La lettre juridique n°493 du 12 juillet 2012 : Éditorial

Préjudice sexuel et agrément baroque

Lecture: 3 min

N2865BTB

Citer l'article

Créer un lien vers ce contenu

Préjudice sexuel et agrément baroque. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/article-juridique/6546496-prejudicesexueletagrementbaroque
Copier

par Fabien Girard de Barros, Directeur de la publication

le 27 Mars 2014


Décidément, le vocabulaire juridique a sa singularité qu'un esprit baroque ne reconnaîtrait pas. L'on sait, grâce à Cornu, que l'abandonnement est une opération par laquelle on attribue un bien en partage à un indivisaire pour le remplir de ses droits, et en rien un acte de délaissement d'une chose ou d'autrui ; que, si l'indu est ce qui n'est pas dû, encore est-il le trop perçu ; ou bien, plus "perfide", que la tradition, en droit, ne tire rien des us et coutume, mais transfère la possession d'une chose mobilière. Par un arrêt du 28 juin 2012, les juges du quai de l'Horloge nous enseignent pareillement, et nous en déplaise, que le sexe n'est pas un agrément.

Pour la deuxième chambre civile, doit être apprécié distinctement du préjudice d'agrément, lequel vise exclusivement l'indemnisation du préjudice lié à l'impossibilité pour la victime de pratiquer régulièrement une activité spécifique sportive ou de loisirs, le préjudice sexuel qui comprend tous les préjudices touchant à la sphère sexuelle.

Un brin choqué par ce partage dans le dommage, bien qu'il soit de jurisprudence constante, j'ouvre, dès lors mon Littré.

"J'ai présupposé qu'elle avait l'agrément de Madame" écrivait l'épistolaire Bossuet. Que nenni Monsieur l'Evêque de Condom, il n'est besoin en rien du consentement de Madame pour vous parer de votre calotte. Le sexe n'est pas affaire d'approbation, selon la Cour de cassation.

"Ce qui est de certain, c'est qu'avec tous ses agréments et tous ses charmes, le monde n'a rien de comparable à ces saints délices et à ces joies secrètes que la religion nous fait goûter" renchérit un autre prédicateur, Bourdaloue. L'agrément se rapproche, ici, presque physiquement du sexe, mais même s'il revêt la qualité de ce qu'il plait, le juge de cassation dit encore non.

"Je fis cinq charges en tout : j'en fus quitte pour la croupière de mon courtaud coupée, et un agrément d'or de mon habit bleu déchiré" nous livrait, jadis, Saint-Simon. Pour le coup, si l'agrément est un ornement, les fidèles dionysiaques n'en renieraient pas au sexe l'insigne qualificatif. Mais, que voulez-vous, "comme la mode fait l'agrément aussi fait-elle la justice" et le juge suprême se fait plus pascalien que nietzschéen !

Résolument baroque, l'agrément donne également la note, mais, pour le magistrat, le sexe n'est pas là. Si l'agrément est un accessoire qui donne au chant plus d'élégance et de grâce, force est de constater, avec Farinelli, que la castration permit au jeune napolitain de conserver une "voix de soprano pénétrante, pleine, riche, rayonnante et bien modulée..." nous livre Quantz, flûtiste de renom lui-même. Comme quoi sans sexe, l'agrément donne de la voix.

On omettra cet "agrément" usité à titre de "lavement" au XVIIème siècle, pour lui préférer le terme de "remède". Là encore, point de sexe, l'agrément est pour l'hygiène.

Mais il reste un dernier écueil : "la France, [est le pays] où les connaissances ont été portées aussi loin et les agréments de la vie plus loin que partout ailleurs", nous confie Fontenelle. Presque centenaire, le neveu de Corneille sait de quoi il parle lorsqu'il évoque l'agrément ; l'académicien ne fut-il pas condamné par l'Eglise pour ses interprétations blasphématoires ? N'était-il pas, excusez du peu, chevalier de l'Ordre de la Mouche à Miel auprès de la duchesse du Maine ? Tout un programme. Non ! Autour du Palais de justice, le sexe n'est ni plaisir, ni contentement. "Il n'y a dans l'homme que l'estomac à pouvoir être pleinement satisfait. La soif de connaissance et d'expérience, le désir d'agrément et de confort, ne peuvent jamais être apaisés", nous éclaire Edison.

Et, la Cour de cassation l'entend bien de cette oreille : le préjudice d'agrément est le préjudice subjectif de caractère personnel résultant des troubles ressentis dans les conditions d'existence. Aussi, est privée des agréments d'une vie normale une personne qui est atteinte d'une affection rendant pénibles les gestes quotidiens, s'est trouvée privée de toute activité physique, de toute vie sociale ou familiale et subit des contraintes dues au traitement. En revanche, le préjudice sexuel comprend le préjudice morphologique lié à l'atteinte aux organes sexuels primaires et secondaires résultant du dommage subi. Il comprend le préjudice lié à l'acte sexuel lui-même qui repose sur la perte du plaisir lié à l'accomplissement de l'acte sexuel, qu'il s'agisse de la perte de l'envie ou de la libido. Il comprend, enfin, le préjudice lié à l'acte sexuel lui-même, qu'il s'agisse de la perte de la capacité physique de réaliser l'acte, ou de la perte de la capacité à accéder au plaisir.

De l'adage populaire, l'on sait que le chemin compte tout autant que le but. Et, bien si l'agrément est le plaisir, le sexe en est l'un des chemins. Il convient donc bien de faire, ici, le distingo. Deux valeurs, deux préjudices, deux indemnisations... CQFD.

newsid:432865