient également à préserver le consentement des associés. Toute décision qui résulterait d'une autre forme serait nulle et, en conséquence, serait censée n'avoir jamais existé (9).
A défaut de respect du formalisme légal ou réglementaire, les associés et les tiers ne pourraient avoir connaissance de la dernière version de leur teneur, s'ils pouvaient être modifiés intempestivement. De surcroît, il serait difficile, voire impossible, d'accomplir les formalités de publicité qui permettent l'opposabilité aux tiers de ces modifications, si la décision collective qui se situe à leur origine n'était pas adoptée dans les formes édictées par la loi ou le règlement.

Reste à savoir si, en dépit de la loi n° 2000-516 du 13 mars 2000, sur l'adaptation du droit de la preuve aux technologies de l'information et signature électronique (N° Lexbase : L0618AIQ), l'acte par lequel les associés expriment leur consentement doit toujours être "un écrit sur support papier" ou, s'il peut être "un écrit sur support électronique". Le recours à la version électronique semble possible car, bien que l'article 1845 du Code civil exige que les statuts soient rédigés par écrit, il ne sanctionne pas cette règle par la nullité (10). Par conséquent, contrairement aux propos précédents, l'écrit serait requis en tant que mode de preuve et ne constituerait pas nécessairement une condition de validité de l'acte. Par ailleurs, si en matière de preuve, l'article 1316-3 du Code civil (N° Lexbase : L0629ANM) (11) assimile l'écrit sur support électronique à l'écrit sur support papier, en la situation actuelle, le dépôt au greffe d'un écrit sur support électronique est pratiquement impossible à réaliser (12).

Il n'en demeure pas moins qu'en l'espèce, il n'y a pas lieu de respecter le formalisme requis puisque, comme le décide la Cour régulatrice dans son arrêt de censure, les déclarations fiscales ne constituent pas un acte au sens de l'article 1854 du Code civil. La volonté de tous les associés de modifier les statuts ne saurait se déduire d'une déclaration fiscale, quand bien même serait-elle signée par eux.


(1) C. civ., art. 1853 (N° Lexbase : L2050ABK).
(2) C. civ., art. 1854 (N° Lexbase : L2051ABL).
(3) C. civ., art. 1854 (sociétés civiles) et C. com., art. L. 223-27 (N° Lexbase : L6001IS3 SARL) ; Y. Chartier, note s/s Cass. civ. 1, 21 mars 2000, n° 98-14.933 (N° Lexbase : A5483AWY), Rev. Sociétés, 2000, p. 509.
(4) CA Amiens, 7 mai 1963, Gaz. Pal., 1963, 2, p. 246 ; RTDCom., 1963, p. 859, obs. R. Houin.
(5) C. com., art. L. 227-9 (N° Lexbase : L2484IBM).
(6) A. Lienhard, obs. s/s Cass. civ. 1, 21 mars 2000, préc., D., 2000, act. jur., p. 191.
(7) Cass. civ. 1, 22 novembre 1994, n° 92-21.792 (N° Lexbase : A8418CYG), Bull. Joly Sociétés, 1995, p. 169, note B. Saintourens ; JCP éd. E, 1995, I, 447, n° 6, obs. A. Viandier et J.-J. Caussain.
(8) Cass. civ. 1, 21 mars 2000, préc., D., 2000, act. jur., p. 191, obs. A. Lienhard ; D., 2000, p. 475, note Y. Chartier ; Rev. Sociétés, 2000, p. 509, note Y. Guyon ; Defrénois, 2000, p. 849, note B. Saintourens.
(9) Cass. civ. 1, 21 mars 2000, préc. et les réf. préc. note 8.
(10) C. civ., art. 1844-10 (N° Lexbase : L2030ABS).
(11) C. civ., art. 1316-3 "L'écrit sur support électronique a la même force probante que l'écrit sur support papier".
(12) En ce sens, Y. Guyon, note s/s Cass. civ. 1, 21 mars 2000, préc., note 8.

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