Réf. : Cass. soc., 27 juin 2012, n° 11-14.036, FS-P+B (N° Lexbase : A1398IQT)
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par Bernard Gauriau, Professeur à l'Université d'Angers, Avocat au barreau de Paris (Cabinet Idavocats)
le 12 Juillet 2012
Résumé
La faculté conventionnelle de saisir une commission de conciliation faite au salarié concerné par une procédure disciplinaire est une garantie de fond. Le licenciement prononcé en violation de cette exigence est dépourvu de cause réelle et sérieuse. L'absence de transmission par écrit au salarié des motifs de la mesure disciplinaire est sans conséquence dès lors que le salarié -qui en a eu connaissance par ailleurs- a pu utilement assurer sa défense devant la commission. |
Observations
Un responsable clientèle, licencié par lettre du 2 août 2007, a contesté son licenciement en invoquant le non-respect de la procédure disciplinaire prévue par la convention collective applicable. Le salarié a développé divers arguments que l'on peut ici distinguer.
Il a tout d'abord mis en avant les stipulations de la Convention collective nationale de travail du personnel des agences de voyages et de tourisme (N° Lexbase : L3328INL), singulièrement son article 53, selon lequel, en cas "[...] de saisine [de la commission de conciliation], [...], les motifs de la mesure envisagée par l'employeur doivent être indiqués par écrit au salarié et être communiqués à la commission". Le salarié y voyait une formalité substantielle qui n'avait pas été respectée. Pourtant, la cour d'appel a considéré que si l'intéressé ne s'était pas vu indiquer par écrit les motifs de la mesure envisagée par l'employeur, il avait toutefois connaissance des faits qui lui étaient reprochés au moment de l'entretien préalable.
Ensuite, le salarié critiquait aussi le défaut d'information dont il avait été victime de la part de l'employeur. Il s'appuyait à nouveau sur la Convention collective, dans deux de ses stipulations.
L'article 53 de cette Convention, tout d'abord, dans ses dispositions applicables en cas de rétrogradation ou de licenciement : "l'entretien préalable est de droit ; les parties ont la faculté de saisir pour avis la commission de conciliation de l'entreprise ; dans les entreprises ne comportant pas de commission de conciliation, les parties ont la faculté de saisir pour avis la commission paritaire nationale ; cette faculté devra être indiquée au salarié dans la lettre de convocation à l'entretien préalable ; la saisine de l'une ou l'autre de ces commissions doit être faite dans un délai de deux jours ouvrés à l'issue de l'entretien préalable ; l'employeur suspend sa décision de sanction durant ce délai dans l'attente de la décision qui sera prise par le salarié ; en cas de saisine, la décision de l'employeur est suspendue jusqu'à l'avis de la commission".
L'article 57 de la Convention, ensuite : "en matière disciplinaire, en cas de partage des voix, le différend pourra être porté dans les huit jours, à la demande de l'une ou de l'autre des parties, devant la commission paritaire nationale".
La cour d'appel a toutefois jugé que la procédure conventionnelle avait été là encore respectée. Sa motivation s'articulait autour de l'idée selon laquelle, selon les articles 52 et suivants de la Convention collective ici applicable, l'employeur doit mentionner dans la lettre de convocation à l'entretien préalable au licenciement la faculté pour le salarié de saisir pour avis la commission de conciliation dans l'entreprise et en cas d'absence d'une commission d'entreprise, la faculté de saisir la commission paritaire nationale. Or, l'employeur avait bien informé le salarié de sa faculté de saisir la commission de conciliation de l'entreprise.
Il n'était en revanche -selon la cour d'appel- tenu à aucune obligation d'information sur la saisine de la commission nationale en cas de partage de voix de la commission d'entreprise. La cour d'appel en a déduit que le défaut d'information, à le supposer avéré, ne pouvait violer une garantie de fond ; en effet, une fois appliquées les dispositions conventionnelles l'employeur pouvait poursuivre l'application et la mise en oeuvre de son pouvoir disciplinaire.
A l'issue de son pourvoi, le salarié va voir sa première argumentation rejetée mais obtenir gain de cause s'agissant de la seconde.
Sur le premier point, en effet, la Chambre sociale va reprendre les constatations de la cour d'appel selon lesquelles "le salarié avait eu connaissance des faits qui lui étaient reprochés et qu'il avait donné des éléments de réponse aux membres de la commission de conciliation, de sorte que l'irrégularité tenant au non-respect par l'employeur de son obligation d'indiquer par écrit au salarié les motifs de la mesure envisagée à son encontre n'avait pas eu pour effet de priver l'intéressé d'assurer utilement sa défense devant la commission".
Si donc l'employeur n'avait pas formellement respecté les exigences imposées par la convention collective, cette irrégularité était sans conséquences dans la mesure où le salarié avait eu connaissance des motifs du licenciement envisagé et avait pu utilement assurer sa défense devant la commission. La Cour de cassation ne reprend pas à son compte la motivation des seconds juges selon lesquels le salarié avait eu connaissance des motifs à l'occasion de l'entretien préalable, dont la tenue est imposée par la convention collective, laquelle ne fait sur ce point que reprendre la substance des dispositions légales. On ne sait donc pas à quel moment précis le salarié a eu connaissance des motifs qui fondent la mesure disciplinaire envisagée, du moins ce moment se situe-t-il avant la saisine de la commission voire au moment où celle-ci s'est réunie.
Sur le second point, en revanche, et reprenant les articles 53 et 57 de la Convention collective, la Cour de cassation va juger qu'il résulte de ces textes que la consultation de l'une ou l'autre des commissions, dont la saisine suspend la décision de l'employeur, constitue pour le salarié une garantie de fond qui oblige l'employeur à informer le salarié de la faculté pour lui de saisir la commission de conciliation de l'entreprise lorsqu'elle existe ou à défaut la commission paritaire nationale et, en cas de partage des voix devant la commission de l'entreprise, de la possibilité de porter le différend devant la commission paritaire nationale. Or, la cour d'appel avait constaté que le salarié n'avait pas été avisé de la faculté de porter le différend devant la commission paritaire nationale en cas de partage des voix de la commission de conciliation de l'entreprise, ce dont il résultait que le licenciement était privé de cause réelle et sérieuse.
Sur ce point, on ne peut que relever l'interprétation à laquelle les juges se sont livrés. Formellement, si l'article 57 stipule qu'"en matière disciplinaire, en cas de partage des voix, le différend pourra être porté dans les huit jours, à la demande de l'une ou de l'autre des parties, devant la commission paritaire nationale", il n'est fait nulle part mention que l'employeur ait une quelconque obligation d'informer le salarié de sa faculté de saisir la commission nationale, à la différence de l'article 53 selon lequel "cette faculté devra être indiquée au salarié dans la lettre de convocation à l'entretien préalable".
Toutefois, la Cour de cassation va contourner cet obstacle littéral en considérant que la consultation de l'une ou l'autre des commissions, dont la saisine suspend la décision de l'employeur, constitue pour le salarié une garantie de fond. Cette qualification emporte selon la Cour de cassation l'obligation pour l'employeur d'informer le salarié de la faculté pour lui de saisir la commission de conciliation de l'entreprise lorsqu'elle existe ou à défaut la commission paritaire nationale et, en cas de partage des voix devant la commission de l'entreprise, de la possibilité de porter le différend devant la commission paritaire nationale.
Dans la mesure où la cour d'appel avait constaté que le salarié n'avait pas été avisé de la faculté de porter le différend devant la commission paritaire nationale en cas de partage des voix de la commission de conciliation de l'entreprise, il en résultait que le licenciement était privé de cause réelle et sérieuse.
Cet arrêt de situe dans le droit fil de la jurisprudence de la Chambre sociale en matière de procédure conventionnelle de licenciement ou disciplinaire. Il illustre une nouvelle fois le phénomène dit de "procéduralisation" en droit du travail (1).
Illustration du principe de faveur, l'article L. 2251-1 du Code du travail (N° Lexbase : L2406H9Y) dispose qu'"une convention collective ou un accord peut comporter des stipulations plus favorables aux salariés que les dispositions légales en vigueur [...]".Il n'est donc pas surprenant que, depuis de nombreuses années, de multiples conventions collectives aient institué une procédure conventionnelle qui s'ajoute à la procédure disciplinaire ou à la procédure de licenciement. La question s'est posée de savoir quelle était la nature de ces étapes conventionnelles ajoutées aux étapes légalement instituées, et quelle sanction pouvait frapper leur violation.
I - Garantie de fond et obligation d'information
Une distinction s'est rapidement fait jour entre garanties de fond et simple règle de procédure ou de forme.
A - Garanties de fond
Lé référence aux garanties de fond ne peut se faire sans évoquer l'arrêt fondateur, du 26 octobre 1976 qu'est l'arrêt "Janousek" (2) selon lequel l'employeur avait l'obligation légale de porter à la connaissance du salarié (les motifs du licenciement) si celui-ci en avait fait la demande dans les délais impartis par la loi et qu'il était réputé de manière irréfragable ne pas en avoir s'il n'en avait pas énoncé, ce qui n'était pas une simple irrégularité de forme, le juge ne pouvant apprécier le caractère réel et sérieux (que de ceux) qu'il avait invoqu(és) dans les conditions légales. La solution est depuis constante : l'obligation pour l'employeur d'énoncer le ou les motifs de licenciement dans la lettre de licenciement, imposée par l'article L. 1232-6 du Code du travail (N° Lexbase : L1084H9Z), constituait une règle de fond dont la violation rendait le licenciement sans cause réelle et sérieuse. La solution ne concernait alors qu'une procédure légale et non conventionnelle mais avait pour intérêt principal d'appréhender une étape de la procédure comme une garantie de fond dans la mesure où elle permettait au juge d'apprécier l'existence d'une cause réelle et sérieuse.
Le qualificatif a été transposé depuis à l'analyse des étapes conventionnelles de la procédure de licenciement voire de la procédure disciplinaire.
Au titre des garanties de fond, la Cour de cassation a ainsi intégré la consultation d'un organisme chargé de donner un avis : conseil de discipline ou conseil paritaire sur la mesure disciplinaire envisagée par l'employeur (3) ou encore l'information donnée au salarié de l'existence de la faculté de saisir un conseil de discipline (4)
Sans doute doit-on souligner l'importance d'un arrêt du 21 octobre 2008 (Cass. soc., 21 octobre 2008, n° 07-42.170, FS-P+B N° Lexbase : A9495EAW) dans lequel la Chambre sociale relève "qu'aux termes de l'article 27.1 de la Convention collective du personnel des banques, le salarié dispose d'un délai de cinq jours calendaires à compter de la notification du licenciement pour, au choix et s'il le souhaite, saisir par lettre recommandée avec accusé de réception, la commission paritaire de recours interne à l'entreprise mise en place par voie d'accord d'entreprise, si elle existe, ou la commission paritaire de la banque, ces recours, exclusifs l'un de l'autre, étant suspensifs et le licenciement ne pouvant être effectif qu'après avis de la commission saisie s'il a été demandé par le salarié sanctionné ; [...] il en résulte que la consultation de l'une ou l'autre de ces commissions constitue pour le salarié une garantie de fond qui oblige l'employeur à informer le salarié du recours dont il dispose". La similitude avec l'arrêt ici commenté est saisissante et le lien entre l'existence d'une garantie de fond et l'obligation d'information déjà affirmé.
Dans le même registre, on relèvera un arrêt du 21 janvier 2009 (Cass. soc. 21 janvier 2009, n° 07-41.788, FS-P+B+R, sur le premier moyen N° Lexbase : A6458EC8) selon lequel l'avis au délégué du personnel ou au président de la commission nationale de conciliation, mis à la charge de l'employeur par l'article 9.3 de la Convention collective nationale des personnels de formation de l'enseignement agricole privé, en cas de faute grave ou lourde susceptible d'entraîner le licenciement, constitue pour le salarié une garantie de fond dont la méconnaissance prive le licenciement de cause réelle et sérieuse.
B - Simples règles de procédure
Le vocable "procédure" a pour racine étymologique le terme procedere, lequel signifie "procéder" et "poursuivre", "aller vers l'avant". En matière disciplinaire, il s'entend des étapes qu'il convient de suivre jusqu'à la sanction. La procédure, au sens juridique du terme, peut-être définie comme "l'ensemble des actes accomplis pour parvenir à une décision" (5). Elle se rapporte au negotium tandis que la forme est relative à l'instrumentum (6). Ainsi l'écrit exigé pour la lettre de licenciement motivée est une règle de forme tandis que les règles d'information et consultation des IRP relèvent de la procédure car elles contribuent à la prise de décision elle-même.
Au titre des simples règles de procédure, on relève l'absence de motivation de la décision du conseil de discipline qui s'est réuni, mais dont les membres n'ont pu se départager (Cass. soc., 3 juin 2009, n° 07-42.432, FP-P+B N° Lexbase : A6186EHL, Bull. civ. V, n° 142). De façon générale, la Cour de cassation juge assez régulièrement que le non-respect d'un délai conventionnel de saisine d'un organisme consultatif ne constitue pas la violation d'une garantie de fond, sauf si cette irrégularité a eu pour effet de priver le salarié de la possibilité d'assurer utilement sa défense devant cet organisme (7). Un parallèle est sans doute possible avec la jurisprudence du Conseil d'Etat pour lequel il incombe à l'autorité administrative, saisie d'une demande d'autorisation de licenciement d'un salarié protégé, d'apprécier, sous le contrôle du juge administratif, si les règles de procédure d'origine conventionnelle préalables à la saisine sont observées et selon lequel la formalité de la communication du dossier prévue par l'article L. 521-1 (N° Lexbase : L5336ACM) recodifié sous l'article L. 2511-1 (N° Lexbase : L0237H9N) du Code du travail en cas de procédure disciplinaire pour inobservation des dispositions relatives au préavis de grève, "est une règle déterminante" (V. CE 30 juin 2000, 3° s-s-r., n° 191542 N° Lexbase : A7316AT7)
A la vérité, dans l'espèce ici analysée, on peut constater que la Cour de cassation n'adopte pas une position rigide sur le premier point soulevé par le salarié : si l'employeur n'a pas respecté la procédure selon laquelle il devait transmettre au salarié les motifs de la décision envisagée, il n'encourra aucune sanction s'il s'avère qu'en réalité, le salarié avait eu connaissance des faits qui lui étaient reprochés et qu'il avait donné des éléments de réponse aux membres de la commission de conciliation, de sorte que l'irrégularité tenant au non-respect par l'employeur de son obligation d'indiquer par écrit au salarié les motifs de la mesure envisagée à son encontre n'avait pas eu pour effet de priver l'intéressé d'assurer utilement sa défense devant la commission. Il s'agit d'un critère évoqué plus haut.
En revanche, la Chambre sociale adopte une toute autre attitude s'agissant de l'information qui doit être faite au salarié sur les possibilités qui sont le siennes de saisir telle out elle commission, et ce d'autant plus que la saisine de telle ou telle commission va suspendre la décision envisagée par l'employeur. L'effet suspensif attaché à la saisine de la commission, bien entendu, est ici essentiel. Il importe peu qu'ensuite, une fois l'avis délivré, y compris lorsqu'il est défavorable, l'employeur "conserve son droit d'appliquer la mesure" (article 57 de la Convention collective en question).
II - Sur la sanction de sa violation
La question est récurrente. Convient-il d'annuler la mesure prise en violation de la convention collective ou d'octroyer des dommages-intérêts ?
A - La nullité
S'agissant du licenciement, la nullité est exclue tout d'abord, par application de l'article L. 1333-2 du Code du travail (N° Lexbase : L1873H9A), lequel dispose que "le conseil de prud'hommes peut annuler une sanction irrégulière en la forme ou injustifiée ou disproportionnée à la faute commise" ; l'article L. 1333-3 du Code du travail (N° Lexbase : L1875H9C) précise, que "lorsque la sanction contestée est un licenciement les dispositions du présent chapitre ne sont pas applicables". En clair, un licenciement ne peut donc pas être annulé parce qu'il est simplement irrégulier (il faut ici réserver l'hypothèse du licenciement irrégulier d'un salarié protégé, pour défaut d'autorisation administrative préalable, ce licenciement irrégulier est nul). Par ailleurs et selon une jurisprudence constante, la nullité d'un licenciement ne peut être prononcée en l'absence d'une disposition expresse la prévoyant ou de violation d'une liberté fondamentale. (Cass. soc. 13 mars 2001, n° 99-45.735, publié N° Lexbase : A0149ATP, Bull. civ. V, n° 87 ; Cass. soc., 31 mars 2004, n° 01-46.960, F-P+B N° Lexbase : A7474DBG, Bull. civ. V, n° 101)
S'agissant d'une sanction moindre que le licenciement, le pouvoir conféré au juge par l'article L. 122-43 du Code du travail (N° Lexbase : L5581ACP ; recod. art. L. 1333-2) pour annuler une sanction irrégulière en la forme s'exerce, non seulement en cas d'inobservation des règles de la procédure disciplinaire édictées par l'article L. 122-41 du même Code (N° Lexbase : L5579ACM), mais encore dans l'hypothèse où auraient été méconnues des règles prévues par une procédure conventionnelle ou statutaire, comportant, pour les salariés faisant l'objet de poursuites disciplinaires, des garanties supérieures ou des avantages supplémentaires à ceux prévus par la loi. Ainsi en a jugé la Cour de cassation il y a déjà quelques années (Cass. soc., 7 mai 1996, n° 92-40.931, publié N° Lexbase : A3910AA3 Dr. soc., 1996, p. 738, obs. A Jeammaud).
B - Les dommages-intérêts
Pour en revenir au licenciement prononcé en violation des stipulations conventionnelles, la solution indemnitaire a été préférée. La jurisprudence a toutefois sensiblement évolué sur cette question à partir du moment où les juges ont fait appel à la notion de garantie de fond. A l'origine, la jurisprudence analysait les manquements comme de simples irrégularités de procédure susceptibles d'entraîner l'allocation de dommages-intérêts (8).
Par la suite, un arrêt rendu par la Chambre sociale de la Cour de cassation le 23 mars 1999 (9) fut perçu comme un revirement de jurisprudence car il faisait précisément mention de l'existence d'une garantie de fond sanctionnée par l'allocation de dommages-intérêts associés au défaut de cause réelle et sérieuse. Les conséquences financières attachées au défaut de cause réelle et sérieuse sont connues : indemnité au minimum égale aux six derniers mois de salaires si les conditions légales sont vérifiées.
De façon générale, l'importance que la Cour de cassation attache à l'obligation d'information qui pèse sur l'employeur déborde le seul contentieux ici évoqué. On en relève d'autres manifestations dans des situations similaires mais non identiques à celle qui nous retient ici. Un exemple particulièrement instructif peut être puisé dans le contentieux qui s'attache aux situations dans lesquelles la mesure patronale est susceptible de provoquer une modification du contrat de travail. Passons ici sur la jurisprudence qui s'est construite depuis l'arrêt "Raquin" (10), jusqu'à l'arrêt "Franfinance" (11) et les débats qu'ils ont suscités (12).
Un arrêt plus récent vient d'accentuer le phénomène de "procéduralisation" déjà évoqué. L'arrêt rendu par la Cour de cassation, le 28 avril 2011 (Cass. soc., 28 avril 2011, n ° 09-70.619, FS-P+B N° Lexbase : A5359HP8), répond à l'espèce suivante. Une salariée, assimilée cadre, s'est vue notifier une mesure de rétrogradation au poste d'agent de réservation avec une baisse de rémunération. Elle a en conséquence pris acte de la rupture de son contrat de travail puis a saisi la juridiction prud'homale aux fins de voir juger que cette prise d'acte avait les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse. Ultérieurement, l'employeur a avisé l'intéressée qu'il transformait la sanction en avertissement.
La difficulté résultait notamment du fait que la salariée n'avait pas formellement refusé la sanction qui lui avait été notifiée mais qu'elle avait pris acte de la rupture du contrat de travail. La cour d'appel a jugé que la prise d'acte de la rupture du contrat de travail avait les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse. Dans son pourvoi, l'employeur fit valoir divers arguments. Tour d'abord, précisément, que la salariée n'avait jamais refusé formellement la sanction, elle avait pris acte de la rupture. Ensuite, qu'il n'était plus en situation dans le délai de deux mois de la prescription des faits fautifs, pour prononcer une autre sanction ou renoncer à toute sanction ; qu'enfin, la rétrogradation litigieuse n'avait jamais été mise en oeuvre.
La Chambre sociale de la Cour de cassation va, toutefois, juger que "lorsque l'employeur notifie au salarié une sanction emportant modification du contrat de travail, il doit informer l'intéressé de sa faculté d'accepter ou refuser cette modification". Les seconds juges avaient, semble-t-il, constaté que la rétrogradation avait été notifiée avec effet définitif et en ont déduit que la salariée était fondée à prendre acte de la rupture. La prise d'acte ne s'explique donc pas par l'existence d'une sanction qui modifie le contrat de travail mais par une sanction non précédée de l'information désormais exigée par la Cour de cassation !
(1) V. S. Frossard, La sanction de la violation d'une procédure disciplinaire conventionnelle, signe de la procéduralisation du droit du travail, Dalloz, 2001, p. 417 ; Ass. plén., 5 mars 2010, rapport de Madame Laporte, II, A,1° ; B. Gauriau, La procéduralisation de la sanction en droit du travail, in La sanction, Cycle des conférences organisées par le Laboratoire de droit social à l'Université de Paris II, sous la direction de B. Teyssié, édition Panthéon-Assas, 2012.
(2) Cass.soc., 26 octobre 1976 n° 75-40.659, publié (N° Lexbase : A1120CKP).
(3) Cass. soc., 28 mars 2000, n° 97-43.411, publié (N° Lexbase : A6374AG8) Bull. civ. V, n° 136 ; Cass. soc., 11 juillet 2000, n° 97-45.781, publié (N° Lexbase : A3560AUE), Bull. civ. V, n° 272 ; Cass. soc., 5 juin 2002, n° 00-44.266, F-D (N° Lexbase : A8601AY9) ; Cass. soc., 12 octobre 2004, n° 02-43.552, F-D (N° Lexbase : A6069DD7) ; Cass. soc., 4 décembre 2007, n° 06-42.443, F-D (N° Lexbase : A7541DPY).
(4) Cass. soc., 8 janvier 2002, n° 99-46.070, FS-D (N° Lexbase : A7816AXR) ; Cass. soc., 29 avril 2003, n° 01-42.442, F-D (N° Lexbase : A7589BSU) ; Cass. soc., 31 janvier 2006, n° 03-43.300, F-P (N° Lexbase : A6480DMX), Bull. civ. V, n° 45 ; Cass. soc., 5 décembre 2007, n° 06-40.869, F-D (N° Lexbase : A0408D3I) ; Cass. soc., 9 juillet 2008, n° 07-41.323, F-D (N° Lexbase : A6391D9L) ; Cass. soc., 17 juin 2009, n° 08-40.931, F-D (N° Lexbase : A3098EIL).
(5) G. Cornu, Vocabulaire juridique, V° procédure, Association Henri Capitant.
(6) R. Hostiou, Formes et formalités de l'acte administratif unilatéral en droit français, préf. G. Dupuis, LGDJ, Bibliothèque de droit public, 1974, p.17.
(7) Cass. soc., 3 juin 2009, n° 07-42.432, FP-P+B (N° Lexbase : A6186EHL) ; v. aussi la saisine d'un organisme chargé de donner un avis si cette saisine est facultative, Cass. soc.10 novembre 2010, n° 09-41.437, F-D (N° Lexbase : A9015GGY) ; J. Savatier, observations sous Cass. soc., 23 mars 1999, n° 97-40.412, inédit (N° Lexbase : A3552AU4), Dr. soc., 1999, n° 6, p. 634 ; Ch. Radé, Observations sous Cass. soc., 11 juillet 2000, préc., Dr. soc., 2000, n° 11, p. 1028 ; L. Dauxerre, L'irrégularité de la procédure de consultation d'un conseil de discipline rend le licenciement sans cause réelle et sérieuse, JCP éd. S, 2008, 1615 ; S. Frossard, La sanction de la violation d'une procédure disciplinaire conventionnelle, signe de la procéduralisation du droit du travail, Recueil Dalloz, 2001, p. 417 ; v. les obs. de G. Auzero, Mise en oeuvre des procédures conventionnelles de licenciement : de quelques distinctions autour de la notion de garantie de fond, Lexbase Hebdo, n° 355 du 18 juin 2009 - édition sociale (N° Lexbase : N6572BKM).
(8) Cass. soc., 7 février 1995, n° 93-42.549, inédit (N° Lexbase : A9406CNP), Dr. soc., 1995, p. 388 ; Cass. soc., 28 novembre 1995, n° 92-41.995, publié (N° Lexbase : A1072ABC), Bull. civ. V, n° 316 : "l'inobservation de la procédure disciplinaire prévue par l'article 52 du statut du personnel des caisses d'épargne ne peut entraîner que le paiement d'une indemnité pour inobservation de la procédure, sans le rendre le licenciement abusif" ; Cass. soc. 18 février 1998, n° 95-42.500, publié (N° Lexbase : A2531ACQ), Bull. civ. V, n° 95.
(9) Dr. soc., 1999, p. 634, note Jean Savatier.
(10) Cass. soc., 16 juin 1998, n° 95-45.033, publié (N° Lexbase : A5390ACM), Bull. civ., V, n° 320, p. 243 ; JCP éd. E, 1998, n° 40, p. 1552, note D. Boulmier ; JCP éd. G, 1998, n° 41, p. 1769, note D. Corrignan-Carsin ; Dalloz, 1999, n° 8, p. 125, note C. Puigelier ; D., 1999, n° 34, p. 359, note J. Mouly.
(11) Cass. soc., 11 juillet 2001, n° 99-41.574, publié (N° Lexbase : A5096AGT), Bull. civ. V, n° 265 p. 213.
(12) A. Mazeaud, Contractuel, mais disciplinaire, Dr. soc., 2003, pp. 164 et s. ; Jean Mouly, Disciplinaire, donc non contractuel, Dr.soc., 2003, pp. 395 et s..
Décision
Cass. soc., 27 juin 2012, n° 11-14.036, FS-P+B (N° Lexbase : A1398IQT) Rejet, CA Bordeaux, ch. soc., sect. A, 18 janvier 2011, n° 09/07339 (N° Lexbase : A8671GQ9) Texte visé : Convention collective nationale de travail du personnel des agences de voyages et de tourisme (N° Lexbase : L3328INL) Mots-clés : procédure disciplinaire, garanties de fond, commission de conciliation, obligation d'information, procéduralisation Liens base : (N° Lexbase : E2533ETY) |
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